Septentrion. Jaargang 3
(1974)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 2]le cinquième centenaire de l'imprimerie dans les anciens pays-baselly cockx-indestegeNée à Hasselt, le 22 mai 1933. Licenciée en histoire moderne. Titulaire du diplôme de candidate en histoire de l'art (musicologie). Agrégée de l'enseignement secondaire supérieur. En l'an 1473, trois livres furent publiés aux Anciens Pays-Bas. L'un Historia scholastica super Novum Testamentum du théologien français Pierre Comestor, fut imprimé à Utrecht par Nicolas Ketelaer et Gérard de LeemptGa naar eind(1). Les deux autres Speculum conversionis peccatorum de Denys le Chartreux et De duobus amantibus de l'humaniste italien Aeneas Silvius Piccolomini sortirent de presse à Alost, chez Thierry Martens et Jean de WestphalieGa naar eind(2). Il est vrai qu'on avait déjà imprimé au moyen de caractères mobiles avant 1473 dans les Pays-Bas du Nord. Il s'agit là d'une série d'éditions sans aucune mention du lieu ou de l'année d'impression, mais dont quelques exemplaires portent de la main d'un rubricateur ou d'un acquéreur une note prouvant qu'on ne peut les situer après 1471 et 1472. Ces éditions font partie de ce qu'on appelle la prototypographie néerlandaiseGa naar eind(3) et sont les premiers témoins de l'art d'imprimer dans nos contrées. Comme on croyait pouvoir les attribuer à Laurens Janszoon Coster, on les désigna jadis par le nom de Costeriana. Quelques vingt ans donc après la publication des premiers livres imprimés au moyen de caractères mobiles à Mayence, on a pratiqué l'art d'imprimer dans les Anciens Pays-Bas.
La notion ‘Anciens Pays-Bas’ comprend ici les territoires faisant partie du duché de Bourgogne au moment où l'imprimerie y fut introduite et, en plus, les principautés d'Overysel, d'Utrecht, de Liège et du Tournaisis, qui n'en relevaient pas mais font aujourd'hui partie des Pays-Bas et de la Belgique.
A l'occasion de ce cinquième centenaire, les Bibliothèques royales des Pays-Bas et de la Belgique ont tenu à attirer l'attention | |
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Denys le Chartreux. Speculum conversionis peccatorum. Alost, [Thierry Martens et Jean de Westphalie], 1473, in-40, f. 28 vo: colophon. L'un des trois premiers livres imprimés datés des Anciens Pays-Bas (illustration 1).
Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles. du public sur les premiers livres imprimés dans les deux paysGa naar eind(4).
Le nouvel art, l'ars caracterizandi modernissima comme l'appelait Jean de WestphalieGa naar eind(5), répondait à un besoin réel puisqu'il permettait de publier des textes plus nombreux à un nombre d'exemplaires plus elevé et à un prix plus abordable qu'auparavant. Même pour les copistes professionnels, copier des textes était toujours un travail laborieux de longue durée. Connue depuis assez longtemps déjà en Europe occidentale et utilisée notamment pour l'impression sur étoffe et pour la reproduction d'illustrations, la technique xylographique allait constituer une première tentative en vue de répondre au besoin de livres plus nombreux. Vers 1450, ou même déjà plus tôt, on se mit à tailler dans des blocs de bois des textes avec ou sans illustrations. Après avoir encré les bois, on les imprimait sur des feuillets de papier que l'on réunissait ensuite de façon à former des livres: on les appelle de nos jours livres tabellaires. Cette technique permettait de tirer plusieurs exemplaires d'un texte, mais ce n'était pas encore la solution idéale, puisque les milliers de petits caractères laborieusement taillés ne pouvaient être utilisés par la suite pour un autre texte.
Vers la même époque, Jean Gutenberg (mort vers 1468)Ga naar eind(6) eut l'idée géniale de mettre à profit la technique de la gravure de poinçons telle que la pratiquaient déjà depuis longtemps les relieurs et les orfèvres. Au moyen de caractères mobiles, qui pouvaient être fondus à un grand nombre d'exemplaires dans des matrices obtenues à partir de poinçons, il lui était possible de juxtaposer des mots, des lignes, pour en faire des pages, d'imprimer le texte, de distribuer les caractères et de les réutiliser pour un autre texteGa naar eind(7).
