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la conjoncture économique du nord de la france
françois pouille, adjoint au délégué général du comité interprofessionel social et économique du nord et du pas-de-calais (c.i.s.é.) ● lille
Pour bien comprendre l'évolution économique du Nord de la France, il est indispensable d'avoir présentes à l'esprit ses caractéristiques géographicues et son évolution historique.
Les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui composent la Région, recouvrent en fait 3 secteurs géographiques: l'un borde la Manche et s'appuie sur les collines d'Artois, l'autre, le Hainaut, s'apparente aux régions de l'Aisne et des Ardennes. La Plaine du Nord, enfin, n'est autre que l'extrémité d'une vaste zone au relief extrêmement faible qui s'étend le long de la Baltique et de la Mer du Nord.
Cette situation géographique devait rendre le Nord particulièrement sensible aux grands évènements de l'histoire militaire de l'Europe. Bordant une frontière qui n'était matérialisée par aucun obstacle naturel, le Nord a constitué une route d'invasion utilisée lors de chaque conflit.
L'histoire de son industrialisation rattache également le Nord aux pays voisins: Elle s'est faite autour d'un bassin houiller qui n'est autre chose que le prolongement des bassins de Rhénanie - Wesphalie et de Belgique. Le développement des industries textiles a été favorisé par l'importance traditionnelle des places de Bruges, d'Ypres et de Roubaix où, dès le moyen âge, la laine arrivait massivement d'Angleterre et d'Ecosse.
Cette région apparait ainsi naturellement ouverte sur les zones étrangères voisines. Ceci n'a pas uniquement, et surtout de nos jours, des aspects négatifs.
Le Nord réalise des échanges extérieurs importants, qui représentent 11% de l'ensemble du Commerce extérieur français. Ses principaux clients et fournisseurs sont les pays voisins, eux-mêmes très actifs dans le domaine des échanges internationaux puisque le Benelux effectue 7% du Commerce mondial, la France quant à elle en assurant 5,4%. Les achats de la région, composés principalement de produits agricoles, proviennent, à concurrence de 66% de pays européens, le Marché Commun à lui seul intervenant pour 44%.
Les débouchés sont, eux aussi, essentiellement européens (72%) et principalement localisés dans la C.E.E. (51%). Les exportations régionales portent d'ailleurs pour une grande part sur des produits manufacturés, et les articles textiles y occupent une place particulièrement importante.
Compte tenu de sa situation géographique et de la réalisation progressive du Marché Commun, le Nord sera, dans l'avenir, beaucoup plus encore tourné vers ses voisins de l'Europe du Nord Ouest.
Pour cette région qui doit, d'une part, faire face à de sérieuses difficultés dans le domaine de l'emploi, et d'autre part opérer une diversification de ses activités industrielles, l'ouverture des frontières constitue certainement une chance non négligeable.
C'est pourquoi cette rapide étude de la situation économique du Nord de la France sera divisée en trois parties: la première sera consacrée aux problèmes de l'emploi, la seconde constituera un panorama des activités industrielles, et la troisième recherchera quels sont, pour l'avenir, les atouts de la Région.
(Lille, le 3 Mars 1968)
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Cités minières, terrils, chevalements, cheminées, telle est la plaine de Lens au pied des collines de l'Artois (Photo P. Wallet)
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I. les problèmes de l'emploi
Une population nombreuse et jeune.
Les derniers chiffres valables concernant la démographie du Nord de la France datent du recensement français de 1962. A cette époque, la région comptait 3.700.000 habitants; en admettant une croissance d'environ 40.000 habitants par an (80.000 naissances et 40.000 décès environ) la population actuelle doit être voisine de 3.900.000 personnes.
Ceci représente approximativement 8% de la population française. Or, les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais représentent 2% seulement du territoire national. Cet écart est tout à fait remarquable; il pose d'ailleurs, à lui seul, quelques problèmes. En effet, la meilleure carte géographique demeure encore un instrument bien insurfisant pour prendre conscience de l'importance réelle de la région. La densité de la population atteint 248 habitants au Km2. En celà, le Nord se rapproche plus de la Belgique, des Pays-Bas, de l'Allemagne Rhénane que des autres régions françaises.
La population du Nord n'est pas seulement nombreuse; elle est aussi remarquablement jeune: 40% de la population a moins de 24 ans. Autre indication particulièrement évocatrice: 9% des jeunes français âgés de moins de 19 ans vivent sur le territoire du Nord-Pas-de-Calais Ainsi, cette région compte 8% de la population du pays et 9% de la population de moins de 19 ans. L'importance de cette dynamique démographie sera plus notable encore dans l'avenir.
