Queeste. Tijdschrift over middeleeuwse letterkunde in de Nederlanden. Jaargang 1996
(1996)– [tijdschrift] Queeste– Auteursrechtelijk beschermd
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[Nummer 1]Bruges, Brendan et Baudouin de Sebourc
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et Bauduoin quittent le pauvre Judas à l'arrivée des diables qui viennent chercher Judas pour le ramener à l'enfer. Les diables s'attaquent alors aux deux amis en leur lançant des torches enflammées, pour essayer d'incendier leur navire. Grâce à la protection d'un ange ils réussissent à se sauver. Polibant, impressionné par tout ce qu'il a vu et surtout par la sauvegarde miraculeuse du feu, demande d'être baptisé et fait savoir vouloir porter désormais le nom de baptême de Brandon. Nous apprenons ensuite comment Brandon, après son débarquement à Portemue, devient sénéchal au service du roi de Norvège. Mais bientôt après il aspire à une autre vie: Dont se parti Brandons et .j. povre abit prent,
si se prist a garder les vaches bonnement
et [s']aprendoit ches heures et a lire ensement: (v. 14814-14816)
(...)
car puis devient il mones, si com j'oïs conter.
Diex li aprist si bien a lire et a chanter
que puissedi fu albes, saintement vol regner. (v. 14836-14838)
Vers la fin de cette histoire remarquable - le premier voyage de Baudouin en orient - le poète en révèle la source à son public:Ga naar voetnoot4 Seignour, il se dist voir; legier est a prouver:
encoir poet on a Bruges saint Brandon voir trouver;
ou moustier Saint Amant le fait on aourer,
et sa vie tesmongne, qui point n'en doit fausser,
qu'avoec Bauduïn fu en palagre de mer,
en Paradis terrestre et a Judas parler
et fu si prés d'enfer, che est chertain et cleir,
que de brandons le virent li dëable geter,
et pour che li poet on saint Brandon appeler:
mones fu d'une albie et albés volt finer,
ensi com vous orrés ou livre raconter. (v. 14634-14644)
Ce passage-ci n'est pas le seul à renvoyer à Bruges et un ‘moutier’ de Saint-Amand. On trouve la première mention de cette ville flamande et de la librairie qui aurait fourni la matière du roman aux vers 4024-4042. Le poète insère cette référence là où il raconte comment Eustache de Boulogne, fils d'Ide et parent de Baudouin de Sebourc, échoue dans sa tentative de remporter une fiole remplie du Saint-Sang de Jérusalem à Boulogne - expédition qui sera plus loin (v. 16521-22601) menée à bonne fin par Baudouin, le héros du roman, lors de son deuxième voyage en Orient.Ga naar voetnoot5 | |
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Bauduïns de Sebourc a le chiere hardie,
qui depuis mist le sanc en plus d'une partie.
A Boulogne en i ot, si com l'istoire crie,
s'en fu li sans a Bruges et a Fescamp l'abbie.
Ceste canchon, signour, doit bien estre prisie,
car translatee fu en divine clergie
du latin en romans, nel tenez a folie,
a Saint Amant a Brugez. En la liberarie
en sont li fait escript [et] proprement la vie
du bon roy Bauduïn de Sebourc le jolie,
si est de saint Brandon le matere furnie,
qui fu si prés d'enfer a nef et a galie
que dëable d'enfer issirent par maistrie,
getans brandons de feu pour lui faire hasquie,
et parla a Judas sus le piere naïe.
Bauduïns de Sebourc fu en sa compaignie,
qui conquist saint Brandon en terre paienie:
Polibans ot a nom, Falise ot en baillie. (v. 4023-4040)
Labande, dans son Etude sur Baudouin de Sebourc, ne sait pas trop bien comment apprécier ces références curieuses et il incline à en estimer la valeur historique ou véridique nulle: Un détail étrange retient l'attention. Le poète, qui connaît si bien la Flandre et le Hainaut, parle avec une insistance étonnante d'une abbaye flamande qui n'a jamais existé. A plusieurs reprises il est question dans B.S. de la ville de Bruges, où sont vénérées quelques gouttes du saint Sang, et plus précisement d'un moutier de cette cité (abbaye ou paroisse?) dont la bibliothèque aurait fourni à l'auteur - suivant la fiction commune à tous les faiseurs de chansons, soucieux de donner à leur public des preuves de leur véracité - la matière latine du poème. (...) il y a lieu de s'étonner qu'il ait parlé avec cette précision d'un sanctuaire inconnu. Il n'y a aucune mention d'un Saint Amand de Bruges dans les catalogues d'églises ou d'abbayes belges: un assez grand nombre d'abbayes existaient au début du XIVe siècle placées sous le vocable de saint Amand, aucun à Bruges. A dire vrai, le culte de saint Amand, apôtre de la Flandre, était très répandu au diocèse de Bruges. La fête de ce saint y est encore célébrée dans le rite double-majeur; de nos jours, dix-huit paroisses du diocèse l'ont pour patron, mais aucune dans