Septentrion. Jaargang 11
(1982)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 76]
| |||||||||||||||||||
BelgiqueGangrene, l'etat Belge?‘Il y a quelque chose de pourri dans l'Etat belge...’ Le lecteur voudra bien nous pardonner cette paraphrase peu originale de Shakespeare, mais le doute hamlétien semble pour le moins permis, voire quelquefois fondé, pour ceux qui essaient de suivre et s'efforcent de comprendre la société belge dans son évolution des derniers mois et des dernières années. En effet, on pourrait sans peine constituer un volumineux dossier de déclarations et d'extraits de presse truffés d'un jargon assez insolite, où surgissent à tout bout de champ des termes tels qu'‘exécutif’, ‘régions’ et ‘communautés’, ‘culturalisation’ et ‘matières personnalisées’ - et j'en passe - ainsi que leurs dérivés. Ce jargon, précisément, illustre que quelque chose ne tourne pas rond dans la société belge, où Flamands, francophones, Wallons, Bruxellois et germanophones sont à la recherche d'un nouveau modèle communautaire. D'aucuns, parfois, annoncent sans ambages la couleur: ‘Avec la Belgique si c'est encore possible, sans la Belgique s'il le faut.’ L'observateur bienveillant a toujours éprouvé quelque difficulté à saisir notre modèle communautaire à l'intérieur de la structure de l'Etat belge; toutefois, depuis quelques mois, il doit avoir l'impression que tout se complique encore davantage et devient de plus en plus incompréhensible, et ce en dépit de la ‘réforme de l'Etat’ adoptée si laborieusement par le Parlement belge au mois d'août 1980. Alors, cette réforme n'a-t-elle vraiment pas apporté l'apaisement attendu depuis si longtemps? Certes, on a eu droit à une sorte d'accalmie temporaire, mais deux ans à peine après les lois d'août 1980, presque tout le monde s'accorde pour déclarer qu'il faudra remettre sur le métier ce qui, à l'époque, n'était ni ne pouvait être le point final escompté. | |||||||||||||||||||
De l'autonomie culturelle à...‘Sire, il n'y a pas de Belgesj’: on connaît l'affirmation presque choquante lancée en 1912 par le dirigeant socialiste liégeois Jules Destrée. Si l'on oublie son aspect choquant, on peut y reconnaître une conclusion logique, et surtout prémonitoire, de quatre-vingts ans d'expérience du Mouvement flamand. Par sa déclaration, Destrée avait déjà pris de court les Flamands. En effet, ces derniers se considéraient comme de ‘bons’ Belges, des Belges flamands, dont la seule aspiration était de pouvoir, en tant que tels, occuper à terme leur place sous le ciel belge sans trop de problèmes ni de tracas. Cette aspiration se traduisit d'abord dans quelques revendications linguistiques minimales; vinrent ensuite le combat en faveur de la reconnaissance du flamand (= le néerlandais) comme langue officielle de la Belgique à côté du français et conjointement avec lui, et la lutte pour la néerlandisation de tout l'enseignement, de la maternelle à l'université, qui menèrent progressivement à une revendication d'autonomie culturelle. Cette volonté des Flamands d'accéder à une vie culturelle indépendante, toujours dans le cadre de l'Etat belge, bien entendu, devint, dans les années trente, une exigence politique prioritaire, dont la Belgique officielle devait tenir compte. A la veille de la deuxième guerre mondiale, on était même en droit de croire que l'autonomie culturelle était sur le point de se réaliser: la Belgique de langue française s'était faite à l'idée que la partie flamande du pays ignorât la ‘culture belge’, que l'enseignement y fût donné en néerlandais, que l'on y pensât et vécût en néerlandais... Tout compte fait, ces ‘détails’ ne modifiaient absolument rien aux rapports de force qui soustendaient la société belge. La vie financière et économique, de toute manière, demeurait fondamentalement ‘belge’, c'est-à-dire qu'elle était pour l'essentiel aux mains de la bourgeoisie francophone, comme cela avait toujours été le cas. On s'était rendu compte que l'aspiration à l'autonomie culturelle ne menaçait sur | |||||||||||||||||||
[pagina 77]
| |||||||||||||||||||
