admirables parmi les écrivains néerlandais dont beaucoup avaient l'abondance en horreur. Cela se rapporte sans aucun doute au caractère très introverti propre au peuple néerlandais. Il y a une façon spécifique d'utiliser les mots qui semble être l'apanage de Carmiggelt. Dans ses phrases, des mots provenant de différentes couches de l'histoire de la langue néerlandaise alternent et s'entremêlent. Il sait juxtaposer un terme moderne, amusant, et une expression ou un mot quelque peu solennel, suranné, livresque même. Il manie ces combinaisons de façon superbe. Leur effet est humoristique: les contraires se heurtent. Dans les monologues des gens simples précisément, l'utilisation de ces mots d'ordre différent est très efficace: on y décèle leurs tentatives de s'exprimer comme il faut, selon le bon usage, c'est-à-dire en empruntant certains éléments d'un langage plus ou moins officiel.
C'est en vertu de cette utilisation remarquable des mots, que le réalisme de Carmiggelt est tempéré. Les figures et les situations sont imprégnées d'une sorte de grise mélancolie. Cette sorte de prose est idéale pour les récits important une ‘intrigue intérieure’ où les sentiments, l'atmosphère, l'ambiance qui entourent le récit sont plus importants que le récit lui-même.
On peut dire qu'au long des années Carmiggelt s'est approché de la perfection en ce qui concerne son langage. Il s'est adapté à ce réalisme atténué et son langage a suivi cette évolution. Le premier recueil assez mince de Carmiggelt fut publié avant la seconde guerre mondiale. L'auteur était encore assez jeune à cette époque. En le lisant aujourd'hui, on ne peut nier qu'il possède déjà la langue de façon excellente, mais les récits sont assez gais, et dès lors assez superficiels. Plus que de véritables récits, ce sont des sketches humoristiques. Il avait le rire facile, non compliqué. Il y a quelques années, Carmiggelt a dit à ce sujet lors d'un entretien: ‘En relisant récemment quelques-uns de mes anciens récits, je me suis dit: comme l'auteur de ces récits a dû être un gai luron’.
Les récits ont évolué avec l'auteur. Comment pourrait-il en être autrement dans ce genre-là? Finalement, ils ont grisonné comme lui. L'humour perd son caractère enjoué, se fait plus mélangé. Le lecteur se trouve dans une position curieuse: il ne sait s'il doit pleurer ou rire. L'écriture humoristique semble être la seule façon d'affronter les choses sérieuses de la vie. Au début, l'humour était un but en luimême; maintenant il est devenu plutôt un moyen. Le langage change également, suit cette modification, ce grisonnement: il devient plus contemplatif, et des mots surannés viennent jouer le rôle auquel il a été fait allusion plus haut. Les personnages des récits changent également: le dernier recueil est peuplé de nombreuses vieilles personnes qui se tournent vers le passé avec beaucoup de nostalgie mais presque sans ressentiment.
Il est difficile d'évoquer brièvement la vision du monde qui est à la base des récits de Carmiggelt. En résumé, on pourrait dire ceci: le monde officiel est un monde de mise en ordre, de lois, de devoirs et de codes. Partout, nous sommes entourés de murs contre lesquels nous ne pouvons rien. Nous nous épuisons dans les tentatives que nous faisons pour les abattre. Les récits de Carmiggelt illustrent