la ville de Bruges. On ne sait s'il faut accuser l'auteur de B.S. d'ignorance ou de mystification.Ga naar voetnoot6 Depuis, les romanistes qui ont étudié le roman ont passé ce problème sous silence. Seul Claassens est revenu sur la question. Il n'est pas étonnant que ce soit justement un médio-néerlandiste que ce renvoi à une source flamande ait intéressé, d'autant plus que la version en moyen-néerlandais, Boudewijn van Seborch, semble avoir été écrite peu de temps après le poème français, et ceci dans un dialecte flamand. Le jugement de Claassens diffère à peine de celui de Labande: avec ses références entièrement fictives à un contexte brugeois, le poète du Baudouin de Sebourc aurait simplement joué sur des conventions littéraires bien connues de la tradition des chansons de croisade, et l'auteur n'aurait eu aucune intention de | |
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convaincre son public de l'historicité de son récit.Ga naar voetnoot7 Il est d'ailleurs intéressant de devoir constater que Claassens ne repousse pas avec une même rigueur des passages comparables dans d'autres romans de croisade, tel que les mentions de l'abbaye de Saint-Trond et de la ville de Nimègue dans les ‘épopées intermédiaires’. Dans ces cas-ci il estime que les mentions pourraient bien renvoyer à un contexte historique brabançon, dans lequel le texte aurait fonctionné.Ga naar voetnoot8
Pourquoi l'auteur du Baudouin de Sebourc avance-t-il avec une pareille insistance sa mystérieuse source brugeoise? Il revient non moins de cinq fois sur Bruges et ce ‘moutier’ de Saint-Amand. Ces renvois semblent avoir été insérés à des endroits bien précis, ce qui me paraît exclure l'idée qu'ils soient de nature purement conventionnelle et gratuite, sans fonction quelconque. Ceci ne veut pas dire, bien sûr, qu'il ne puisse s'agir d'une invention ou mystification de la part de l'auteur. Où et comment est-ce que le poète a inséré ses références à Bruges? Deux fois la ville flamande est mentionnée dans le cadre des aventures autour de la translation du Saint-Sang. D'abord aux vers 4024-4041: le poète y annonce que ce sera Baudouin au lieu d'Eustache de Boulogne qui emportera le Saint-Sang à Bruges, tout en soulignant déjà - bien avant le départ pour le premier voyage en orient - la part active que prendra Baudouin à la conversion du futur saint Brandon.Ga naar voetnoot9 Beaucoup plus loin ce fil du ŕécit est repris. Ce sera pendant son deuxième voyage en orient que Baudouin saura récupérer la fiole précieuse comportant le Saint-Sang: Bauduïns de Sebourc est ou chaval montés;
par dedens le malette fu li forgiés toursés,
la ou li Sans estoit, qui doit estre löés,
car che fuit le sains Sans qui nous a raquatés:
a Fescamp et a Bruges fu decha raportés,
ensi qu'en la chanson ichi aprés orrés. (v. 17224-17229)
Cette aventure s'achèvera sept ans plus tard, lorsque Baudouin apprend du comte de Flandre la vérité sur son identité et rentre en Europe en emportant le Saint-Sang (jusqu'au v. 22601). Les trois autres références à Bruges se trouvent rattachées à la longue suite d'aventures de Baudouin et Polibant. Après le débarquement de Baudouin à | |
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Falise, c'est-à-dire au début de son premier voyage en orient, le poète annonce brièvement les événements à venir: Bauduïns de Sebourc, le prex et li senés,
aprocha chelle ville dont vous oï avés,
dont Polibans estoit li droit sires clamés,
qui est en Paradis saint Brandons apellés,
car par Bauduïn fuit baptisiés et levés,
et puis vit il d'enfer si avant les dampnés
qu'i parla a Judas, qui tant fut deffaés,
qu'i vendi Jhesu Crist, don puis fuit desperés,
et des brandons d'enfer fu des deables getés
que prés que ches vassiaus ne fuit tout embrassés,
et pour ichés brandons fu il Brandons clamés.
Sains est en Paradis; se vous ne m'en creés,
a Saint Amant a Bruges sa vie trouverés,
comment li Sans de Bruges i fu la aportés
par le bon Bauduïns, qui puis fuit couronés
de la sainte chité ou Diex fu coronnés. (v. 10043-10058)
Ensuite, entre les digressions sur l'arbre sec et la toile de sainte VéroniqueGa naar voetnoot10, le poète a inséré les vers suivants: Plainté vit Bauduïns ou lieu terrestre droit,
aussi fist Pollibans, qui aveuc lui estoit,
qui puis fu sains Brandons apellés de son droit:
a Saint Amant a Bruges illoec on trouveroit
cheste matere chi, qui veioir l'i vauroit. (v. 14393-14397)
Après la rencontre des deux amis avec Judas et l'attaque par les diables jetant des brandons sur leur navire, le poète explique encore une fois comment Polibant a adopté son nom de baptême Brandon (voir ci-devant, v. 14634-14644).