Le secret de ce que l'on appela l'ars scribendi artificialiter s'est vite divulgué. Dès le début, l'imprimerie a profondément marqué la vie intellectuelle; n'oublions pas qu'elle a largement contribué à répandre l'humanisme. Elle s'est mise à jouer un rôle dans la vie économique et, enfin, elle est devenue un instrument politique non négligeable entre les mains | |
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Biblia pauperum. Livre tabellaire, vers 1464-1465, in-fo, f. 10 ro. Le texte et les illustrations sont taillés dans le bois. Cet exemplaire a été colorié à la main (illustration 2).
Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles. | |
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Boèce. De consolatione philosophiae, dans la traduction française de Renier de Saint-Trond. Bruges, Colard Mansion, 1477, in-fo, f. 90 ro: Boèce et la Philosophie. La colonne de gauche est imprimée en rouge; l'initiale A, la décoration marginale et la miniature sont l'oeuvre d'un enlumineur (illustration 3).
Copyright University Library, Cambridge. | |
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des dirigeants spirituels et laïcs. Si l'imprimerie a pu prendre un tel essor, surtout après les années troubles qui ont suivi la mort de Charles le Téméraire (1477), c'est grâce à l'usage du papier. Le parchemin, qu'on utilisait encore beaucoup au quinzième siècle, était devenu insuffisant et fort cher. N'étant pas à même de fabriquer du bon papier en quantité suffisante au quinzième siècle, les Anciens Pays-Bas s'en procurèrent de préférence en France et en Italie. Non moins que la presse et les caractères, le papier était un élément qu'il ne fallait pas sous-estimer dans le capital à investir dans une imprimerie. Il est assez curieux que l'imprimé n'ait pas d'emblée éliminé le manuscrit. Celuici continue à jouer un rôle assez important jusqu'au début du seizième siècleGa naar eind(8). L'objectif des organisateurs de l'exposition de Bruxelles était de donner un aperçu de l'édition dans les Anciens Pays-Bas dans la seconde moitié du quinzième siècleGa naar eind(9). Cela a été possible, grâce aux travaux effectués au cours des cent dernières années par les spécialistes en matière d'incunables anglais et surtout néerlandais. Ne citons ici que les noms de Henry Bradshaw, Marinus F.A.G. Campbell, Johan W. Holtrop, Wouter Nijhoff, Maria-Elizabeth Kronenberg, George D. Painter, Lotte et Wytze Hellinga. Il en résulte que les soixante officines d'où il est sorti au moins un livre avant la fin de l'an 1500 - date limite conventionnelle entre les incunables et les éditions du seizième siècle - sont représentées par un ou plusieurs ouvragesGa naar eind(10). Il fallait également montrer qu'il n'y a pas eu de rupture entre le manuscrit et l'imprimé, que les livres tabellaires, produits néerlandais par excellence, ne sont pas unePetrus de Rivo. Opus responsivum. Louvain, Louis Ravescot, [1488], in-fo, f. 45 vo: colophon et marque typographique (illustration 4).
Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles. forme transitoire, mais que tout comme les manuscrits, ils ont survécu même après l'invention de l'imprimerie et qu'il existe parfois d'étroites relations entre le manuscrit et l'imprimé. En effet, il est frappant de voir à quel point les imprimés les plus anciens ressemblent à des manuscrits. Les premiers imprimeurs ont consciemment imité les manuscrits, leur lettres, leurs abréviations, leur mise en page; la rubrication et la décoration étaient faites à la main de la même façon dans les manuscrits et dans les imprimés. La rubrication fait, | |
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Werner Rolevinck. Fasciculus temporum. Louvain, Jean Veldener, 1475, in-fo, f. 72 vo: colophon et marque typographique au bas de la page. On a donné une mise en pages ingénieuse à cette chronique universelle d'un chartreux allemand (illustration 5).
Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles. | |
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pourrait-on dire, généralement partie intégrante des livres imprimés au quinzième siècle; sans doute était-elle souvent exécutée à l'imprimerie même et probablement sur les feuilles non pliées, c'est-à-dire avant que celles-ci ne fussent réunies en cahiers formant un livre. Les trois seuls exemplaires connus de Die seven getijden in duytsche, une édition in-16 imprimée à Anvers en 1495 par Govaert Bac, trouvés il y a cent ans exactement dans une reliure ancienne, montrent à quel point l'exécution de simples initiales rondes, de préférence rouges, parfois bleues ou d'une autre couleur, de crochets alinéaires et de traits marquant les capitales imprimées pouvait être un simple travail de routineGa naar eind(11). Le travail du rubricateur nous fournit parfois des informations précieuses pour la datation. Pour les livres non datés - songeons à la Bible à 42 lignes de Gutenberg et à la prototypographie néerlandaise - il peut donner un terminus ante quem. Trop peu de rubricateurs, hélas, ont pourvu leurs travaux d'une date.
Les lettrines et les décorations marginales en couleur dessinées à la plume ou peintes au pinceau sont exécutées moins systématiquement. Elles étaient généralement faites sur commande. En ce qui concerne l'illustration, les imprimeurs du quinzième siècle ont généralement fait appel à la gravure sur bois. En effet, depuis longtemps on s'était familiarisé avec l'impression xylographique. Celle-ci étant un procédé d'impression en relief, tout comme la typographie, l'impression du texte et des illustrations pouvait se faire sur la même presse. A la demande des acquéreurs, on colorait ensuite les gravures sur bois en vue de
Dialogus creaturarum. Gouda. Gérard Leeu, 1480, in-fo, f. 87 vo: fragment d'une page avec bois représentant une conversation entre le roi des animaux et le lièvre juriste. Ce recueil de fables a constitué l'un des livres à succès de Leeu (illustration 6).
Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles. leur donner l'aspect de miniatures. D'autres techniques d'illustration, ont été appliquées, plus rarement, comme le burin et la gravure sur métal en relief. L'édition française de Boccace de 1476 par Colard Mansion est l'un des rares incunables illustrés de burinsGa naar eind(12). Dans quelques livres des espaces blancs ont été réservés par l'imprimeur pour recevoir des miniatures. Pour ne prendre que des exemples de nos contrées, citons la traduction française de Boèce: De consolatione philosophiae, imprimée à Bruges en 1477 par Colard MansionGa naar eind(13) et l'édition latino-néerlandaise du même livre par Arend de Keysere, sortie de presse à Gand en 1485Ga naar eind(14). L'aspect de manuscrit de plusieurs imprimés de Mansion est accru par la ressemblance de son caractère typographique avec la lettre bâtarde bourguignonne qu'il employait comme calligraphe.
Peut-être faut-il voir également dans l'im- | |
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pression à deux couleurs, en rouge et or, une tentative de l'imprimeur de se rapprocher du manuscrit: les titres et les colophons étaient parfois écrits ou imprimés en rouge, soulignés de rouge au besoin. Déjà dans un ouvrage imprimé par Jean de Westphalie (vers 1440/1445-1502?) en 1474, nous voyons un long colophon en rougeGa naar eind(15). L'impression en rouge s'emploie d'ailleurs de plus en plus, et pas uniquement pour des raisons d'ordre esthétique, dans les livres liturgiques.
