au gros porteurs) sur la Lys et l'Escaut et qu'on essaie de brancher sur Dunkerque, tout en enclavant le Westhoek; un bassin de ce Dunkerque, port autonome en plus d'un sens, qui, bien loin de penser ‘Flandre’, doit au tribalisme d'être encore le Petit Dunkerque et dont on a répété à santiété qu'il était un colosse aux pieds d'argile, en partie par manque d'arrière-pays, Dunkerque troisième port de France et second même, je crois, si l'on accepte les hydrocarbures, qu'on vient chichement de doter d'une ‘voie express’; une ‘zone verte’ enfin, mon pays sacrifié où Hazebrouck porte l'étendard de la désespérance. Tout cela largement vassalisé par Paris et le grand capital (Steenvoorde vient encore de passer sous le contrôle de Danone) et présentant une ‘congolisation’ quasi coloniale, chacun se désintéressant pratiquement du voisin ou cherchant à l'utiliser au maximum de ses intérêts... Que la Lys soit une frontière, voilà à quoi je me résoudrais déjà difficilement, mais que la Colme en soit une, voilà qui risque de me rester longtemps encore incompréhensible, quelque convaincants que veuillent être les prédicateurs de l'impératif économique: en vertu de quel impératif trouve-t-on non rentable d'accorder à l'arrièrepays de Dunkerque (seul avenir du Westhoek, à mon sens) ce qu'il lui faudrait pour vivre et donner au grand port une assise sûre, alors qu'entre autres scandales, la R.A.T.P. (Régie Autonome des Transports Parisiens) coûtera encore en 1968 au contribuable Français 443 (sic) millions de francs, somme qui, distribuée aux villes françaises, permettrait, paraît-il,
d'augmenter de cinquante pour cent les crédits qu'on leur alloue... Et la région, que fait-elle pour orienter et promouvoir son développement? Pour avoir un petit aperçu du style de l'économie de la région Nord - Pas-de-Calais, j'engage tout un chacun à méditer deux chiffres et une affirmation de Monsieur De Bandt, professeur à la Faculté libre de Droit et Sciences économiques de Lille: les salaires y sont de sept pour cent inférieurs à la moyenne nationale, cependant que le profit des entreprises individuelles lui est de dix-huit pour cent supérieur et que la région connaît une importante fuite de ces capitaux... Sans commentaires... Quant à nous, gens du Westhoek, nous les déshérités d'une pauvre région mal payée, mal équipée et sous-instruite, nous voyons se parfaire l'enclavement de notre garenne: autoroute et canal viendront doubler la frontière de l'Aa, cependant que les industries iront se fixer plus loin dans le basin minier, où il fallait en effet remplacer le charbon défaillant; mais pourquoi faut-il que cela exclue des établissements dans l'arrière-pays immédiat de Dunkerque?... Mais que peut faire l'homme de garenne que les cars promènent soir et matin vers les usines et qui revient à la nuit vers un petit lambeau de terre étiré le long d'une frontière? Certes, il se pourrait qu'excipant du désintérêt des métropoles tant régionales que nationale, tel ou tel intellectuel rêvât de se retirer sur le Mont-Sacré ou caressât le mythe coriace d'une grande Flandre qui nous désenclaverait en perçant la frontiére. Celui-là pourrait crier: ‘Vive la Flandre libre!’. Mais sa voix resterait sans écho et son projet
sans réalisation. Et je m'en réjouis, car cette liberté toute négative est le hochet dont on a amusé un temps plus d'un pays africain: qui empêcherait la Flandre de n'être pas la Flandre et Dunkerque de n'être pas Dunkerque? Qui empêcherait l'au-delà de la frontière d'être à l'enchère? Qui pourrait convaincre les Flamands de France de prendre part à un ‘taalstrijd’ auquel ils répugnent, même s'ils admettent son bien-fondé chez les autres et voient l'intérêt d'être bilingue?...
Avant que Dunkerque ne se décide à être le moteur d'une région et en ait les moyens financiers et politiques et avant que l'Europe n'accepte vraiment et dans son ensemble de relever le défi américain, crier ‘Vive la Flandre libre’ ne peut signifier que ceci: Vivent les hommes libres qui, sans rien négliger pour refaire de la Flandre une terre habitable et responsable, transcendant toutes les frontières de quelque côté qu'ils en soient, refuseront pour leur humble part de former un glacis ou une marche, par le désir qu'ils auront de ne pas passer l'autre sous le couperet ou sur le lit de Procuste de leurs théories, par le souci d'apprécier l'autre dans sa culture et dans sa langue, commençant à désenclaver leurs estimes et leurs respects pour que soit possible une autre symbiose que celle à laquelle je songeais en 66, symbiose qui s'alimenterait du parallélisme de nos misères, dans le respect de nos allégeances et de nos différences mutuelles...
Il est beaucoup de Québecs de par le monde, mais ce ne sont pas surtout les pays, ce sont les hommes qu'il faut libérer en leur rendant les moyens tant économiques que spirituels de leur dignité...
Faut-il le répéter, la grande majorité des Flamands de France, la quasi totalité pour mieux dire, ne refuse pas le cadre Français, elle veut y vivre... Souhait qu'on entendait naguère de Dunkerque à Tamanrasset...