Pour la ville de Bruges, le héros du roman avait donc - toujours selon le poète - deux mérites particuliers, résultants de ses deux voyages respectifs en Orient: la translation du Saint-Sang à leur ville et la conversion de Polibant, connu et vénéré à Bruges sous le nom de saint Brandon. Il n'est pas diflficile à imaginer que d'une telle perspective brugeoise on hésiterait à qualifier les aventures de Baudouin en orient d'intrusion au sujet central du poème.Ga naar voetnoot11 Et ceci une fois de plus, quand on | |
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sait qu'au 14e siècle les habitants de Bruges ont effectivement vénéré aussi bien le Saint-Sang que saint Brendan. Mais avant de tâcher de saisir les intentions de l'auteur du Baudouin de Sebourc, il importe de savoir où il faut situer le roman. Selon Labande, le poème serait écrit auprès de Valenciennes: l'auteur fait preuve d'une bonne connaissance de la région autour de Valenciennes et Sebourg, il sait que Wissant et Boulogne sont des ports de mer, il se réfère à Nivelles - ‘c'est de Brabant l'entrée’ - lorsqu'il est question d'un voyage de Nimègue à Mons, et surtout, il est au courant de l'existence des souterrains reliant le château de Sebourg aux villes de Famars et de Bavay.Ga naar voetnoot12 Pourtant, du seul fait que le poète possède une bonne connaissance de cette région ne découle pas forcément que ce pays soit aussi le lieu de composition du Baudouin de Sebourc ou que l'auteur ait écrit pour un public hennuyer. La langue du poète serait d'après Labande celle de la région autour de ValenciennesGa naar voetnoot13. Aujourd'hui elle est considérée plutôt comme une langue mixte, probablement littéraire et artificielle. Le poème connu est écrit en ce qu'on appelle souvent le franco-picard, sorte de koinê littéraire du Nord-Est de la France et d'une partie de la Wallonie, utilisé sur une période assez longue pour des oeuvres de divers genres. C'est (entre autres) essentiellement la langue de Froissart (...) Par conséquent, il n'y a pratiquement aucun renseignement sur l'origine du poème ou de son auteur (...) à tirer de l'étude des formes spécifiques.Ga naar voetnoot14 Une indication interne du poème permet de déterminer 1314, date de la mort de Philippe le Bel, comme ‘terminus post quem’ du Baudouin de Sebourc. Un ‘terminus ante quem’ est bien plus difficile à fixer. Labande et Duparc-Quioc ont cherché à tracer les sources littéraires dont l'auteur du Baudouin de Sebourc se serait inspirées.Ga naar voetnoot15 Malheureusement, la nature des similitudes entre les textes ne facilite pas la détermination de la chronologie. Ainsi, la datation du poème est restée une question délicate et controversée: Duparc date le texte entre 1358 et environ 1370, tandis que Cook et Crist proposent une date autour de 1350.Ga naar voetnoot16 Claassens a plaid en faveur d'une date encore plus antérieure: tout comme son héros hennuyer, le poème serait originaire de la région de Valenciennes.Ga naar voetnoot17 Surtout le rôle négatif | |
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assigné aux Frisons serait à son avis un argument pour une attribution du texte au milieu des comtes Guillaume i (mort en 1337) et Guillaume ii (tué par les Frisons en 1345) de Hainaut. Il est vrai que les rapports entre les Frisons et ces deux comtes, qui tenaient également les comtés de Hollande et de Zéelande, furent loin d'être idéaux, mais l'argument de Claassens me paraît peu convainquant: n'est-ce pas le seigneur de Frise, Gaufroi, l'homme le plus perfide du poème? Les comtes de Hainaut-Hollande, eux-mêmes seigneurs de Frise, seraient sans doute peu flattés par une telle comparaison. En plus, les troubles entre les Frisons et les comtes de Hollande ont été trop généraux aux 13e et 14e siècles pour qu'on puisse en tirer une conclusion pour la datation.Ga naar voetnoot18
Comme saint Brendan, dans les nombreux récits légendaires de ses pérégrinations, Baudouin de Sebourc et Polibant de Falise ont vu les portes de l'enfer ainsi que le paradis terrestre. Sans doute, leur rencontre avec Judas et l'assaut par les diables tâchant de mettre le feu à leur navire ont été inspirés par cette tradition. En revanche, pour sa description du paradis terrestre le poète du Baudouin de Sebourc semble avoir utilisé une autre source. A part le Baudouin de Sebourc, je ne connais qu'un seul autre texte qui présente, dans le cadre d'un voyage ou pèlerinage, un paradis terrestre comme une plaine où se trouve un arbre sec: le Pèlerinage de l'âme. Il me semble tout à fait plausible que ce poème-ci ait fourni le modèle pour le paradis terrestre du Baudouin de Sebourc. Le Pèlerinage de l'âme fut écrit entre 1355 et 1358 par Guillaume de Digulleville, un moine de