aucun point le ‘système belge’ et que, par conséquent, il ne s'imposait nullement de répondre d'emblée aux nombreuses propositions wallonnes, formulées dans la première moitié du vingtième siècle et visant à scinder le pays en deux. Il convient, en effet, de rappeler que les premières propositions tendant à fédéraliser la Belgique émanaient des Wallons; les Flamands, eux, acceptaient apparemment l'Etat belge, quitte à ēxiger qu'il s'adapte quelque peu dans sa manière de se présenter à l'extérieur. Qu'importait que le Moniteur belge dût également publier en néerlandais les lois et arrêtés, pourvu que la vie publique continuât à se dérouler en français et que l'on pût continuer à penser et à décider en français? Le réveil, après ce rêve, serait pénible, car Destrée avait vu justé: la Belgique de 1830 n'était pas peuplée de Belges, elle ne comptait que des Flamands, dont la bourgeoisie était essentiellement francophone, et des Wallons francophones, chaque groupe ayant ses propres aspirations, ses propres possibilités et ses propres sentiments. La deuxième guerre mondiale interrompit le processus de maturation: il s'avérerait particulièrement difficile d'en reprendre le fil par la suite. Le fait qu'une partie de l'opinion publique flamande se soit compromise avec l'occupant nazi - quantitativement et qualitativement, la collaboration fut sûrement tout aussi importante en région de langue française -, ranima en effet, de manière assez imprévue, la flamme d'un patriotisme belge censé disparu. Il est très frappant, en tout cas, que dès les premières semaines après les hostilités, la Wallonie, lors d'un congrès, ait exigé tout simplement l'autonomie pour la région. Il n'y eut pas de réponse politique flamande à cette prise de position wallonne: il ne subsistait plus grand-chose de la Flandre des années trente, qui avait exigé avec tant de fermeté son autonomie culturelle. La répression avait suscité en Flandre une psychose belge, dont les effets se sont fait sentir pendant de longues années. Toutefois, l'autonomie culturelle fut réalisée sur le plan légal vers la fin des années soixante. Du côté flamand, cette autonomie culturelle fut accueillie dans l'euphorie, alors que de leur côté, les francophones ne percevaient pas très bien ce qu'ils devaient attendre et faire de cette indépendance culturelle. Un problème très concret jouait un rôle considérable à ce sujet: la communauté bruxelloise d'expression française constitue un groupe politiquement assez important au sein de la communauté de langue française, de sorte que les Wallons redoutaient des confrontations, voire la minorisation, au sein même de leur propre communauté. Par ailleurs, cette autonomie se limitait strictement à la culture au sens très étroit du terme: les musées, les monuments, la protection et l'illustration de la langue, la radio et la télévision ... et une toute petite fraction de l'enseignement, qui représente cependant un maillon essentiel de la vie culturelle. L'enseignement, en effet, en grande partie soustrait à l'autonomie culturelle, demeurait essentiellement une matière nationale belge, même si l'on compte depuis plusieurs années deux ministères de l'Education nationale, compétents respectivement pour la région flamande et pour la région de langue française. Cette réserve résultait de l'opposition traditionnelle, en Belgique, entre croyants et incroyants, antagonisme qui fait abstraction de la frontière linguistique, qui la franchit même, et qui à deux reprises a abouti à une lutte scolaire particulièrement âpreGa naar eind(1). Chaque communauté culturelle fut dotée d'un conseil culturel, composé des parlementaires nationaux élus dans la partie du pays qui en relève; ces derniers devaient donc changer de casquette lorsqu'ils allaient s'occuper de la culture de la communauté à laquelle ils appartiennent. Le gouvernement national comportait dorénavant des ‘ministres de la Culture’, chargés de mener une politique culturelle régionale avec leur budget fixé au niveau national... En dépit de l'accueil enthousiaste dont bénéficia cette forme d'indépendance, on était encore assez loin d'une véritable et profonde ‘autonomie’ culturelle. | |||||||||||||||||||
[pagina 78]
| |||||||||||||||||||
