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Ferdinand Domela Nieuwenhuis (1846-1919).
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La naissance du socialisme aux Pays-Bas et F. Domela Nieuwenhuis
A.L. Constandse
Né en 1899 à Brouwershaven (province de Zélande). Lettres et Philosophie à l'université d'Amsterdam. Docteur ès lettres avec une thèse sur le baroque espagnol et Calderon de la Barca. Publiciste de profession. A publié 31 livres dont les principaux sont: Principes de l'athéisme (1926), Principes de l'anarchisme (1938), Image et bilan de notre siècle (1960), Cuba (1964), La Yougoslavie (1964), Histoire de l'humanisme aux Pays-Bas (1967), Libération par le mépris (12 essais, 1976) et Eros (12 essais, 1977).
Adresse:
Zonnebloemstraat 57, Haarlem (Pays-Bas).
La naissance des idées socialistes aux Pays-Bas est due aux troubles de l'an 1848, causés par les révolutions européennes, par les révoltes à Paris surtout. Il est possible, bien que peu probable, qu'alors déjà un groupe de rebelles ait connu le Manifeste communiste, rédigé par Karl Marx (et Friedrich Engels) à Bruxelles. Mais le socialisme français pouvait certainement se vanter d'avoir trouvé en Hollande quelques adeptes. Le républicain et libre-penseur très actif G.W. van der Voo tâchait de répandre les idées principales du saint-simonisme. Et l'on savait très bien que le prolétariat parisien - bien que vaincu au mois de juin - avait joué un rôle décisif dans les événements du mois de février. A Amsterdam une foule agressive d'ouvriers s'était assemblée au centre de la capitale (le Dam) où la police avait dispersé les révoltés, dont quelques-uns avaient été arrêtés et punis. On avait supposé que les éditeurs d'une petite revue, L'Hydre (de Hydra) s'étaient efforcés d'organiser une manifestation révolutionnaire. Le rédacteur en chef avait juré qu'il était innocent, condamnant d'une façon excessive les coupables. Mais des désordres continuaient à cause du simple fait que la crise économique (dont le commencement se situe peu après l'ère napoléonnienne), avait atteint son point culminant. Le chômage et la pauvreté étaient indescriptibles. Des intellectuels libéraux parlaient d'une ‘nation éteinte’.
Un des traits intéressants des mouvements de révolte fut la popularité d'une espèce de ‘despotisme éclairé’, datant de la période du platonisme et du 18me siècle. Conduites par plusieurs intellectuels, des masses actives désiraient ‘un homme fort’ (vir) disposant de pouvoirs spéciaux, un Hercule qui pût assainir et guérir la société malade. Des contradictions idéologiques se produisirent bientôt: des organisations favorisant le suffrage
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Répression de la révolte communiste à Amsterdam, le 24 mars 1948. Un mois exactement après le début de la révolution parisienne, un garçon tailleur de nationalité allemande, Carl Hancke, inspiré par la lecture du ‘Manifeste communiste’, s'efforce d'introduire le communisme à Amsterdam en organisant une grande manifestation ouvrière.
universel et la souveraineté du peuple cherchèrent un ‘homme fort’ pour nettoyer les écuries d'Augias. Quand en 1868 une émeute causa un grand désordre à Rotterdam et l'arrestation du démocrate radical Jakob de Vletter (condamné ensuite à dix années de réclusion!), ce fut le grand auteur non conformiste Eduard Douwes Dekker (‘Multatuli’) qui courut au secours de l'inculpé. Il avait attaqué le régime colonisateur dans les Indes néerlandaises; il avait exposé la pauvreté des ouvriers hollandais. Il n'était pourtant ni socialiste ni même démocrate, mais plutôt le représentant d'une utopie élitaire et autoritaire.
