Septentrion. Jaargang 6
(1977)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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Le sculpteur Nic Jonk ou comment faire la concurrence aux nuagesJosé BoyensEtudes de langue et de littérature néerlandaises à Tilburg. Professeur dans l'enseignement secondaire. En même temps, elle fit des études d'histoire de l'art à Utrecht. Docteur en histoire de l'art en 1974 avec une étude sur l'oeuvre sculpturale d'Oscar Jespers, comportant aussi un Catalogue raisonné. Celui qui a l'intention de se pencher sur l'oeuvre du sculpteur Nic Jonk se heurte, de la part de celui-ci, à la résistance la plus cordiale. Avec sa femme, Greet Commandeur, leurs six enfants et cent trenteet-une sculptures, il s'est établi au pays d'origine, à Groot-Schermer, entre Alkmaar et Purmerend, dans la province de la Hollande septentrionale, dans une ferme du type frison. La maison est située entre deux voies d'eau et s'abrite derrière une digue élevée. A l'intérieur, le regard se tourne d'emblée vers l'énorme espace central de la grange et grimpe jusqu'au faîtage. Dans un atelier de ces dimensions, même les oeuvres les plus monumentales trouvent une place. Les espaces habités ont été relégués à la périphérie de ce vaste ensemble. Voilà déjà, implicitement, l'une des raisons de la résistance de Nic Jonk.
En effet, la place qu'occupent Greet et les enfants dans son existence de sculpteur lui est un sujet d'introspection et d'autocritique. Le nombre de ses statues de bronze varie constamment. Peu à peu, les enfants aussi commencent à s'envoler du nid familial. Sont-ils suffisamment équipés pour affronter la vie à leur propre responsabilité? L'oeuvre se trouve non seulement au centre de la ferme en forme pyramidale, mais, au cours des vingt-cinq dernières années, il occupait aussi la place centrale dans la famille. Et tout ce temps, Greet se trouvait partout où l'on avait besoin d'elle... Si l'on veut écrire sur ses sculptures, il faut parler aussi de sa femme et de ses enfants, estime Jonk, car l'oeuvre sculpturale est indissociable de leur stimulant et de leur inspiration. Ces problèmes de conscience le préoccupent de plus en plus.
Nic Jonk entend faire encore d'autres circonvolutions. Parler sculpture est toujours une (passionnante) réflexion a posteriori, estime-t-il. Et parler trop compromet la naissance de la statue concrète. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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‘Néréide sur triton’ par Nic Jonk (1964, bronze, 73, jardin des sculptures à Groot-Schermer).
C'est pourquoi il abandonnait à plusieurs reprises sa fonction de professeur, malgré la sécurité sociale que celle-ci garantissait. Par ailleurs, il reconnaît, quelque peu à contre-coeur, qu'il en revient toujours à se pencher sur le problème de la créativité, du chemin qui mène de l'idée à la statue.
Aussi apportera-t-il toujours, du moins l'espère-t-il, de nouveaux arguments pour une conscience déjà encombrée de scrupules. Au stade de la conception d'une sculpture, le fatum semble l'envahir: plongé dans une sorte de monomanie, il doit accorder une place aux volumes, les équilibrer. Une inquiétude permanente le confirme dans sa rage profane; le fanatisme l'envahit jusqu'à ce que la statue soit née et qu'il soit rendu à lui-même.
Malgré la certitude dans le travail, le doute le poursuit à nouveau, une fois l'oeuvre achevée. Il croit que ses sculptures ne témoignent guère d'évolution. Pour ce qui est de leur qualité, il s'en remet prudemment au jugement du critique et de chaque bon observateur. Il espère qu'ils lui diront ce à quoi il aspire et l'aideront ainsi à se libérer de son irrésolution.
Né en 1928 à Schermerhorn, ce fils de cultivateur grandit au pays ouvert et clair des polders, où les bateaux, les canards et les nuages ont tout le temps pour eux | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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et suivent leur propre chemin, chacun de leur côté. Il perdit très tôt son père, après quoi sa mère ouvrit un petit magasin. Elle était le centre de la vie pour Nic, qui faisait toutes sortes de corvées.