Vers une ‘régionalisation’Au début des années soixante, la Wallonie sortit d'un sommeil belge qui s'était prolongé pendant plusieurs décennies. Ce fut un réveil plutôt pénible. Il apparut, en effet, que la Belgique officielle, cette Belgique qui tenait réellement en mains les ficelles du pouvoir économique et financier, abandonnait maintenant la Wallonie, dont le déclin s'était visiblement amorcé depuis des années sans que les milieux politiques wallons eussent pu ou voulu intervenir. On s'était habitué à compter sur l'aide traditionnelle de la Belgique officielle pour venir en aide aux houillères wallonnes non rentables et pour préserver du déclin définitif la vétuste industrie wallonne. Cette aide cessa d'être automatique ou le devint de moins en moins. Du coup, la Wallonie se sentit perdue. Elle chercha en vain une main tendue et, ne la trouvant pas, déclara qu'elle s'en sortirait bien par ses propres forces. ‘Fédéralisme!’ tel fut le nouveau slogan. C'était la signification profonde des grèves de l'hiver 1960-1961, que mena le dirigeant syndicaliste socialiste André Renard, liégeois lui aussi. A l'instar de son prédécesseur, Destrée, Renard tira la conclusion de ce qu'il considérait comme un échec évident de la communauté belge: la cohabitation entre Flamands et Wallons comme elle s'était déroulée pendant cent trente ans n'était plus possible; elle devait s'organiser sur une base fondamentalement différente, qui serait une base fédéraliste. Si cette réforme ne se faisait pas à court terme, affirmait Renard, le modèle de la vieille société belge éclaterait. C'était on ne peut plus clair. Le réveil wallon coïncidait avec l'essor social et économique de la Flandre. C'est ainsi qu'une sidérurgie s'installa en Flandre dans les années soixante, au moment même où les aciéries wallonnes commençaient manifestement à marquer le pas. Depuis l'existence de la Belgique, les dirigeants wallons avaient considéré l'industrie wallonne comme une évidence belge jamais remise en question. Et voilà que cette question était posée sans que la Belgique officielle vînt en aide ou réagît. Au contraire, le gouvernement belge, à Bruxelles, encourageait ouvertement les investissements étrangers dans la nouvelle sidérurgie flamande. La communauté wallonne, vieillissant rapidement, ne semblait pas à même de faire face à l'énorme défi, ni sur le plan politique, ni sur le plan économique, ni sur le plan social. Des dizaines de rapports sur les causes du déclin wallon furent publiés, les journées d'études et les colloques se succédèrent, mais sans résultats. De cette impuissance, on fit de la communauté flamande le bouc émissaire, imputant le désastre wallon à sa prépondérance croissante, du moins sur le plan numérique, au sein de la collectivité belge. D'aucuns espéraient renverser la vapeur en faveur de la Wallonie par la violence verbale, mais rien ne changea. Politiquement, on forcerait un changement au niveau de l'évolution des idées vers 1970: parallèlement à l'autonomie culturelle fut mis sur pied un système de décentralisation et de planification économique. On attendait des pouvoirs publics, auxquels on accordait les moyens d'intervenir dans l'organisation de la vie économique, qu'ils recourussent à cet instrument pour redresser la Wallonie. Il y avait là déjà une différence nette par rapport à l'autonomie culturelle réalisée simultanément: sur le plan culturel, on permettait aux communautés d'organiser leur propre vie comme elles l'entendaient, mais sur le plan social et économique, il n'était guère question d'autonomie. Du reste, on ne la revendiquait pas; on s'en tenait à une ‘décentralisation’. Toutefois, la question d'une forme d'autonomie dans le domaine social et économique fut posée explicitement dans la discussion politique, et elle aboutit au fameux article 107quater de la Constitution, relatif à la régionalisation à trois. La Belgique se répartirait en trois régions: la région wallonne, la région flamande et la région bruxelloise, qui seraient dotées de la compétence de ‘régler les matières que (la loi) détermine, à l'exception de celles visées aux articles 23 et | |||||||||||||||||||
[pagina 79]
| |||||||||||||||||||
Le premier gouvernement flamand (juillet 1982).