l'abbaye cistercienne de Chaalis. Ce poème est la seconde partie d'une trilogie qui décrit, dans le cadre d'un songe, une sorte de quête spirituelle. Guillaume écrivit en 1330-1331 le Pèlerinage de vie humaine, dont il entreprit une seconde rédaction en 1355. La dernière partie de la trilogie, le Pèlerinage de Jésus-Crist, fut composée en 1358.Ga naar voetnoot19 Le Pèlerinage de l'âme présente, sous forme d'une vision, la quête de l'âme du pèlerin Guillaume à travers le purgatoire, l'enfer et le paradis terrestre. A son arrivée au paradis terrestre, l'âme aperçoit au milieu d'une plaine un arbre vert (un pommier) et un arbre sec, ainsi que quelques pèlerins jouant avec une pomme (Jésus) ‘ou grant soulas a’. Suit alors un exposé doctrinal avec un débat entre l'arbre vert (la Vierge) et l'arbre sec (la croix) qui se termine par une complainte de Marie (l'arbre vert) ‘pour la mort et la passion de son fils’. Dans le Baudouin de Sebourc l'arbre vert du Pèlerinage de l'âme a été remplacé par un autre pommier de grande taille, dont l'idée vient sans doute de l'arbre de jouvence figurant dans la Chanson d'Esclarmonde, une des continuations du Huon | |
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de Bordeaux.Ga naar voetnoot20 Dans l'Esclarmonde Huon emporte du paradis terrestre trois pommes rajeunissant les vieillards qui les mangent; ils retrouveront l'âge de trente ans. L'auteur du Baudoin de Sebourc a varié sur cette donnée: dans son poème Baudouin est surpris que Elie, à l'âge de plus de six mille ans, semble si jeune - comme s'il n'avait que trente ans. Elie leur montre alors le pommier dont les fruits rajeunissent celui qui a plus de trente ans (Polibant) et qui font vieillir celui qui n'a pas encore trente ans (Baudouin). Les amis en mangent, après avoir été rassurés par Elie. Baudouin en prend deux: une pour vieillir, une autre pour être rajeuni (v. 14242-14343). Bien qu'il ait remplacé l'arbre vert du Pèlerinage de l'âme par un autre, le poète du Baudouin de Sebourc a maintenu l'essentiel de l'exposé de Guillaume de Digulleville. L'arbre sec, qui jadis porta le fruit qui nous a mis en peine et en labeur, porta également le fruit qui nous a rendu la vie: car d'un pépin de la pomme dont Adam mangea, naquit l'arbre dont fut faite la croix qui porta Jésus-Christ.Ga naar voetnoot21 L'oeuvre de Guillaume de Digulleville, destinée à un public laïc, a connu un succès très vif en France comme aux pays voisins. En Flandre, une traduction en prose du Pèlerinage de vie humaine vit le jour peut-être déjà au 14e siècle, et une deuxième traduction fut imprimée en 1486 (réimpression en 1498). Du Pèlerinage de Jésus-Christ il reste une version moyen-néerlandaise rimée.Ga naar voetnoot22 En revanche, aucune traduction néerlandaise ne subsiste du Pèlerinage de l'âme, ce qui ne veut pas dire qu'elle n'ait jamais existé. A Bruges, l'abbé Lubert Hautscilt (1394-1417) de l'abbaye d'Eeckhout fit même une traduction latine du Pèlerinage de vie humaine, qu'il aurait dédiée au duc de Berry.Ga naar voetnoot23 Egalement à Bruges furent déployées des activités tant religieuses que littéraires par les membres de l'illustre confrérie de Notre-Dame de l'Arbre Sec. L'existence de cette confrérie est attestée depuis 1296, mais elle a sans doute été fondée bien avant cette date.Ga naar voetnoot24 Finalement, la | |
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représentation de la Vierge (l'arbre vert du Pèlerinage de l'âme) avec l'enfant Jésus (la pomme), debout entre les branches de l'arbre sec (la croix), est un thème iconographique dont les peintres brugeois semblent avoir eu l'exclusivité.Ga naar voetnoot25
Si l'on admet que l'auteur du Baudouin de Sebourc ait puisé dans le Pèlerinage de l'âme, on obtient comme ‘terminus post quem’ les années 1355-1358. Cette date gagne en intérêt lorsqu'on sait que les premières traces de la vénération de saint Brendan aux anciens Pays-Bas viennent de Bruges et datent de 1359. Le 18 mars de cette année-ci furent consacrés la chapelle et les autels de l'hopital brugeois de la Potterie. Les deux autels latéraux furent consacrés à saint Antoine l'hermite et à saint Brendan. Ces mêmes autels sont mentionnés encore par une source de 1660, qui nous apprend que l'autel de saint Antoine appartenait alors à la guilde des constructeurs de navires et que l'autre autel fut celui de la guilde de saint Brendan, qui serait d'après un document de 1573 celle des ciriers de cierges.Ga naar voetnoot26 A Bruges le patronage de saint Brendan fut invoqué contre les incendies et la fièvre maligne (‘het vier’) - patronage ‘redevable de ces attributions à son nom ‘Brandaan’ qui chez nos populations flamandes rappelait ces fléaux’.Ga naar voetnoot27 Une même dévotion populaire de