Ons Erfdeel. Jaargang 13
(1969-1970)– [tijdschrift] Ons Erfdeel– Auteursrechtelijk beschermd
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quelques notes sur l'évolution de la littérature néerlandaise comparée à celle de la littérature françaisemaddy buysse Ce n'est pas sans hésitation que je me risque à noter quelques réflexions sur l'évolution de la littérature néerlandaise contemporaine comparée à celle de la littérature française. Seule, mon expérience de traductrice m'a permis d'acquérir certaines lumières sur cette question.
Au cours d'années de lectures et de recherches, où j'essayais de trouver, dans la littérature néerlandaise, ce qui pouvait tenter les éditeurs et piquer la curiosité d'un public français, hélas, si blasé, lui donner une idée de ce qui se pensait, se créait, s'écrivait dans ces pays du nord, à la fois si proches et si lointains du leur, je me suis aperçue avec stupeur que, plus que tout autre, un élément de ‘temps’ les en séparait irrémédiablement.
Chaque époque subit, en somme, la confrontation d'un univers nouveau et doit trouver le langage qui lui est propre; comme toute gestation, il s'agit là d'un processus pénible, tant pour le public, attaché à ses chères habitudes, à ses vieilles traditions, que pour le créateur, contraint par la force des choses de trouver une solution nouvelle à des problèmes éternels.
Or, lorqu'on jette un regard sur les vingt dernières années, il semble que le centre d'intérêt littéraire et de créativité se situe, en France, sur un tout autre plan qu'en Flandre et aux Pays-Bas.
Que voyons-nous de ce côté-ci de la frontière? Une floraison de romanciers, tous plus originaux et plus doués les uns que les autres. Songez qu'il y a vingt ans, G.K. van het Reve écrivait De Avonden, reflet du malaise d'une adolescence en évolution, cette même adolescence qui, dans le monde entier, ‘conteste’ si activement aujourdhui. Johan Daisne écrivait De man die zijn haar kort liet knippen, miroir à double face qui se révèle d'abord vécu, donc imaginaire, ensuite tel qu'en luimême, pour sombrer enfin dans le tournoiement de l'éternelle incertitude.
Vers la même époque, Hugo Claus nous introduit dans son univers poétique à nul autre pareil où, par une espèce d'alchimie, toutes les valeurs acquises sont remises en question, décantées, décapitées, tandis qu'une lumière blanche, impitoyable éclaire la misère et la grandeur de notre condition humaine. L'un de ses romans, Omtrent Deedee m'apparaît comme une très curieuse tentative d'art brut, où l'auteur saccage une façade familiale qui, comme il arrive souvent, nous cachait les fureurs primitives, le trouble et la veulerie de ses personnages frustes, prisonniers de leur gangue à la manière des figures d'un Permeke et d'un Gustave De Smet.
Willem Frederik Hermans écrit une série de romans amers et parodiques, dont le cercle se referme toujours sur quelque sinistre plaisanterie car, nul ne l'ignore, les dieux se rient des hommes: après De donkere kamer van Damocles, Nooit meer slapen et d'autres, le dernier en date et sans doute le plus beau de tous: Een wonderkind of een total loss, par la maîtrise et la désinvolture du style et de la forme, m'a fait penser à Pale Fire de Nabokov.
Jan Wolkers nous initie à son impitoyable solitude, où passe le souffle lyrique de la Bible. Harry Mulisch, dans De stenen bruidsbed, nous donne une évocation hallucinante de la guerre et de l'après-guerre en Allemagne de l'Est, découverte au cours d'un congrès par un modeste dentiste américain.
