De Gulden Passer. Jaargang 53
(1975)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Remarques sur l'emploi de quelques modèles italiens dans l'oeuvre gravé des frères Wierix
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La Vierge et l'enfant sur les nuées
Gravure au burin par Jean Wierix Eau-forte par Federico Barocci | |
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no 615: ‘La Vierge et l'enfant sur les nuées’ survolant un paysage fluvial avec un panorama de montagnes, il y a lieu d'envisager deux modèles. L'inscription de la marge inférieure en attribue l'invention à Martin de Vos; il est indéniable toutefois que le registre supérieur de la composition, soit la zone céleste, est calqué sur l'eau-forte de Federico Barocci ‘Madonna nelle Nuvole’ (BartschGa naar voetnoot2, XVII, 3, 2; OlsenGa naar voetnoot3, no 20) avec quelques différences essentielles tant sur le plan du graphisme que dans la conception même du thème (Pl. 1). L'eau-forte de Barocci, admise comme étant son premier essai de graveur, représente le groupe de la Vierge et l'enfant porté vers le premier plan par une volute de nuages, tandis qu'à l'arrière les nuées s'arrondissent en un cercle que délimitent les rayons de l'auréole lumineuse. Le flot de lumière qui enveloppe l'apparition jusqu'à en dissoudre partiellement les contours, confère au sujet son caractère suggestif et tendrement mystique. Presque en saillie du bord de la planche, la Vierge semble descendre vers le spectateur sur lequel aussi se pose le regard de l'enfant. Maintenant la solution apportée par Raphael dans la ‘Madone de Saint Sixte’, Barocci établit ainsi un lien intime et direct avec les fidèles dont la présence est suggérée à la fois par le flux lumineux, l'inclinaison de la Vierge et le regard de l'enfant. Cette mise en cause du spectateur, trait caractéristique des oeuvres de Barocci, est annulée dans la copie qu'en donne Jean Wierix au profit d'une conception plus traditionnelle de la Vierge glorieuse. Le groupe nettement plus sculptural formé par la Vierge et l'enfant (dont le regard dévié nous fuit) se trouve inscrit au centre des nuées qui forment une imposante et compacte guirlande enrichie d'un essaim de chérubins. Les volutes des nuages sont fermement modelées et se développent en largeur comme en profondeur à la mesure de l'importance donnée au paysage. Force est de constater que Jean Wierix intègre fort habilement son emprunt, même s'il ne réussit pas à imiter la grâce rayonnante de la Vierge et le sourire mutin de l'enfant. Rien de commun entre | |
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le graphisme subtil et nerveux, les effets luministes propres au modèle et la solide matérialité infligée à la copie. Le burin complète et insiste là où une texture légère excelle à suggérer une apparence immatérielle, une atmosphère vaporeuse. Sur le plan de la technique, l'unique référence significative au modèle se reconnaît dans l'emploi du pointillé dans le modelé des chairs. Loin de l'utiliser avec la liberté de Barocci qui l'isole en des trames légères telles des touches moelleuses, Wierix en recouvre timidement les parties bombées du front et du bras de l'enfant et, à l'instar du modèle, sans le mêler aux tailles. La référence à Barocci n'écarte nullement la possibilité d'un modèle préalablement fourni par Martin de Vos, ainsi que l'atteste la lettre de la gravure. La modification intervenue entre le dessin et la gravure paraît illustrer de façon significative la méthode de travail du graveur-reproducteur, la part d'initiative qui lui est abandonnée et la facilité avec laquelle il tourne à son profit ce qui lui tombe sous les yeux. Bien qu'on ne puisse ni affirmer ni délimiter la participation de Martin de Vos, on admettra comme plausible un projet de sa main pour une composition de même type. On connaît de lui d'autres compositions étalées sur deux registres voisines de celle-ciGa naar voetnoot4. La disposition générale du paysage ne s'oppose pas non plus à cette hypothèse et atteste une maîtrise de paysagiste que H.G. FranzGa naar voetnoot5 lui reconnaît à juste titre. Que l'attrait du motif ait guidé Jean Wierix à copier l'eau-forte de Barocci se conçoit aisément et le témoignage de Karel van Mander suffit à le démontrer: ‘van zijn eyghen handt sietmen oock eenighe Printen gehetst / daer men in soo cleen dingen soo grooten aerdt en welstandt siet / dat het verwonderlijck en vermaecklijck is / te weten / een Mary-beeldeken in de locht / en eenen S. Franciscus, op een geestighe wijse geknielt / om hoogh siende’. Il est intéressant | |