Le manuscrit et l'incunable ne doivent pas être étudiés séparément. A l'origine de la première édition imprimée se trouvait toujours un manuscrit contenant le texte à publier. On a conservé quelques rares manuscrits ayant servi de copie, c'est-à-dire de modèle pour le compositeurGa naar eind(16), notamment un manuscrit provenant de la chartreuse de Nieuwlicht, à proximité d'Utrecht, et un autre du couvent des réguliers de la même ville. Nicolas Ketelaer et Gérard de Leempt s'en sont servis pour l'impression de ces deux textesGa naar eind(17). Il peut paraître moins évident que des copistes aient employé des textes imprimés comme modèles. Certaines circonstances pourtant pouvaient pousser à copier un texte au lieu de l'imprimer, ou inviter à l'acquisition d'un manuscrit quand il en existait déjà une édition imprimée. Cela peut s'expliquer de plusieurs façons: on envisageait, par exemple, un nombre restreint d'exemplaires (dans ce cas on pouvait également recourir à l'impression xylographique)Ga naar eind(18). Ou bien il s'agissait de reproduire un texte grec; ce ne fut pas avant la dernière décennie du quinzième siècle qu'il y eut des ateliers typographiques spécialisés dans la
Tondalus visioen. Delft, Christian Snellaert, 1495, in-40, f. 24 vo: marque typographique à la licorne, reprise ultérieurement par Henri Eckert de Homberch (illustration 7). Copyright Bibliothèque royale Albert ler, Bruxelles.
composition du grec. Il était plus fréquent cependant que l'on envisageât une édition de luxe, c'est-à-dire un manuscrit somptueux, enluminé de miniatures et destiné à des collections de bibliophiles. Tel était le cas, par exemple, de l'abbé de Saint-Bavon à Gand, Raphaël de Mercatel (1437-1508) qui s'était composé une bibliothèque de manuscrits de choix et qui faisait copier des livres imprimés par des calligraphes pour les faire enluminer ensuite par un minaturisteGa naar eind(19).
Plusieurs bibliothèques de la fin du XVe | |
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Vocabulair pour aprendre Romain et flameng. Vocabulaer om te leerne Walsch ende vlaemsch. Anvers, Roland van den Dorpe, [entre 1496 et 1500], in-40, page de titre. Il paraissait beaucoup de glossaires de traduction et de glossaires explicatifs; en l'occurrence, il s'agit d'un simple manuel de langue au texte parfois purement énumératif, parfois présenté sous forme de dialogue. La gravure sur bois représente un copiste à son pupitre (illustration 8).
Copyright Bibliothèque Mazarine, Paris. siècle, telle celle de Louis de Gruuthuse (1420-1492) dont la majeure partie est actuellement conservée à la Bibliothèque nationale de Paris, comptaient également des manuscrits somptueux, tous chefsd'oeuvre de calligraphie et de miniatureGa naar eind(20). Cela prouve qu'à cette époque, l'imprimé n'a pas encore éliminé le manuscrit. Il y a des copistes qui se font imprimeurs (Colard Mansion, par exemple), comme il y a des imprimeurs qui redeviennent scribes (par exemple, les Frères de la vie commune à Bruxelles), ainsi que des relieurs qui exploitent un atelier typographique (Louis Ravescot, par exemple). Peut-être le meilleur exemple est-il fourni par les Frères de la vie commune, congrégation fondée à Deventer (province d'Overysel) par Geert Groote à la fin du quatorzième siècle, qui s'est répandue surtout dans les Anciens Pays-Bas et en Allemagne. Les Frères s'appliquaient particulièrement à l'enseignement et à la divulgation de textes religieux et dévots propageant non pas la scolastique sclérosée traditionelle, mais une nouvelle forme de dévotion appelée la devotio modernaGa naar eind(21). Leurs couvents étaient des centres actifs de fabrication de livres. La maison des Frères à Bruxelles, appelée Nazareth, a eu le mérite d'être la première à y créer un atelier typographique.
Nous ignorons pourquoi les Frères ont arrêté leurs presses après une dizaine d'années d'activité. Ce n'est pas le métier qui leur faisait défaut; peut-être manquaient-ils du sens commercial indispensable. Au quinzième siècle, tout comme de nos jours, fonder une imprimerie était une entreprise nécessitant une connaissance approfondie du métier, le sens des affaires et du mouvement de l'argentGa naar eind(22). A cette époque, la plupart des imprimeurs étaient également éditeurs et libraires. Le lieu d'implantation d'une imprimerie avait donc une certaine importance. Il est compréhensible, dès lors, que la ville universitaire de Louvain ait attiré les imprimeurs, parce que le besoin de livres s'y faisait sentir. Après un association de courte durée avec l'Alostois Thierry Martens, Jean de Westphalie s'y établit en 1474. Il se manifesta bientôt une cer- | |
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taine concurrence entre lui et son compatriote Jean Veldener de Würzburg, graveur de poinçons et imprimeur.
