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le groupe cobra à paris
erik slagter
Né en 1939 à Arnhem (province de Gueldre). Formation de journaliste et de bibliothécaire. Actuellement directeur d'une bibliothèque publique. S'occupe plus spécialement des relations entre la littérature et les arts plastiques.
Publications: Lezer-kijker, de samenwerking van schilders en dichters in de beweging van '50 (1967 - Lecteur-spectateur, la collaboration de peintres et de poètes dans le mouvement de Cinquante), édition privée. Articles dans les revues Ons Erfdeel, Streven, De Vlaamse Gids. Une collection de ces articles paraîtra en automne sous le titre Letterlijk en figuurlijk; de samenwerking van schrijvers en schilders - experimenteel en constructief (Littéralement et figurativement; la collaboration d'écrivains et de peintres - expérimentale et constructive). Une anthologie de poèmes concrets et visuels des Pays-Bas et de la Belgique, Letterteken-tekentaal (Signe graphique - Langage des signes) est en préparation.
Adresse:
P.A.E. Kreytz, Postbus 3154, Den Haag (Pays-Bas).
Rien dans la rue Santeuil - une courte rue à proximité de la station de métro Censier-Daubenton, en direction de la Place Monge, Paris V - ne rappelle qu'une page importante de l'histoire de l'art moderne y fut écrite il y a vingt-cinq ans. A l'heure actuelle, la Halle aux cuirs n'est plus qu'un mur plein d'affiches à côté d'un bâtiment universitaire moderne. Des cris du genre ‘Pour la liberté!’ n'expriment plus des aspirations artistiques mais plutôt l'engagement politique. En face, un luxueux immeuble de huit étages avec, au rez-de-chaussée, quelques magasins dont une librairie. Au bar voisin, des étudiants prennent leur café et discutent. Sans doute parlent-ils politique et n'échangent-ils point des conceptions artistiques.
Il y a dix ans, l'usine qui se trouvait à cet endroit, et qui avait abrité un nombre considérable d'artistes néerlandais dans les années cinquante, attendait les démolisseurs. En 1950 y habitait Michel Atlan, poète et ultérieurement peintre du signe mythique, du geste rythmique, de l'écriture magique dans un art mythique comportant des griffes et dans lequel se reconnaissent des influences mexicaines et africaines. C'était l'un des rares peintres français qui, tant par l'amitié qu'il leur portait que par son oeuvre abstraite lyrique, s'apparente nettement aux peintres néerlandais cofondateurs du groupe Cobra. En 1946, Michel Atlan travaillait encore à Montparnasse. Le samedi soir, son atelier y était déjà ‘le point d'attraction de toute la bohème des cafés’ et devint le lieu de rencontre où se retrouvaient régulièrement les peintres qui, par la suite, allaient constituer le groupe Cobra. Ce fut là que le peintre suédois Asger Jorn fit la connaissance d'Edouard Jaguer, qui devait se faire par la suite le promoteur de Cobra. Jaguer deviendra avec Michel Ragon - qui, lui aussi, entra en contact avec Cobra par son amitié avec Atlan -
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De gauche à droite: Constant, Appel et Corneille à Paris (1949).
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l'un des critiques français qui propageront l'oeuvre de Cobra, s'occuperont intensément de la revue Cobra et de l'organisation d'expositions.
En automne 1946, une rencontre fortuite à Paris mit Jorn en contact avec Constant Nieuwenhuys - qui allait prendre plus tard l'initiative de fonder le groupe expérimental aux Pays-Bas - pendant que celui-ci admirait des tableaux de Juan Miró dans la galerie Pierre. Paul Klee, qui exerça également une influence reconnaissable sur l'oeuvre d'Atlan, et Miró revêtiront une importance primordiale pour les peintres à tendance lyrique du groupe Cobra tels que Corneille et, dans une moindre mesure, Constant. Jacques Doucet, l'autre peintre et poète français qui se rattachait à Cobra, subit également l'influence de Klee et de Miró. Après avoir rencontré Corneille - qui exposa juste avant lui à Budapest, en 1947 - Doucet fit la connaissance des futurs membres du groupe expérimental et les introduisit dans l'atelier d'Atlan.