A l'âge de dix-sept ans, il débute dans le secteur publicitaire, pour alléger les charges financières de la petite famille. Deux ans plus tard, en 1947, il suit les cours du soir à l'Ecole des arts industriels d'Amsterdam, chez Wessel Couzijn, dont il admirait la puissance plastique et qui ne cesserait de l'encourager. Un jour par semaine, il se libère pour suivre les cours de D. Lammers à L'Ecole normale de l'Etat; pendant trois ans, il s'y perfectionnera exclusivement dans le dessin d'après modèle.
Déterminante pour son évolution ultérieure serait la confrontation avec l'exposition Sonsbeek '49, qui fut organisée en 1949 à Arnhem. La contemplation des oeuvres de Couzijn, de Willem Reyers, de Carasso et de Rik Wouters, de Renoir, de Bourdelle et de Lipchitz, si concrètes et indestructibles dans ce parc de Sonsbeek, lui apporta la certitude que son avenir, il devait le chercher non pas dans le dessin, mais dans la sculpture.
En 1953 seulement, grâce aux encouragements de N.R.A. Vroom, il décide de passer à l'Académie des beaux-arts de l'Etat à Amsterdam, à laquelle préparait l'Ecole normale de l'Etat. Cela impliquait notamment l'abandon, pour l'enseignement scolaire, de l'indépendance dont il faisait preuve depuis huit ans. En dehors de Vroom, Wessel Couzijn et Greet Commandeur, avec laquelle il était marié depuis trois ans, l'aidèrent à prendre cette décision difficile, dont il espérait, à long terme, la certitude de pouvoir devenir artiste indépendant.
L'académie ne lui apporta pas la confirmation de ses idées, mais bien celle de son talent, fût-ce avec hésitation. Son professeur de sculpture, V.P.S. Esser, était un vrai modeleur, qui s'inscrivait avec une certaine liberté dans la tradition impressionniste. Lorsque Nic Jonk obtint, en 1956, le diplôme tant désiré, le prix de Rome lui échappa. Il s'établit en tant qu'artiste indépendant. Quelques années plus tard, il figurerait parmi les membres du jury chargé de décerner le prix de Rome.
Dans Enfants jouant à saute-mouton, une ébauche de 21 cm, datant de 1955, les deux figures sont construites à la façon dont travaillaient nombre de jeunes sculpteurs des années cinquanteGa naar eind(1), c'est-à-dire avec une tendance à l'abstraction, de sorte qu'aucun détail, même pas du visage ou des membres, ne retient l'attention. A l'intérieur de cette philosophie unanimiste, l'individualité de la figure s'efface, caractéristique qui se retrouvera dans l'oeuvre ultérieure de Nic Jonk, bien que l'individualité de la statue la remplace. Il est déjà question d'un contre-mouvement balancé: la figure du dessous se courbe nettement vers la droite, la figure qui saute se porte un peu vers la gauche. Il s'agit d'un équilibre: grâce à la construction pyramidale, le sculpteur pouvait se contenter d'un volume plus modeste au sommet.
Au cours d'une période de cinq ans, Nic Jonk finira par se trouver lui-même, par le biais de circonvolutions. En 1960, il réalise des statues qui reflètent la plastique latine de Maillol et de Renoir (Léda et le cygne), mais où il est déjà présent avec ses propres caractéristiques, notamment dans Les trois grâces. Haute de 20 cm, initialement, et exécutée en bronze, comme toutes ses oeuvres, cette sculpture renferme un potentiel de forces, qui ne sont pourtant pas partout coordonnées du point de vue rythmique. Il ne fallait même pas d'exécution monumentale pour mettre en évidence sa puissance | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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‘La terre et l'eau’ par Nic Jonk (1972, bronze, 98, jardin des sculptures à Groot-Schermer).
plastique. C'est une concentration de promesses.