Plus récemment, dans Het Boek Alfa, Ivo Michiels entrecroise ses thèmes d'amour et de mort à la manière d'une partition dont il maintient, d'un bout à l'autre, la tension et le rythme haletant. Avec son Faun met de kille horentjes, Hugo Raes réussit une très curieuse tentative d'unanimisme dans le microcosme freudien d'un milieu d'instituteurs. Le plus jeune de cette catégorie d'auteurs et non le moindre est, sans doute, Jacques Hamelink dont les nouvelles, imprégnées d'une lumière étrange, se déroulent toutes dans un climat particulier, comme chargé de mystère. | |
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A chacun de ces écrivains je pourrais appliquer le mot si vrai du philosophe H. McLuhan: ‘Si vous ne trouvez pas une manière nouvelle, frappante, inattendue, de dire les choses, personne, à l'heure actuelle, ne vous écoutera...’Ga naar eind(1) Or, cette manière nouvelle, frappante, inattendue qui, en France, fait l'objet de tant de discussions savantes et de travaux de laboratoire, semble venir spontanément aux écrivains néerlandais et flamands que je viens de citer.
Les éditeurs français m'objectent souvent que cette littérature est sombre et n'attire pas le lecteur français. Evidemment, ces auteurs, tous âgés aujourd' hui de quarante à cinquante ans, ont subi dès leur enfance la guerre et ses horreurs d'apocalypse. La famine, plus rude et plus longue en Hollande que partout ailleurs, les bonbardements, les recits des camps de concentration furent leur pain quotidien. Comment n'en seraient-ils pas marqués? Comment, d'autre part, dans un univers romanesque, ignorer Freud et les mystères du subconscient?
Pourtant, à cette même époque, beaucoup de romanciers et de lecteurs français sont encore hantés par la nostalgie du roman moraliste, ciselé comme un bijou, tel La Princesse de Clève ou l'Adolphe. Non pas que le Français soit moins que d'autres accessible à des idées nouvelles et des formes neuves, fussent-elles d'origine étrangère, mais il semble que, de tout temps, il n'ait jamais accepté volontiers qu'une avantgarde étrangère en quelque sorte annexée et s'exprimant en français. Ce fut le cas de Jean-Jacques Rousseau, c'est celui de Nathalie Sarraute, de Beckett, de lonesco qui, tous, écrivent en français.
Ajoutons à cela que l'évolution littéraire la plus marquante en France se situe sur un tout autre plan que celui du roman. Nous vivons, en ce moment, un âge d'or de la critique, dont nous trouvons le reflet dans un grand nombre de revues et d'ouvrages contemporains. En somme, c'est, pour la France, une époque comparable à celle de Van Deyssel et de Menno ter Braak aux Pays-Bas; peu d'élan créateur pur et simple, mais une remise en question de la chose littéraire, une manière de repenser la littérature, qui succède à la révolution surréaliste de la génération précédente. Révolution, d'ailleurs, d'autant plus violente qu'elle s'insurgeait contre une tradition profondément cartésienne. A sa suite et dans cette ligne s'inscrit la recherche d'un Bataille, trop tôt disparu, d'un Klossowski, d'un Michel Leiris et de quelques autres, recherche passionante, souvent psychanalytique, extrêmement cérébrale et donc réservée à un public restreint.
Quant à la critique - les noms, tous remarquables et déjà célèbres seraient trop nombreux à citer - plutôt que de se consacrer à des oeuvres contemporaines, elle reprend, sous le scalpel de ses méthodes nouvelles, des oeuvres déjà anciennes, dont elle nous révèle des lueurs fulgurantes et des complexités souvent insoupçonnées de leurs contemporains.
Chez les divers auteurs néerlandais de Flandre et des Pays-Bas cités plus haut, il y a évidemment une réaction contre le jansénisme et le puritanisme de leurs prédécesseurs, réaction qui, hélas, chez leurs successeurs, tend à dégénérer en pornographie, pour ne citer que l'un des plus récents, qui croit intéressant d'ajouter à son livre un tableau synoptique de ses prouesses sexuelles, solitaires ou autres, avec statistiques à l'appui.
‘Quand j'ai voulu devenir écrivain’, dit Reverzy, ‘il a fallu que je me crée de toutes pièces un univers intérieur à partir de mon néant, pour le projeter sur le néant de la littérature’Ga naar eind(2)
Cet univers intérieur, nourri de solitude, de rêve et de méditation, ce n'est pas un hasard si, pour chacun des écrivains flamands et néerlandais que je viens de citer, il est une terre natale. G.K. van het Reve
Johan Daisne
Hugo Claus
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