Septentrion. Jaargang 6
(1977)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 2]Le nouveau pacte intercommunautaire en BelgiqueJoris DedeurwaerderNé en 1935 à Poperinge (Flandre occidentale). Licencié en philologie germanique et licencié en droit administratif. Fonctionnaire au Cultuurraad voor de Nederlandse Cultuurgemeenschap (Conseil culturel de la communauté néerlandaise) à Bruxelles. Collaborateur à la revue flamando-néerlandaise Ons Erfdeel. Ce sont les problèmes communautaires - jusqu'ici, on employait plus couramment les termes de ‘problèmes linguistiques’ ou de ‘question linguistique’ - qui, depuis la fin des années cinquante, dominent et déterminent dans une mesure de plus en plus large la politique belgeGa naar eind(1). Les lois linguistiques de 1962-1963 réglaient l'emploi des langues en matière administrative et dans l'enseignement. Elles divisaient la Belgique en trois régions linguistiques: la région linguistique unilingue néerlandaise, la région linguistique unilingue française et la région bilingue de Bruxelles-capitale. Depuis les lois linguistiques de 1932, l'expansion de la capitale - historiquement ville flamande, où le processus de francisation active s'est nettement accéléré au cours des cent dernières années - avait, à plusieurs reprises, abouti à l'annexion de communes dont la population était précédemment homogène, flamande. En 1963, les Flamands refusèrent toute nouvelle annexion de communes flamandes autour de Bruxelles. Lors du ‘compromis de Val-Duchesse’ de 1961Ga naar eind(2), les habitants francophones de six des communes périphériques de Bruxelles obtinrent des ‘facilités’, c'est-à-dire que dans les communes en question, ils avaient droit à la procédure en français dans leurs rapports avec l'administration communale ainsi qu'à des écoles d'enseignement primaire en français.
Les lois linguistiques de 1962-1963 ont abouti à la néerlandisation quasi complète de la Flandre ainsi qu'à une amélioration progressive de la situation des habitants néerlandophones de Bruxelles. Par le transfert de l'Université catholique de Louvain, section française, à Ottignies, dans le Brabant wallon, le principe de l'unilinguisme fut confirmé jusqu'au niveau de l'enseignement supérieur.
La division du pays en régions linguistiques contribua à favoriser et à accentuer | |
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la prise de conscience régionale. En 1970, la Constitution reconnut officiellement l'existence de trois communautés culturelles: les communautés culturelles française, néerlandaise et allemandeGa naar eind(3), et de trois régions: la région wallonne, la région flamande et la région bruxelloiseGa naar eind(4). En 1971 furent créés les conseils culturelsGa naar eind(5). La délimitation et les compétences - plus spécialement sur le plan social et économique - des régions reconnues par la Constitution constituaient cependant un obstacle quasi insurmontable lors des négociations en vue de la formation des gouvernements que connut la Belgique depuis 1971. Sur ces deux points, les deux grandes communautés prenaient des positions pour ainsi dire diamétralement opposées. Les Flamands s'opposaient à l'extension de la région (bilingue) bruxelloise et voulaient limiter celle-ci aux dix-neuf communes qui composent actuellement l'agglomération de Bruxelles-capitale. De plus, ils refusaient une fédéralisation de l'Etat où la région bruxelloise pourrait profiter de sa position de troisième partenaire pour s'attribuer un rôle d'arbitre et pour jouer ainsi un rôle décisif. De leur côté, les francophones souhaitaient une fédéralisation à trois. Il convient de souligner un antagonisme qui se manifeste au sein de la communauté francophone. S'orientant plus ouvertement à gauche, les Wallons voient dans la régionalisation le moyen de doter la Wallonie économiquement arriérée d'une politique progressiste capable de lui garantir de nouvelles possibilités. C'est pourquoi ils refusent de s'allier à la majorité plutôt bourgeoise de la région prospère qu'est Bruxelles. Or, cette majorité de la région bruxelloise aspirait à l'expansion de la région de la capitale, qui se traduirait par l'absorption du plus grand nombre possible de communes flamandes. (Le lecteur doit savoir que l'agglomération bruxelloise se situe en fait en région unilingue néerlandaise et constitue dès lors une sorte d'enclave.) A cet effet, elle insistait notamment sur l'organisation d'un référendum, en comptant principalement sur une vaste clientèle électorale parmi les nombreux émigrants qui, ces dernières années, avaient fui l'agglomération bruxelloise de moins en moins vivable et habitable pour s'établir dans l'une des nombreuses communes rurales du Brabant flamand.
En 1974, le premier gouvernement Tindemans mit en place une régionalisation provisoire; c'est-à-dire que furent installés trois conseils régionaux, composés de sénateurs élus dans leurs régions respectivesGa naar eind(6). Les conseils n'avaient qu'une compétence consultative. Bien qu'un certain nombre d'avis intéressants aient été émis, le système ne donnait guère satisfaction. Plus importante fut la création, au sein même du gouvernement, de trois comités ministériels régionaux. Noyaux du pouvoir exécutif régional, ils ont pris des mesures qui se fondaient sur les avis des conseils régionaux et qui pouvaient différer d'une région à l'autre. Rappelons, en passant, que l'autonomie culturelle au niveau du pouvoir exécutif fut déjà réalisée par un arrêté royal de 1969, soit presque trois ans avant que ne fonctionnent les conseils culturels. Le 7 mars 1977, le Parlement fut dissous par anticipation sans que les Flamands aient réussi à faire adopter un projet prévoyant une nouvelle révision de la Constitution en vue d'une fédéralisation plus avancée à deux. Le nouveau Parlement, issu des élections du 17 avril, n'était pas une Constituante. Par ailleurs, il s'avérait politiquement impossible de constituer un nouveau gouvernement sans un accord préalable relatif à l'exécution de l'article de la Constitution prévoyant la régionalisation à trois. | |
Le pacte intercommunautaire.Les négociations en vue de la formation d'un nouveau gouvernement aboutirent à la constitution du cabinet Tindemans- | |
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Hurez ainsi qu'à un Pacte communautaire que signèrent, le 24 mai, le chef du gouvernement Tindemans, les négociateurs démocrates-chrétiens flamands (CVP) et francophones (PSC), les négociateurs socialistes flamands (BSP) et francophones (PSB) et ceux des partis régionaux flamand (Volksunie) et bruxellois (Front démocratique des francophones)Ga naar eind(7). Il s'agit d'un ‘accord politique conclu... dans le but de contribuer à la pacification communautaire, tout en simplifiant la structure de nos institutions publiques’. Les partis signataires ‘se considèrent liés moralement par ce pacte et s'engagent à le réaliser en commun... Ils s'engagent à mettre tout en oeuvre pour contribuer à un apaisement communautaire tant au plan national qu'au plan régional et local’. ‘A la fin normale de la présente législature, le Parlement sera invité à voter un déclaration désignant les articles de la Constitution à réviser en vue de mettre en oeuvre les réformes institutionnelles (projetées).’
Pour mieux comprendre la portée des réformes annoncées, il convient de les situer par rapport à l'organisation actuelle de l'Etat belge. A l'heure actuelle, le pays est gouverné par un gouvernement unitaire, composé d'un nombre égal de ministres néerlandophones et francophones. Le gouvernement est responsable devant la Chambre des représentants et devant le Sénat. Les projets et propositions de loi et les mesures importantes doivent être adoptés par les deux Chambres; parfois, cette procédure demande beaucoup de temps. Pour certaines décisions, il faut, en outre, une majorité spéciale au sein de chaque groupe linguistique dans les deux Chambres. Certaines matières sont réglées non pas par une loi, mais par un décret pris par les conseils culturels. Le Conseil culturel de la communauté culturelle néerlandaise se compose des représentants et sénateurs néerlandophones; le Conseil culturel de communauté culturelle française se compose de leurs collègues francophones. Les communautés culturelles ne disposent pas d'un pouvoir exécutif approprié. C'est le gouvernement national, qui exécute les décrets, et lui seul, sur ce point, est responsable devant la Chambre et le Sénat.
La Belgique connaît, en outre, encore quatre formes de pouvoir politique décentralisé, les provinces, les communes, le Conseil de l'agglomération Bruxelloise et le Rat der deutschen Gemeinschaft (Conseil de la communauté allemande, c'est-à-dire les cantons de l'Est, qui constituent la région de langue allemande et la communauté culturelle allemande). En fait, les compétences de ces organismes sont plutôt restreintes, compte tenu surtout de la tutelle plutôt pesante exercée par l'Etat central. Depuis le 1er janvier 1977, le nombre des communes s'est considérablement réduit, grâce à l'opération de la fusion des communes. A Bruxelles fonctionnent encore, pour les groupes linguistiques respectifs, une Commission néerlandaise de la culture et une Commission française de la culture, émanations du conseil d'agglomération en tant que pouvoir organisateur en matière de culture et d'enseignement. | |
Redistribution des compétences.Selon le pacte communautaire, la nouvelle Constitution consacrera le principe de la décentralisation politique d'un certain nombre de matières vers les communautés et les régions. A cet effet seront arrêtées trois listes des matières qui seront de la compétence exclusive respectivement du pouvoir national, du pouvoir communautaire et du pouvoir régional.
