Septentrion. Jaargang 2
(1973)– [tijdschrift] Septentrion– Auteursrechtelijk beschermd
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R. d'Haese: Call me Bonnie Prince (1969, hauteur 23 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
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roël d'haese: ‘la sculpture, je m'en fous’hedwig speliersNé en 1935 à Dixmude sur l'Yser (en Flandre Occidentale). Professeur à Nieuport. A publié des recueils de poèmes Een bruggenhoofd (1963 - Une tête de pont), De astronaut (1969 - L'astronaute), Horribile dictu (1972), Ten Zuiden van (1973 - Au sud de). Polémiste, écrit de nombreux articles pamphlétaires dans des revues littéraires d'avant-garde. Dans ce domaine, publie Wij, galspuwers (1965 - Déchargeons notre bile), les essais Omtrent Streuvels (1965 - Au sujet de Streuvels) et Afscheid van Streuvels (1971 - Adieu à Streuvels) dans lesquels il se désolidarise des festivités organisées à l'occasion du centième anniversaire de la naissance du romancier Stijn Streuvels, Die verrekte gelijkhebber (1973 - Celui qui a toujours raison). Collabore à plusieurs revues néerlandaises et flamandes ainsi qu'à la radio et à la télévision. Il est difficile de situer Roël d'Haese dans l'histoire de la sculpture européenne du vingtième siècle. Après avoir subi différentes influences durant une période qui a peu duré, ce sculpteur flamand exerce lui-même une grande influence depuis plus de vingt ans, notamment par son individualisme implacable et par l'expression d'une forme qui va à l'encontre de la mode.
Elevé dans une grande famille bourgeoise et, dans l'esprit de son père, destiné à une carrière universitaire, Roël d'Haese s'est soustrait assez tôt à ces liens et espoirs familiaux. Dès l'âge de neuf ans, il ne rêve que de devenir sculpteur. Son époque d'apprentissage comprend plusieurs étapes: la forge au début, l'atelier d'un sculpteur sur bois qui faisait des statues de saints, l'Académie de la ville d'Alost et, depuis 1938, les ateliers de l'Institut supérieur de l'Abbaye de la Cambre à Bruxelles. Mais il ne s'entend pas très bien avec son professeur et part à la recherche de sa propre voie. Avant l'exposition qui le met au premier plan au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles en 1958 - il y présente un ensemble sculptural homogène de grandes dimensions qui remplit plusieurs salles -, il s'est déjà passé beaucoup de choses. Il n'existe presque aucun article sur ce prélude qui constitue cependant la naissance d'un authentique sculpteur.
Quelques sculptures de cette époque d'apprentissage diffèrent totalement de ce qui naîtra vers 1955. Elles témoignent d'une influence manifeste de Brancusi. Ce sont des formes assez grandes. à l'aspect monumental, ressemblant à des mammifères, le plus souvent en marbre. Que Brancusi ait été pendant une brève | ||||||||||||||||||||||
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R. d'Haese: The Song of Evil (1964, bronze, hauteur 2,80 m, largeur 2,70 m, photo Galerie Claude Bernard, 5-7, rue des Beaux-Arts, Paris Vle).