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de noter que les deux seules eaux-fortes de Barocci citées par Van Mander ont été copiées par Jean et par Antoine WierixGa naar voetnoot6. L'estampe de Jérôme Wierix ‘La Vierge auprès du corps mort de Jésus’ (Alvin, no 263) porte la mention: ‘RAPHAEL’ VR. IN.. Elle ne dérive qu'indirectement de l'invention du maître d'Urbino en recopiant la gravure de son interprète attitré Marc-Antoine Raimondi (Bartsch, XIV, 40, 35; Delaborde, no 20Ga naar voetnoot7). Une traduction de seconde main s'effectue nécessairement au détriment des intentions de l'invention originale mais dans ce cas précis, considérer la copie de Jérôme Wierix comme telle, serait sous-estimer l'activité artistique de Marc-Antoine. Si dans la traduction graphique, l'échelle de talent comprend de nombreux degrés, Marc-Antoine, par sa recherche précise de la forme et de la grandeur d'expression de l'original, se place assurément au rang des graveurs de style. La confrontation de la gravure italienne avec sa copie flamande permet de saisir d'emblée la différence de conception qui les sépare et qui n'est pas sans être stylistiquement révélatrice. Dans la gravure de Marc-Antoine, l'impression de majesté monumentale de la Vierge, qui, écartant les bras, nous montre le corps de son fils couché sur la pierre, procède principalement du fait que, la ligne d'horizon étant placée très bas, sa silhouette se dresse et se détache en sombre sur un fond de clarté. Le caractère de grandeur sculpturale de la Mère de Dieu est accusé d'autre part par son absolue verticalité que soutiennent les motifs du rocher à gauche et du tronc de l'arbre mort à droite. À l'arrière-plan, un paysage aux ondoiements calmes se déploie en accord parfait avec le rythme monumental des figures. La copie qu'en donne Jérôme Wierix révèle une totale méconnaissance de cette logique des rapports entre les éléments de la composition qui confère à la scène une noble et émouvante simplicité. Bien que le remploi des personnages soit transcrit avec une | |
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Le Christ en croix
Gravure au burin par Jerôme Wierix Gravure au burin par Orazio de Santis | |
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scrupuleuse correction, l'effet produit diffère radicalement. La scène de la ‘pietà’ est insérée dans une vision panoramique et mouvementée, ce qui nuit considérablement à la gravité du thème. La ligne d'horizon est remontée très haut pour permettre un cadrage sur un paysage détaillé, où se profile la ville de Jérusalem et le Golgotha, tandis qu'un ciel orageux aux nuages tumultueux jette son ombre sur le drame. La tension dramatique n'y gagne rien, cependant que l'attention est détournée du groupe principal. L'aspect statuaire de la Vierge, qu'aucun élément compositionnel ne vient soutenir, fait place à une attitude empesée et guindée où le geste a perdu force et éloquence. La régularité linéaire, l'équilibre des masses auquel l'ensemble doit sa vigueur chez Marc-Antoine sont dévalorisés dans la copie. Celle-ci, au diapason du goût descriptif d'une sensibilité flamande, s'attache essentiellement à la réalité massive et détaillée des personnages et des choses dans leur espace ambiant. À l'alignement rectiligne des éléments de la composition dont témoigne le modèle italien, s'est substitué un mouvement asymétrique, sans rupture, partant du premier plan uniformément ombré du sol et du rocher pour se prolonger dans les traînées sombres du ciel jusqu'aux lointains du paysage panoramique. Comme celle de Marc-Antoine à l'égard de l'idéal classique, l'activité de graveur d'Orazio de Santis se rattache à la diffusion du courant maniériste dans la lignée du Parmesan. Sa production graphique s'est assignée pour but la traduction des créations ou des modèles fournis par Pompeo Cesura (dit Aquilano), disciple présumé de l'École de Raphael. C'est donc par le truchement de la gravure d'Orazio de Santis (Bartsch XVII, 9, 7) que Jérôme Wierix se réfère à l'invention de Pompeo Aquilano en gravant ‘Le Christ en croix’ avec la mention ‘Pompeus Aquilan'inuēt’ (Alvin, no 225) (Pl. 2). Ici encore le copiste ne se départit pas d'une manière de conteur réaliste, sans rien retenir de la sensibilité du modèle qu'il n'hésite pas à trahir dans son esprit par de légères mais déterminantes modifications. Contrairement aux représentations traditionnelles de la crucifixion, la gravure d'Orazio de Santis représente la Vierge de dos, dissimulée dans un large manteau. Seul le léger mouvement de la | |