A la fin de 1947, Karel Appel et Corneille séjournèrent quelque temps à Paris, où l'oeuvre de Jean Dubuffet leur fit grande impression. Ils y discutèrent aussi avec Jean Pignon, dont ils avaient déjà appris, à distance, à apprécier la ‘joie de vivre’. Au cours de l'hiver de 1947-1948, Corneille et Appel découvrirent l'oeuvre de Constant après qu'ils eurent exposé ensemble à Amsterdam en janvier et février 1947, et que Constant eut exposé dans une autre galerie. En avril 1948, ils se rencontrèrent à nouveau au vernissage d'une exposition de Paul Klee au Musée municipal d'Amsterdam. Encouragés par Jorn, à l'initiative de Constant et en collaboration avec quelques autres peintres, ils fondèrent, trois mois plus tard, le Groupe expérimental aux Pays-Bas. Au mois de novembre de la même année, ils se rendirent au Centre international de documentation sur l'art d'avant-garde à Paris, où ils rencontrèrent Jorn ainsi que le Belge Christian Dotremont. Le 8 novembre, ils se réunirent au Café de l'Hôtel Notre-Dame et y fondèrent, avec le Belge Joseph Noiret, un groupe danois, néerlandais et belge, pour lequel Dotremont inventa le lendemain le nom de Cobra, contraction sommaire des noms des trois capitales Copenhague, Bruxelles et Amsterdam. Ils en arrivèrent là parce qu'ils rejetaient unanimement les théories et qu'ils voulaient travailler ensemble dans un esprit expérimental. Michel Atlan et Jacques Doucet furent les seuls peintres français à rejoindre le groupe quasi immédiatement. Atlan, Appel, Corneille, Constant et Jorn participèrent dès lors à une exposition qui eut lieu, dès le 7 novembre, autour de papiers collés de Max
Bucaille.
En avril et mai 1949, Karel Appel et Corneille rentrent à Paris d'un voyage à travers le Danemark avec des toiles dont certaines sont d'eux-mêmes, les autres de Constant, qu'ils exposent chez Colette Alendy, rue de l'Assomption. Christian Dotremont introduit les peintres néerlandais auprès du public parisien avec une petite plaquette intitulée Par la grande porte. Doucet était présent, Atlan aussi probablement. Dotremont écrivait à leur intention: ‘Il y a certes des peintres qui, un beau matin, avec enthousiasme, et les mains vides, partent vers le but qu'ils ont rêvé, avancent, et puis qui s'installent dans une tranchée où plus rien ne les atteindra. Il y en a d'autres qui vont jusqu'à leur objectif, et qui demandent alors à ceux qui partent de s'attacher comme des chèvres à ce poteau d'arrivée, pour brouter les restes, ou du moins de le prendre sur les épaules: au nom de leur “expérience”, ils demandent aux partants de ne pas avoir le sens expérimental... Et ils ont accepté de peindre dans le vide, comme si le surréalisme n'avait pas existé et
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Appel et Constant devant la porte de leur atelier parisien, rue Santeuil.
comme si la Hollande était une vue de l'esprit, et ils ont refusé de copier ce que les autres peintres expérimentaux avaient peint avant eux... Ils sont entrés dans la peinture par la grande porte: celle de la vie, et ils ont repoussé ce que le surréalisme (en peinture) et l'art abstrait ont de commun: la mise en chambre de réflexion de la peinture. Ils sont contre la peinture préfabriquée (et je pourrais aussi bien dire: fabriquée), qui transforme la main du peintre en pistolet. Ils se sont simplement aperçus qu'ils n'étaient pas manchots, et ils ont donné la main au tableau, qui l'a évidemment acceptée. Ils sont contre la peinture platonique, qui transforme le sexe du peintre en point d'interrogation. Contre la peinture cultivée, qui fait du peintre un redoreur de blasons: ceux de la bour- | |
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geoisie. Contre la peinture scientifique, qui veut présenter le squelette avant que le corps ne soit né, ait grossi, ait rougi ses joues dans le tableau. Ils sont contre la peinture ironique, qui veut bien exprimer la joie organique de l'univers, et la joie historique du monde, en 1949, mais qui a honte et qui coupe l'élan esthétique (si esthétique veut dire: du plaisir sensoriel, sensuel et sensible) avec un élégant petit canif intellectuel. Ils pensent que le plaisir de vivre n'est pas indigne de la peinture et que le plaisir de la peinture n'est pas indigne de notre vie et ils ont donc laissé la grande porte ouverte.’