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période le maître à penser de Roël d'Haese, cela ne peut s'expliquer que parce que ce Français d'origine roumaine n'a jamais travaillé ni pensé de façon non figurative, bien qu'il ait été l'un des grands maîtres de l'art abstrait. Le double aspect de ces sculptures de marbre est surprenant: l'impression globale fait penser à une oeuvre abstraite, mais en y regardant de plus près, on constate que dans la ligne sculpturale ou dans un détail élaboré l'oeuvre comporte des traces manifestemant animales et qu'elle demande une interprétation figurative. Le maintien de l'aspect figuratif: voilà d'emblée une caractéristique qui persistera. Il est certain que le travail de longue durée, qui était une exigence brancusienne, a fort passionné le sculpteur flamand. Mais le sérieux artistique et artisanal de Brancusi a été un support spirituel plus encore que matériel. Vers les années cinquante, ces influences se sont effacées, notamment dans Le lézard (1954) et Le guerrier (1954). Des formes d'insectes, des formes animales et des formes guerrières cherchent dans une construction en fer forgé une solution qui devient en même temps un prélude à l'image sculpturale de l'univers propre à Roël d'Haese. A côté du sérieux et de l'obsession, la terreur de la seconde guerre mondiale a contribué à déterminer l'oeuvre de Roël d'Haese tant du point de vue de la forme que du contenu. Il existe même un parallèlisme entre le mouvement dada et le mouvement surréaliste du début de la première moitié du siècle d'une part, et la guerre et l'oeuvre de Roël d'Haese d'autre part, oeuvre que caractériseront toujours quelques éléments surréalistes. En effet, de même que le surréalisme devait combler à l'aideR. d'Haese: Diderot (1965, pièce unique, bronze, hauteur 156 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
surtout d'impulsions irrationnelles et intuitives, le vide et la destruction créés par le mouvement dada, de même le vide créé par la destruction et la négation de l'homme d'après la seconde guerre mondiale trouvera dans l'oeuvre de Roël d'Haese une réponse dans des topiques réalistes. Ainsi il se fera l'interprète individuel de son époque. L'atavisme et le primitivisme, mélangées avec un surréalisme humain - | ||||||||||||||||||||||
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R. d'Haese: L'aviateur (1966-67, pièce unique, bronze, 250 cm × 80 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
le monde incontrôlable des impulsions, la vie des passions, le monde des rêves, sans oublier la cruauté de l'homme et la conscience animale de la race humaine - constituent les thèmes qui serviront de base à ses sculptures et, plus tard, à ses dessins également. La fin de 1958 marque un point important dans la vie et l'oeuvre de Roël d'Haese aussi bien que dans l'histoire de la sculpture européenne. Des années avant que le Pop-art ne laisse des traces définitives sur notre continent, Roël d'Haese en arrive à une reconstruction d'éléments hétérogènes. Les objets les plus disparates R. d'Haese: L'aviateur (1966-67, détail, pièce unique, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
ont une fonction purement sculpturale à l'intérieur de l'oeuvre sculptée. Grâce à la technique de la cire perdue ils tendent vers une unité nouvelle. Dès 1958, toute sculpture devient une sculpture de Roël d'Haese, avec cette indéniable empreinte de l'humour et de la cruauté, de l'humanité animale. L'Europe idéologiquement et moralement éclatée après la seconde guerre mondiale trouve une forme d'expression propre à l'intérieur de la personnalité de notre sculpteur: celle de la résistance individuelle. Comme, il le fait sentir dans les collages, ses objets et ses constructions d'avant la guerre de 1914-1918, | ||||||||||||||||||||||
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Marcel Duchamp pressentait l'effritement de son époque, de même Roël d'Haese exprime très fort, à travers un monde de formes intuitivement composé, le sentiment de ce que sera la lutte de l'homme futur: ce sera la résistance contre l'influence des masses et contre l'emprise toujours croissante et toujours plus profonde de la technologie sur l'homme. Vers la fin des années cinquante, nous voyons aussi comment se détermine sa matière et la technique qui s'y rapporte. Il aura toujours une prédilection pour les métaux (le fer, le cuivre, le bronze, l'or et l'argent) et la sculpture sera composée à partir des détails. Ainsi se forme l'image d'ensemble par et à travers le morcellement. Le plus souvent, Roël d'Haese rejette l'ébauche et l'étude préparatoire. Toute sculpture devient un événement spontané, une aventure, une expérience. Ce procédé analytique conduit à un monde de formes baroques. Il pourrait en être autrement, car cette ‘sculpture ouverte’ rend possible aussi bien la simplification que la complication. A l'exception d'une brève période au début des années soixante, avec notamment Chanson triste (1963) et Après la colère (1963), période durant laquelle il fait une série impressionnante de sculptures en bois, le procédé de la cire perdue devient une valeur constante dès 1957, et cela est vrai encore aujourd'hui. L'artiste n'est nullement gêné par la matière facilement maniable de la cire que, le plus souvent, il a fabriquée lui-même. Au contraire, cette matière pétrissable permet de suivre et de fiscer très facilement des idées qui peuvent soudain se modifier. Tantôt le sculpteur peut la dominer; tantôt il sera subjugué par les formes et les structures qui se présentent. Ce procédé deviendra sonR. d'Haese: Le footballeur (1966, bronze, pièce unique, 100 cm × 40 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
procédé caractéristique, dialectique, et il le restera: une interaction entre le créateur et le matériel, entre les formes existantes et les formes naissantes.
