Frans-Vlaanderen.
Un ouvrage en néerlandais sur la Flandre Française, un Belge qui s'adjoint un Hollandals pour l'écrire, voilà de quoi éveiller et émoustiller l'intérêt chez un Flamand de France. Un double appétit le pousse en général à ce genre de lectures: d'une part, une insatiable curiosité pour la foule de renseignements que dispense une érudition germano-bénédictine; d'autre part, l'envie d'y savourer jusqu'à plus soif le divin plaisir d'être agacé qui, plus que tout autre, est l'insigne privilège de la doulce France.
Je dois bien dire que le Frans-Vlaanderen de Jozef Deleu et Frits Niessen déçoit assez bien cette doubie attente. Dès l'abord, il se défend d'être une étude originale et exhaustive et se propose simplement d'offrir au lecteur qui désire avoir des faits la vue dynamique qu'offre une rapide esquisse, une sorte d'épitomé bien fait et rédigé dans l'esprit d'une génération à la tête plus froide (le coeur aussi sans doute!) qui tient à faire son bilan et à évaluer les possibles...
C'était une gageure de vouloir comprimer toute l'histoire (même culturelle) de la Flandre Française dans les 112 pages d'un petit volume de la collection ‘Campus’. Le pari a été, ma foi, fort honnêtement tenu: le livre se lit bien malgré sa densité. C'en était une autre de vouloir harmoniser en une seule oeuvre tant de documents d'époques diverses et de sérénité variable; il faut bien l'avouer, c'est là que le bât blesse un peu. Aucun observateur sérieux ne peut écrire de sang-froid: ‘De Westhoek telt 68 Nederlandstalige, 40 tweetalige en 11 Franstalige dorpen en steden’ (p. 18) ‘Men mag aannemen dat ongeveer 60% van de inwoners van de Westhoek Nederlandstalig zijn’ (p. 19): n'existent plus en Flandre Française que deux catégories de villes, villages et individus: d'une part les bilingues, d'autre part les francophones. D'ailleurs les pages 64 et 65 présentent et épousent des opinions bien plus nuancées qui mentionnent enfin, en le coupant d'optimisme, l'inquiétant décalage entre les générations. Par ailleurs, aucun Flamand de France ne peut lire sans frissonner ou sans sourire des phrases comme celle-ci: ‘De af te leggen weg naar taalkundige en kulturele aaneensluiting bij de overige Nederlanden zal nog lang en moeilijk zijn’ (p. 10). Ainsi donc c'est de cela qu'il s'agit! On ne le croirait pas à lire les pages 80 et 81. Je dois l'avouer, nous sommes assez peu habitués à cette sorte de pensée orientale qui affirme le plus et le moins pour suggérer la nuance. A moins que... la chattemitte?...
Mais non, faisons la part du feu: dans ce livre tout compte fait honnête, il y a les idées parmi lesquelles on a grandi, il y a la nostalgie souterraine qui ne veut pas mourir, il y a le public pour lequel on écrit car, et c'est là un fait qui mérite d'être noté, je crois que les critiques viendront surtout de Belgique.
La plupart viendront de gens honnêtes dont l'information n'a pas tenu compte de l'évolution récente ou s'en est tenue à une théologie de la Flandre Française où les slogans tiennent lieu de dogmes. On entendra évidemment aussi les aboiements des quelques nostalgiques rabiques du ‘petit moustachu’ dont la prose prend naturellement un rythme de bottes. Du coeur de leur bunker solitaire, ils pourront bien fulminer une excommunication majeure et concocter un article fébrile, ils ne feront que classer avec plus de force le livre de Jozef Deleu et Frits Niessen parmi les ouvrages raisonnables. Qui ne le sait?: la vérité ne fréquente guère ce genre de groupuscules pythiques qui dans les fumées de la propagande et l'écume aux lèvres, se masturbent laborieusement de fascisme enthousiaste cependant que claquent au vent les drapeaux sinistres de Herrenvolk, tant il est vrai qu'il y a loin du vent des fanions au souffle de l'Esprit!...
Jacques Fermaut
Jozef Deleu/Frits Niessen, Frans-Vlaanderen, Uitgeverij Van In, Lier, Campusreeks, 112 p. - 70 BF - 7 FF - f 5.