Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975
(1975)– [tijdschrift] Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw– Auteursrechtelijk beschermd
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Madame de Charrière devant la critique de son temps‘Caliste’ eut du succès à Paris, écrivait Sainte-Beuve dans la Revue des deux mondes du 15 mars 1839. En cherchant bien, on trouverait des articles dans les journaux du temps’. Cette recherche fut entreprise à la fin du siècle par Philippe Godet, qui réussit à déterrer une dizaine de recensions françaises dont il cita des extraits, parfois assez étendus, dans son grand ouvrage sur Mme de CharrièreGa naar eindnoot1.. Au même moment, la monumentale bibliographie de Karl GoedeckeGa naar eindnoot2. signalait une quinzaine d'autres comptes rendus, parus dans les gazettes allemandes de l'époque. Ces références parvinrent trop tard à la connaissance de Godet pour être utilisées par luiGa naar eindnoot3., mais elles le furent trente ans plus tard par Charlotte Kimstedt qui consacra un chapitre de sa thèse à la critique allemande.Ga naar eindnoot4.
Il nous a semblé que le moment était venu de compléter l'enquête et de réunir en un seul corpus les divers comptes rendus repérés. Nous nous sommes limité naturellement aux recensions parues du vivant de Mme de Charrière dans les périodiques contemporains, en excluant les jugements que pouvaient renfermer les correspondances du temps. Une telle exclusion se justifie pleinement dans l'optique d'une histoire des idées. En effet, contrairement aux correspondances, même ‘liitéraires’, dont la diffusion est demeurée très restreinte, voire confidentielle, les gazettes ont communiqué leurs informations à des centaines de lecteurs - préfiguration des mass media d'aujourd'hui. Les recensions répandues par ce véhicle privilégiéGa naar eindnoot5. ont contribué ainsi à former l'opinion et revétent de ce fait une importance sociale qui surpasse en général leur valeur proprement littéraire.
Comment donc les gazettes du temps ont-elles présenté les oeuvres de Mme de Charrière? Quelle image en ont-elles donnée? Telles sont les questions auxquelles cette modeste étude se propose de répondre.
Faisons d'abord une petite statistique des textes disponibles. Nous en avons trente, compte tenu des deux recensions (XXIX et XXX) faites par Pauline de Meulan sur des éditions parues peu après la mort de Mme de Charrière. Sous le rapport des langues, le français et l'allemand se partagent le panier par moitié, mais les quinze recensions allemandes sont, dans l'ensemble, plus courtes que les recensions parues en français.
Et les autres langues? Si l'on en croit le vaste dépouillement de Maria Rosa ZambonGa naar eindnoot6., les gazettes italiennes n'ont publié aucun compte | |
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17. Dessin du Pasteur Chaillet jouant aux cartes avec Monsieur de Charrière, à l'arrière-plan peut-être Isabella (dessinateur inconnu), paru dans La Vie intellectuelle et religieuse en Suisse française à la fin du XVIIIè siècle, Charly Guyot (Secrétariat de l'Université de Neuchâtel)
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rendu des oeuvres de Mme de Charrière: encore faut-il préciser qu'aucune oeuvre de Belle n'a paru, du vivant de l'auteur, en traduction italienne. Comme on ne connaît pas non plus de traduction anglaise, hollandaise ni scandinave contemporaine, nous n'avons pas jugé utile d'entreprendre des recherches de ces côtés-là - mais peut-être avons-nous eu tort.
Du point de vue chronologique, on constatera que les recensions retrouvées se répartissent en deux époques nettement distinctes. Les onze premières ont paru en l'espace de quatre ans, de juin 1784 à avril 1788. Ellas sont toutes rédigées en français et plusieurs d'entre elles sont très étendues. Après une pause de six ans et demi, on entre dans la seconde époque, qui va de novembre 1794 à juin 1802 et totalise dix-sept recensions, soit quinze en allemand et deux en français, toutes assez courtes. Les deux articles ultérieurs de Pauline de Meulan forment la transition entre la critique contemporaine et les jugements rétrospectifs de l'histoire littéraire proprement dite.
Le feu de la critique s'ouvre sur Mme de Charrière par une salve unique à tous égards. Le compte rendu que le Neuchâtelois Henri-David de Chaillet donna à NeuchâtelGa naar eindnoot7. des Lettres Neuchâteloises (I) est en somme une affaire de famille. De tous les critiques qui s'occupèrent des oeuvres de Mme de Charrière, Chaillet, sauf erreur, était et resta le seul qui connút personnellement et intimément l'auteur - ce qui confère à son article une saveur inimitable que GodetGa naar eindnoot8. a trop finement analysée pour que nous songions à y revenir après lui. Il faut relever cependant que la recension de Chaillet fut non seulement la seule à parler des Lettres Neuchâteloises, mais surtout la seule, ou quasiment, à paraître en Suisse. Il est vrai que le Journal de Lausanne présenta Caliste à ses lecteurs (X), mais le professeur Jean Lanteires, qui rédigeait cette feuille, prit ses distances en révélant dans une note aigre-douce que le texte lui avait été ‘communiqué’. On ne trouve à part cela, dans les gazettes helvétiques du temps, que les sept lignes un peu dédaigneuses du Journal littéraire de Lausanne sur les Trois Femmes (XXII). Mme de Charrière, c'ést un fait, ne rencontra guère de succès dans le pays qui était devenu le sienGa naar eindnoot9.: les pages que lui consacra Chaillet en sont d'autant plus remarquables.
Les Lettres de Mistriss Henley et les deux parties des Lettres écrites de Lausanne ont valu à Mme de Charrière une dizaine de comptes rendus en français. La plupart d'entre eux sont assez étendus, certains comptent jusqu'à 15 pages. On les trouve dans les gazettes les plus répandues de l'époque: le Mercure de France, l'Année littéraire, | |
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le Journal de Paris, le Journal encyclopédique (car ce dernier périodique, même s'il paraît à Bouillon, appartient sans conteste à la sphère française). Par deux fois (VI et XI), l'une de ces recensions fut reprise dans cette revue des revues qu'était alors l'Esprit des journaux françois et étrangers. On peut donc bien parler de succès.
Ces comptes rendus, à vrai dire, ne sont point exempts de réserves. Aux Lettres de Mistriss Henley, L'Année littéraire (II) reproche certaines exagérations: ‘On pourra trouver que pour une personne qui se meurt, Mistriss Henley parle bien long-temps. Les héros de roman ne meurent apparemment pas comme les autres hommes’. Et plus bas, à propos des causes du décès: ‘Il n'y a pas dans tout ce que rapporte l'auteur de quoi se laisser mourir de chargrin’. Le Mercure de France, lui aussi, estime que l'épisode manque de vraisemblance: ‘Mrs. Henley éprouve une contrariété (...) et elle meurt en couches. C'est sans doute prendre la chose bien au tragique; et c'est, à ce que nous croyons, un reproche à faire à l'Auteur, qui n'a pas assez motivé cette mort, et qui paroît n'avoir tué son Héroine que parce qu'il étoit pressé d'en finir’ (III). Aux Lettres écrites de Lausanne et plus précisément à Caliste, un autre reproche est fait: ‘Que dirons-nous de cet ouvrage singulier? se demande le Journal de Paris (VIII). L'appellerons-nous moral ou immoral? En pouvons-nous recommander la lecture? (...) Cette Caliste, cette fille entretenue, est peut-être trop aimable et trop séduisante; et comme elle doit une partie de son mérite à l'état qui flétrit sa vie (...) peut-être a-t-on donné à cet état même un relief qu'il ne doit point avoir’.
Ces critiques, cependant, sont largement compensées par les éloges et les compliments. Le rédacteur du Mercure de France (III), qui a lu les Lettres de Mistriss Henley avec un ‘extrême plaisir’, déclare que l'ouvrage ‘mérite en général beaucoup d'estime pour le fond et pour les détails’. Celui du Journal de Paris (VII) trouve à l'auteur des Lettres écrites de Lausanne ‘des idées solides et des sentiments tendres’. ‘Il y a des Romans qui semblent presque éternels, ajoute-t-il: celui-ci est trop court; c'est un défaut plus rare’. Le Journal encyclopédique (V) s'émerveille du naturel des Lettres de Lausanne au point même de s'y tromper: ‘Elles nous paroissent avoir ce ton de vérité et de naturel qui éloigne l'idée qu'elles soient factices ou supposées; et dans le cas où, contre notre opinion, elles le seroient, l'auteur n'en mériteroit que plus d'éloges pour avoir conservé à son recueil l'air de vraisemblance qu'il est si difficile de soutenir dans ces espèces de mensonges littéraires’. Plus loin, le même journaliste loue encore les descriptions de sites et de paysages suisses, ‘tableaux neufs qui | |
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semblent dessinés d'après nature, non par la main d'un voyageur qui voit aussi rapidement qu'il passe, mais par une personne d'esprit qui habite le pays dont elle parle’. Des éloges analogues sont adressés à Caliste: ‘Nous croyons, dit le Mercure de France (IX), que le lecteur y remarquera, avec beaucoup d'esprit et de sensibilité, le talent de bien dessiner les caractères et de les placer dans des situations où ils se développent d'eux-mêmes, et bien plus heureusement que par des paroles’. ‘Il n'y a point ici (...) d'intrigue compliquée, d'événemens frappans, écrit de son côté le Journal de Paris (VIII); mais l'amour, ses peines, ses innocentes joies et son dévouement y sont peints avec une vérité peu commune et avec un charme trop grand peut-être’.
Hollandaise habitant la Suisse, Mme de Charrière écrit en français. Quels jugements les gazetiers de Paris ont-ils donc porté sur sa langue et son style? L'Année littéraire (II) trouve les Lettres de Mistriss Henley ‘écrites assez purement’. Les Lettres de Lausanne en revanche appellent des remarques plus critiques. A propos de l'expression ‘aimables roués françois’ qu'on y rencontre: ‘Se peut-il que ce mot terrible qu'a créé en France la dépravation des moeurs, soit passé et adopté en Suisse? demande le Journal encyclopédique (V), ou faut-il croire que ces Lettres ont été écrites à Paris? Elles nous paroissoient quelquefois avoir un goût de terroir qui nous les faisoit juger helvétiques. Le bon esprit dont elles sont remplies nous confirmoit dans cette opinion’. Ce goût du terroir, le rédacteur du Journal de Paris (VII) l'a également senti: Les Lettres deGa naar voetnoot+ Les vues politiques répandues dans les deux ou trois premières Lettres; quelques termes inusités, moins agréables qu'énergiques, comme se dégonfler sur ce chapitre, pour dire: exposer des idées dont on est plein; les manières, les moeurs, tout y décèle un certain goût de terroir qu'on n'imite pas facilement, qu'on ne cherche pas même à imiter’. Quant au style de Caliste, il vaudra à Mme de Charrière les censures du Mercure de France (IX): ‘L'Auteur est doué de la plus extrême facilité, et il est quelquefois entraîné par elle, déclare le journaliste. Lorsque la pensée ou la situation le soutiennent, son style ne reste jamais au-dessous; mais il y a des détails qu'il a oubliés d'ennoblir, et où il tombe dans des négligences qu'on ne saurait excuser (...) On a besoin de travail et d'art pour faire passes les idées communes, et ce sont celles-là qu'il faut embellir par l'expression. On peut aussi reprocher à l'Auteur de Caliste un usage trop fréquent des répetitions: Jusqu'au moment où il sera question du mariage ... Mais lorsqu'il est question de l'épouser ... En vérité, Madame, cela seroit insupportable: car à présent que cela n'a rien de réel, l'idée m'en est insupportable etc. etc. | |
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Il nous semble qu'on ne passe guère ces formes de style qu'aux Penseurs par excellence, à ceux qui, exerçant sans cesse la raison, la fatigueroient promptement, s'ils n'appeloient à leur aide la plus extrême clarté’.
Conformément à l'usage, aucune de ces recensions françaises n'est signée. A une exception près, cependant: l'article du Mercure de France que nous venons de citer (IX) est de ‘M. Comey ...’. S'il faut compléter en ‘Comeyras’ et si ce nom désigne Victor Delpuech de Comeiras (1733-1805), Caliste était tombée, de l'avis même des contemporainsGa naar eindnoot10., entre les mains d' ‘un des plus mauvais et des plus inhabiles compilateurs’ du temps.
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Après Caliste, plus de six ans s'écoulent sans que la critique reparle des oeuvres de Mme de Charrière. Pendant cet intervalle, Belle écrit et publie pourtant une dizaine d'ouvrages nouveaux. Mais ce sont des pamphlets politiques, des contes ou d'autres opuscules dont la diffusion paraît avoit été aussi faible que le tirage.
Le 25 novembre 1794, la Gazette littéraire d'Iéna (XII) signale brièvement trois écrits de Mme de Charrière parus en traduction allemande dans un recueil édité par Ludwig Ferdinand Huber. Une seconde époque s'ouvre ainsi pour la critique charriériste, en net contraste avec la première: des recensions nombreuses, mais brèves, parfois laconiques, souvent acides, et qu'il faut chercher dans les périodiques allemands. La critique française, désormais, ne semble plus guère s'intéresser à Mme de CharrièreGa naar eindnoot11..