A l'exposition qui eut lieu au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles et laissa une grande impression succéda une période de transition au cours de laquelle la figuration implicitement présente devait trouver petit à petit une expression explicite. Jacques Meuris, auteur d'une monographie qui traite surtout des oeuvres situées entre 1956 et 1963, a parlé d'une ‘nouvelle cosmographie végétale, minérale, entomologique’. Jan Walravens, romancier et | ||||||||||||||||||||||
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R. d'Haese: Le Christ de Grammont (1968, bronze, pièce unique, hauteur 140 cm, photo Galerie Claude Bernard).
essayiste, disciple de la philosophie existentialiste de Sartre dans la littérature néerlandaise, parlait de petits monstres, d'armes inconnues, de végétation. Avec le recul nécessaire, nous voyons maintenant que la réunion d'éléments hétérogènes et créés par lui-même dans la synthèse d'une sculpture de bronze est le produit d'une nouvelle conception de la vie plutôt que d'une conception déjà existante de la vie. Longtemps avant de faire la connaissance de l'Autrichien Konrad Lorenz, psychologue des animaux et fondateur de l'éthologie (théorie des comportements sociaux de l'animal et de l'homme), R. d'Haese: Détail Le Christ de Grammont (1968, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
Roël d'Haese crée The Song of Evil (Le Chant du Mal). Cette statue équestre plus grande que nature inaugure une nouvelle période. Exposée à Paris et à Pittsburgh, elle a trouvé au Musée Royal des Beaux-Arts d'Anvers la place qui lui était destinée. Une statue équestre effectivement, comme il y en aura encore beaucoup par la suite dans l'oeuvre de Roël d'Haese. Cette oeuvre achevée en 1964 représente pour la première fois la relation entre l'animal et l'homme dans une expression explicitement figurative. Dorénavant l'animal et l'homme, et l'échange qui a lieu | ||||||||||||||||||||||
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entre eux, se mettront définitivement au premier plan dans l'expression des aspects animaux et humains.
L'homme d'après la guerre est à la recherche d'une signification plus générale et plus profonde de son comportement. Les grands génocides de l'histoire moderne - le génocide des Indiens (les Indiens fascinent notre sculpteur), le génocide de plusieurs millions de Juifs et le génocide vietnamien - constituent des jalons pour la conscience de cet homme. La connaissance de l'agressivité humaine, le rôle qu'elle joue dans la continuation de la race humaine ainsi que la possibilité de la sublimer au moyen de rites trouveront un écho partiel dans l'oeuvre sculpturale de Roël d'Haese. Dans The Song of Evil les relations entre l'élément animal et l'élément humain sont exprimées de façon toute différente de celle des statues équestres de Marino Marini. Celles-ci sont en quelque sorte à l'image de l'histoire passée de l'Europe combien de fois l'homme (le cavalier) n'est-il pas représenté tombant de son cheval (l'Europe)! Chez Roël d'Haese, en revanche, surgiront toujours des parallèles biologiques: l'angoisse animale deviendra angoisse humaine, les mouvements humains se continueront dans des gestes animaux. Certains estimeront trop subtile cette interprétation des oeuvres d'après 1964. Il est certain, de toute façon, qu'une période toujours plus manifestement figurative est inaugurée et que le sculpteur se soucie de moins en moins des tendances sculpturales en vogue. Imperturbable, il continue sur sa lançee. Bien que le surréalisme domine, il préfigure le nouvel art figuratif qui deviendra une nouvelle mode en Europe et aux Etats-Unis. Une R. d'Haese: Détail La Madelon (1968, bronze, pièce unique, hauteur 196 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
R. d'Haese: L'autoportrait de Rembrandt (1970, pièce unique, hauteur 19 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
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importante exposition à la Galerie Claude Bernard à Paris le confirmera une fois de plus. Cette exposition présente un aperçu des sculptures et des dessins faits entre 1965 et 1969. Roël d'Haese lui donnera comme devise: ‘La sculpture, je m'en fous’. Cette parole de 1968 est plus qu'un simple bon mot d'un artiste qui en a assez de tout le brocantage du monde du commerce de l'art et qui désire seulement travailler, travailler et travailler encore. En fait, c'est l'expression concrète d'une conception de la vie et l'annonce d'une période nouvelle dans son oeuvre. Ceux qui croyaient qu'après ses succès des années soixante - succès qui lui ont ouvert les portes de l'Allemagne, des Pays-Bas et surtout