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tête penchée sur les mains jointes, laisse deviner l'affliction qui l'anime. Absorbée dans sa douleur, elle oppose son immobilité méditative à l'agitation véhémente de Madeleine et de saint Jean, sur lesquels est reporté l'effet dramatique. De part et d'autre de la croix, les anges répètent en contre-partie l'attitude de recueillement ou de passion de la Vierge et de saint Jean. La composition est agencée en surface comme dans l'espace (qui est sans vraie profondeur) sur un entrecroisement de diagonales qui convergent vers le Christ. Ce schéma règle la direction des arabesques et lie dans un même mouvement l'orientation des corps, les gestes, les regards et l'animation de la draperie. La diagonale maîtresse s'amorce au pied de la Vierge pour s'élever par delà Madeleine jusqu'au visage de saint Jean qui se tourne vers la croix. Le jet des draperies, leurs plis souples ou tumultueux, prêtent à Jean et à Madeleine une intensité de mouvement et d'expression largement indépendante de l'action réelle des corps. L'agencement de la draperie souligne l'étroite connexion des deux figures en tant qu'éléments dynamiques face à la composante statique comprenant la Vierge et le Christ. En accord avec les lignes de force de la composition, la texture graphique est constituée d'un mouvement fluctuant de lignes et de taches lumineuses. Les traits de burin souples et sinueux, les hachures libres et espacées, ne sont pas servilement soumis au rendu matériel des choses représentées, mais au contraire affirment leur prééminence graphique en donnant l'illusion du jeu ondoyant de la plume. La cohésion qui, dans le modèle italien, unit composition et organisation rythmique de la surface, est annulée dans la copie flamande. Le mouvement d'arabesque (doté d'une fonction ornementale en plus d'une valeur spirituelle) est rompu par des moyens d'ordre plastique au bénéfice d'un rendu plus descriptif qui révèle la préoccupation d'une expression juste et concrète des figures mises en action. Un métier laborieux s'applique et s'attarde à la lisibilité et au relief des détails. Les volumes sont soigneusement circonscrits par des tailles brèves et serrées; en accusant les noirs des replis comme les demi-teintes à l'approche du clair, elles font ressortir l'épaisseur et la qualité des étoffes. Dégagés d'un rapport linéaire impératif, les personnages, nantis d'une réelle densité plastique, | |
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coexistent isolément dans la copie. Proportions et vêtements sont fidèlement reproduits et seule l'amplification apportée aux détails accuse l'apparence massive et empesée des personnages comme le caractère contraint de leurs gestes. Cette impression s'impose avec évidence si l'on examine les modifications légères mais déterminantes apportées à l'attitude de saint Jean. Dans le modèle italien, le corps du saint est assujetti au mouvement d'arabesque et la fonction expressive est confiée essentiellement à la mobilité de la draperie. Dans la copie au contraire, c'est l'action corporelle qui est nettement ressentie dans son mouvement de torsion: les articulations sont clairement accusées et palpables sous l'étoffe, ainsi dans le geste du bras relevant un pan du manteau ou dans celui du bras tendu vers la croix mais légèrement replié afin d'accuser la saillie du coude. Le pan gauche de la draperie au pied du saint, dans le modèle, s'inscrit dans le mouvement ascendant de la figure drapée, lui sert en quelque sorte de support, telle la racine d'un arbre; sa suppression dans la copie accuse distinctement le mouvement de marche vers l'avant, tout en permettant l'usuelle échappée vers un paysage lointain. C'est au même souci de vérisme que l'on peut attribuer dans la copie la substitution de la Vierge de face qui apparaît ainsi ajustée ‘harmonieusement’ à l'ordonnance de l'ensemble. Cette modification compromet non