L'iconographie de l'oeuvre de Nic Jonk, elle aussi, est établie en 1960. Trois sources l'inspireront sans cesse. son monde à lui (avec des thèmes tels que Mère et enfant, 1958, Femme se tenant debout sur une jambe, 1958), la Bible et la pratique du catholicisme (Eve et le serpent, 1960, Sedes sapientiae, 1958), qui se rattachent directement à son existence et à la mythologie grecque (voir infra). Il est rare qu'un thème donné ne se prête qu'à une exécution unique. L'insatisfaction au sujet du résultat obtenu, le goût de l'exploration, l'inquiétude créatrice le poussent à reprendre l'ancien sujet dans une autre dimension, à changer des détails ou à revoir la conception de l'ensemble. De sa fidélité au thème initial naît finalement une statue nouvelle. Le spectateur qui en 1976, se promène dans le jardin et l'atelier à Groot-Schermer, voit cinq versions de la lutte d'Héraclès avec l'hydre et trois de la Sedes sapientiae. La tendresse de Mère et enfant, lui est présentée en quatre variantes; en 1965, il y en avait même sept.
La conception d'une sculpture se fait sur un bloc-notes à partir de petits griffonnages illisibles pour une tierce personne. Le second stade, c'est une statuette en cire, où seules les formes importantes sont mises en évidence. Puis, il y a un modèle en | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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terre glaise, un peu plus grand et aussi plus détaillé. C'est à ce stade-ci que le sculpteur est le plus ouvert à l'inspiration qui émane des volumes naissant sous ses mains, même s'il sait d'avance quel sera l'aspect de la statue. Si, à l'académie, Esser mettait principalement l'accent sur la pose d'une figure et sur le modelé, Nic Jonk porterait avant tout son attention à la composition de l'ensemble, rejoignant par là les conceptions plastiques de Wessel Couzijn et de Jacques Lipchitz. Nic Jonk est très sensible à la lumière; il cherche l'équilibre entre les parties captant la lumière et les parties d'ombre. De plus, il doit justifier la forme négative, les creux de la statue, et, s'il y en a plusieurs, les équilibrer. Avant tout naît un dialogue entre les volumes, de sorte que dans le cas d'une composition équilibrée, les différents interlocuteurs se valent et que les masses moins importantes apportent une contribution plus modeste.
Toutes ces forces ont leur mot à dire pendant toute la durée de la genèse. Au quatrième stade, où l'ébauche est transférée au modèle en terre glaise du format définitif, Nic Jonk est disposé à apporté tout au plus des corrections, des modulations, des nuances. Il est très rare qu'il procède à des interventions plus importantes. Il arrive que, pour prendre ses distances, y compris du point de vue psychique, le sculpteur regarde la statue au moyen de jumelles, mais en les tenant à l'envers et obtenant ainsi un effet d'optique d'éloignement. Cela lui permet d'avoir une vue critique de l'ensemble, grâce à l'effet de distanciation, de recul. La statue de glaise est enveloppée d'une préparation de plâtre, en deux ou trois stades, ce qui donne deux ou plusieurs modèles négatifs enlevables. Plus la sculpture est grande et sa structure complexe, plus il faudra de morceaux pour les modèles en plâtre. La statue de glaise
‘Les trois grâces’ par Nic Jonk (1960, bronze, 80 cm, Groot-Schermer).
se perd lors de cette opération. Elle tombe en plusieurs morceaux au moment où les plâtres sont enlevés avec de l'eau.
Puis, à partir de ce plâtre négatif, on fabrique un nouveau positif. Les modèles en plâtre sont travaillés au moyen de potasse, de sorte qu'il ne peut s'établir de contact entre le plâtre des modèles et celui de la statue future. La plupart des sculpteurs font des plâtres creux, parce que cela pose moins de problèmes, notamment lors du déplacement.