59bis’, ayant trait respectivement à la législation linguistique et à l'autonomie culturelle. A côté de l'autonomie culturelle pour les Flamands et les francophones, on envisageait donc bel et bien une deuxième forme d'autonomie. A ce stade-là, les conceptions quant à la forme et au contenu que devait revêtir cette autonomie, qui serait dissociée de l'autonomie culturelle, étaient particulièrement vagues et très divergentes. Résumons comme suit: on songeait à une compétence normative dans des secteurs tels que l'aménagement du territoire, le logement, la politique familiale, et ainsi de suite, mais au moment où le principe fut inscrit dans la Constitution, la classe politique était encore loin de disposer de propositions concrètes prccises. En effet, la décentralisation et la planification économiques étaient considérées comme prioritaires. Par conséquent, il serait erroné de présenter les choses comme si la régionalisation était la compensation wallonne pour l'autonomie culturelle flamande. Il y a dix ans, l'intérêt des dirigeants wallons s'orientait clairement, en premier lieu, vers la décentralisation économique. | |||||||||||||||||||
Août 1980Conférer une forme et un contenu à cette ‘régionalisation’, voilà le problème qui a occupé la classe politique belge pendant plus de dix ans. D'innombrables propositions ont été déposées entre 1970 et 1980. Ce thème politique a provoqué toute une série de crises gouvernementales. Presque tous les châteaux de Bruxelles et des environs ont été hantés jour et nuit par des hommes politiques qui se réunissaient pour mettre sur pied cette régionalisation. Les instruments de la décentralisation économique, avec les nombreuses institutions à créer, s'étaient assez tôt révélés peu efficaces. Comme on ne devait | |||||||||||||||||||
[pagina 80]
| |||||||||||||||||||
guère en attendre de solutions spectaculaires à court terme, on essayerait autre chose: l'article 107 quater de la Constitution relatif à la régionalisation à trois! La discussion à ce propos s'enlisa bientôt dans deux questions fondamentales: jusqu'où irait cette autonomie et quelles seraient les limites de ces régions? Il y avait, en effet, trois régions: la Flandre, la Wallonie et Bruxelles. C'est précisément la délimitation de cette dernière région qui formerait pendant de longues années un obstacle infranchissable, un problème du reste toujours demeuré sans solution jusqu'aujourd'hui. La Flandre émettait - et émet toujours - certains desiderata concernant la présence flamande dans la capitale belge, revendications inacceptables aux yeux de la majorité francophone de celle-ci, à défaut de bénéficier de compensations pour les francophones établis dans les communes flamandes qui enserrent l'agglomération bruxelloise. Un ‘marchandage’ était donc possible: la Flandre avait plusieurs exigences concernant Bruxelles; la Wallonie voulait absolument la ‘régionalisation’; Bruxelles faisait valoir son ‘droit’, prévu par la Constitution, à ‘une certaine’ régionalisation comme la Flandre et la Wallonie en avaient obtenu ‘une certaine’. Du côté flamand, on souleva la question de savoir dans quelle mesure la régionalisation devait être identique pour Bruxelles à celle prévue pour la Flandre et la Wallonie. Le risque n'était certes pas imaginaire d'aboutir finalement à une situation où Bruxelles et la Wallonie s'allièrent contre la Flandre. Il est de fait que deux des trois régions, la Wallonie et Bruxelles, s'épaulaient mutuellement depuis quelque temps déjà pour défendre leurs revendications en matière de réforme de l'Etat, faisant corps face à la communauté flamande, ce qui, comme on pouvait s'y attendre, a créé un blocage paralysant pendant plusieurs années la