saint Brendan se rencontre également, mais au moins un siècle plus tard, dans le Nord de l'Allemagne et aux bords de la côte balte. Est-ce que cette dévotion s'y est répandue depuis Bruges, ville qui entretenait par le commerce des liens si étroits avec ces régions?Ga naar voetnoot28 Dans la perspective de cette dévotion, il n'est plus étonnant que les emprunts par le poète du Baudouin de Sebourc aux récits des voyages de saint Brendan concernent précisément des épisodes liés au feu: Judas devant les portes de l'enfer et les diables tâchant d'incendier le navire à l'aide de ‘brandons’. La légende du voyage de saint Brendan a circulé en plusieurs langues en offrant différentes versions du récit. Quelle fut la version utilisée par le poète du Baudouin de Sebourc? | |
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Fut-ce la Navigatio Sancti Brendani abbatis ou plutôt une de ses traductions ou remaniements français? Ou bien, a-t-il connu l'adaptation néerlandaise, De reis van Sint Brandaan - possibilité à ne pas exclure pour un texte qui aurait selon son auteur une source brugeoise? Dans sa thèse sur les sources du Reis van Sint Brandaan, Strijbosch évoque le Baudoin de Sebourc dans un paragraphe sur les rapports entre le Reis, Herzog Ernst et la Chanson d'Esclarmonde. Elle considère la supposition de Kleinschmidt et Labande, que le Baudoin de Sebourc reposerait pour une partie sur une traduction française de la Navigatio latineGa naar voetnoot29, peu probable. D'après Strijbosch le Baudouin de Sebourc et la Chanson d'Esclarmonde (qui offre également le récit de Judas devant les portes de l'enfer ainsi qu'un épisode avec des anges neutres) remonteraient, par une source intermédiaire commune, à l'adaptation anglo-normande de la Navigatio par Benedeit. Strijbosch ne fournit aucun argument pour soutenir cette conclusion.Ga naar voetnoot30 Regardons de plus près l'épisode sur Judas et les diables du Baudouin de Sebourc (v. 14460-14648). Après leur arrivée aux bords d'une île verte, Baudouin et Polibant quittent leur navire. Après avoir traversé une fumée obscure, ils entendent une voix plaintive venant d'un buisson. Cette voix est celle de Judas. ‘li faus marchans qui son Seignour vendi’ (v. 14503). Polibant apprend à sa grande surprise que Judas se trouve en dehors de l'enfer: il peut y passer les samedis et dimanches, pour être ramené à l'enfer par les diables le lundi matin. Son séjour en enfer est interrompu pour la durée de deux jours à la suite de deux actes de bonté qu'il avait fait pendant sa vie: il avait donné de l'argent à un ladre malade et il avait aidé les gens à traverser une voie inondée, en posant une planche sur une pierre (celle que Baudouin et Polibant voyaient à coté du buisson). Après un petit exposé par Judas sur les différentes ténèbres (celle des orphelins et celle des désespérés) et la chaudière de l'enfer, ils rentrent à leur navire. Quand le vent les fait approcher tout près de l'enfer, les diables commencent à leur lancer des ‘brandons de fer ardant’ (v. 1458). Effrayé, le maronnier de Baudouin et Polibant saute du navire et se noie; son âme est emportée par les diables. Grâce à l'intervention d'un ange, Baudouin et Polibant réussissent à échapper aux brandons et arrivent en Norvège. (v. 14460-14648). On voit aussitôt que le poète du Baudouin de Sebourc a utilisé sa source très librement. Judas n'est plus assis sur une pierre située dans une mer houleuse, le drap - pendu devant lui ou bandé devant ses yeux - n'est plus mentionné et la demande de Judas à Brendan d'intervenir pour lui afin qu'il puisse séjourner un jour de plus en dehors de l'enfer fait également défaut. Finalement, tout signe de pitié de la part des visiteurs a disparu. Ainsi, la scène avec Judas a été réduite et changée d'une telle façon qu'il est devenu impossible de dire quelle version, traduction ou adaptation de la Navigatio a servi de modèle. Ceci vaut également | |
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pour le passage sur le maronnier noyé, dont l'âme est emportée par les diables: il semble inspiré par une scène paraissant aussi bien dans la Navigatio (et ses dérivés français) que dans l'oeuvre de Benedeit, à savoir celle de la disparition du troisième moine (le deuxième chez Benedeit). Par rapport au Reis, Le Baudouin de Sebourc présente deux parallèles, dont surtout le premier est important: les diables lancent des brandons (torches de paille) au lieu de masses ou lames ardantes de fer. Il est intéressant de voir que cette analogie se présente justement dans les deux versions qui sont originaires des anciens Pays-Bas méridionaux (ou en tout cas prétendant l'être), et qu'elle se rapporte en plus à cet aspect étymologique du nom du saint dont le patronage fut