Ensuite, dans la fonderie de bronze, sont fabriqués d'après la statue en plâtre les moules pour couler la statue définitive en bronze. Là, plusieurs techniques sont possibles. Chez Nic Jonk, qui ne recourt pas à la technique de la cire perdue, l'original en plâtre doit sortir intact de l'opération. Cela veut dire qu'il a besoin de moules en plusieurs parties et, par conséquent, | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Groot-Schermer, jardin des sculptures. A l'avant-plan, ‘Les pommes des Hespérides’ (1969).
que la statue de bronze comportera des nervures dues au coulage.
Le huitième stade, c'est la coulée du bronze dans les moules, à l'intérieur desquels se trouve un noyau imitant les volumes de la statue à faire, à une échelle un peu réduite. Le bronze en fusion forme une solide paroi entre le noyau et le modèle en plâtre. S'il s'agissait de statues monumentales, le bronze massif se rétrécirait et se déchirerait.
Nic Jonk (et presque chaque sculpteur) se charge personnellement de la finition de la statue. Les nervures et les rugosités sont aplanies à la lime. La patine est modifiée ou enrichie au moyen de toutes sortes d'acides.
En 1964, la Néréide sur triton a parcouru tous les stades décrits ci-dessus. (La version de 73 cm, reproduite ici, à la patine archaïque verte, est au moins la cinquième de la série; en 1961 et 1962 ont été réalisés plusieurs exemplaires, dont la Néréide sur triton Il, de 1962, 50 cm, ne diffère que par quelques détails de l'exemplaire reproduit. Cela vaut tout autant pour l'exemplaire mesurant 144 cm, de 1968; pour chaque nouveau format, le sculpteur fait un nouvel original en plâtre.) Pour les Grecs anciens, une néréide | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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était une nymphe de la mer, l'une des cinquante filles du dieu de la mer Nérée. Ces jolies jeunes filles étaient souvent poursuivies, parfois même agressées par les tritons, des hommes marins à la queue de dauphin. Tout ce joyeux monde formait la cour nageante et flottante de Nérée; il ne se préoccupait guère du décorum, mais menait surtout une vie de dissipation. Il est tout à fait logique que Nic Jonk ait placé la Néréide sur triton au bord de l'eau. Les jambes croisées, la néréide est assise sur le triton, dont la main repose sur sa cuisse. Sa queue trouve un contre-poids dans un solide plan d'eau, rond comme un nuage. Dans les formes de cette conversation, au niveau de la plastique, entre la queue et l'eau, il semble y avoir une affinité entre l'oeuvre de Nic Jonk et celle de Jacques Lipchitz, lorsque ce dernier, dans Prométhée (1943-1944), par exemple, fait s'affronter des formes autonomes en tant que concentrations de force. Des formes indépendantes de la nature, analogues, constituent aussi les deux vagues sur lesquelles reposent les figures. Le dos de l'une est convexe; celui de l'autre légèrement concave. L'amour leur procure tant de plaisir qu'ils s'enfoncent l'un dans l'autre. Il ne reste qu'une toute petite ouverture entre les figures, à laquelle répond, par ailleurs, une autre ouverture au bas de la statue. Si, à première vue, triton et néréide semblent égaux, en y regardant de plus près, la néréide semble prédominer. Non seulement est-elle assise au centre de la composition et le triton esquisse-t-il une grande courbe en sa direction, tandis que de son côté, elle penche seulement la tête, mais elle trône, le triton lui servant de fauteuil, et elle occupe une place plus élevée. Par ailleurs, il ressort du titre que pour Nic Jonk aussi, c'est la néréide qui est la figure centrale. Elle a le corps lourd, un volume tendu de tous côtés. Les fortes jambes s'équilibrent
‘Les pommes des Hespérides’ par Nic Jonk (1969, bronze, 104).
l'une l'autre; leur composition en diagonale atténue quelque peu le caractère statique de l'ensemble. Le bras de la néréide répond à celui du triton; elle avance fièrement la poitrine clairement marquée. Cette figure trônante est un centre d'amour et de fertilité, une mère primitive chargée d'une signification mythique comme aucune néréide de la mythologie grecque ne sut en acquérir.