vie politique belge. A un moment donné, on a cru pouvoir sortir de cette impasse. En effet, au mois de mai 1977, la plupart des partis politiques flamands, wallons et bruxellois aboutirent à l'accord dit ‘pacte d'Egmont’. Les libéraux n'y avaient pas été associés. Initialement, il régnait une certaine euphorie - apparemment, on avait trouvé une réponse au triple défi précité -, mais après beaucoup de confusion et de zizanie, la Flandre, estimant trop élevée la note à payer aux francophones dans la périphérie flamande de l'agglomération bruxelloise, rejeta finalement la solution proposée. L'histoire dira qui a eu tort ou raison, mais entre-temps, tout devait être remis sur le métier... On finit tout de même par trouver la formule magique: le problème bruxellois fut reporté à... plus tard... Personne ne sait jusqu'à quand, mais ce tour de passe-passe permettait enfin de sauter le pas et de réaliser la régionalisation, du moins pour la Flandre et la Wallonie. Les lois qui l'instauraient, en application de la Constitution révisée, furent votées au mois d'août 1980. | |||||||||||||||||||
Trop loin et pas assez loinNous avons déjà présenté en détail au lecteur, dans ses aspects techniques, la réforme d'il y a deux ansGa naar eind(2). Nous nous bornerons ici à en souligner quelques points essentiels:
| |||||||||||||||||||
[pagina 81]
| |||||||||||||||||||
Il importe surtout de retenir que l'on a pour ainsi dire amputé l'Etat unitaire central vieux de plus de cent cinquante ans, et que, pour la première fois de son histoire, des autorités autres, ‘à côté de’ lui et plus ou moins indépendamment, peuvent prendre des décisions et promulguer des lois au même titre que le législateur national. Signalons, à titre d'illustration, que les décisions de ces nouvelles autorités ne sont plus signées par le roi des Belges, comme le sont les lois du Parlement, bien qu'elles aient également force de loi. Pour concrétiser leurs compétences, les régions disposeront de plusieurs milliers de fonctionnaires transférés de l'administration nationale et elles reçoivent évidemment des moyens financiers. Il convient de souligner qu'il s'agit bien de ‘recevoir’. On a donc incorporé dans le modèle communautaire belge des forces susceptibles d'être centrifuges. Un progrès considérable a incontestablement été réalisé entre les timides propositions initiales d'une régionalisation en général purement consultative d'il y a dix ans et les dernières lois de régionalisation. Un retour en arrière est exclu: les encadrements légaux sont bel et bien mis en place et le mecanisme s'est déjà développé et sa concrétisation est très avancée. Ainsi, par exemple, l'exécutif communautaire flamand insiste très fort sur le transfert de compétences en matière de commerce extérieur, demeuré national jusqu'à présent. Il est possible, en effet, que la Flandre et la Wallonie aient bientôt leurs propres représentants commerciaux à l'étranger, comme en ont par exemple, pour leur plus grand profit, les provinces canadiennes. Le gouvernement national, évidemment, rejette ces aspirations et invoque les dispositions légales actuelles. Les régions et communautés tiennent donc effectivement des leviers pour élaborer dans leurs ressorts respectifs une politique appropriée de l'emploi, une politique appropriée du logement, un aménagement du territoire approprié ainsi qu'une politique culturelle propre au sens large. Une réserve importante réside dans le fait que les compétences régionales ne sont pas délimitées avec beaucoup de précision, conséquence entre autres d'un jeu politique d'offre et de demande en fonction des personnes au pouvoir à l'époque et qui, au sein du gouvernement national, étaient chargées d'élaborer