Cinq mois après cette introduction à Paris, en novembre, le Musée municipal d'Amsterdam ouvre ses portes au groupe expérimental. A cette occasion, le groupe Cobra se manifeste pour la première fois dans son ensemble. Des artistes en provenance de dix pays différents participèrent à cette Exposition d'art expérimental qui bénéficia d'une grande publicité et qui fit connaître les artistes expérimentaux à un public étendu. L'exposition fut précédée d'un discours de Dotremont qui occasionna une forte polémique. L'indignation dans la presse fut générale, et l'exposition suscita des jugements impitoyables: ‘du barbouillage, du bavardage et du gribouillage’, ‘la folie érigée en art’, etc. Ces appréciations ne manquèrent pas de piquer la curiosité du public. Cette indignation quasi générale s'était déjà traduite précédemment dans les ‘ricanements’ par lesquels le public avait salué la peinture murale dont Karel Appel avait orné la buvette de l'hôtel de ville amstellodamois sur commande de la commune d'Amsterdam, qui fit recouvrir l'oeuvre par la suite. Ainsi, le groupe expérimental fut ridiculisé chaque fois. Chaque manifestation fut huée. ‘Nous commencions à en avoir assez des Pays-Bas qui nous rejetaient, dit Karel Appel. Les ruses et les mesquineries de la presse nous tapaient sur les nerfs plus que nous ne voulions l'admettre. Nous décidâmes de partir pour Paris.’
Munis de quelques centaines de florins et de quelques lettres de recommandation, notamment, de Willem Sandberg, directeur du Musée municipal d'Amsterdam, Karel Appel, Constant et Corneille prirent le train, en septembre 1950, pour la capitale française où plus de cinquante mille peintres voulaient vivre de leur travail. Constant occupe un atelier dans la rue Pigalle. Il reste à Paris pendant un an, y peint la guerre dans toutes ses horreurs en des tableaux déchirants, avec des flammes, des dents et de petites échelles qui suggèrent une issue. Il couvre aussi les parois de sa chambrette de ce genre de scènes terrifiantes. Appel et Corneille s'établissent d'abord dans un pavillon de la Maison des Danois à Suresnes, où habite Robert Jacobsen, le sculpteur danois du groupe Cobra. Ils ne restent que deux semaines et demie dans la maisonnette humide. Au mois d'octobre, ils trouvent un grand espace qu'ils louent à six. Il s'agit d'un entrepôt dans la rue Santeuil situé, à l'époque, en face d'une tannerie. Ils aménagent des cloisons et des chambres au moyen de plâtre et de lattes. Appel raconte: ‘Nous devons donc faire six ateliers. Cela nous coûte les yeux de la tête... Nous espérons avoir terminé dans une semaine. Seulement, nous ne pouvons pas y dormir, mais nous nous débrouillerons. Nous vivons toujours en nomades, mais nous nous en sortirons.’ Au moyen d'une dizaine de lits en bois qu'ils ont dénichés au marché aux puces, les artistes construisent six ateliers au premier étage. L'atmosphère y est parfois puante et, l'été, des rats peuplent la gouttière. Mais il y a également des fêtes à l'occasion desquelles viennent des artistes amis et des amies. On raconte que Salvador
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La ville par Corneille (1949, dessin, encre de Chine).
Dali et Luis Bunuel auraient habité l'immeuble dans les années trente, et que Jean-Paul Sartre y aurait passé les années de l'occupation. En 1950 y fut écrite une page de l'histoire de l'art.
Ceux qui voulaient en être les témoins devaient d'abord monter un escalier en bois raide et usé, se frayer un chemin dans un corridor noir planchéié, puis monter un autre escalier qui menait à l'étage où se trouvaient des bicyclettes, des poubelles et des figures en plâtre. Au bout du corridor, on avait le choix: Appel ou Corneille.
Obsédé par la matière, le dynamique Karel
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Je rampe sous les lettres, par Alechinsky-Dotremont (1961, encre et aquarelle sur toile. 100 x 150 cm).
Appel représentait une explosion de vitalité. ‘Je peins des taches, des taches toujours plus grandes, des couleurs se superposant indéfiniment, les enlevant, en apportant d'autres, jusqu'à ce qu'il reste une surface concentrée, à la fois libre et reliée, soudain un rouge ou un jaune très fort et la toile et l'essence tout en un’, raconte-t-il dans une lettre datant de l'époque.