seulement l'effet de contraste inhérent au modèle, mais elle détruit aussi l'unité rythmique de la composition fondée sur le jeu des obliques oscillant de gauche à droite et d'avant en arrière. Il est concevable que le goût du narratif allant de pair avec le souci d'une disposition scénique traditionnelle aient incité le copiste à représenter la Vierge de face. L'hypothèse que substitution de motif soit à considérer ici au sens strict, soit comme un emprunt au répertoire de formes du même inventeur, laisse en outre deviner une pratique de copiste compilateur. Le type de la Vierge semble en effet dériver très exactement de celui représenté dans le ‘Christ descendu de la croix’ gravé par de Santis d'après Pompeo Aquilano (Bartsch XVII, 10, 9). Des analogies frappantes se révèlent en effet dans l'attitude physionomique, dans le geste de prière des mains jointes aux doigts entrecroisés et repliés, dans le | |
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drapé du manteau dont l'un des pans est relevé jusqu'à la ceinture et l'autre retombe en longs plis verticaux, comme dans l'ajustement de la coiffe apparaissant sous le bord replié du vêtement. On peut encore dénombrer avec certitude cinq estampes italiennes ayant fait l'objet de reprises textuelles par les frères Wierix. Sur aucune des copies ne figure le nom de l'inventeur ou du traducteur. Trois d'entre elles, dues au burin de Jean WierixGa naar voetnoot8, répètent dans le même sens des gravures de reproduction: le ‘Jugement dernier’ de Michel-Ange (Alvin, no 303) d'après l'estampe de Martin Rota (Bartsch XVI, 260, 28), ‘Vénus s'essuyant les pieds au sortir du bain’ (Alvin, no 1432) et la ‘Ronde d'enfants menée par deux amours’ (Alvin, no 1559), inventions de Raphaël traduites par Marc-Antoine Raimondi (Bartsch XIV, 224, 297Ga naar voetnoot9 et 177, 217; Delaborde, nos 115 et 182). Les deux autres copies gravées respectivement par Jérôme et Antoine Wierix reproduisent en contre-partie les créations de peintres pratiquant l'eau-forte: ‘Saint François recevant les stigmates’ (Alvin, no 905) d'après Federico Barocci (Bartsch XVII, 3, 3; Olsen, no 28) et ‘Saint François d'Assise’ (Alvin, no 907) d'après Francesco Vanni (Bartsch XVII, 196, 3). Dans cet ensemble de copies quasi littérales ne se décèle aucun changement essentiel à l'égard de la mise en page des motifs repris trait pour trait d'une écriture soignée, conforme aux normes de netteté, de régularité et de perfection manuelle. L'intention de contrefaire les apparences caractéristiques du modèle ne s'y manifeste pas pour autant. Sans quitter des yeux leurs sources d'inspiration, les copistes se plaisent à les détailler en exploitant leur propre fonds artisanal. Les modifications partielles, non exemptes de lourdeur, qui en résultent trahissent ce même goût des additions descriptives observé précédemment. Elles procèdent d'une constante application à la représentation minutieuse de la réalité jusque dans ses détails les plus accessoires. Sans vouloir départager artistiquement modèles et copies - une telle comparaison n'étant valable qu'à égalité de talent - force | |
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est de constater l'opposition évidente entre la sobriété italienne limitant sa tâche à la transcription des formes définies par le dessin et la préoccupation flamande d'en rendre sensible l'exécution matérielle. Toute louable que soit cette recherche lorsqu'en l'occurrence, elle dégénère en préoccupation exclusive, elle se condamne à l'étroitesse anecdotique de l'imagerie. C'est d'ailleurs rendre justice à leurs prétentions respectives que de situer à ce niveau les copies des frères Wierix. | |
Aantekeningen bij het gebruik van enkele Italiaanse voorbeelden in het grafisch werk van de gebroeders WierixAcht Italiaanse prenten worden vergeleken met de kopieën die de gebroeders Wierix daarvan hebben gemaakt. Zonder zich al te zeer te verwijderen van het Italiaanse origineel, waarvan ze zelfs de stilistische eigenschappen min of meer behielden, hebben de Wierixen deze werken aangepast aan de smaak van hun tijd en hun milieu. Tegelijk blijven zij de voortzetters van een technische traditie met een uitgesproken nationaal karakter, zoals duidelijk wordt onderlijnd door de confrontatie van de kopie met het origineel. |
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