la réforme de l'Etat du mois d'août 1980. Lors de l'établissement des listes des compétences, la question de la répartition la plus efficace n'était pas toujours posée prioritairement. Le mécanisme s'avère donc imparfait, mal préparé et insuffisamment efficace pour que l'on puisse réellement parler d'une nouvelle forme étatique, voire d'une fédéralisation de l'Etat belge. Le résultat, c'est que les exécutifs régionaux et le gouvernement national doivent régulièrement se réunir au sein d'un comité de concertation afin de trancher toute une série de conflits d'intérêts et de compétences. | |||||||||||||||||||
[pagina 82]
| |||||||||||||||||||
Par ailleurs, il est remarquable que jusqu'à présent, les régions n'aient pas songé à se rencontrer pour défendre de concert certains dossiers auprès du gouvernement belge. Apparemment, on semble encore hésitant devant l'éventualité que la coalition politique au niveau national puisse être différente de celle que l'on peut avoir au niveau régional. Souvent, il s'agit davantage d'un jeu consistant à se compliquer la vie politiquement pour des raisons d'ordre purement national plutôt que de la défense des intérêts propres. Or, le système d'une coalition différente aux niveaux régional et national constitue précisément un élément important d'une structure réellement fédérale. Mais entretemps on s'interroge sur les moyens de faire fonctionner sans trop de heurts le mécanisme mis en place. Il est impossible d'apporter ici une réponse claire et nette. La seule certitude, c'est que l'on ne peut plus remonter le courant; les aspirations à l'initiative régionale ont été trop manifestes, la certitude que l'on s'y prendrait mieux, exprimée trop souvent pour que l'on puisse faire marche arrière. Provisoirement, on ne voit pas, au niveau national, de majorité politique disposée à compléter et à corriger la réforme d'août 1980 sur les points qui s'imposent. On estime soudain qu'il y a des problèmes beaucoup plus graves à résoudre tels que la crise économique et sociale! Par ailleurs, du côté wallon et francophone, on semble quelque peu décontenancé par le fait que l'on dispose enfin d'‘une certaine régionalisation’, qu'il faut par conséquent essayer d'en faire quelque chose, et surtout par le fait que du côté flamand, on s'efforce effectivement de réaliser des choses concrètes. L'observateur de la vie politique belge se demande si l'on peut continuer à faire abstraction dù mécanisme qui pourrait permettre que ‘les régions et les communautés de Belgique reçoivent la place qui leur revient, maintenant que la Belgique à papa a vécu’, pour paraphraser la déclaration faite il y a dix ans par Gaston Eyskens, premier ministre à l'époque. Pour Eyskens, cela devait se dérouler ‘dans le cadre de la Belgique’; si l'on tarde trop, il se pourrait qu'un jour, cela se fasse ‘sans la Belgique’. Le mécanisme est trop avancé, la Belgique à papa est trop minée, de sorte qu'un nouvel équilibre s'impose. Il n'est certes pas encore trop tard... D'une enquête récente, il ressort que la grande majorité des Belges pensent toujours de manière unitaire, que le sentiment d'appartenir à la région flamande ou à la région wallonne n'est toujours pas prépondérant, mais cela pourrait évoluer si les Flamands comme les Wallons se rendent compte, à l'expérience, qu'il est préférable de s'occuper soi-même de ses propres problèmes. Et Bruxelles dans tout cela? Si Flamands et Wallons veulent effectivement doter la Belgique d'un nouvel équilibre, par nécessité ou non, le dossier bruxellois ne trouvera-t-il pas en même temps une solution plus équilibrée?
MARC PLATEL
Adresse: Oudstrijderslaan 6, B-1950 Kraainem.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |