Un penseur du régionalisme digne de ce nom!
Je compte parmi les jours fastes de 1967 celui où furetant dans une librairie lilloise, j'eus le regard attiré par un petit ouvrage de la collection ‘Idées’ intitulé ‘La révolution régionaliste’. Je l'achetai, par simple curiosité, imaginant par avance son auteur et son contenu. Sans doute l'ouvrage d'un vieil ecclésistique ou d'un vieux solitaire berçant son besoin de tendresse et de milieu humain par l'évocation d'un quelconque âge d'or, évidemment passé et exhalant sa bile de râté en des lamentations sur le délabrement du présent. Au mieux l'ouvrage d'un original s'essayant à recomposer un puzzle ethnique fort gàté par l'injure du temps et dont il ferait la pierre philosophale des renaissances futures. A la grande rigueur un ouvrage farci de chiffres et de suffisance tombé de la plume dédaigneuse d'un économiste qui prouverait par a plus b que les précédents étaient des sots et des bélîtres et qu'il n'y avait de salut que dans la religion du chiffre et le culte de la déesse Rentabilité, après une conversion impliquant renonciation totale à des préjugés aussi surannés que l'attachement au terroir...
J'ai trouvé l'historien; j'ai trouvé les chiffres. Mais j'ai trouvé surtout un homme soucieux de n'écarter aucune des causes du délabrement intérieur français si difficiles à cerner soient-elles; un homme lucide bien résolu à ne se laisser distraire dans son diagnostic par aucun trémolo, par aucune nostalgie; un humaniste enfin osant penser largement en termes de besoins pour donner à l'homme toute sa taille et toute sa soif d'accueil, attaché ‘à rendre à l'homme la cité de son être et à lui ouvrir la cité du monde’ (dernière phrase). Et je me suis pris à penser que c'était là le régionalisme dont nous avions soif, nous qui sommes excédés par ces fossoyeurs de culture qu'on nomme folkloristes, par ces frôleurs de frontière ruminant un vieil irrédentisme, par ces pontifes modernes prêchant sans vergogne l'impératif catégorique de la rentabilité, dût-elle écraser l'homme... Que ce petit livre dense, clairvoyant et dynamique soit lu partout et qu'il forge peu à peu cette conscience de l'aliénation régionale sans laquelle nous ramons l'air comme des aveugles. Qu'il ouvre à ceux que rebutent, et à juste raison, les théories revêches des vieilles barbes régionalistes, les perspectives d'une cité humaine qui soit à la hauteur de leur idéal. Et la peste soit de celui qui après la lecture de ce livre qui donne à penser (même si c'est pour critiquer) ne partage pas un peu mon enthousiasme.
Jacques Fermaut
Robert Lafont: ‘La révolution régionaliste’, N.R.F. Gallimard, collection ‘Idêes actuelles’ - 251 pages. 11 cm sur 16 - achevé d'imprimer en février 1967.