De Gulden Passer. Jaargang 53
(1975)– [tijdschrift] Gulden Passer, De– Auteursrechtelijk beschermd
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Honoré Daumier et Louis Gallait
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Pl. 1. Louis Gallait, Derniers honneurs rendus aux comtes d'Egmont et de Hornes (Tournai, Musée des Beaux-Arts) (Copyright A.C.L., Bruxelles)
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dans les prétentions des deux autres. C'est à ce tiers-parti qu'appartient encore aujourd'hui M. Gallait’Ga naar voetnoot3. Daumier, quant à lui, ne devait jamais relever du ‘juste milieu’, ni en art, ni en politique. Rien donc ne pouvait unir l'auteur des Bons Bourgeois et celui qui avait choisi les comtes d'Egmont et de Hornes comme héros. Et pourtant. En 1852 précisément, au Salon de Paris, Louis Gallait exposait les Derniers honneurs rendus aux comtes d'Egmont et de Horn par le Grand-Serment de Bruxelles, mieux connu sous le titre Les Têtes coupées (fig. 1), oeuvre qui avait rencontré un grand succès au Salon de Bruxelles l'année précédente, ‘M. Gallait est la plus puissante personnalité artistique du pays’ pouvait-on lire alorsGa naar voetnoot4, et qui fut payée trente-huit mille francs par la ville de Tournai, ‘le prix d'un Van Dyck ou d'un Rubens’Ga naar voetnoot5. Le tableau fut donc l'objet, à Paris, de la plus vive attention, d'autant plus que le peintre y jouissait déjà d'un réelle notoriété. N'avait-il pas reçu quelques années plus tôt, en 1841, la Légion d'honneur, à l'occasion de l'exposition de son Abdication de Charles Quint? Cette distinction confirmait un succès antérieur: l'achat de son Job pour la Galerie du Luxembourg. L'événement d'ailleurs ‘fit du bruit. Jusqu'alors l'oeuvre d'aucun artiste aussi jeune n'avait obtenu pareil honneur’, devait souligner plus tard Max SulzbergerGa naar voetnoot6. Le Salon de 1852 présentait au visiteur ‘1757 ouvrages répartis de la manière suivante: 1280 tableaux, 270 sculptures, 88 gravures, 53 lithographies, 66 dessins d'architecture’Ga naar voetnoot7. Nous mesurons mal, aujourd'hui, l'importance et l'ampleur de ces manifestations annuelles! Et encore, cette année-là, d'après la presse, ‘la sévérité, ou plutôt la clairvoyance du jury, (...) a pu offrir un Salon supérieur comme intérêt à ceux des années précédentes’Ga naar voetnoot8. (En 1851 les salles du Palais-Royal abritaient en effet 3925 numéros!). L'oeuvre de Gallait fut unanimement remarquée, mais malgré la renommée dont elle jouissait déjà, la critique française fit preuve de réserve, sinon d'hostilité à son égard. | |
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Réticences très nettes chez Gustave Planche: ‘Le tableau de M. Gallait réunit plus de curieux que d'admirateurs; il y a certainement de l'habileté dans l'exécution de cet ouvrage, mais cette habileté, qui frappe tous les yeux, est purement matérielle (...) Quant à la partie poétique du sujet, il ne s'en est pas inquiété un seul instant’Ga naar voetnoot9. Hostilité dans L'Artiste, sous la plume de Clément de Ris: ‘Le premier venu, sans être artiste le moins du monde, pourra composer un tableau comme les Derniers honneurs rendus aux comtes d'Egmont et de Horn. Il faut, pour cela, de la patience, mais le talent n'est pas nécessaire’Ga naar voetnoot10; Léon Aubineau dans L'Univers parle de ‘l'horrible étalage d'aujourd'hui’Ga naar voetnoot11 et Etienne-Jean Delécluze dans le Journal des Débats dit que ‘ce raffinement d'horreur mis en oeuvre pour faire impression sur le spectateur, dépasse de beaucoup les limites que l'art impose en pareille occasion’Ga naar voetnoot12. Le reproche majeur était la non-observance, dans le sujet traité, des lois du genre: ‘lorsqu'il choisit un sujet héroïque, il faut qu'il se résigne à tenter le style héroïque’Ga naar voetnoot13, déclarait Gustave Planche. Le genre, la loi du genre, tels étaient les critères absolus de jugement aux yeux de la critique officielle au milieu du XIXe siècle. Ces conventions, cette conception académique, au