Entre-temps, en 1864, l'Internationale des Ouvriers avait été créée à Londres, et l'appel au prolétariat de tous les pays européens ne fut pas négligé en Hollande. On commença à traduire des brochures de la main de Proudhon et de Bakounine, et naturellement le Manifeste communiste, de Marx, sans que fussent soulignées les différences entre l'idéal libertaire et les conceptions autoritaires. Mais quand en 1872, au Congrès international de La Haye, la rupture entre les anarchistes et les marxistes - et par conséquent l'exclusion de Bakounine - se révéla d'une façon inévitable, la petite section hollandaise s'opposa à la domination des marxistes, par laquelle l'Internationale s'effondra bientôt. Les deux représentants de la section néerlandaise étaient H. Gerhard (qui du reste n'était pas un partisan de l'anarchisme) et Victor Dave, de nationalité belge mais habitant provisoirement en Hollande. Dans cette période, tous les socialistes rejetaient l'utopie du ‘despotisme éclairé’; ils acceptaient la notion de classe et l'idéal de la libéra- | |
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tion collective par la force des ouvriers eux-mêmes, sans croire à la possibilité d'un deus ex machina. L'autodétermination devrait se manifester par le moyen de syndicats autonomes et de groupes politiques libres. L'idée du parti politique existait, mais on ne voulait pas fonder une organisation autoritaire ou centraliste.
Très remarquable était le rôle du mouvement des libres-penseurs, dont la société l'Aurore (De Dageraad) avait été créée en 1856 et dont les propagandistes et les revues embrassaient de plus en plus le socialisme. Ils donnaient à l'idéal du collectivisme économique un caractère très anticlérical et même antichrétien; leur philosophie était en général matérialiste. Outre les pionniers déjà nommés, il faut mentionner les ouvriers Klaas Ris et W. Ansingh. La propagande active força les patrons à tâcher d'empêcher la vulgarisation des idées socialistes, et ils commencèrent à favoriser la formation d'un syndicat modéré, une Union néerlandaise d' Ouvriers (Nederlands Werklieden Verbond), dont l'organe Le messager du travailleur (De Werkmansbode) était néanmoins obligé de prêter attention aux revendications des ouvriers.
Après la crise profonde de 1848, la conjoncture économique s'était améliorée, bien que le réveil capitaliste fût accompagné d'une série de guerres européennes, dont le conflit franco-allemand de 1870 fut le plus sanglant. Les aventures colonisatrices ne manquaient pas non plus. Mais il parut possible que la situation du prolétariat pût être ‘humanisée’ sans révolution sociale, et plusieurs intellectuels libéraux, et même des patrons progressistes, tâchaient de démontrer les avantages d'un réformisme social. Mais l'apogée du capitalisme industriel prit fin, d'une façon imprévue, immédiatement après la guerre franco-allemande. Et depuis 1873 jusqu'à 1893, une nouvelle crise
Multatuli (1820-1887), pseudonyme d'Edward Douwes Dekker, auteur du célèbre roman ‘Max Havelaar’, où il se pose en défenseur des droits des Javanais et dénonce avec férocité le régime colonial néerlandais. Après son retour forcé des colonies, il s'éleva avec véhémence contre l'exploitation de la population ouvrière aux Pays-Bas.
de longue durée devait être favorable à la diffusion d'idées révolutionnaires. La pauvreté était inouïe, le chômage condamnait des milliers d'hommes à la bienfaisance humiliante des Eglises, qui distribuaient du potage et des pommes de terre. Des villageois, dans leur déchéance, étaient obligés de quitter la campagne et de se rendre dans les villes de l'ouest, où les masses s'entassaient dans les casernes prolétariennes ou dans les ‘bidonvilles’ avant la lettre. Entre 1877 et 1900, le nombre des habitants des ports de Rotterdam et d'Amsterdam doubla. L'abondance de main-d'oeuvre fit que l'on baissa les salaires: le mécontentement et le désespoir suscitèrent des manifestations, des émeutes, des pillages. Ce fut surtout dans cette période que le socialisme radical put naître. Les conditions sociales étaient abominables. Une journée
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Le ‘Goudbloemgracht’ (quai des Soucis) à Amsterdam avant 1854, d'après une aquarelle de Willem Hekking.