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Des taux d'activité relativement faibles.
La Région dispose donc pour le présent et pour l'avenir d'une main-d'oeuvre abondante et jeune. Ceci devrait constituer une chance appréciable et faire naître l'optimisme.
Or, le taux d'activité de cette population est, quant à lui, inférieur aux taux moyen d'activité français. La population active s'élevait à 1.300.000 personnes en 1962. Ceci représentait un taux d'activité de 37,3% alors que la moyenne française était, la même année, de 42,5%. L'écart, déjà marqué pour les hommes (54% dans la région contre 58,2% dans la France entière) l'est plus encore pour les femmes (21,4% dans la région contre 27,6% pour la France entière).
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Les structures économiques expliquent la faiblesse des taux d'activité.
Tous ces chiffres donnent l'impression que le Nord n'utilise pas suffisamment l'atout que représente sa population. Pourquoi de tels écarts entre les taux d'activité de la Région et les taux moyens pour la France entière? Les explications sont à rechercher surtout dans la nature des activités économiques de la Région.
Pour 100 personnes actives, 10 travaillent dans l'agriculture. Ce chiffre est tout-à-fait remarquable en France, où la population agricole, représente une part importante de la population active: 20%. Ceci ne veut
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d'ailleurs pas dire que l'agriculture soit une activité négligeable du Nord. Les développements consacrés aux activités économiques montreront qu'il n'en est rien.
Le secteur tertiaire, lui aussi, occupe une partie relativement faible de la population active régionale: 36% contre 41% dans l'ensemble de la France. Ce chiffre correspond d'ailleurs à une insuffisance que le Nord devra combler dans l'avenir. Les membres des professions libérales et les représentants des activités administratives n'y sont pas assez nombreux.
L'importance du secteur secondaire, qui correspond aux emplois dans l'industrie, est au contraire la caractéristique la plus marquante de la région. Elle mérite d'être soulignée: 54% des hommes et des femmes qui travaillent dans le Nord sont occupés dans le secteur secondaire, alors que ce secteur ne regroupe que 39% de la population active française.
L'histoire économique explique cette situation. Le Nord s'est dégagé de l'agriculture plus rapidement que les autres parties du territoire français, grâce à une meilleure productivité, grâce également à la capacité de ses sols. En effet, dès la seconde moitié du XIXème siècle, la population s'est consacrée, d'une manière particulièrement intense, à l'industrie. Les entreprises qui se développèrent ont accaparé la main-d'oeuvre d'origine agricole, accélérant le phénomène bien connu d'exode rural; elles ont aussi freiné le développements du tertiaire. Ces faits très anciens pèsent aujourd'hui d'un poids très lourd dans les problèmes de conversion que connaît l'économie régionale. Les hommes se sont profondément ancrés dans les activités industrielles, dans lesquelles, d'ailleurs, ils ont montré tout leur courage et toute leur ténacité.
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Des données psychologiques et sociologiques expliquent aussi les difficultés présentes.
Les structures économiques et leur évolution historique n'expliquent pas, à elles seules, la faiblesse des taux d'activité dans le Nord. Des facteurs psychologiques et sociologiques jouent également un rôle incontestable.
La population du Nord est très urbanisée: le taux de population urbaine atteint près de 70%. 10% de la population urbaine française, c'est-à-dire un citadin français sur 10 habite la région Nord-Pas-de-Calais. Mais l'urbanisation est diffuse. Elle n'a rien de comparable avec la concentration que représente la région parisienne.
L'habitat est moins centré sur quelques pôles urbains que dans d'autres parties du territoire français. Les villes, même lorsqu'elles sont proches les unes des autres, ont acquis au cours des siècles une réelle personnalité. La transformation de l'agglomération de Lille-Roubaix-Tourcoing en métropole régionale ne peut être une opération immédiate tant il est vrai que chacune des cités a conscience de son existence propre. Ceci témoigne de l'ancienneté de l'urbanisation dans la région du Nord et doit être rapproché de la faible proportion dans la population active des agriculteurs et des salariés agricoles.
L'emploi féminin, quant à lui, est certainement défavorisé par l'importance des industries lourdes et le faible développement du tertiaire. Il ne faudrait cependant pas négliger l'incidence, sur ce point précis, de la place accordée dans le Nord à la vie du foyer.
La population du Nord demeure très attachée à nombre de valeurs; valeurs réelles, en particulier, qui lui donnent le goût du travail et l'invitent à s'engager de façon précoce dans la vie active, ce qui présente à la fois un bon et un mauvais côté. Bon parce que celà constitue une preuve de réalisme; mauvais, parce que le fait de prendre un métier trop tôt, avant d'avoir acquis la formation nécessaire, ne permet aux intéressés ni de progresser tout au long de leur vie professionnelle,
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ni de s'adapter aisément à une activité nouvelle lorsque celà devient indispensable.