Plus raffiné et poétique, Corneille abandonne la narration enfantine pour s'appliquer davantage à l'expression de la forme, de la ligne et de la couleur. Son oeuvre a plus de grâce, plus de poésie. L'oiseau, la femme, la vue et la terre tropicale en constituent le contenu.
Ensemble, Appel et Corneille se font des amis. L'écrivain Hugo Claus connaissait déjà Corneille. Les poètes néerlandais Hans Andreus, Remco Campert, Lucebert et Simon Vinkenoog viennent s'établir à Paris pendant une période plus ou moins longue. Ces contacts créent immédiatement une atmosphère de créativité intense, comme il ressort des peintures qu'ils exécutent ensemble, de la revue Blurb éditée par Vinkenoog et illustrée par Corneille, et de recueils de poèmes qu'illustrent des dessins.
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Affiche de l'exposition de Constant à Paris en 1952.
En 1950, les artistes néerlandais participent à l'exposition Tendances, de nouveau chez Colette Alendy. Atlan et Doucet s'y présentent également à nouveau, ainsi que le sculpteur japonais américain Tajiri, qui convertit le langage de Cobra en des combattants et des insectes sculptés en fer.
La première exposition de Cobra à Paris eut lieu au mois de février 1951, dans une librarie du Boulevard Saint-Michel, au no 73, à l'occasion de la parution du livre Expression et non-figuration de Michel Ragon, rédacteur français de Cobra. Il serait faux de dire qu'elle fit impression, même si la galerie Maeght manifesta quelque intérêt pour certains membres de Cobra. La même année, Pierre Loeb organisa encore l'exposition Cinq peintres Cobra (Appel, Corneille, Jorn, Jacobsen et Balle), avec une documentation détaillée sur le groupe. Mais il fallut encore cinq ans au moins avant que Ragon pût dire: ‘ils se trouvent maintenant dans le coup’. En 1961, l'important magasin d'art Mathias Fels organisa une exposition rétrospective Cobra, dix ans après, comportant des oeuvres de Pierre Alechinsky, de Karel Appel, de Corneille et d'Asger Jorn, et introduite par Ragon.
Le peintre belge Pierre Alechinsky et les Néerlandais Appel et Corneille sont restés à Paris. ‘Si Amsterdam est la ville de ma jeunesse, dit Appel, Paris est la ville de mon évolution. Ce que j'ai appris là m'est bien plus important que tout le reste’. Cette définition de ce que représentait Paris pour Appel vaut aussi pour les autres poètes et peintres néerlandais qui, à travers les contacts qu'ils avaient entre eux dans la capitale française - qui était aussi, à cette époque, la cité de l'art -, ont trouvé le chemin qu'ils ont suivi de façon expérimentale.
‘Mais que voulaient donc ces jeunes expérimentaux?’ Tel était à peu près le titre d'un article paru dans une revue néerlandaise peu de temps après le tumulte qui avait suivi l'exposition d'Amsterdam, et écrit par le porte-parole le plus important de la nouvelle génération de poètes néerlandais, Gerrit Kouwenaar. Il y explique notamment que l'expérience en art et en littérature remonte entre autres à l'entre-deux-guerres, à l'époque du dadaïsme, du surréalisme et de l'expressionnisme, tous mouvements qui étaient passés presque inaperçus aux Pays-Bas jusque-là. Il souligne que les artistes néerlandais de l'après-guerre rejetaient le nihilisme - le ‘dada ne signifie rien’ - mais qu'ils conservaient les éléments positifs qu'ils y avaient reconnus. Il conclut en disant que
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‘l'art expérimental n'est pas compréhensible, du moins pas de la même façon qu'une reproduction narrative naturaliste. L'art expérimental ne se soucie d'aucun formalisme, ni de celui de la forme ni de celui du fond. Il s'agit d'une expression spontanée, vitale... qui se sert de tous les moyens disponibles’, parmi lesquels il faut notamment compter l'art populaire.
Les Danois puisaient leur inspiration populaire dans leur propres mythes. Les Néerlandais s'y ralliaient volontiers en utilisant tous les moyens disponibles. ‘L'art expérimental’ - terme dont se défendirent les artistes dès que leur oeuvre fut classée comme telle - ‘représente tout... et se fonde sur les possibilités d'expression naturelles de la matière et sur le libre épanouissement des impulsions créatrices de l'homme.’ Le slogan du surréalisme, ‘la poésie doit être faite par tous, non par un’ (Lautréamont), les expérimentaux le reprennent avec autant de conviction. Un autre point commun entre Cobra et certains surréalistes, principalement au début, était celui de leurs sympathies marxistes, avec cette restriction, toutefois, que tous ne défendaient pas avec la même ardeur cette tendance sociale d'un art par et pour le peuple.