de douze heures de travail et l'exploitation du travail des enfants (malgré des restrictions relatives apportées en 1874) étaient courantes. La faillite de la première Internationale, qui mourut définitivement en 1877, nuisit sans aucun doute à l'expansion du socialisme, mais d'un autre côté, la détresse était une force animatrice. Il y avait d'ailleurs en Europe des événements réconfortants. En Allemagne, deux groupes socialistes se réunirent (les adhérents de Lassalle et ceux de Marx) pour former un seul parti. Et leur programme, adopté à Gotha en 1875, exprimait l'espoir général des ouvriers. Un des paragraphes était consacré à la création d'industries collectives sous le contrôle complet des ouvriers, mais sans nationalisation: un idéal d'autogestion, en dehors de l'Etat, formé sans doute sous l'influence des idées de Proudhon et de Bakounine. C'est pourquoi le parti allemand annula ce paragraphe dans la composition de ses programmes ultérieurs.
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Domela Nieuwenhuis.
Ce fut dans ces circonstances que Ferdinand Domela Nieuwenhuis embrassa l'idéal socialiste. Né en 1846, dans une famille opulente qui se distinguait par ses savants, ses professeurs et ses pasteurs, par sa foi luthérienne (due à une origine scandinave), il manifestait une solidarité remarquable avec les pauvres. Suivant une tradition familiale, il se fit - après une éducation classique - pasteur protestant pour s'intéresser surtout au bien-être de ses coreligionnaires moins privilégiés. En 1870-1871, les cruautés de la guerre atroce et la révolte de la Commune de Paris l'avaient poussé à condamner la violence des armes. Son pacifisme serait bientôt
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une des causes essentielles de son opposition aux structures sociales. Et plus tard - préconisant la révolution -, il attaquait continuellement l'Etat souverain et son monopole militaire, de sorte qu'il considérait la révolution comme une dévolution: la liquidation des forces armées par la désobéissance générale, le désarmement de l'autorité hiérarchique, et la reconstruction fédéraliste d'une société libre. En même temps, il rejetait la propriété privée des moyens de production comme une base des contradictions sociales, l'origine de la richesse et de la pauvreté. Et quand il publia quelques articles dans De Werkmansbode (dont la rédaction respectait les structures de la société existante), il fut bientôt considéré comme un moraliste non conformiste.
Son passage au socialisme correspondait du reste à sa critique du christianisme, son objection éthique aux théories et pratiques de l'Eglise, son athéisme humaniste. Les théories des protestants modernes, renforcées par le spinozisme et par la philosophie naturaliste de Ludwig Feuerbach, aboutirent dans ce cas au matérialisme. Mais surtout il rejetait la foi dans le Paradis et la survie, pour souligner que la vie terrestre était l'unique existence humaine, qui pourrait être revalorisée et qui méritait d'être une source de bien-être et de bonheur, trop brève du reste pour être pervertie par la misère, l'oppression et la guerre. Quand enfin (en 1897) il se convertit complètement à l'anarchisme, et écrivait son livre devenu classique Le socialisme en danger, cet idéal était pour lui la négation logique du christianisme et la conséquence de la libre pensée.
Mais en quittant l'Eglise en 1879, il embrassa d'abord le marxisme des sociauxdémocrates, bien qu'il fût sous l'influence du programme de Gotha, critiqué par Marx. Financièrement indépendant du fait d'un capital assez considérable
Gravure ayant trait à la loi sur les enfants dite ‘loi Van Houten’ (1874), interdisant aux patrons de mettre au travail des enfants de moins de douze ans. Bien qu'elle fût imparfaite (des exceptions étaient faites pour le travail agricole et il n'était prévu de contrôle en ce qui concernait son application), elle peut être considérée comme le premier pas de la législation sociale.
dont il avait hérité, il publia sa propre revue Justice pour tous (Recht voor allen) sans vouloir conduire un parti politique. Il refusa toujours de jouer le rôle d'un chef. Néanmoins, ses adeptes créèrent une Union Sociale-Démocrate, dénommée plus tard aussi Union Socialiste (Socialisten-Bond), dont Recht voor Allen était depuis 1881 l'organe officiel. Le personnage de Domela avait un tel prestige que des masses impressionnantes l'appelaient leur ‘Sauveur’, celui qui inspirait leurs pensées et leurs actions, annonçant un nouvel Evangile.