En comparant la Néréide sur triton de 1961, qui se trouve dans la commune de 't Zandt (province de Groningue), avec celle qui est reproduite ici, nous constatons que les jambes croisées plus bas de la néréide produisent un effet moins net et moins centralisateur, que la queue, moins puissante, est moins contrebalancée et, surtout, que le triton se dresse en figure de proue. Du fait que, dans la | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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‘Le gardien’ par Nic Jonk (1973, bronze, 102).
version de 1964, les deux figures se penchent l'une vers l'autre, naît, dans une composition plus équilibrée, un circuit de tendresse: la nouvelle sémantique s'accompagne d'une forme nouvelle. Nic Jonk a fait la part de l'essentiel et de l'accessoire. Ainsi a-t-il, dans la Néréide sur triton plus hiérarchique de 1964, et malgré sa fidélité à la donnée initiale, conçu une statue nouvelle.
En 1969 fut créée la statue Les pommes des Hespérides (104; il existe encore trois autres exemplaires). Selon la tradition grecque, les trois Hespérides, les jolies filles d'Atlas, étaient chargées de surveiller les jardins enchantés où poussaient les pommes d'or. Les pommes étaient le cadeau de mariage de Gaia à Héra et elles étaient dédiées à Athéna. Le onzième travail d'Héraclès consistait à enlever les fruits d'or.
Nic Jonk a représenté le moment où une jeune femme s'enfuit en se penchant pour ramasser et protéger toutes les pommes. Son attitude et les parties de nuages environnantes font que les pommes sont le centre de la statue. Détail humoristique: les pommes se trouvent à la hauteur des seins de la jeune femme et semblent comme interchangeables avec ceux-ci; détail humoristique, mais très significatif: à nouveau, l'idée de la fertilité retient toute l'attention.
Le volume des corps ne trahit pas de ten- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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sion, comme c'est le cas chez la néréide. Il serait plutôt question d'une placidité toute en courbes légères. La masse de la chevelure, qui ressemble aux formations de nuages montant dans l'espace des deux côtés, semble en pleine métamorphose. Le corps aussi se ressent de ce processus de transformation: ses galbes le rendent plus apte à une transformation en nuage. Tous les volumes - l'être humain, les nuages, les pommes - finissent en un certain sens par se ressembler entre les mains de Nic Jonk, qui, cette fois-ci, ont créé une statue antihiérarchique, une sculpture qui va dans le sens de la plastique pure d'un Henri Laurens.
La terre et l'eau (1972, 98 cm; bronze, quatre versions) constitue une accélération dans l'évolution de l'oeuvre de Jonk, plus spécialement du point de vue formel. Au premier abord, l'oeuvre surprend apparemment par le titre, qui renvoie à deux figures personnifiées. Primo, cette personnification d'une notion est un procédé classique que connaissaient déjà les Romains; secundo, la femme haut perchée a beaucoup de ressemblances avec notre mère à tous qu'est Gaia, la terre. Dans un geste d'abandon total, elle tient un bras derrière la tête, qui s'appuie contre une haute vague. La terre s'élève de l'eau: la lourde et fertile Gaia forme le point supérieur de l'ensemble sculptural; le deuxième point, c'est la tête levée d'une vache marine. La femme s'appuie sur l'animal aquatique; du fait qu'il semble avoir des ailes, elle est comme entourée par lui. La tête lisse de l'animal, faite pour vaincre la résistance de l'eau, se dresse sur un corps puissant et profilé autour duquel Nic Jonk a construit la fête qu'est cette sculpture: des représentations de l'eau qui pourraient figurer tout aussi bien des nuages ou la vie organique; de lourdes parties plastiques face à des formes étirées; des
‘Le gardien’ par Nic Jonk (1973, bronze, 102).
surfaces appelées à capter et à refléter la lumière face à des sources d'ombre, que ce soient des nageoires ou des ailes; des volumes face aux négatifs que sont les creux. Aux yeux de Nic Jonk, concevoir des formes plastiques, c'est accorder entre elles différentes formes jusqu'à ce qu'elles acquièrent, l'une par rapport à l'autre, leur position la plus pure; c'est ainsi que s'accorde un violon.
