les guerres de religion et les injustices d'un Boinebrocke? On y voit fort peu dans la fumée des encensoirs et des cassolettes... Qui sera le Flamand au regard clair, capable d'éviter le manichéisme infantile des histoires nationalistes pour dresser le bilan de nos fiertés et de nos torts? Celui-là s'apercevrait sans doute que le moment de notre plus grande splendeur fut aussi le moment de notre plus grand accueil. Et il ferait définitive justice des vieux thèmes éculés de supériorité de race et de sang, de peuple de rois, qui empestent les millions de cadavres d'un passé tout récent. Que nous ayons d'éminentes qualités, qui songerait à le nier? Mais la fierté qui se compare est de l'orgueil. D'autres ont d'autres qualités et c'est à l'échelle des peuples que se fait la plus insupportable la morale du ressentiment. Pourquoi mépriserais-je les gens d'un midi où je compte aussi des amis? Et s'il arrivait que telle ou telle région méridionale nous parût misérable, rappelonsnous qu'il en est plus d'une qui se vit saccagée et colonisée par les hommes du nord: ainsi le colonial reproche au colonisé une déchéance dont il fut lui-même l'artisan... Excusez-moi, Monsieur l'Abbé, si je crois fondée en sagesse, même politique, une attitude évangélique...
Vous refuserez sans doute avec hauteur qu'on vous excuse ou qu'on vous explique. Probablement ne persévérerez-vous dans des idées sans réalisme et sans avenir que pour vous justifier de les avoir professées en un temps où elles pouvaient, à tort je le crois, paraître opportunistes. Mais pour moi-même, j'ai besoin de vous comprendre, vous qui eussiez été un grand-homme si vous n'aviez perdu à défendre les dogmes où vous avez cherché refuge (peu d'hommes peuvent ne pas s'arrêter dans l'éternelle errance qu'est la quête du vrai) plus de force et d'intelligence qu'il n'en aurait fallu pour garder à votre pensée en quête d'une patrie humaine la souple ductilité de la vie. De vos outrances, de votre orgueil qui est le singe de votre fierté, sont grandement responsables la pusillanimité et la sottise d'un gouvernement traître à l'essence même du contrat national. Je vous imagine, représentant bafoué, humilié, exacerbé, d'un pays qui aurait pu être, vivant douloureusement et courageusement l'ère de l'embrasement des nationalismes, commettant héroïquement parce que sans pouvoir politique et dans une folle espérance le même contresens que les Allemands et les Français, de prendre une nation pour une cité humaine. Je ne ferai pas chorus avec ceux qui crient haro sur le baudet. Je trouve une navrante grandeur à cet élan désespéré vers une terre des hommes de chez nous. Mais il est temps de poser les vraies questions. Vous faites encore de l'histoire quand il faudrait faire une ‘écologie’ humaine: dans le respect des vraies valeurs du passé (et non des frontières qu'on ne déplacera plus) remplir enfin ce contrat jamais
observé qui fut celui des démocraties, de promouvoir chaque homme dans une cité qui fût à son échelle et dont la calme fierté fût le plus sûr garant de sa capacité d'accueil. Sans doute passerai-je pour un doux rêveur. Qu'importe! Il m'arrive de frémir devant les rêves flamands et la suffisance française. Peut-être n'avons nous plus beaucoup de temps pour essayer de reconstruire des régions humaines et faternelles, lors même que les nationalismes saturés de guerres veulent se fondre dans l'Europe; tels les égotismes fatigués d'eux-mêmes veulent se fuir dans ce suicide en l'autre qu'est la passion. Monsieur l'Abbé, je suis convaincu qu'il faudra bien que nous en arrivions un jour à la charité et à l'amour, non parce que c'est moral, mais parce que je crois au réalisme à long terme de l'évangile.
‘De Zuidelijkste Nederlanden’, door J.M. Gantois, Verzamelde opstellen uitgegeven naar aanleiding van zijn 60e verjaardag. Oranje-uitgaven, Wilrijk, Antwerpen, 1967, 496 blz., 300 BF, 30 NFF, f 24.