Quant aux deux courants du socialisme, le marxisme et l'anarchisme, Domela tâchait de les respecter. D'un côté il acceptait le parlementarisme, de l'autre côté il reconnaissait les limites de la démocratie capitaliste. Le phénomène d'un marxisme qui se méfiait du Parlement n'était pas rare ni exclusif. Dans sa jeunesse, par exemple, Wilhelm Liebknecht
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Page de titre du numéro du 1er mai de ‘Recht voor Allen, Orgaan der Sociaal-Demokratische Partij’ (Le droit pour tous, organe du parti socialdémocrate), publication éditée par Domela Nieuwenhuis. Grâce à la réunion des forces, le mouvement social, représenté sous la forme d'un brise-glaces, peut briser la glace compacte, symbolisant la société. Sur les glaçons sont mentionnées les valeurs qu'il faut combattre: le monopole, les trusts, la presse, la corruption, l'association patronale, la bourse, la royauté, le militarisme et le clergé.
avait douté de la valeur des élections, comparées à l'action directe dans les usines, les casernes, les quartiers des grandes villes. La commune de Paris avait éveillé une grande admiration et sa défaite tragique et sanglante avait augmenté la solidarité avec les révolutionnaires armés et les courants anti-étatistes. Cet élément se trouvait même dans le livre de Marx: Bürgerkrieg in Frankreich (1871) et encore dans l'étude de Friedrich Engels: Der Ursprung der Familie, des Privateigentums und des Staates (1884). Par conséquent, on pouvait distinguer dans l'Union Sociale-Démocrate les deux courants socialistes sans qu'on pût parler d'une hostilité ouverte.
Il est intéressant de constater que Domela montrait une amitié exceptionnelle pour le socialiste belge César de Paepe, bienque celui-ci eût défendu avant 1879 les principes de Proudhon et de Bakounine, pour évoluer lentement vers le marxisme. Il mourut en 1890, et dix ans après, encore, Domela donna à son dernier fils le prénom de César.
Après dix années d'une propagande énergique, en 1888, Domela fut élu (dans un district agraire qui comptait beaucoup de petits paysans et d'ouvriers pauvres) membre du Parlement. Mais des événements choquants avaient précédé cette victoire illusoire, menant à une grande déception, de sorte que Domela, qui ne fut du reste pas réélu en 1891, se prononça ouvertement pour l'antiparlementarisme. Il y eut une période - celle de son mandat de député - pendant laquelle sa revue Recht voor Allen devint un journal quotidien.
Domela voyageait beaucoup, en général d'une façon peu commode, inconfortable, par train, diligence, voiture et même à pied. Il passait les nuits dans les maisonnettes d'ouvriers et de paysans. Sa devise était: Terar dum prosim: Que je périsse, pourvu que je sois utile. Plusieurs fois, sa vie fut en danger. Les réunions socialistes étaient continuellement troublées et dérangées par une populace cléricale et conservatrice. En 1886, la réaction réussit à faire condamner Domela à une année de prison. Le roi Guillaume III, qui avait la réputation d'être un homme rude, brutal et autoritaire, visita la capitale et Recht voor Allen publia à cette occasion un article anonyme contre la monarchie. L'auteur reprochait au roi de ne rien réaliser et de négliger ses devoirs humains et sa tâche dynastique. Domela n'avait pas écrit cette attaque, mais il l'approuvait et par conséquent il l'avait insérée dans sa revue. La justice estima l'article calomnieux et constituant un cas de lèse-majesté. La condamnation provoqua des mouvements orageux de protestation,
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Caricature parue dans l'‘Amsterdamsche Figaro’ du 21 novembre 1885, où Domela est qualifié de ‘saleté flottante’.
