Lettre néerlandaise
◼ dans de précédentes lettres nous avons déjà parlé des problèmes qui tracassent ces derniers temps le Musée Littéraire établi à La Haye. On sait qu'un bâtiment avait été conçu et construit spécialement pour ce Musée en même temps - et y attenant - que les nouveaux locaux de la Bibliothèque Royale, qui ont été inaugurés dernièrement par la reine Béatrix. Le Musée Littéraire a pourtant été moins heureux, car le ministère des Finances réclamait pour son nouveau bâtiment un loyer annuel d'un montant dépassant la totalité des subventions accordées au Musée!
Pendant des mois on a espéré en vain du gouvernement une solution rapide et positive à ces problèmes financiers, qui permettrait au Musée de s'établir dans le bâtiment qui lui était destiné. Mais comme l'attente prolongée paralysait les activités, le Conseil d'administration décida de forcer la situation et de prendre possession des nouveaux locaux sans plus attendre une autorisation du gouvernement. C'est ainsi que le Musée Littéraire est depuis quelques semaines installé enfin à sa nouvelle adresse, Prinses Irenepad, à La Haye dans l'espoir d'une décision favorable qui le dispensera, comme la plupart des institutions d'intérêt national, de payer un loyer.
◼ c'est dans ces locaux qu'on a présenté fin octobre le premier volume des oeuvres complètes d'un des plus importants romanciers néerlandais de notre époque, Ferdinand Bordewijk. Paraissant chez Nijgh et van Ditmar, l'édition comportera 11 volumes qui comprendront tous les romans, contes, nouvelles, pièces de théâtre ainsi que des oeuvres diverses, essais et chroniques littéraires.
Bordewijk, né à Amsterdam le 10 octobre 1884, mourut à La Haye le 28 avril 1965. Il était avocat et avait l'habitude de dire, non sans quelque coquetterie, qu'il pratiquait la littérature en amateur. Son regard clair mais dur trahissait l'ironie et le sarcasme. C'était un homme fermé qu'on avait de la peine à connaître et qui se retranchait derrière un masque impénétrable. Il ne prenait guère part à la vie littéraire et considérait le fait d'écrire comme une affaire personnelle, pas un métier, mais plutôt une vocation. Mais à cette vocation il s'est consacré avec tout le sérieux d'un magistrat. On pourrait soutenir, sans trop forcer la réalité, que la plupart de ses livres et certainement les plus importants sont comparables aux pièces d'un procès.
On distingue dans son oeuvre deux phases. La première se joue avant les années 30, lorsqu'il publia trois volumes de Contes fantastiques qui éclairent sa vue du monde et caractérisent fortement son imagination baroque. La seconde phase débuta en 1931 avec son roman Blokken, un livre court au style concis efficace, et qui fut considéré par la critique de l'époque comme particulièrement représentatif de la littérature moderne. Ce petit roman fut suivi rapidement par d'autres dont Bint est devenu un ‘classique’ de la nouvelle prose néerlandaise.
Dans ses oeuvres de la seconde phase, on reconnaît sans peine des thèmes qui annoncent de phénomènes actuels dont Bordewijk fait déjà le procès. Celui entre autres de la mécanisation (dans Blokken), de l'indiscipline (dans Bint), du vice et de la décadence (dans Rood paleis), des rapports humains (dans Karakter), de la destructivité (dans Apollyon), du mal (dans Eiken van Dodona), de la fatalité (dans Noorderlicht), du conformisme (dans De Doopvont), de l'angoisse et de l'absurdité (dans Bloesemtak), enfin de la vieillesse et de la mort (dans