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La situation de l'emploi est préoccupante.
Des inquiétudes incontestables, très profondes même, se sont fait jour dans la région sur l'évolution de l'emploi.
Le Nord avait toujours été considéré comme une région forte, une des grandes régions industrielles de l'Europe. En France, sa primauté n'était pas mise en doute. Pour le désigner, les expressions de ‘région pilote’, de ‘1ère région économique’, étaient fréquemment employées, voire officialisées. Aujourd'hui, au contraire, les hommes du Nord tellement attachés à leur travail craignent d'en étre privés; ils sont inquiets pour l'avenir des jeunes. Le chômage s'accroît, de même que dans l'ensemble de la France, il est vrai, ainsi d'ailleurs que chez nos voisins européens pour qui les temps présents sont également difficiles. Mais le Nord ne se contente pas d'attendre une reprise conjoncturelle. Les projections, les résultats d'extrapolations de tendances passées ont jeté le trouble sur ce que sera l'avenir économique de la région. La situation de l'emploi à moyen terme est considérée avec beaucoup de pessimisme.
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Les prévisions engendrent le pessimisme.
Des calculs, en effet, ont été entrepris, visant à comparer l'offre et la demande d'emplois dans les années à venir. Compte tenu de l'évolution constatée au cours des périodes récentes, des nombres d'emplois futurs ont été estimés.
Parallèlement, à partir de données démographiques et d'hypothèses concernant les taux d'activité, les demandes probables d'emplois ont été prévues. Les perspectives dessinées par ces calculs sont très décevantes.
L'évolution récente de la population active a été extrêmement défavorable. De 1954 à 1962, l'agriculture du Nord a perdu 25% de ses actifs, comme d'ailleurs le reste de la France. Mais le secteur secondaire a décru de 3,8% alors qu'il croissait en France de 6,6%. Le tertiaire, quant à lui, a cru de 11% contre 14% pour l'ensemble du pays.
Le Vème plan français envisage, à partir de ces tendances passées, les variations suivantes concernant les emplois dans les divers secteurs d'activité du Nord:
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Nombre d'emplois (Milliers) |
Variations en % 1970/1962 |
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1962 |
1970 |
Nord |
France |
Agriculture |
126,0 |
98,4 |
- 22 |
- 25 |
Houillères |
114,0 |
86,7 |
- 24 |
- 26 |
Bâtiment & Trav. Publics |
95,7 |
108,8 |
+ 14 |
+ 20 |
Autres Industries |
492,9 |
513,1 |
+ 4 |
+ 10 |
Secteur Tertiaire |
481,1 |
534,6 |
+ 11 |
+ 19 |
Total |
1.309,8 |
1.341,6 |
+ 24 |
+ 6,5 |
Les disponibilités en main-d'oeuvre sont, quant à elles, estimées à 1.461.000 personnes. Ainsi, en 1970, 120.000 personnes seraient dans
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Le port de Dunkerque (Photo A.R. Fleury, Fiennes, P.d.C.)
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l'impossibilité de trouver un emploi dans la Région du Nord. Quel serait le sort de ces personnes? Le Plan ne voit pour elles d'autres solutions que le chômage ou l'emigration. Cette dernière solution devrait d'ailleurs être adoptée par 60.000 personnes, d'après les prévisions.
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Les prévisions demeurent incertaines.
Un problème grave se pose à la région. Faut-il pour autant que toute politique, toute action soit déterminée par une telle perspective? Le climat de défaitisme qui gagne tous les milieux à la lecture de ces chiffres est-il justifié?
Il est difficile d'apprécier la valeur de telles prévisions. Mais sur le plan technique, il est certain que ces calculs sont critiquables. La prévision purement démographique envisageant, comme c'est le cas ici, les effectifs en âge de travailler dans l'avenir pour une région donnée conduit à des résultats assez sûrs. Les changements dans les taux de mortalité ainsi que dans la durée sur la vie active sont très lents. L'incertitude tient plutôt aux mouvement migratoires et aux taux d'activité suivant l'âge et le sexe.
Rechercher, en revanche, quel sera dans un avenir un peu éloigné le nombre d'offres d'emplois est une opération beaucoup plus délicate. Il est dangereux de prolonger les évolutions des offres d'emplois des différentes industries pour en retirer une perspective à 15 ou 20 ans. Or, les estimations du Plan sont incluses dans une vision à très long terme. L'interprétation des statistiques correspondant aux années écoulées est délicate. Les fluctuations conjoncturelles, divers phénomènes propres au court terme, masquent les tendances réelles. A long terme, il n'est pas possible d'apprécier le poids des renouvellements technologiques et des changements très profonds qui, en une décennie ou deux, peuvent modifier considérablement la consommation des particuliers ou l'orientation des investissements. Les sources d'erreurs, les incertitudes sont très nombreuses lorsqu'il s'agit de faire une analyse de l'emploi à long terme.