même parmi les intellectuels libéraux qui formèrent une commission pour exiger la libération du socialiste. Le résultat de cette action fut en tout cas que Domela fut gracié après presque huit mois de captivité. Il est rare qu'un prisonnier libéré ait été accueilli d'une manière aussi passionnée, aussi émouvante que ‘le prophète rouge’. A Amsterdam se forma une multitude de dix mille hommes et femmes, concentrée dans un parc, où il fut harangué abondamment, et des masses innombrables se trouvaient dans les rues par lesquelles il devait passer. Mais à Rotterdam, les socialistes réunis furent attaqués par des terroristes armés sans que la police fût présente. Un journal local nomma Domela ‘un homme qui sous un masque d'altruisme cachait l'égoïsme le plus vil et la vénération de sa propre personne’. Au Parlement, où il entra en 1888, il n'y eut qu'un seul membre pour montrer le courage de s'entretenir avec lui. Les autres ignorèrent systématiquement sa présence, même au restaurant de la Chambre des députés. En général ni ses collègues, ni les ministres ne répondaient à ses discours critiques, qui formaient un programme complet. Il réclama durant trois années: une journée de travail de huit heures; la suppression du travail des enfants; la protection des femmes enceintes dans les usines; la diminution des dépenses militaires; la réduction des revenus de la maison royale; la fin des guerres coloniales et de la
colonisation en général; l'abolition des impôts indirects; l'enseignement obligatoire et gratuit; la séparation de l'Etat et de l'Eglise; des droits de succession plus onéreux; la possibilité de condamnations avec sursis; des salaires suffisants, et des soins médicaux payés par les patrons ou par l'Etat; la reconnaissance de la légalité de la propagande pour la révolution sociale; la socialisation des moyens de production, et entre-temps des impôts lourds sur les capitaux et les profits.
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Vers l'anarchisme.
Ce fut une période glorieuse en ce sens que Domela représentait réellement le prolétariat progressiste.
Il n'était pas encore anarchiste. Les admirateurs de Proudhon et de Bakounine s'étaient même séparés du mouvement de Domela pour publier en 1888 leur propre hebdomadaire L'anarchiste (De anarchist) ‘organe d'athées, de dépossédés et de sans-maîtres’, rédigé par J. Methöfer. Son ami J.A. Fortuyn publia une traduction de l'essai célèbre de Bakounine Dieu et l'Etat, et J. Sterringa fut l'éditeur d'une série de brochures anarchistes. Mais après la désillusion de la période parlementaire, Domela embrassa de plus en plus leur point de vue sur la fonction réformiste et l'impuissance du Parlement. Il était convaincu - après 1891 - que les ouvriers devaient s'organiser en dehors des partis politiques pour se vouer à l'action directe dans les usines, les ateliers, les communes. Au lieu de prier qu'on leur donnât une journée de huit heures, ils feraient mieux de prendre ce droit eux-mêmes. Pour Domela, la grève (ou l'occupation des moyens de production) serait une arme plus efficace que le suffrage général. En 1893, la première confédération de syndicats, Secrétariat National du Travail (Nationaal Arbeids-Secretariaat, NAS), fut fondée, inspirée par les principes que la CGT française et la CNT espagnole ont diffusés d'une façon remarquable. Pour liquider la propriété privée
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Répression de la revolte dite ‘Palingenoproer’ (révolte des anguilles) au quartier populaire du Jordaan, le 26 juillet 1886. La révolte commença la veille, lorsqu'une brutale intervention de la police mit fin au jeu de l'anguille, jeu populaire sans but politique. Ce fut le signe pour des escarmouches et des bagarres avec la police, qui aboutirent à une rébellion. Ne parvenant plus à contrôler la situation, la police fit appel à des militaires. Le quartier fut cerné et le peuple érigeait des barricades contre les forces d'infanterie. Vingt-six personnes y perdirent la vie; il y eut quarante blessés graves et plus de cent blessés légers.
et l'armée de l'Etat, la grève générale et le refus du service militaire pourraient introduire la révolution sociale.