de la France -, Roël d'Haese se fixerait sur ses sculptures et imaginations monstrueuses, végétatives et martiales se sont trompés. Après The Song of Evil, dès 1964, et jusqu'aujourd'hui, sa sculpture deviendra de plus en plus l'image de quelque chose. D'une sculpture fermée, il évoluera lentement vers une sculpture ouverte, sans livrer le secret du mystère qui se prétera toujours à des interprétations diverses. Roël d'Haese est un de ces rares artistes qui vivent l'actualité avec un esprit inquiet. Chaque semaine il parcourt L'Express, Time, Life, Le Nouvel Observateur, des revues et publications célèbres ou moins connues. Il nourrit un intérêt constant pour le monde des animaux et des plantes; il est membre d'une association d'ornithologie. Son étude du vol des oiseaux, son intérêt pour la construction de leurs ailes, l'observation des feuilles d'arbre le mèneront à de nouvelles expériences. Il est fasciné par le problème du volume qui refuse de devenir une masse et il cherchera des solutions en ciselant l'argent. R. d'Haese: En chapeau fleuri (1969, hauteur 30 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
L'actualité qui le passionne peut être celle d'aujourd'hui aussi bien que celle d'il y a plusieurs centaines d'années. Un de ses soucis constants est celui de se nourrir des événements du monde et de la tension entre la réalité et l'imagination livresque. C'est pourquoi il aime beaucoup le Russe Alexandre Soljenitsyne. Il y a d'ailleurs une certaine similitude entre l'oeuvre du romancier russe et celle du sculpteur flamand: leur façon de travailler par procédé analytique. Une image complète, qui devient en même temps une image du temps se dégage lentement | ||||||||||||||||||||||
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R. d'Haese: Statuette Empire (1969, hauteur 20,5 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
d'une multitude de détails. On aboutit à une synthèse. C'est ainsi que la trilogie The Lord of the Rings (Le Seigneur des anneaux) du conteur moderne J.R.R. Tolkien a été son livre de chevet pendant toute une période. Le nombre illimité de détails à l'aide desquels cet auteur et professeur anglais construit une nouvelle cosmogonie avec une imagination sans cesse renouvelée, de façon enfantine, mythique et naïve, s'apparente à la méthode de Roël d'Haese. La nature, l'histoire et la mythologie passionnent le sculpteur. Diderot (1965), Ulysse (1965), Goethe (1967); la figure de Jésus, Napoléon, toutes ces oeuvres renvoient à l'expression de la forme strictement personnelle et aux interprétations primitives de l'histoire de Roël d'Haese.
Que personne ne s'étonne qu'un psychiatre ait écrit l'introduction au catalogue de la grande exposition qui a eu lieu à Paris en 1970. Dans l'oeuvre de Roël d'Haese retentit toujours le cri de révolte, révolte mêlée à l'admiration, contre la figure du père, contre toute autorité. La souffrance de l'homme se trouve exprimée dans ses nombreuses figures du Christ dans lesquelles se mêlent des aspects religieux et humains. J'aime citer dès lors l'interprétation psychanalytiques qu'en a donnée Marc Jaskold Gabsrewicz. Ces citations évoquent en même temps, en raccourci, les idées de la période des grands bronzes de 1964 à 1969: ‘Echec du Fils et impuissanse dérisoire de son agir. A Lumuba - fils révolté et élu d'une Colonie, puis père assassiné d'une Patrie. L'enfant prodigue - avec son air dépité, il avait cru qu'il arriverait quelque part sans son papa. Le lieutenant - (du Musée de Bruxelles) écrasé par le Général-Père-du-Régiment. L'aviateur - dominé par un bébé-vieillard, et équipé d'un ridicule pied pseudo-fétiche. Le Christ de Grammont - dérision de l'Ecce Homo et loufoquerie de ce projet de rédemption du péché contre le Père. The Song of Evil - (du Musée d'Anvers) puissance illusoire du cheval si le cavalier est déjà refendu en son bas-ventre. Echec du Fils et impuissance dérisoire de son désir. A La Madelon - dont le soldat ne peut at- | ||||||||||||||||||||||
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tendre, à midi, qu'un peu de soupe “riche” et de tendresse maternelle avant le massacre de l'après-midi.’ Jusqu'ici, nous n'avons encore rien dit R. d'Haese: Easy Rider (1969, hauteur 23 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
au sujet de l'aspect formel des sculptures, ni des sculptures en tant que réalisations techniques. La caractéristique essentielle du modelé chez Roël d'Haese se trouve dans la négation de la sculpture. Une maîtrise de plus en plus sûre du procédé de la cire perdue se trouve à la base de la forme donnée au mythique, au primitif, au courant du subconscient et à l'histoire.
