Le raffinement avec lequel sont employées ces techniques et d'autres analogues, comme par exemple les glissements de sens des expressions conventionnelles, des significations littérales et figurées, donnent à cette poésie son caractère de fraîcheur, de spontanéité, d'apparente improvisation.
Le deuxième recueil Tant qu'il y a de la neige compte deux parties. La première Voyez comme c'est vrai se rattache davantage aux débuts de l'auteur: observations malicieuses, exercices ludiques et créatifs sur des thèmes quotidiens que la répétition avait usés. Fondamentalement, les techniques ne varient pas. Ainsi du rhinocéros dont il est dit qu'il est gros comme un enflé, ou de l'économie:
voilà qui peut paraître une croissance économique
zéro, remarquer sur une autoroute
qu'on est trop loin d'un kilomètre
et qu'il faut en parcourir vingt de plus
pour trouver une autre sortie (22).
C'est aussi dans ce chapitre que l'on trouve deux poèmes-témoins de sa conception de l'écriture. Dans le premier, il compare la manière dont il écrit à celle dont Johan Cruijff joue au football:
et revenant, que l'adversaire,
le lecteur, se sente sur le mauvais pied,
par un pas au delà, par un
saut en dehors, à chaque ligne,
chercher un équilibre de lecture (12).
Dans l'autre, il compare la poésie, et en particulier le réalisme poétique, à la ville miniature hollandaise, Madurodam: elle semble vraie, mais n'est absolument pas vraie, ce qui lui permet de donner un effet de surprise au réel.
La deuxième partie de ce recueil met l'accent sur un lyrisme plus personnel, auquel ne sont pas étrangères des circonstances biographiques, puisque de Coninck venait de perdre sa femme, quelques années auparavant, dans un tragique accident de voiture. De nombreux poèmes évoquent ce drame ou ses conséquences. Chose remarquable: jamais de Coninck ne verse dans l'anecdote personnelle ou la pure évocation sentimentale.
C'est là qu'on voit clairement de quoi est capable une totale maîtrise technique: dominer le fait autobiographique, si pénible soit-il, et l'objectiver jusqu'à donner une image décantée.
Il va de soi que l'approfondissement des thèmes, très perceptible dans ce chapitre, et qui se poursuit dans le troisième recueil, amène une baisse d'euphorie et de malice langagières. Si l'élément ludique ne disparaît pas pour autant, il semble plus contrôlé, comme introverti, tourné sur l'évolution de sentiments qui, dans leur état brut, sont si lourds à supporter, si difficiles à manier qu'ils bloquent toute dynamique. Ce n'est qu'en les transcendant que l'on pourra en faire un matériau de base doté de souplesse. Et c'est précisément ce qui se produit. Comme le dit un des poèmes/programme du plus récent recueil: ‘La conception des plus utiles en poésie / que sur ses émotions l'on peut agir’ (9).
Pour le dire autrement: on peut envisager que l'accent glisse de l'extérieur à l'intérieur, du perceptible à la réalité émotionnelle vécue. Mieux encore: que la composante de sentiments personnels qui se trouvait à l'origine n'en est que mieux visible. Même si l'on ne tient pas compte d'éléments étrangers au texte, à savoir la montée d'une jeune poésie néo-romantique en Flandre, le fait suscite l'attention. Point de nostalgie romantique, pourtant, chez de Coninck, ou si elle existe, on peut affirmer qu'elle s'intègre dans un projet de vie tourné vers l'avenir.
‘pourtant la nuit ne s'étend pas à
perdre vue, tant qu'il y a
de la neige il ne fait jamais tout à fait noir,
non, non, c'est la clarté d'une espèce de foi
croire qu'il ne fera jamais tout à fait noir.
Tant qu'il y a de la neige il y a l'espoir. (23)
Avec un son de hautbois (1980) pousse encore plus loin ce thème de l'acceptation qui transcende les sentiments. Parmi tous les instruments, le hautbois est assurément l'un de ceux qui rendent le son le plus mélancolique, et si l'on songe à la signification américaine du mot ‘hobo’, il peut aussi être considéré comme ‘l'instrument vagabond’, ‘l'errant’. Il symbolise donc à la fois la nostalgie et le fait d'échapper au temps, au lieu. Dans ces poèmes, la nostalgie implique une tension entre ici et ailleurs, avant et maintenant, tension dont les deux