invoqué à Bruges contre les incendies.Ga naar voetnoot31 L'autre parallèle, moins significatif, concerne le nombre de jours que Judas peut passer en dehors de l'enfer: seuls le Reis (dans la version néerlandaise) et le Baudouin de Sebourc parlent de deux jours, du samedi soir jusqu'au lundi matin.Ga naar voetnoot32 Dans les autres versions du récit ce séjour s'étend du samedi soir au dimanche à l'heure de midi. En consultant les différentes versions françaises du voyage de saint Brendan à propos de l'épisode de Judas, mon attention a été retenue par ce qui me semble un parallèle indéniable entre le Reis et la version anglo-normande de Benedeit.Ga naar voetnoot33 Dans son étude des sources du Reis, Strijbosch s'est concentrée sur la Navigatio et la tradition irlandaise. Elle n'a pas fait une comparaison avec les versions en langue française, un choix qui est tout à fait justifié, compte tenu de la complexité et de l'ampleur de la matière étudiée. Il est alors étonnant de voir que Strijbosch n'hésite pas à avancer, sans commentaire ultérieur, des conclusions bien fermes à propos des rapports entre le Reis et le poème de Benedeit.Ga naar voetnoot34 Le récit du Reis et celui de Benedeit offrent des analogies importantes.Ga naar voetnoot35 Seule la version de Benedeit et celle du Reis parlent de la chaleur et de la froideur dont Judas souffre pendant son séjour en dehors de l'enfer. Les autres textes ne parlent que d'une mer houleuse, comme le fait la Navigatio. Seulement chez Benedeit et l'auteur du Reis le drap qui se trouve devant le visage de Judas offre | |
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un peu de soulagement; dans les autres versions ce drap le gêne.Ga naar voetnoot36 Une autre analogie concerne la miséricorde ressentie par Brendan, que l'on ne retrouve pas dans une pareille mesure dans la Navigatio et ses traductions françaises. Et finalement il y a l'aspect du refus de Judas de confesser sa trahison. Judas, le désespéré, se pend et mérite alors d'être envoyé à l'enfer. Strijbosch affirme que les différences entre la Navigatio et le Reis sont importantes et qu'il est peu probable que cet épisode du Reis soit une traduction de la version présentée par la Navigatio.Ga naar voetnoot37 Cette partie du Reis serait à son avis une adaptation libre. Pourquoi est-ce que Strijbosch ne fait ici aucune mention de Benedeit? Il est vrai que dans le cas des autres épisodes, le Reis ressemble bien plus à la Navigatio qu'à l'adaptation par Benedeit. Mais ceci ne vaut certainement pas pour l'épisode de Judas. On ne trouve, parmi toutes les versions qui nous restent de la légende, aucune qui présente l'épisode de Judas, tel qu'il a été écrit par Benedeit, inséré dans la version de la Navigatio. Ceci ne veut pas dire qu'il n'ait jamais existé une telle version combinée. Autre possibilité à ne pas exclure d'avance: l'auteur du Reis a combiné lui-même la Navigatio avec le poème de Benedeit. Il me semble qu'un auteur tel que celui du Reis, et qui d'après Strijbosch a très probablement utilisé plusieurs sources relatant le voyage de saint Brendan, ait fort bien été capable d'intervenir de la sorte.Ga naar voetnoot38 J'ai l'impression qu'il a été bien au courant des sources circulant sur la légende de saint Brendan, eu égard au cadre qu'il donne à son oeuvre, à savoir l'action de Brendan de jeter au feu le livre qui parle des merveilles du monde, telles que l'existence de deux paradis. Brendan refuse d'y ajouter foi et doit réparer cette faute en faisant un voyage qui lui montrera toutes ces merveilles et dont il rentrera avec un nouveau livre. Ce cadre du Reis semble une réaction à la satire latine qui se moque de tous les poètes qui ne rejettent pas rigoureusement ces récits blasphémateurs qui font croire qu'un homme pourrait durant sa vie déjà entrer au paradis terrestre. La satire latine se termine par un appel du poète exhortant à jeter de pareilles fables au feu.Ga naar voetnoot39
Revenons au Baudouin de Sebourc. En mêlant à son récit de la translation du Saint-Sang à Bruges des allusions ou emprunts aux légendes relatives au Saint-Sang de Boulogne et de Fécamp, le poète du Baudouin de Sebourc semble avoir voulu en augmenter la crédibilité. Il mentionne Godefroid de Bouillon qui, d'après la légende de Boulogne-sur-mer, aurait envoyé avec son frère quelques gouttes du Saint-Sang à sa mère Ide de Boulogne (voir plus haut) et il raconte comment le Saint-Sang fut abrité dans les racines d'un arbre, élément tiŕe des légendes de Fécamp. | |