Non seulement les contours se font-ils toujours plus ouverts, mais Nic Jonk fait de plus en plus pénétrer l'espace à l'intérieur de ces sculptures. Il suffit de comparer Les trois grâces (1960), dans leur formation très serrée, et aussi la Néréide sur triton (1964), qui peut leur être comparée, avec La terre et l'eau pour se rendre compte du chemin qu'a parcouru Nic Jonk. Les pommes des Hespérides constituaient une étape vers ce à quoi est parvenu | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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‘La terre et l'eau’ par Nic Jonk (1972).
la sculpture La terre et l'eau: la transformation de phénomènes d'ordre empirique en une catégorie de plastique absolue. Et Le gardien de 1973 (102 cm; en 1974 un exemplaire de 2 m; en 1975 un de 6 m), relève-t-il du monde réel ou rejoint-il les figures bibliques? Tel qu'on le voit sur son socle, il ressemble, en effet, à un ‘esprit élevé et immortel’, mais dans son aspect général, cet ange du christianisme s'inspire davantage de la déesse grecque de la victoire, Niké. Les ressemblances ne sont guère extérieures, mais plutôt intérieures.
Les deux volumes inférieurs, en longueur, rappellent la descente eurythmique de la Niké de Paionios ou de celle de Samothrace, avec sa tunique qui se drape autour du mollet, mais qui, surtout, flotte au vent derrière elle. La composition en diagonale, vers l'arrière et sur le côté, liée à une forme recourbée, confère à l'ensemble la suggestion d'un mouvement en avant. Au-dessus, à mi-hauteur, Le gardien est transpercé. Porte-t-il un bouclier sur le côté? Concave sur le devant, convexe à l'arrière, cette forme fait songer au ‘nouveau concave’ d'Archipenko, que Zadkine a érigé en système. Chez Nic Jonk, il ne constitue qu'un des moyens plastiques utilisés.
Du volume du torse se dégage l'arrièrebras. Ou serait-ce le glaive flamboyant? Il est un fait que la forme montante correspond aux deux volumes descendants et que tous trois confèrent à l'ensemble un mouvement ailé. Pour la première fois émane d'une oeuvre de Nic Jonk la suggestion de dynamisme. Face à la forme du torse, les parties grossissantes s'appuient directement sur la tige que forme le socle: tout en se rattachant d'un côté au dynamisme qu'exprime la partie supérieure de l'ensemble, elles ressemblent à des parties d'un fruit.
Le couronnement, c'est une tête de mannequin, un bouton, suite logique de l'unanimisme des Enfants jouant à saute-mouton. L'individualisme de la figure s'est totalement effacée devant l'individualité de la sculpture. Essentiel pour l'individualité du Gardien est le fait qu'elle résiste à toute comparaison de ses volumes avec des phénomènes de la réalité empirique, qu'elle fait échec au spectateur qui demeure bouche bée avec son langage qui, en l'occurrence, ne lui est de nul secours, mais qui, néanmoins, est sensible au lyrisme que lui a conféré Nic Jonk.
L'oeuvre du sculpteur de Groot-Schermer nous montre les figures mythologiques grecques telles qu'Héraclès et l'hydre, Prométhée, Bellérophon; lo y est aimée par le nuage, Léda par le cygne et Europe par le taureau; Atalante y accomplit sa course rapide; surtout le monde des divi- | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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nités aquatiques est bien représenté: les naïades, les sirènes et Nérée sur son cheval marin. Comment ces coryphées grecs se sont-ils retrouvés dans les polders de l'extrême nord de la Hollande septentrionale?