Le pouvoir national demeurera compétent pour les affaires étrangères, la défense, la justice, l'intérieur, les finances, la politique économique nationale, les travaux publics et les communications, la prévo- | |
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yance sociale, la politique nationale de santé et le statut administratif et pécuniaire du personnel de l'Etat.
Les commuautés décident de manière autonome les matières culturelles, l'enseignement (à l'exclusion de ce qui a trait à la paix scolaire, toujours précaire en Belgique), la politique culturelle internationale, l'emploi des langues en matière administrative, l'enseignement et les relations sociales entre employeurs et travailleurs, les soins de santé, l'assistance aux personnes, aux familles et aux services, la protection de la jeunesse et la formation didactique et pédagogique.
Les régions, chacune en ce qui la concerne, règlent la création et l'organisation des services, établissements et entreprises, le budget, les emprunts, les critères de répartition de la quote-part dans les fonds communaux et les fonds provinciaux, l'aménagement du territoire, la protection de la nature, les forêts, la chasse, la pêche et la tenderie, l'urbanisme et la rénovation urbaine, la politique foncière, le logement, l'expansion économique régionale, les conditions d'exploitation des richesses naturelles, la production d'eau potable et la distribution d'eau, l'épuration des eaux usées, les cours d'eau non navigables, l'hydraulique agricole, le placement des travailleurs, la rationalisation et la coordination des intercommunales, la tutelle générale sur les pouvoirs subordonnés, la subsidiation des travaux provinciaux et communaux, le remembrement, la réglementation relative aux égouts et au traitement des déchets solides et le tracé ou l'implantation de la grande infrastructure publique. | |
Le pouvoir législatif.A côté de l'Etat national, les régions et communautés seront dotées d'un pouvoir législatif et exécutif ainsi que de moyens financiers.
Les membres des conseils régionaux seront élus au suffrage universel. Les conseils seront renouvelés tous les quatre ans.
Au niveau des communautés, il y aura les conseils des communautés. Le conseil de la communauté néerlandaise sera composé des membres du Conseil régional flamand et des membres néerlandophones du Conseil régional bruxellois. Le Conseil de la communauté française sera composé des membres du Conseil régional de la Wallonie et des membres francophones du Conseil régional bruxellois.
Au niveau national, la composition et la compétence de la Chambre des représentants demeureront inchangées. Le Sénat sera composé des membres des conseils des communautés. Les décisions du Sénat seront prises à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique. Le Sénat sera compétent pour la révision de la Constitution; dans un stade ultérieur, cela contribuera sans doute à simplifier la procédure de révision de la Constitution et à faciliter un éventuel élargissement des compétences des régions ou communautés. Le Sénat assumera, en outre, le rôle de chambre de réflexion pour la législation de base dans les domaines du droit public, civil, commercial, pénal et fiscal. | |
Le pouvoir exécutif et les services administratifs.Les conseils régionaux éliront un exécutif. Chaque exécutif régional sera chargé de l'exécution des ordonnances régionales et des missions qui lui seront éventuellement confiées par le législateur ou le gouvernement. L'exécutif, comme chacun de ses membres, sera responsable devant le conseil régional. Les services administratifs afférents aux matières régionalisées seront transférées à la région.
L'exécution des décrets des conseils des communautés sera confiée à deux res- | |
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ponsables que chaque conseil de communauté élira en son sein et qui seront solidairement responsables devant leur conseil. Les services administratifs chargés des affaires culturelles qui relèvent de leur compétence seront regroupés dans des entités de langue néerlandaise et de langue française. | |
Finances.L'exécution des décisions des conseils des communautés et des conseils régionaux sera financée par une dotation globale. De plus, la région devra assurer son budget par les recettes non fiscales propres, des ristournes éventuelles du produit de certains impôts et une fiscalité propre et des emprunts à contracter ou à émettre par la région.