sens péjoratif du terme, devaient être contestées par Courbet en 1855Ga naar voetnoot14 et donner naissance au Salon des Refusés en 1863. Les Têtes coupées, d'ailleurs, ne furent pas primées et ce fut Joseph Stevens qui figura au palmarès, avec une médaille de seconde classe, pour Un Métier de chien. Gallait, cependant, devait trouver des défenseurs, en la personne, entre autres, d'Arsène Houssaye. ‘Pour tous ceux qui voient dans la peinture, écrivait celui-ci, autre chose que l'habileté du pinceau et les mille bonheurs d'une exécution adroite, il y aura, dans le sévère tableau de M. Gallait, un incontestable mérite: nous voulons parler du lugubre sentiment de la scène, de la douloureuse | |
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poésie des détails et de l'ensemble. Les deux nobles têtes des gentilshommes décapités, le drap de velours noir qui recouvre leurs sanglantes reliques, le crucifix d'argent qu'une main pieuse a déposé sur l'un des cadavres, tout cela vient assurément d'un maître; et la foule, qui a toujours l'instinct du drame, ne s'y trompe pas. C'est là, dans son émouvante réalité, la vraie image du deuil. Les deux soldats qui, debout près des corps des suppliciés, semblent veiller sur la proie du duc d'Albe, ont un caractère farouche qui va bien à la scène et qui la complète. Ces deux figures, détachées du tableau, feraient la réputation d'un peintre. Malgré quelques vulgarités de types, inévitables dans un tableau où l'auteur a voulu suivre de très-près la nature, le groupe des arbalétriers du grandserment témoigne, dans son immobilité apparente d'une douleur sentie, d'une émotion contenue, mais profonde’Ga naar voetnoot15. La citation est longue, mais relève les qualités réalistes de l'oeuvre (‘émouvante réalité’, ‘suivre de très-près la nature’) et rejoint ainsi, sous un angle positif, ce que les détracteurs reprochaient au peintre. Taxile Delord, sur le plan humoriste: ‘M. Gallait qui a si soigneusement rebroussé les poils de la barbe des deux décollés, qui ne nous a fait grâce ni d'un bleu aux lèvres, ni d'une tache de sang, (...) M. Gallait n'a point songé à l'arbalète. On a beau être réaliste, on laisse toujours échapper quelque chose de la réalité’Ga naar voetnoot16. Gustave Planche, critique sérieux, notait quant à lui: ‘J'ai entendu comparer M. Gallait à M. Paul Delaroche, et les réalistes n'hésitent pas à préférer le peintre belge au peintre français’Ga naar voetnoot17. Tout ceci mérite réflexion et le témoignage d'Honoré Daumier pourrait jeter une lumière intéressante sur le problème. Dans sa série Le Public du Salon, suite de onze lithographies publiées dans Le Charivari entre le 24 avril et le 29 mai 1852 (L.D. 2292 à 2302), | |
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Pl. 2. Honoré Daumier, Le danger de faire voir à des enfants... (Phot. Bibliothèque nationale, Paris)
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deux planches ont trait à l'oeuvre de Gallait. L'événement que suscitaient Les Têtes coupées justifiait, sans nul doute, l'attention du caricaturiste mais celle-ci dépassait le simple commentaire graphique d'actualité, tel qu'on peut le trouver chez un Cham par exempleGa naar voetnoot18. Sans doute la première de ces deux lithographies de Daumier est-elle anecdotique par rapport à l'oeuvre de Gallait, bien que, comme dessin, d'une remarquable vivacité. Au milieu d'une forêt de chapeaux hauts de forme qui n'a d'égal que l'accumulation des rectangles qui tapissent le mur - le public et les oeuvres - une famille se tient au premier plan; l'homme, portant un bambin qui braille et tiraillé par un autre enfant qui tente vainement d'attirer son attention, écoute, hypnotisé semble-t-il, une lecture que lui fait sa plantureuse ‘bourgeoise’ (fig. 2). La légende: ‘Le danger de faire voir à des enfants trop impressionnables le tableau de monsieur Gallait et de lire devant eux à haute voix la notice sur la décapitation du comte d'Egmont’Ga naar voetnoot19. Cette notice, la même à peu de choses près que celle du