Tout d'abord, ces figures appartiennent, à travers les siècles, au patrimoine de l'histoire culturelle. Le cadre dans lequel ils se situent est limité et favorise dès lors la reconnaissance. Il en est de même des sujets d'inspiration biblique, qui limitent cependant davantage la liberté de l'artiste, notamment par le texte des Ecritures, la tradition du point de vue de l'iconologie et la destination. En outre, les êtres en question dépassent un schéma déterminé. Si c'étaient des êtres humains, leur force, leur courage, leur obstination et surtout leur aptitude à s'abandonner à l'amour seraient à proprement parler exceptionnels. S'il s'agissait de dieux, leurs témérités comporteraient des aspects éminemment humains. Il y a là une situation favorable à l'identification avec le spectateur. Avant tout, cependant, les figures de la mythologie grecque attirent Nic Jonk parce qu'il se rend compte que leur existence se réfère à une conception religieuse du monde, à une foi dans les forces de la nature. Le science comparative des religions le passionne depuis des années, surtout la religion où le culte est axé sur une mère primitive fertile.
Il arrive aussi que l'inspiration qui puise dans la mythologie grecque veuille passer sur le territoire de la Hollande septentrionale par le truchement de la simple euphonie du nom de l'une ou l'autre figure. En principe, tout nom inconnu ou aux riches sonorités peut s'y prêter. A ce moment-là, Nic Jonk voit soudain surgir devant les yeux une sculpture de la même manière qu'il arrive de la découvrir dans les nuages, les arbres ou les jonchaies. Et des jonchaies, il y en a beaucoup dans les canaux et fossé's de Groot-Schermer, où défilent aussi en cortège les gros nuages. Quelle est, en somme, la contribution personnelle la plus importante de Nic Jonk à la sculpture tant néerlandaise qu'internationale? Tout d'abord, il a approché de manière tout à fait originale la mythologie grecque, dans des formes si nouvelles que le contenu aussi en fut modifié.
La mythologie, la Bible et l'expérience vécue sont rapprochées les unes des autres, parce que les oeuvres d'imagination qu'elles inspirent appartiennent sans exception à la famille des archétypes. De plus, dans ces trois sources d'inspiration, l'accent est mis sur l'amour et sur la fertilité, considérées en tant que forces motrices.
L'emprise de la créativité sur la figure humaine est telle que les catégories empiriques sont bouleversées, métamorphosées ou effacées.
Une prédilection pour la composition réfléchie, non pas pour la dissemblance. Dans l'équilibre des volumes, il est tenu compte également des effets de lumière et d'ombre, de la masse face au creux.
Un monde adynamique, une harmonie où les forces antagonistes se sont figées dans le repos. D'où l'absence d'éléments dramatiques; plutôt du lyrisme.
Une construction complexe qui empêche d'avoir une vue d'ensemble à partir d'un point de vue unique. Pour pouvoir apprécier de manière approximative, il faut plusieurs reproductions. Le plus à conseiller est une promenade continuelle autour de la sculpture.
Un rayonnement intense qui se confirme dans la vie, à définir éventuellement comme un degré de bonheur.
Le jardin des sculptures à Groot-Schermer, où vingt-six bronzes monumentaux font une forte concurrence à leurs modèles par excellence que sont les nuages. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Dans l'article et dans la légende des illustrations, la dimension précisée en cm a trait à la hauteur. Toutes les statues commentées sont la propriété du sculpteur. Les photos aussi sont de Nic Jonk. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Eléments biographiques:
Adresse: Haviksdijkje 5, Groot-Schermer (Hollande septentrionale), Pays-Bas. Le jardin des sculptures est ouvert en permanence. Les ateliers où sont exposées les sculptures (plus) modestes sont ouverts en été. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
OEuvres:
Pour ce qui est des sculptures de dimensions plus petites de Nic Jonk, il n'y en a que quelques-unes dans des musées, notamment dans les musées municipaux d'Amsterdam, d'Alkmaar et d'Hilversum; à Carrara aussi se trouve une petite sculpture. Puis, il y a encore des sculptures qui sont la propriété de nombreux particuliers et d'au moins dix-sept entreprises, hôpitaux et magasins d'art. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Expositions individuelles (i) et collectivesGa naar voetnoot(*):
Groot-Schermer: exposition permanente au jardin des sculptures de Nic Jonk. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
BibliographieGa naar voetnoot(*):
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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