Ons Erfdeel. Jaargang 12
(1968-1969)– [tijdschrift] Ons Erfdeel– Auteursrechtelijk beschermd
[pagina 136]
| |
Expo de Tapisserie de U. Degand.
Palais de Justice, Taplsserie, Carton de Bazaine.
Palais de Justice. Tapisserie. Carton de Prassinot.
Entré en service aux premiers jours de l'an 1969, l'immense cité judiciaire campe sa masse élancée de verre et de béton, avenue du Peuple-Belge, là où se dressait naguère son disgracieux devancier, surgi à l'époque prétentieuse du néo-classicisme louis-philippard. Désormais, près de la butte qui portait, il y a bien longtemps, la demeure des châtelains de Lille, la ville vient voir son premier, son seul monument moderne: ce palais à nul autre pareil.
Déjà les touristes, aux heures d'ouverture, se recueillent discrètement à l'entrée de chaque salle d'audience. Passé le vaste hall, la majesté de la Justice les saisit d'un frisson de respect. Ils rendent ainsi le plus bel hommage aux hommes de métier, architectes, décorateur et autres, qui ont commis là une oeuvre imposante.
Pénétrons dans les Chambres, sur la pointe des pieds. Il y en a neuf. La plus grande, la plus écrasante, c'est celle du tribunal d'instance. N'était la sévérité ambiante, on se croirait dans une salle de spectacle, aux murs doublés de bois clair en panneaux verticaux, devenus obliques dans les angles par effet de perspective. Le plafonnier fait d'alvéoles de béton ne manque pas de charme. Au-desous, la tribune du public parfait l'illusion.
Mais l'erreur n'est pas soutenable longtemps. Le froid muret - de béton bien sûr - qui brise l'angle de face n'a rien d'un écran à usage cinématographique. Derrière, quelques fauteuils; devant, une stèle étrange se terminant en table triangulaire. C'est la barre. Ce n'est pas un autel. Le rite qui s'accomplit à cet endroit est celui de la justice. Les grands-prêtres sont les juges, habilités à officier pour le culte de Thémis.
Installé au premier sous-sol de ce temple (qui en a trois), le tribunal de grande instance présente une particularité à laquelle on ne prêterait pas attention si l'on n'avait vu auparavant les autres salles; celle-ci est dépourvue de tapisserie. Toutes les autres, en effet, de la deuxième à la neuvième Chambre, ont eu leur part du célèbre ‘un pour cent’, le pourcentage du coût global de la construction, accordé à la dotation en objet d'art de tout édifice public.
Habituellement, sculpture et peinture se partagent cette manne d'Etat. Elle a été attribuée ici à ceux que l'on appelle les ‘cartonniers’, ces artistes dont la composition sur petit format sert à la confection d'une tapisserie colossale.
L'une des originalités du Palais de Justice de Lille consiste à présenter une sorte de petit musée de la tapisserie moderne, confectionnée bien entendu à Aubusson. | |
[pagina 137]
| |
Palais de Justice. Tapisserie. Carton de Ubac.
Les résultats sont plus ou moins heureux, selon l'ordonnance des salles, les ‘cartons’, la luminosité, le cadre mural. Il en est de belles et même de très belles, comme cet admirable ensemble de formes bleu noir et gris sur fond beige dont Ubac a fourni le projet pour la quatrième Chambre.
Degand, seul artiste lillois figurant au ‘catalogue’, occupe, si l'on peut dire, toute la largeur, environ douze mètres, du tribunal de simple police. Son explosion multicolore sur violet, c'est la plus vaste tapisserie que la manufacture de Felletin, près d'Aubusson, ait jamais tissée; elle mesure vingt-trois mètres carrés.
Le même Degand a exposé, fin 1968, à la Galerie Nord, place Louise-de-Bettignies, quelques-unes de ses oeuvres récentes, de format plus modeste. Participant à la renaissance de l'art ancien - art collectif par excellence - de la tapisserie, ce jeune Lillois s'est dégagé rapidement des influences du début - de celle de Picart le Doux en particulier - pour s'élancer à la conquête de ses domaines propres. Il est le poète des germinations mystérieuses, des épopées astrales et des flux de lumière animés par un rythme cosmique, tout étant du reste aimablement domestiqué sous l'effet de la douce laine nouée et des chaudes harmonies de couleurs.
L'atmosphère presque intime du tribunal pour enfants - nous y venons - doit beaucoup à l'agréable carton de Tourlière, qui a tracé en courbes harmonieuses un paysage féérique à la Walt Disney, où les maisons ont de hauts toits ventrus et inclinés. On rêverait longtemps parmi les volutes dorées et rouges, une fois sorti des zones bleu nuit que hantent les sorcières. Mais si, vous le voyez bien, il existe de jolies choses sur terre, envers et contre tout.
La Justice gentille et rassurante comme une pin-up de publicité? Non, ce n'est pas cela. Mais la Justice confortable, sûre d'elle, superbe comme un PDG aux bilans robustes. Nous parlions de Kafka. Il faudrait ranimer les mânes de Courteline. Que reconnaîtraitil encore de son petit univers de prétoires poussiéreux et ridicules? Il ne le retrouverait même pas au grenier. Le neuvième étage est occupé par le bar, le dixième par la chaufferie.
Mais s'il faut attendre d'être prévenu, à défaut témoin, pour apprécier les richesses du Palais de Justice, tous comptes faits, mieux vaudrait encore s'en priver. Pourquoi pas des visites organisées le dimanche? L'association ‘Renaissance du Lille Ancien’ pourrait prendre l'affaire en main, elle qui montre déjà le Vieux-Lille environnant pour en faire connaître les ressources un peu moins ignorées aujourd'hui. Elle ne manquerait pas à sa mission si demain elle mettait ses charmantes guides au service de ce Nouveau Lille au coeur de l'Ancien.
Au palmarès des dernières semaines: Coste, Duvert et Himpens, à la Galerie, 28, rue Lepelletier - Charles Chuffart, à la Galerie OPN, rue des Sept-Agaches - Arthur Van Hecke, grand peintre du Nord, qui a exposé, lui, cinquante toiles à Paris durant le mois de décembre.
Jean Demarcq |
|