Mais l'Union Socialiste ne s'était pas prononcée contre la participation aux élections. Les congrès de 1891 et de 1892 se résolurent à refuser de proposer des candidats au Parlement, mais les sections locales ou régionales pourraient se permettre de prendre part aux élections, sans que l'Union fût considérée comme un parti politique. En 1892, une résolution rédigée par Domela lui-même, fut acceptée, disant ‘que l'Union ne croyait pas à la possibilité d'un passage graduel de la société actuelle à une société socialiste; elle visait à la destruction du système social existant par tous les moyens disponibles, légaux ou illégaux, pacifiques ou violents’.
Mais après 1892, les défenseurs des méthodes parlementaires (Troelstra, Van der Goes, Van Kol, Schaper, Vliegen etc.) refusèrent de reconnaître plus longtemps l'autorité de Domela. Un événement important les encouragea: la conjoncture économique commença à changer, la dépression se résorba, l'activité industrielle et commerciale se rétablit. Et bien que la lutte de classes se manifestât en même temps - on avait besoin de plus d'ouvriers, qui pouvaient exiger des salaires plus considérables -, la mécanisation du processus industriel fit augmenter la productivité, la durée du travail quotidien diminua (de douze à dix heures), de sorte que les ouvriers ne désespéraient plus de la possibilité d'améliorer leur niveau de vie dans le cadre de la société capitaliste.
Les défenseurs du parlementarisme et des négociations syndicales voyaient confirmé leur point de vue par la pratique du réformisme. Ils créèrent leurs propres périodiques: en Frise la revue régionale Le Nouveau Temps (De Nieuwe Tijd), dans la province d'Utrecht Le Pionnier (De Baanbreker); et la vitalité du parti allemand avec ses théories marxistes fascinait les socialistes modérés aux Pays-Bas. Ils profitaient d'un soutien financier estimable de la part des camarades allemands. Le 15 novembre 1893, un débat public à Amsterdam entre Domela et Van Kol fut décisif. A Noël 1893, les adhérents de l'idéologie de Domela l'emportèrent encore au congrès de Groningue: une proposition de la section Hoogezand-Sappemeer de rejeter toute collaboration aux élections parlementaires fut acceptée. Mais les socialistes modérés commencèrent à quitter l'Union. Le 26 août de l'an 1894, ils fondèrent le Parti Social-Démocrate des Ouvriers (SDAP) et bientôt l'histoire du mouvement ouvrier aux Pays-Bas fut l'histoire du SDAP et des syndicats socialistes et chrétiens. Après la rupture, l'Union Socialiste ne garda que deux mille membres,
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Page de titre de l'adaptation de ‘Das Kapital’ par F. Domela Nieuwenhuis.
elle disparut en 1899. Entre-temps, Domela avait embrassé complètement l'anarchisme. Jusqu'au mois de mars de 1898, il avait rédigé encore le revue Justice pour Tous (Recht voor Allen) pour publier ensuite, depuis le 2 avril de 1898, l'organe anarchiste Le Socialiste Libertaire (De Vrije Socialist), dont il fut le redacteur jusqu'à sa mort, le 18 novembre 1919.
Domela soutenait l'action directe des ouvriers, la confédération du NAS et son organe, Le Travail (De Arbeid), sans créer un parti quelconque, ni même une union nationale. Répandus à travers le territoire néerlandais, il y avait des dizaines de groupes d'action et de propagande qui maintenaient - outre De Vrije Socialist - une série de périodiques comme L'ouvrier (De Arbeider), L'avenir (De Toekomst) et des publications plus éphémères. D'une grande importance était la Société Internationale Antimilitariste (IAMV) avec sa revue A bas les armes (De wapens neder) fondées aussi par Domela, en 1904. La propagande de ce mouvement soulignait le refus général du service militaire, l'objection de conscience, la grève générale pour empêcher la guerre.