Fin 1971, Roël d'Haese orchestra une nouvelle explosion. Ses quarante-neuf minisculptures furent accueillies soit par des cris d'admiration soit par le mépris, l'attitude intermédiaire semblant exclue. Cet ensemble homogène, créé entre 1969 et 1971, est composé de statuettes strictement figuratives et visiblement conçues pour ce métal souple qu'est l'or. La statue équestre, le personnage historique, la représentation du Christ, des interprétations personnelles de certains artistes (James Ensor, Rembrandt), des représentations en forme de phallus, tout un monde imaginaire provocant et inépuisable s'impose ici dans une interaction continue de raffinement technique, et de force de gravité. Beaucoup de ces statuettes montrent un glissement vers l'accentuation des zones érogènes. A travers ce procès de sexualisation dont de nombreuses sculptures miniatures sont l'expression, j'ai cru pouvoir découvrir dans un essai détaillé une relation entres ces oeuvres nouvelles de Roël d'Haese et les conceptions exprimées par Herbert Marcuse dans Eros et Culture: la sexualité en tant que facteur délivrant dans le contexte de la ‘contre-culture’.
Il est évident qu'avec ces nouvelles statuettes, Roël d'Haese rejoint les courants philosophiques les plus récents du vingtième siècle, car toute son oeuvre est placée sous le signe de la conscience irrationnelle et intuitive comme protestatation contre le néo-positivisme et la | ||||||||||||||||||||||
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technologie. L'intuition, le primitif et l'irrationnel, voilà autant de mouvements d'émancipation presque animaux contre la dictature technologique. Toute sculpture de Roël d'Haese, et surtout l'ensemble de 1969-1971, est toujours le signal d'une révolte, l'affirmation du ‘moi’ individuel. En dépit du paradoxe - car je ne connais guère d'artistes aussi obsédés par l'aspect technique -, ‘La sculpture, je m'en fous’ est plus qu'une devise ou un bon mot. C'est un programme de vie. Ses sculptures doivent toujours être considérées dans le cadre du ‘grand refus’; elles illustrent très bien la phrase de Th.W. Adorno: ‘L'art ne continue à exister que là où il se supprime lui-même, où il sauvegarde sa substance en niant sa forme traditionnelle et par là la réconciliation, où il devient surréaliste et atone’.
C'est pourquoi Roël d'Haese refuse de se copier lui-même, refuse que l'on fasse plusieurs reproductions de ses sculptures. Il élabore constamment de nouvelles techniques: là ciselure de l'argent et le modelage de la plasticine sont parmi les plus récentes. Il accepte le grand défi de la matière. Des inhibitions et des résistances le contraignent à vivre avec ses sculptures; de s'y abîmer et de maintenir l'impression que même si dans les milieux spécialisés il est considéré comme l'un des plus grands, il n'est pas quelqu'un, mais il devient continuellement quelqu'un. Il a à peine été question ici des dessins de Roël d'Haese. Le pur dessin à la mine de plomb l'attire, car il est impossible de tricher. Quant aux thèmes et à la technique, l'évolution suivie rejoint celle des sculptures. Peu à peu, et sûrement depuis 1960, une figuration très personnelle se profile dans la masse amorphe de lignes à peine reconnaissables. Depuis des dizaines d'années il est en extase devant les maîtres du Moyen Age. On voit le résultat de ces expériences dans ses dessins R. d'Haese: Cavalier du Soleil (1970, hauteur 25 cm, photo Galerie Claude Bernard, Paris).