Salon de Bruxelles de 1851, reprenait un passage de l'Histoire de la ville de Bruxelles de Henne et Wauters, rédigé en ces termes: ‘Les têtes des deux comtes furent placées sur les pieux de l'échafaud et y restèrent exposées pendant plusieurs heures. Les soldats espagnols avaient poussé des acclamations; mais le peuple, qui se serait jeté sur eux s'il avait eu la moindre chance de succès, se retira consterné. Beaucoup trempèrent des couronnes de fleurs dans le sang qui dégouttait de l'échafaud; d'autres jurèrent de se laisser croître les cheveux jusqu'à ce qu'ils eussent vengé ces nobles victimes de la tyrannie, et depuis ce moment, dit un écrivain, la commune de Bruxelles voua au duc d'Albe une haine à mort... Vers quatre heures, les cadavres furent portés au couvent des Récollets, sous l'escorte du Grand-Serment...’Ga naar voetnoot20. La planche de Daumier n'illustre donc pas l'oeuvre en temps que telle mais sa description au catalogue. | |
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La seconde lithographie met en scène, accessoirement sans doute, mais de manière parfaitement identifiable, le tableau lui-même. Elle montre aussi un enfant hissé à bras le corps cette fois, pour mieux voir par dessus la tête des spectateurs, le fameux tableau dont on distingue, rapidement croqué - et déformé -, la partie supérieure droite (fig. 3). La planche est accompagnée d'un échange de propos entre père et fils: ‘Laisse-moi regarder encore un peu, papa!.. Ça me fait bien de la peine le supplice de ce pauvre comte d'Egmont!’, dit l'enfant; ‘Tu ferais mieux d'avoir pitié du supplice de ton malheureux père qui a les bras cassés à force de te tenir en l'air!’, lui est-il réponduGa naar voetnoot21. Daumier raille, à nouveau, bien plus le public que l'oeuvre et l'importance accordée par le spectateur à la seule anecdote. On est en droit de se demander si l'intérêt dont Daumier fait preuve ne serait pas dû à certaines caractéristiques du tableau lui-même, celles précisément qui rebutaient la critique officielle, à savoir les qualités réalistes de certains détails. N'oublions pas, d'autre part, que Daumier fut, en juillet 1834, l'auteur de la célèbre Rue Transnonain (L.D. 135), planche mettant en scène, de manière plus réaliste encore, les victimes d'une répression sanglante. Un même esprit a dû animer les deux artistes et rendre dès lors Daumier plus attentif à cette page d'histoire, moins engagée que la sienne mais également frappante dans son genre, et explique peut-être aussi pourquoi Gallait fut le seul contemporain belge dont le satirique français ait rendu compteGa naar voetnoot22. Le réalisme des Têtes coupées peut donc avoir particulièrement frappé Daumier, car, au delà du caractère quelque peu théâtral, quoique remarquablement composé, de l'ensemble, le vérisme, dirait-on aujourd'hui, du martyre d'Egmont et de Hornes était souligné à tel point que Delécluze s'écriait: ‘Il y a des choses qu'il suffit de raconter, et que l'on ne doit jamais présenter aux yeux’Ga naar voetnoot23, | |
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Pl. 3. Honoré Daumier, Laisse-moi regarder encore... papa!... (Phot. Bibliothèque nationale, Paris)
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et Cham, plus terre à terre, notait sous un croquis: ‘C'est affreux de faire payer vingt sous pour voir ça... tandis qu'on entre à la Morgue pour rien!’Ga naar voetnoot24. On connaît, de plus, les nombreux dessins et esquisses préparatoires au tableau du musée de Tournai qui attestent cette volonté du peintre, non seulement de respecter la représentation d'un événement historique, mais aussi de rechercher les effets et l'exactitude des détails. Ce souci, il le portait très loin, puisque Jules du Jardin rapporte qu'il obtint, d'un ami procureur général, la tête tranchée d'un condamné à mort pour lui servir de modèle! ‘Pourvu qu'on n'aille pas guillotiner ce malheureux pour me faire plaisir’! se répétait-il sans cesse. Nuit et jour, il avait devant les yeux la rouge vision de la guillotine. Enfin, un