Mais que le prolétariat international ne pût prévenir la conflagration de la guerre de 1914 fut une déception tragique, et cette guerre paralysa partiellement l'activité de Domela. C'étaient, il est vrai, les pacifistes et les marxistes orthodoxes (qui avaient quitté le SDAP en 1909 à cause du réformisme de ce parti) qui menaient avec les anarchistes la campagne contre toute guerre; et un groupe de socialistes religieux (comme Bart de Ligt) s'opposaient au maintien de l'armée. Bien que limitées par les autorités militaires, les actions antimilitaristes continuaient avec l'aide de Domela. Les révolutions russe et allemande éveillèrent des espérances inouïes, malheureusement bientôt déçues par la réalité. En novembre 1918, Domela, malade et vieilli, fut encore passionnément acclamé par une grande foule à l'occasion d'une manifestation révolutionnaire dans la capitale. Il était le symbole d'un socialisme pur, inconditionnel, humaniste et libertaire. Sa mort causa une émotion générale. Jamais la ville d'Amsterdam n'avait connu une manifestation aussi émouvante que l'adieu du peuple au grand socialiste. Plus de 150 organisations socialistes, syndicales et culturelles étaient représentées dans le cortège interminable, tandis que, par centaines de milliers, des spectateurs sympathisants se rangeaient dans les rues pour rendre les derniers honneurs au héros des ouvriers, des libres penseurs et des anti- | |
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militaristes, au prophète des temps nouveaux et du rêve de la liberté.
Son influence n'a pas diminué. Elle a grandi en dehors de la politique pratique, dans le domaine surtout de la révolution culturelle. Innombrables sont les brochures qu'il a écrites, les pamphlets, les discours imprimés sur le socialisme libertaire, ses sources et ses conséquences: l'autogestion socialiste, la fédération internationale, l'antimilitarisme, l'éducation moderne, l'émancipation des femmes, l'anticolonialisme, les droits des minorités seulement tolérées, la philosophie laïque et l'athéisme humaniste.
Domela a contribué à 70 revues hollandaises et étrangères, il a écrit 160 livres et brochures, traduit 40 publications. De temps en temps, il a pu atteindre des masses considérables. Son discours Mon adieu à l'Eglise a été réimprimé dix fois; un essai volumineux intitulé Comment on gouverne notre pays, officiellement et réellement a été distribué à 50.000 exemplaires; en 1891, une brochure de lui sur (et contre) le parlementarisme a atteint un tirage de 100.000 exemplaires. Et la population des Pays-Bas comptait dans cette période moins de cinq millions d'habitants.
Quant aux livres d'une importance durable et réimprimés maintes fois, il faut mentionner Le socialisme en danger (1897), L'histoire du socialisme (trois tomes, 1901-1902), Théorie et pratique du parlementarisme (1906), Du christianisme à l'anarchie (autobiographie, 1910), Manuel du libre-penseur (posthume), des séries d'études sur des personnages historiques (Jésus-Christ, Luther, Calvin, Guillaume d'Orange, Bakounine, Kropotkine etc.), des essais critiques sur la Bible, le marxisme, la situation sociale aux Pays-Bas... et des dizaines d'autres livres, destinés à éduquer les ouvriers.
Aucun homme politique aux Pays-Bas n'a écrit ni publié une quantité aussi impressionnante d'essais pour tâcher de favoriser l'émancipation du prolétariat. Et bien que l'anarchisme ait cessé d'être un facteur politique après la seconde guerre mondiale, la figure de Domela (représentée par une statue remarquable dans la capitale) est devenue un symbole du réveil social et culturel des masses populaires conscientes de leur destinée menacée.
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Bibliographie:
B. Bymholt: Geschiedenis van de Arbeidersbeweging in Nederland (Histoire du mouvement ouvrier aux Pays-Bas), 1894; nouvelle édition: Amsterdam, Van Gennep, 1976. |
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A.L. Constandse: Ferdinand Domela Nieuwenhuis als opvoeder (F.D. Nieuwenhuis en tant qu'éducateur), 1926. |
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J. Romein: F.D. Nieuwenhuis, dans Erflaters van onze beschaving (Fondateurs de notre civilisation), Amsterdam, 1959. |
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A. de Jong: F.D. Nieuwenhuis, Den Haag, 1972. |
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J. Gielen: De Eerste Internationale in Nederland (La 1re Internationale aux Pays-Bas), Nijmegen, Sun, 1973. |
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