La somme globale qui sera réservée annuellement dans le budget national pour les dotations sera répartie entre les trois régions d'après des clés de répartition convenues. | |
Bruxelles.Le Pacte communautaire comporte nombre de dispositions spéciales qui ont trait à la situation particulière de Bruxelles. Elles visent en fait la préservation de la minorité néerlandophone dans la capitale bilingue. Les membres du Conseil régional pour Bruxelles seront élus sur des listes unilingues et formeront au sein du Conseil deux groupes linguistiques. L'exécutif bruxellois sera composé de sept membres maximum, dont deux au moins feront partie du groupe linguistique néerlandais. Ceux-ci seront désignés par le groupe linguistique néerlandais; les membres francophones seront désignés par le groupe linguistique français.
Pour la répartition entre les deux communautés, les signataires du pacte estiment à 20% le nombre de néerlandophones dans la capitale, jusqu'au moment où le résultat des élections communales ferait apparaître un pourcentage de votes sur les listes flamandes supérieur à 20% du total des votes émis (aux élections du 17 avril, les listes flamandes recueillirent ensemble 17% des suffrages).
Dans la région bruxelloise, la Commission française et la Commission néerlandaise de la culture sont maintenues, avec les mêmes compétences que les autres pouvoirs organisateurs en matière d'enseignement et en matière préscolaire, postscolaire et culturelle. Chacune des dix-neuf communes de la région bruxelloise devra créer deux commissions communautaires, qui auront pour mission de stimuler les initiatives culturelles communales et de donner un avis obligatoire sur toute proposition des administrations communales. Dans chaque budget communal, les crédits pour les activités culturelles seront répartis entre les deux communautés proportionnellement à leur importance numérique. | |
La périphérie bruxelloise.Les dispositions les plus contestées du Pacte communautaire ont trait à la situation linguistique dans les communes flamandes qui forment la périphérie de Bruxelles. Les limites de la région bruxelloise demeureront inchangées. La région bruxelloise demeure limitée aux dix-neuf communes actuelles, mais les droits des immigrants francophones dans les communes ‘à facilités’ actuelles ainsi que dans un certain nombre d'autres communes - ‘sections’ de communes fusionnées, mais qui correspondent à d'anciennes communes limitrophes de l'agglomération - seront étendus.
Les communes à facilités font partie de la région flamande, qui y exerce les compétences précitées, à l'exception de la tutelle générale, qui continuera à être exercée par l'Etat central. Les francophones y bénéficient de droits sur le plan | |
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culturel et sur celui des domaines relevant des conseils des communautés.
Dans les six communes à facilités, dans sept sections et trois quartiers d'autres communes, les habitants pourront faire élection de domicile dans une commune de leur choix de la région de Bruxelles. Cette élection leur donne le droit de voter lors des élections législatives - c'est-à-dire pour la Chambre des représentants ainsi que pour le Conseil régional de Bruxelles - dans la commune choisie. Ce choix implique aussi que leurs rapports avec l'administration, la justice et l'administration des contributions se dérouleront en français. | |
La simplification des institutions.Le Pacte communautaire contribue certainement à simplifier les institutions: grâce à la réforme du Sénat, le gouvernement national pourra travailler plus rapidement. Les comités ministériels régionaux et les secrétaries d'Etat à compétence régionale disparaîtront du gouvernement. Seront supprimés le Conseil de l'agglomération bruxelloise ainsi que les neuf provinces avec leurs conseillers élus directement, leur exécutif (la députation permanente) et les nombreux organismes consultatifs créés par celui-ci. La subdivision territoriale en provinces reste maintenue, ainsi que la fonction du gouverneur avec les missions actuelles, notamment son intervention dans la tutelle administrative dont la responsabilité politique est transférée de l'exécutif national à l'exécutif régional. | |
Evaluation.Il serait prématuré de formuler une appréciation définitive sur le pacte intercommunautaire tel qu'il nous est soumis à l'heure actuelle. Le texte n'est pas toujours très clair; il convient donc d'attendre les projets de loi et de révision de la Constitution qui devront traduire le pacte dans une forme concrète. Lors du débat d'investiture du second gouvernement Tindemans, il a été annoncé que les négociateurs du pacte intercommunautaire seront étroitement associés à l'élaboration des textes des projets de loi.
Il va de soi que l'accord a provoqué de nombreuses réactions en sens divers. Bien que les interprétations données par les différents négociateurs au cours des premières semaines après son élaboration ne soient pas trop divergentes, les travaux législatifs ne manqueront pas, dans les années à venir, de susciter de fortes tensions. Il n'est pas exclu qu'elles aboutissent à des idées nouvelles et que le pacte puisse, le cas échéant, être amélioré. Il n'en a pas été autrement dans la période 1964-1970, où a mûri la dernière révision de la Constitution belge. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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