homme, porteur d'un panier à couvercle vint sonner à sa porte, un matin; c'était l'aide du bourreau! L'homme tira de son panier une tête exsangue qu'il tenait par les cheveux et qu'il tendit au peintre. Gallait, plus mort que vif, agité d'un tremblement nerveux, reçut la tête des deux mains. Mais il la laissa tomber, tant était forte son émotion, et la sinistre boule, qui servit d'étude pour le tableau célèbre, alla rouler sur le plancher de l'atelier!’Ga naar voetnoot25. Quelle que soit la part romancée de cette narration, le souci réaliste du peintre pourrait être confirmé, s'il le fallait, par le fait que certains des personnages représentés dans le tableau sont, selon toute vraisemblance, des portraits. C'est le cas, en effet, du deuxième personnage au second plan à partir de la droite, homme âgé, porteur d'une pique, dont les traits empreints de tristesse voient couler une larme sur la joue gauche. Il s'agit de John Roberts-Jones (1783-1854)Ga naar voetnoot26, ami de l'artiste et père du peintre animalier Adolphe Jones (1806-1874) chez qui Gallait avait logé, rue des Palais, lors de son retour à Bruxelles après 1841Ga naar voetnoot27 et dont les traits pourraient être ceux du premier personnage du second plan. Cette volonté réaliste de Louis Gallait, qui le situe au delà de | |
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l'académisme dans lequel l'histoire l'a depuis lors emprisonné, correspond à l'authenticité profonde de l'art belge, qui devait reprendre vigueur, dès cette époque, avec les frères Stevens, et Joseph Stevens en particulierGa naar voetnoot28. D'ailleurs, les qualités que l'on peut relever aujourd'hui encore dans certaines oeuvres de l'école dite de 1830 ne se trouvent-elles pas, au delà des sujets, dans la manière même de peindre et jusque, parfois, dans la matière picturale? Ainsi ce que Arsène Houssaye écrivait en 1852 à propos des Têtes coupées est vrai pour l'ensemble de la peinture belge du temps: ‘Si M. Gallait voulait s'abandonner à l'expansion et déchirer un peu sa rive, selon l'expression de Diderot, il pourrait dépasser de beaucoup encore M. Gallait’Ga naar voetnoot29. Quant à Daumier, le dessin, lorsqu'il est la conséquence de l'oeil d'un maître tel que lui, peut avoir une valeur aussi critique et aussi éclairante que celle d'un écrit, et l'on sait que cet artiste majeur fut non seulement le génial interprète des faits politiques et des moeurs de son temps, mais aussi de tous les aspects vivants de son époque. | |
Honoré Daumier en Louis GallaitIn 1852 stelde Louis Gallait in het Salon te Parijs zijn schilderij De laatste eer bewezen aan de graven van Egmont en Horne ten toon. Dit doek, beter bekend onder de titel De afgehouwen hoofden, trok weliswaar bijzonder de aandacht, maar werd tegelijk ook aangevallen door het merendeel van de Franse kunstcritici van die tijd, die de kunstenaar verweten zijn onderwerp al te realistisch te hebben benaderd in plaats van het, overeenkomstig de wetten van het genre, op de gebruikelijke heroïsche manier te behandelen. Blijkbaar werd Honoré Daumier juist getroffen door het realistisch karakter van Gallaits oeuvre (dat ten andere ook bleek uit de voorbereidende schetsen en de aanwezige portretten), want in een reeks van elf litho's, waarin hij nog datzelfde jaar (1852) Het Publiek van het Salon op de korrel nam, wijdde hij twee platen aan het schilderij van Gallait. Daumier maakte overigens niet het werk van Gallait tot het voorwerp van zijn spot, maar wel de reacties van de salonbezoekers op de anecdote die ten grondslag lag aan het kunstwerk en die in de catalogus beschreven werd. | |
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De kritiek vervat in de geniale tekening van Daumier illustreert dus wel degelijk de realistische opzet van het oeuvre van Gallait, dat men lange tijd heeft opgehangen aan een academisme dat weinig of niets gemeen heeft met het volstrekt authentieke karakter van de 19de-eeuwse Belgische kunst. |
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