de réduire le budget de la culture et des arts témoigne d'un manque total de vues sérieuses. Les mesures prévues par son ministère auraient détruit une politique de culture qui avait à peine commencé. Pourtant, le budget de la culture n'absorbe que 0,018% de la totalité du budget national et c'est de cette somme, proportionnellement bien dérisoire, qu'on veut retrancher des millions! Alors qu'en France, où la situation économique n'est pas meilleure, le ministre socialiste de la culture a su doubler son budget, et qu'en Angleterre, où la situation est encore pire, ce même ministère (conservateur de surcroît!) l'a augmenté de 20%!
Il n'est donc pas étonnant que les dernières semaines du mandat de M. Van der Louw aient été marquées par des manifestations massives contre ses projets et que des actions protestataires de toutes les organisations artistiques aient eu lieu partout dans le pays, et surtout dans les grandes villes comme Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht. Quand on suit les nouvelles dans les journaux, on voit tous les jours des signaux d'alarme. Je cite seulement l'hebdomadaire Vrij Nederland du 24 avril qui donne dans un article de M. van Amerongen une sorte d'aperçu général:
‘A Middelbourg le théâtre n'est ouvert cette saison qu'onze jours, à Nimègue le nombre de représentations est tombé de 217 à 146, à Amsterdam le Publiekstheater joue Antoine et Cléopâtre de Shakespeare avec 18 au lieu des 38 acteurs requis, à Rotterdam le groupe théâtral Diskus est menacé de dissolution’. Le même destin menace les groupes Sater, l'Amsterdams Volkstoneel, la Nieuwe Komedie à La Haye, Proloog à Eindhoven. Les perspectives ne sont pas plus réjouissantes pour certains orchestres qui devront disparaître ou diminuer le nombre de leurs musiciens, il en est de même pour le ballet. Le Rijksmuseum, et beaucoup d'autres musées sont déjà obligés de fermer un ou plusieurs jours par semaine et ne pourront plus faire, ou à peine, des acquisitions.
Le Musée Littéraire, dont j'ai déjà parlé dans une lettre précédente, a rencontré depuis d'autres problèmes encore. Car pour le nouveau bâtiment, construit spécialement pour ce musée qui fait partie de la nouvelle Bibliothèque Royale, le ministère des finances veut lui faire payer un loyer. Or jusqu'à présent on estimait que, en tant qu'institution nationale, il échapperait à cette charge. Bien qu'étant formellement une fondation, dirigée ‘ex officio’ par la Bibliothèque Royale (qui, elle, dépend du ministère de l'Instruction), le musée ne dispose que des subventions officielles pour son fonctionnement et pour les salaires de ses employés. Et il est ahurissant d'apprendre que le loyer demandé égalerait à peu près la totalité des subventions annuelles.
Inutile d'ajouter que la vie culturelle et artistique aux Pays-Bas, tout en n'étant pas la seule victime de la politique des restrictions, est pourtant plus fondamentalement touchée que beaucoup d'autres secteurs.
◼ on le constate par exemple aussi au Holland Festival, qui en est à son trente-cinquième anniversaire, mais qui n'a plus l'éclat d'autrefois. Le directeur actuel, M. Frans de Ruiter, n'a d'ailleurs pas négligé lors d'une conférence de presse internationale d'attaquer, lui aussi, la politique culturelle du gouvernement néerlandais.
‘Les arts aux Pays-Bas - a-t-il dit - ne se portent pas bien. Déjà lors de la période de prétendue prospérité économique, les arts n'en profitaient que du bout des lèvres. Et aujourd'hui, dans une période de prétendue crise économique les arts en pâtissent en premier lieu. Tout ce qui, en dépit de tout, a été construit en trente années sera détruit en deux ou trois ans’.
◼ l'ronie du sort a voulu que M. Van der Louw ait remis un prix littéraire l'obligeant presqu'inévitablement à parler des subventions aux arts. Car ce prix fut décerné par la société américaine Mobil Oil. Le Mobil Oil Pegasus Prize for Litterature accordé chaque année à une oeuvre littéraire d'un pays dont le rayonnement linguistique est restreint, fut attribué cette fois à un auteur néerlandais, Cees Nooteboom, pour son roman Rituelen. Le prix comporte, en dehors d'une somme en argent et d'une médaille d'or, la traduction et l'édition en Amérique du livre couronné.
Dans la belle ambiance du château de Duivenvoorde, où la cérémonie eut lieu, se retrouvèrent le président de Mobil Oil Europe Inc., plusieurs ministres, le président de la Nederlandse Bank (noblesse oblige), des écrivains et des artistes (parmi eux comme hôte d'honneur l'auteur américain Mary McCarthy). Dans son allocution M. Van der Louw loua, comme on peut se l'imaginer, le ‘sponsoring of the arts’. Il n'avait pas tort, et le moment était opportun. Cees Nooteboom, dans sa réponse, mit toutefois le ministre en garde contre une réduction des subventions aux arts. Car la crise économique pourrait à l'avenir être également un motif de réticence pour les banques et les sociétés industrielles (Mobil Oil vient précisément d'annoncer la fermeture de ses raffineries de pétrole à Rotterdam!). Et finalement, selon Nooteboom, les conséquences de ce lâchage des arts retomberaient sur le public, ‘elles ne se feront peutêtre