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La vénération du Saint-Sang à Bruges remonte à une époque bien antérieure au 14e siècle. Labande note que d'après la tradition brugeoise la fiole de cristal avec ce sang précieux serait apportée à la ville par Thierry d'Alsace, comte de Flandre (v. 1128-1168). Pourquoi est-ce que notre poète tait le rôle de Thierry d'Alsace? Huyghebaert a démontré de façon convaincante que le nom du comte Thierry ne fut lié à la legende brugeoise qu'à partir de 1380 environ. C'est dans le Chronicon Sancti Bertini que Thierry d'Alsace ainsi que son chapelain Lionnel, abbé de Saint-Bertin, interviennent pour la première fois. Selon cette chronique, écrite vers 1380 par Jean le Long d'Ypres, abbé de Saint-Bertin de 1363 à 1383, le comte de Flandre aurait reçu la relique du roi Baudouin iii de Jérusalem; Thierry l'aurait ensuite confiée à son chapelain Lionnel, qui l'aurait portée jusqu'à Bruges. En réalité la relique du Saint-Sang serait, d'après Huyghebaert, arrivée à Bruges entre 1204 (après la prise de Constantinople par les croisés en 1203) et 1256, date de la première mention connue de la relique du Saint-Sang. Une charte de 1297 montre qu'à la fin du 13e siècle la relique, conservée dans l'église de Saint-Basile, était déjà bien connue et attirait une multitude de fidèles. Le culte du Saint-Sang, qui jouissait autour de 1300 encore d'une popularité surtout locale, se développa davantage au 14e siècle, et la procession du 3 mai prit alors de plus en plus de lustre. Mais comment estimer le témoignage donné par Iperius? Voici ce qu'écrit Huyghebaert à propos des intentions que eet abbé de Saint-Bertin aurait eues en présentant ce faux récit: ce n'est certainement pas à Bruges qu'il a appris le rôle joué par son prédécesseur dans la prétendue translation. Il l'a tout simplement inventé. Il devait avoir une raison pour cela. On tâchera de la découvrir. (...) tout le récit d'Iperius est ordonné autour de ce détail: c'est l'abbé de Saint-Bertin qui a apporté la relique à Bruges. (...) Est-ce que le fait que le Baudouin de Sebourc se tait sur cette version qui attribue la translation du Saint-Sang à Bruges à Thierry d'Alsace implique que le poème fut écrite antérieurement au Chronicon Sancti Bertini de Jean d'Ypres, donc avant la date de 1380 environ? Ceci est bien possible. On pourrait même s'imaginer - conjecture purement hypothétique - que l'histoire du Saint-Sang telle qu'elle fut fournie par le poète du Baudouin de Sebourc, reliant la tradition du Saint-Sang à une source au mystérieux ‘moutier’ de Saint-Amand, ait quelque peu agacé l'abbé et l'ait incité à présenter sa version à lui.
Le cas d'Iperius montre bien que l'histoire se crée. Le poète du Baudouin de Sebourc n'a pas fait autrement. On a constaté que le personnage de Baudouin de Sebourc | |
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ne correspond pas à une personne historique bien précise.Ga naar voetnoot41 De même, cherchera-t-on à Bruges en vain une abbaye ou église de Saint-Amand. Sur les quatre mentions de ‘Saint-Amand’, il n'y en a qu'une seule qui donne une désignation plus précise en parlant du ‘moutier’ de Saint-Amand. Il se peut que le poète ait délibérément choisi ce terme dont le sens n'est pas univoque. Est-ce qu'il s'agit d'une abbaye, d'une église ou même d'une simple chapelle?Ga naar voetnoot42 D'abord le fait qu'il a apparemment inventé son histoire semble être une bonne raison de ne pas trop préciser la provenance de sa source. Mais la mention d'une librairie de Saint-Amand suscite aussitôt le souvenir de la célèbre bibliothèque de Saint-Amand-les-Eaux, près de Valenciennes. La ville de Saint-Amand ainsi que le monastère furent pillés et ravagés en 1340 par les troupes de Guillaume II de Hainaut, et après le monastère ne s'est redressé de cette ruine que lentement au cours du 14e siècle.Ga naar voetnoot43 Est-ce que le poète du Baudouin de Sebourc a intentionellement donné sa référence vague dans l'espoir que la renommée de la librairie de Saint-Amand-les-Eaux - alors en déclin - serait associée, ou peut-être même transférée, à celle de l'autre Saint-Amand à Bruges? Dans ce cadre, il n'est peut-être pas sans intérêt que le Baudouin de Sebourc contienne un passage qui décrive une visite du héros à cette abbaye-ci. Pour la nuit, l'abbé offre à Baudouin, qui s'est déguisé en moine, un lit et - à la demande de son hôte - également une fille. L'abbé répond à Baudouin: Nous ne avons chi aval albie ne moustier
la ou il i ait dames pour nous a resveillier;
mais a ches puchelletes qui l'erbes vont queillier,
a chelles nous convient nous deduis apaisier:
cascuns n'a mie nonnes pour lui [a] soulatier. (v. 15395-15399)
Cette nuit Baudouin est bien servi dans cette abbaye. Le lendemain matin Baudouin part sans avoir d'abord assisté à la messe. Il confie alors à son valet que son déguisement lui permet d'apprendre des choses sur la conduite des moines: (...) ensi aprent on des moisnes la maistrie.
