La ‘Poésie française de Belgique’ ou ‘Poésie belge d'expression française’?
‘Poésie française de Belgique’ ou ‘Poésie belge d'expression française’? La question a été longtemps débattue et aujourd'hui encore l'unanimité n'est pas fatie. Il est évident que la notion de ‘poésie belge’ remonte à une période de nationalisme fervent où l'on croyait à l'existence d'une ‘âme belge’, née de la rencontre des cultures latine et gemanique sur notre sol. Il est vrai que la suprématie des écrivains d'origine flamande à la fin du XIXème siècle donnait un semblant de bien-fondé à cette conception. Aujourd'hui, une hésitation subsiste chez la plupart des critiques; s'ils ne voient pas quels caractères déterminants ils pourraient dégager de la production contemporaine pour les autoriser à parler d'une ‘littérature belge’, ils se résignent difficilement à admettre que l'oeuvre d'un Elskamp ou d'un Ghelderode puisse faire partie intégrante du patrimoine culturel de France. A aucun moment, d'ailleurs, la littérature française de Belgique ne s'est confondue totalement avec la litterature de France: elle avait ses propres foyers de rayonnement, ses propres affinités, ses propres préoccupations intimes.
En ce qui concerne la poésie, on peut préciser que le nombre et la qualité des poètes d'origine flamande ont sans doute déterminé dans une large mesure le visage de la poésie des années 1880 à 1920. Que l'on pense à l'apport spécifique d'un Georges Rodenbach, d'un Max Elskamp, d'un Charles Van Lerberghe, d'un Henri Vandeputte, d'un Maurice Maeterlinck et d'un Emile Verhaeren. L'oeuvre de ce dernier réunit la plupart des caractères communs aux poètes de cette époque: amour profond du terroir, sentiment poussé de la nature, goût de l'allégorie, inclination naturelle au merveilleux et au fantastique, primauté des réalités concrètes sur l'abstraction et la spéculation, sens de la métaphore et de l'épithète, affection immodérée pour la couleur.
Cette génération flamande s'éteint avec la fin de la première guerre mondiale et une lignée de poétes wallons vient prendre la révèle. La poésie dorénavant va tendre davantage à isoler l'observation fine et les demi-teintes vont être bien souvent préférées à l'éclat des couleurs vives. Comme présence flamande, on ne peut guère citer que Camille Goemans et Franz Hellens.
Depuis 1950, on assiste à la recrudescence d'une poésie néo-classique généralement respectueuse de la mesure et de la rime, qui renonce aux acrobaties prosodiques de l'entre-deux-guerres. En même temps, ou presque, une nouvelle génération de poètes se montre soucieuse de renouvellement et d'originalité. Saisis par un même désarroi devant la déshumanisation de notre société, ces jeunes poètes tentent de créer un rythme et une expressoin personnels mais moins agressifs et moins hermétiques que ceux de leurs confrères de France. Dans ce concert, la voix de Liliane Wouters est l'une des plus puissantes et des plus attachantes. Ses origines française et flamande lui confèrent une originalité qui puise au nord le goût du baroque et du sauvage, au sud celui de la subtilité verbale. La poésie française de Belgique a rarement connu d'illustration plus authentique! L'amour du sol et de la nature, le goût du mystère, la prédominance de la vision plastique, la primauté du lyrisme sur l'engagement social et de la réalité concrète sur la spéculation philosophique qui caractérisent sa poésie attestent mieux que jamais la spécificité de la poésie française de Belgique, bien que, sans doute, plus que la langue ou l'inspiration, ce soient les conditions mêmes dans lesquelles elle s'exerce qui la distinguent de la poésie de France. Négligée par les programmes scolaires, oubliée par les journaux, méprisée par la radio et la télévision, elle ne peut compter sur l'audience que d'un quarteron d'initiés. Voilà pourquoi il est bon que, de temps à autre, un livre comme celui de R. Frickx et de M. Joiret, rappelle à nos
compatriotes et à nos voisins de France qu'elle existe.
Vic Nachtergaele.
Robert Frickx et Michel Joiret, La poésie française de Belgique de 1880 à nos jours. Eds. F. Nathan, Paris/Labor, Bruxelles. 268 p. 380 BF.
Eds. Labor, 342, rue Royale, 1030 Bruxelles.
Eds. F. Nathan, 9, rue Méchain, 75014 Paris.