Malgré leur caractère aléatoire, ces calculs montrent bien la faiblesse de la croissance globale de l'emploi. Celle-ci s'explique de la façon suivante: Les secteurs des Houllères, de la Sidérurgie et du Textile dans lesquels l'emploi diminuera à des degrés variés, de façon probable ou certaine - ce qui n'est pas nécessairement synonyme de déclin - occupent actuelement 1/3 de la population active totale de la région. Tout le développement futur de l'emploi repose ainsi sur le tertiaire et sur un peu plus de la moitié de l'industrie.
Dans les diverses localités de la région, le problème est soit plus, soit moins redoutable suivant la place respective qu'y occupent les activités à emploi croissant et les activités à emploi décroissant. D'une manière générale, les problèmes sont particulièrement graves dans toute la zone située au Sud de la ligne Calais, St.-Omer, Arras, Douai, Valenciennes.
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La main-d'oeuvre est insuffisamment qualifiée.
Les difficultés de la région en matière d'emploi sont aggravées par l'insuffisance de la qualification de la main-d'oeuvre. La population active du Nord comporte près de 80% de salariés (72% pour la France entière) mais surtout elle comporte 52% d'ouvriers de l'industrie (contre 37% pour la France entière).
Dans l'ensemble, la qualification de ces travailleurs est moins élevée que la moyenne nationale, en raison surtout de la nature des industries qui les occupent. En outre, l'insuffisance des offres d'emplois qualifiés conduit un nombre trop grand d'hommes à accepter des emplois qui, ailleurs, sont réservés à des femmes. Près de 52% des emplois de
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bureau sont occupés par des hommes, contre 42% pour la France entière. Le phénomène est particulièrement net dans les Houillères.
La faiblesse des migrations évoquée ci-dessus est intimement liée à la médiocrité relative de la qualification de la population active.
La comparaison détaillée des résultats des recensements de 1954 et de 1962 fait en effet ressortir que la mobilité s'accroit fortement avec le niveau de formation générale, et surtout de la formation technique. Les efforts actuellement entrepris, par les professions notamment, pour améliorer la qualification professionnelle de la population auront sûrement pour conséquence d'augmenter la capacité d'émigration des jeunes.
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Faiblesse de l'immigration liée à une attractivité insuffisance de la région.
Quant au petit nombre d'arrivées, il est lié à l'attraction insuffisante des secteurs où la qualification est supérieure à la moyenne. Et c'est précisément dans ceux-ci que les soldes négatifs sont les plus importants: les trois secteurs de la construction mécanique et électrique, de l'administration et des services rendus aux particuliers (c'est-à-dire, entre autres, l'artisanat, les professions libérales, l'enseignement privé, les cultes) sont responsables, à eux trois, d'environ 60% du solde migratoire total. Une fraction des habitants ne trouvant pas dans la région, en nombre suffisant, les emplois correspondant à leur qualification, dès que celle-ci atteint un certain niveau, est conduite à chercher fortune ailleurs, sans être remplacée par un nombre suffisant d'immigrants.
Le cas de l'administration mérite un examen particulier. En effet, le nombre total de salariés de l'Etat et des Collectivités locales n'atteint dans la région que 8,6% de population active, contre 11,4 pour la France entière moins la Seine. Cette situation n'a pas seulement des effets sur l'emploi. Elle témoigne de l'extrême gravité du sous-équipement en hommes, et particulièrement aux postes d'encadrement et de techniciens, des administrations régionales. Profitant du climat de compréhension et de dialogue qui s'instaure de plus en plus entre les Pouvoirs Publics et le secteur privé, les responsables économiques du Nord ne manquent pas de faire ressortir quel handicap représente cette insuffisance de l'encadrement administratif.
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Ce tableau de la situation de l'emploi peut paraître bien pessimiste. Il est certain que les problèmes actuels sont nombreux et délicats. Le Nord est obligé de les considérer avec lucidité. Sa population est dense et très attachée à sa terre natale, mais aussi son industrie joue un rôle important en France et dans le Marché Commun.
C'est pourquoi il convient, pour bien comprendre la situation actuelle, de dresser un panorama des activités industrielles. Ceci fera l'objet du prochain article.
(Deuxième partie dans le numéro suivant)
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