Ch'est trop mauvais vinages d'avoir une albeïe
prés de lui, vraiement, car par eus est honnie
mainte noble puchelle, de s'onneur abaissie;
les femmes des borgois en ont bien leur partie. (v. 15429-15433)
Le poète nous présente donc cette autre Saint-Amand sous une lumière peu avan- | |
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tageuse. Qu'est-ce qui l'a amené a choisir justement cette abbaye-ci pour présenter sa courte impression des moeurs monastiques? Dans ce contexte, il est important de rappeler que très peu nous est connu de la vie littéraire à Bruges au milieu du 14e siècle. L'histoire littéraire s'est concentrée surtout sur la période autour et après 1400, qui offre avec la fameuse librairie des seigneurs de Gruuthuse, la documentation sur les activités de confréries telle que celle de Notre-Dame de l'Arbre Sec (qui comptait parmi ses membres maint poète et peintre), ses fameux ateliers pour la productions de manuscrits, et la présence de poètes comme Anthonis de Roovere, suffisamment de matière à étudier. Pour le 14e siècle, la situation est tout à fait différente. On suppose généralement qu'il a dû précéder à l'essor de la vie littéraire attestée pour la fin du siècle une période offrant également une vie culturelle à la hauteur des exigences des habitants de cette ville si riche. Pourtant, il paraît fort difficile d'en retrouver des traces.Ga naar voetnoot44 Quant à la littérature du troisième quart du 14e siècle, on ne connaît que quelques noms et dates. Un de ces noms pourvu d'une date est celui de Gilles de Wevel qui écrivit à Bruges, en 1366, Het leven van sinte Amand, long poème en moyen-néerlandais sur la vie de saint Amand.Ga naar voetnoot45 La date, le sujet, ainsi que le lieu de composition coïncident tout à fait avec ce qui a éte relevé ci-devant à propos du Baudouin de Sebourc. La nature des rapports du Baudouin de Sebourc avec le Pèlerinage de l'âme ainsi qu'avec la vénération de saint Brendan et la dévotion du Saint-Sang à Bruges, m'avait déjà amenée à dater le Baudouin de Sebourc entre 1359 et 1380 (au plus tard). Cette datation semble donc confirmée par la parution à Bruges à cette même époque du poème sur saint Amand - qui d'ailleurs, par son emploi habile d'un grand nombre de sources, offre une version tout à fait nouvelle de sa vie. Cette donnée semble bien trop remarquable pour la considérer comme une pure coïncidence. En outre, Het leven van sinte Amand présente, tout comme le Baudouin de Sebourc, un passage sur l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux. Gilles de Wevel y signale, après une longue dispute entre juifs et chrétiens, que la fondation de ce monastère fut financée par ces juifs convertis. On peut se demander, eu égard à l'image négative des juifs et même des juifs convertis dans les sources de ces années après la Peste Noire de 1348-1350, si cette remarque de Gilles de Wevel est tout à fait dépourvue d'intentions négatives. Est-ce qu'on peut y découvrir un effort bien caché de subtilement discŕéditer cette Saint-Amand (rivale?) près de Valenciennes?Ga naar voetnoot46 Enfin, dernière donnée qui semble appuyer la datation du Baudouin de Sebourc dans les années soixante ou soixante-dix du 14e siècle, est son emploi de l'expres- | |
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sion ‘prince de sang’, signalé par Beaune dans son étude sur la naissance de la nation France: l'expression ‘prince de sang’, apparaît, semble-t-il, sous Charles V [1364-1380]. La chanson de Baudouin de Seborc utilise l'expression, de même qu'une ordonnance de 1368 interdisant la cession de la baronnie de Beaujeu ‘a quiconque soit du sang ou du lignage royal ou autre quelconque’.Ga naar voetnoot47 S'il est vrai que le Baudouin de Sebourc fut écrit dans les années soixante ou soixante-dix à Bruges, ou pour un public brugeois,Ga naar voetnoot48 on pourrait envisager l'hypothèse que, à part le désir de distraire son auditoire par le récit d'aventures merveilleuses ‘d'armes et d'amours’, le poète ait pu avoir l'intention de donner un certain élan à la vénération du Saint-Sang ainsi qu'à la dévotion de saint Brendan dans cette ville flamande. Et en présentant celui qui aurait converti Brendan et porté le Saint-Sang à Bruges comme un membre de l'illustre familie du Chevalier au cygne, il a peut-être voulu accorder plus de poids et d'intérêt à ces dévotions brugeoises et, inversement, à son histoire - histoire qu'il rattache par cette voie en outre au grand cycle de la croisade.Ga naar voetnoot49 | |
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SamenvattingDe dichter van de veertiende-eeuwse Baudouin de Sebourc beroept zich op een Brugse bron. Bij de herhaaldelijke vermelding van deze raadselachtige bron verwijst de auteur steeds weer naar de devotie rond sint Brandaan en het Heilig Bloed in Brugge. Uit deze Oudfranse ‘kruisvaartroman’ vernemen we onder meer dat zowel de bekering van Brandaan (voorheen de heiden Polibant) als de translatie van het Heilig Bloed naar Brugge te danken zijn aan Baudouin de Sebourc, die bovendien verwant zou zijn aan de Zwaanridder en Godfried van Bouillon. Deze en andere literaire verwijzingen lijken te kunnen worden gerelateerd aan gegevens bekend uit de Brugse geschiedenis. Op grond hiervan lijkt het aannemelijk dat de Oudfranse Baudouin de Sebourc werd geschreven in de jaren '60 of '70 van de 14e eeuw en verbonden kan worden met een Brugs ontstaansmilieu.
Adres van de auteur:
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