Des villes telles que Deventer et Anvers offraient d'autres débouchés. La maison d'édition de Richard Pafraet (1477) et ensuite celle de Jacob van Breda (1485) à Deventer étaient de grandes entreprises d'où sortaient des oeuvres théologiques, des textes d'humanistes ainsi que des livres scolairesGa naar eind(23). Il était normal que la métropole qu'était Anvers devînt rapidement un centre florissant d'imprimerie et d'édition bien que le premier imprimeur, Mathias van der Goes, ne s'y fût installé qu'en 1481. Après avoir imprimé un nombre considérable d'ouvrages en langue néerlandaise à Gouda, Gérard Leeu s'est établi à Anvers en 1484, où il travaillait pour un marché tant local qu'international en publiant des textes en langues latine et anglaise. Le choix de ses textes, la qualtié de ses gravures sur bois et le nombre considérable de ses éditions ont fait de Leeu le plus important parmi les imprimeurs d'incunables dans les Anciens Pays-Bas.
L'emploi de telle ou telle langue constitue évidemment un facteur déterminant des débouchés. Un pourcentage considérable des incunables qui nous restent est rédigé en latin, langue universelle. Les livres en langue vernaculaire étaient destinés à un public plus restreint. Dans ce contexte, il faut signaler l'Anglais William Caxton, premier imprimeur établi à Bruges, où il imprima le premier livre en anglais vers 1473-1474. Un peu plus tard, il édita la version originale française de l'oeuvre de Raoul Lefèvre: Recueil des histoires de Troyes, premier livre imprimé en langue françaiseGa naar eind(24). Alors qu'en France on imprimait déjà depuis 1470, le premier livre imprimé en langue française n'y est sorti qu'en 1476. Il s'agit de la Légende dorée de Jacques de Voragine, éditée à Lyon chez Guillaume LeroyGa naar eind(25). La même année, William Caxton s'établit à Westminster et devint ainsi le premier imprimeur d'Angleterre. Le premier grand livre en langue néerlandaise sorti de presse dans les Anciens Pays-Bas est l'édition in-folio en deux volumes de l'Ancien Testament, imprimée en janvier 1477 à Delft par Jacob Jacobszoon van der Meer et Mauricius YemantszoonGa naar eind(26).
Ne perdons pas de vue qu'une partie peut-être assez considérable des ouvrages imprimés dans le dernier quart du quinzième siècle ne nous est pas parvenue. N'oublions pas non plus que certaines catégories de textes, par exemple les livres scolaires, les calendriers, les pronostications (prédictions), les lettres d'indulgence, les tarifs monétaires, présentent un caractère éphémère, ce qui explique dans une large mesure la rareté des exemplaires parvenus jusqu'à nous. Exemple typique: les fragments d'une édition inconnue (ou d'un manuscrit) trouvés dans des reliures anciennes. Il est superflu de souligner l'importance de ces découvertes pour la bibliographie et l'histoire de l'imprimerie.
On compte une soixantaine d'ateliers typographiques au quinzième siècle répartis dans quatorze villes des Pays-Bas septentrionaux et dans neuf villes des Pays-Bas méridionauxGa naar eind(27). Un quart de ces ateliers sont anonymes; on les désigne par une appellation conventionelle: l'imprimeur du Saint Roch (d'après deux petits livres traitant de Saint Roch et de la lutte contre la peste), l'imprimeur | |
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Raoul Lefèvre. Recueil des histoires de Troyes. [Bruges, William Caxton, 1473-1474-1476], in-fo, f 2 ro: début du texte. Premier livre imprimé en langue française (illustration 9).