En résumé, l'expérience exprime une conception optimiste de la vie qui part du principe que chacun possède des caractéristiques créatrices que les artistes se doivent d'encourager. L'art n'est rien de spécial. Il peut naître spontanément, n'importe quand et n'importe où, par l'intermédiaire de n'importe quel matériel. Des dessins faits par des enfants, du folklore, des dessins de la main d'aliénés, des masques de nègres, tout est bienvenu pourvu que ce soit pur, que ce ne soit pas contaminé par la culture. Il ne s'agit nullement de théorie, de style ou d'école. Pas de formalisme, mais il faut travailler; et le
Affiche de Karel Appel pour une exposition (e.a. Jacques Doucet) dans la Galerie Van Lier à Amsterdam (1949).
travail importe plus que le résultat. Par la force des choses, l'art est un bien commun auquel tout le monde peut participer.
A partir de ces principes, les artistes de Cobra rejettent l'individualisme dans l'art ainsi que le métier. Les peintres écrivaient des poèmes, les poètes faisaient de la poésie sur des murs ou dans des bouteilles. Peintres et poètes collaboraient. Le travail de l'un incitait l'autre à changer de forme. Ils organisaient des jeux communs et, par-dessus tout, ils n'aspiraient surtout pas à l'oeuvre
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d'art achevée. Au contraire, le poème ou le tableau expérimental est toujours inachevé. Le désir d'expression vitale, l'optimisme idéaliste, la négation de l'individu et la coopération ont déterminé dans une large mesure la courte vie de Cobra. Ses membres euxmêmes y mirent fin au mois de novembre 1951. Cobra ‘mourut en beauté’, comme le dit plus tard le belge Dotremont, qui avait été à l'origine du groupe. Les personnalités divergentes des différentes nationalités poursuivirent toutes leur propre chemin. Pierre Alechinsky, Karel Appel et Corneille continuèrent à travailler à Paris.
Appel habite un magnifique atelier dans la rue Pape-Carpentier, où il fit transformer une ancienne imprimerie en un immense espace aux parois blanches. Il y produit tableau sur tableau; ils se vendent cher à travers le monde entier. Son oeuvre se fait toujours plus riche en couleurs. Les contours noirs ont presque entièrement disparu. Tout est couleur: de grands animaux, des têtes aux grands yeux flamboyants en forme de cercle, des becs aigus aux coins de la bouche. Ses toiles sont exposées régulièrement à la galerie Ariel.
A Bougival, un peu en dehors de Paris, Alechinsky dessine ses êtres monstrueux qui se parlent comme dans les bandes dessinées, ou bien il trace des signes fantasmagoriques, tel un calligraphe oriental.
Dans son atelier situé rue Clignancourt, Corneille imagine les symboles primitifs des cultures mexicaines, avec des oiseaux, des femmes et le soleil violent dans les jardins tropicaux.
De Cobra, il ne reste sans doute plus que la figuration particulièrement colorée. Le mouvement est révolu. L'art reste, aux formes multiples, au langage riche en images. En effet, c'est principalement l'idiome de Cobra, la peinture créant des mythes qui, après l'assimilation de toutes les influences dans une palette personnelle, reçoit encore une forme vivante. Pour les protagonistes du groupe, Paris a été la ville où s'est déroulée leur évolution et où ils ont gardé leur atelier.
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Bibliographie
Willemijn L. Stokvis: Cobra. Geschiedenis, voorspel en betekenis van een beweging in de kunst van na de tweede wereldoorlog (Cobra. Histoire, prélude et signification d'un mouvement artistique d'après la seconde guerre mondiale), Amsterdam, De Bezige Bij, 1974.
Ragon Michel: Expression et non-figuration, Paris, 1951; L'aventure de l'art abstrait, Paris, 1956; Naissance d'un art nouveau, Paris, 1963. Vingt-cinq ans d'art vivant; chronique vécue de l'art contemporain, de l'abstraction au pop-art, Tournai, 1969.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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