les plus récents: une perle ou une larme, par exemple, deviennent une quasi-réalité à l'intérieur du cercle magique de l'illusion d'optique. Tout comme dans la plupart des sculptures, la limite de | ||||||||||||||||||||||
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l'unique est atteinte aussi dans ses dessins. Quelque maniaque que ce soit, il s'agit de la fraction d'une seconde où la pointe du crayon laisse des traces grises, noires ou blanchâtres. Rien que du point de vue technique, ses dessins nécessitent une étude à part. ‘Personne ne peut l'expliquer de façon suffisante. Personne ne peut expliquer ce qui est unique. On peut décrire, honorer, adorer quelque chose.’ Ces phrases que je lisais dans le merveilleux récit de voyage Le colosse de Maroussi d'Henry Miller sont valables pour ses dessins comme pour ses sculptures. Chez Roël d'Haese également, les limites de la critique sont déplacées jusqu'au point où on accepte ou rejetteGa naar eind(1). | ||||||||||||||||||||||
Bibliographie:Essais, introductions et monographies.
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Note biographique.Roël d'Haese (avril 1972).
Roël d'Haese est né à Grammont, le 26 octobre 1921. En 1932, il suit des leçons de dessin et de modelage à l'Académie des Beaux-Arts d'Alost. En 1935, il fait son apprentissage chez un forgeron, puis chez un sculpteur sur bois qui fait des sculptures religieuses. De 1938 à 1942, il travaille à l'Institut supérieur de la Cambre à Bruxelles et s'y approprie la technique de la pierre et du modelage dans l'atelier d'Oscar Jespers. En 1943, il s'établit à Rhode-Saint-Genèse, où il modèle et travaille le pierre. En 1953, il obtient le Prix de la Jeune sculpture belge. Cette année-là, il travaille | ||||||||||||||||||||||
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également sur le fer forgé. Il fait en 1954 des essais avec bronze et sable! En 1957, il applique le procédé de la cire perdue pour couler du bronze. En 1959, il obtient le Prix de la critique belge pour sa grande exposition au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. En 1959, il pratique la technique de l'assemblage à l'argon sur le bronze. En 1964, il habite Nieuport-sur-Mer, d'abord sur la digue, ensuite, à partir de 1969, dans la maison de Peter Callebout, un ami architecte décédé depuis, située dans les dunes. En 1968, il fait tout un séjour dans les Landes pour y dessiner.
En 1972, en guise de protestation contre la politique de l'apartheid, il oppose son veto à l'achat de ses sculptures par un musée de l'Afrique du sud. En 1971, il a contribué également à l'organisation d'une action de protestation à Ostende en faveur du maintien de la maison d'Ensor.
Il est attaché à la Galerie Claude Bernard où il a tenu des expositions individuelles en 1961, 1962, 1963, 1968 et en 1970. Il a participé également à de nombreuses expositions internationales, notamment en 1957 au Musée Communal d'Amsterdam, aux Biennales du Middelheim à Anvers, en 1953 et 1958 au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, en 1956 au Deutscher Künstlerbund à Düsseldorf, au Forum à Gand en 1963, à Documenta Il en 1959 à Kassel, à la IVe Mostra Internazionale de Lugano en 1956, à l'Arte Triveneta à Padoue en 1959, au Salon de mai de Paris en 1959, 1960, 1963 et 1967, au Carnegie Institute de Pittsburgh en 1961, 1964 et 1967, à la Biennale de Tokio en 1965, à la Biennale de Venise en 1958, à Vienne, etc. En 1965, il a exposé avec César et Tinguely au Musée des Arts décoratifs de Paris. Fin 1971, il a exposé sa collection de minisculptures en or dans Lens Fine Art à Anvers. La Galerie Claude Bernard vient de publier en 1972 un livre d'art consacré à ces quarante-neuf petites sculptures qu'accompagnent des poèmes d'Hugo Claus et de Chris Yperman. Traduit du néerlandais par Willy Devos. |
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