Copyright Bibliothèque nationale, Paris. de l'Oraison du Saint-Esprit (d'après un livre de dévotion portant ce titre), etc. Certaines tournures picardes dans ce dernier texte permettent de le situer dans le Nord de la France, mais il est également possible qu'il ait été imprimé par un imprimeur ambulantGa naar eind(28). Il y a, en effet, plusieurs imprimeurs plus ou moins importants, que nous ne connaissons pas de nom. Même parmi les grands, il y en avait de peu sédentaires, à commencer par Thierry Martens († 1534), imprimeur à Alost, à Anvers, à Louvain, à Anvers encore, à Louvain de nouveau et, cette fois, définitivement. Des recherches récentes ont permis d'établir que Martens a fait son apprentissage auprès de son compatriote Gérard de Lisa à Trévise, en Vénétie, d'où il a ramené la rotunda, caractère gothique tout nouveau dans nos régionsGa naar eind(29). Jean de Westphalie n'a donc été que son associé et non pas son maître, comme on l'avait penséGa naar eind(30). Thierry Martens deviendra le type de l'éditeur savant qui donnera l'édition princeps de plusieurs textes classiques ainsi que de textes d'humanistes, d'Erasme en tout premier lieu.
Situées dans une région où se perpétue l'âge d'or du manuscrit de luxe, Bruges, Audenarde et Gand occupent une place particulière. Arend de Keysere et plus encore Colard Mansion étaient orientés vers la culture bourguignonne. Mansion travaillait sans doute déjà vers le milieu du quinzième siècle à Bruges en tant que calligraphe. La plupart des vingt-quatre ouvrages imprimés par lui qui nous sont parvenus sont en français. Il entretenait des relations avec Louis de Gruuthuse, son ‘compère’, qui collectionnait surtout des manuscrits français. La profession antérieure de Mansion se reflète notamment dans l'utilisation de la bâtarde typiquement bourguignonne qu'il emploie également comme caractère d'imprimerie. D'une légère orientation française témoignent Jean-Brito, originaire de Pipriac (Bretagne), ‘maistre de la escripture’ à Tournai et imprimeur à Bruges vers 1474, ainsi que l'imprimeur du Flavius Josèphe, à qui l'on attribue l'édition en deux volumes de Valère Maxime, l'un des rares | |
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incunables pour les illustrations desquels on ait fait appel à un miniaturiste. Il faut encore mentionner Valenciennes et Liège. Toutes les deux ont dû se passer d'imprimerie pendant longtemps: Valenciennes jusqu'au dix-septième siècle, après que cinq ouvrgaes y eurent été imprimés vers 1500, et Liège jusqu'à la seconde moitié du seizième siècle après un seul livre imprimé vers 1500 également. On ne sait pas grand-chose de Jean de Liège, imprimeur à Valenciennes, ni de Corneille de Delft, qui imprima à Liège un opuscule d'humaniste de six feuillets. La découverte récente de cet imprimé liégeois non daté, dont le caractère semble être, mais plus usé, celui qu'employa Jean de Westphalie vers la fin de sa carrière, constitue un élément de plus pour l'histoire de l'imprimerie au quinzième siècle.
L'imprimerie du quinzième siècle se trouve à l'origine d'une évolution qui semble prendre irrévocablement fin à notre époque, la composition traditionnelle en plomb étant remplacée de plus en plus par la photocomposition. Le lecteur ne semble pas du tout se rendre compte de cette évolution. Il lit sans y voir de différence un livre réalisé au moyen d'une composition en plomb ou grâce à la photocomposition. De même, il était sans importance pour le lecteur du quinzième siècle qu'il lût un livre imprimé ou manuscrit. A cette époque-là comme de nos jours, seuls les bibliophiles attachaient parfois une plus grande importance à la forme qu'au contenu. De ce point de vue, l'invention de l'imprimerie ne peut pas être qualifiée de révolutionnaire. A l'occasion de l'année commémorative 1973, on a appelé Thierry Martens un homo informaticus. En effet, il a rendu les textes accessibles à tous, il a fourni de l'information. L'expression peut paraître assez moderne, mais cela ne tient qu'à la terminologie. Grâce à l'imprimerie, les idées tant anciennes que nouvelles ont pu pénétrer partout. Cela contribua grandement à changer le monde. | |
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Les photos proviennent des ateliers attachés aux bibliothèques qui conservent les documents originaux, à l'exception de la photo à la page 13, dont le cliché nous a été fourni par Giraudon, Paris.
Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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