Si les oeuvres de Belle trouvent encore un écho dans le public, c'est donc essentiellement grâce aux traductions que L.F. Huber a faites et publiées de certaines d'entre elles. Une quinzaine de recensions leur ont été consacrées en l'espace de huit ans, de 1794 à 1802. Mais le ton, on va le voir, n'en est pas toujours élogieux.
Il faut dire que, dans son zèle à faire connaître les écrits de Mme de Charrière, l'excellent Huber a pris parfois de singulières initiatives. Ainsi, quelle curieuse idée il eut, en 1794, d'insérer la traduction de deux comédies inédites de Belle au milieu d'un recueil entièrement composé de textes politiques: non sans raison, la Gazette d'Iéna, (XII), jugea que ces deux pièces n'avaient rien à faire dans les Friedens-Präliminarien. La traduction des Lettres trouvées dans des porte-feuilles d'émigrés, publiée dans ce même recueil, valut en revanche quelques complimentsGa naar eindnoot12. à l'auteur sur la naïve simplicité et la force de caractère de ses héros. | |
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Deux autres comédies inédites de Mme de Charrière furent traduites et publiées par le même Huber, en 1795 et 1796, dans son Neueres französisches Theater. Elles étaient à leur place cette fois, mais n'en furent pas mieux accueillies. La Gazette littéraire de Salzbourg (XIII) estima qu'Eitelkeit und Liebe (traduction d'Elise et l'Université) n'apportait rien à la scène allemande et ne méritait pas l'impression. Moins sévère, la Gazette d'Iéna(XIV) voulut bien reconnaître quelques beautés à la pièce, mais releva que la plupart des personnages raisonnaient au lieu d'agir et que le caractère du héros principal se modifiait, vers la fin, d'une manière invraisemblable. Un reproche analogue fut adressé par le même périodique (XXIII) au rôle de Bertrand dans Du und Du (traduction de La Parfaite liberté ou les Vous et les Toi). De plus, cette pièce était gâtée par la présence de nombreux personnages insignifiants et inutiles. Cependant, même au travers de la traduction, les journalistes furent sensibles à la vivacité du style: ‘Man findet einen leichten Dialog (...) darinnen’, écrit celui d'Iéna - et celui de Kiel: ‘Das ganze Stück ist in einem trocknen und feyerlichen Conversationstone geschrieben’ (XXI).
A la même époque, Les Trois Femmes, publiées en traduction allemande par les soins de Huber avant même de paraître en français, obtenaient une meilleure critique. L'oeuvre était bien écrite et la Bibliothèque de Kiel (XIX) fit observer que ces qualités de style étaient d'autant plus appréciables qu'elles allaient se perdant. Les personnages étaient pris dans la vie réelle et l'on entrait vraiment dans leur intimité. Tout en témoignant du plaisir qu'il avait pris à la lecture du roman, le journaliste d'Iéna (XVI) ne cacha cependant pas que le scepticisme de Mme de Vau court à l'égard de la Morale et du Devoir l'avait peiné. Quand l'ouvrage fut publié en France, le Journal de Paris (XXIV) fut plus sévère et décréta que l'intrigue heurtait ‘la loi des convenances’. Ce débat sur la moralité du roman de Mme de Charrière devait être repris par Pauline de Meulan, quelques années après la mort de Belle, dans un brillant feuilleton du Publiciste (XXX).
Honorine d'Userche fut également traduite en allemand et publiée par Huber, en 1796, avant de paraître en français. August Wilhelm von Schlegel - quel honneur! - lui consacra une recension (XVIII) dans la Gazette d'IénaGa naar eindnoot13.. Ce fut d'abord pour dire sa déception. Le thème philosophique annoncé par le sous-titre de l'oeuvre (die Gefahr der Systeme) n'avait reçu aucun développement dans le livre, les exemples donnés étaient à cet égard insignifiants, le danger des systèmes n'exerçait en somme aucune influence sur la conduite des personages. La même critique fut répetée en d'autres termes par le rédacteur de la Bibliothèque de Kiel (XX). En tant que peinture de caractère, Schlegel reconnaissait en revanche que l'oeuvre offrait une description spirituelle | |
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et véridique de l'ancienne société parisienne, alors que la Gazette de Salzbourg (XVII) y découvrait, dans toute sa tristesse, le monde nouveau de l'Emigration. Non sans malice, Schlegel releva encore que la Révolution française survenait vers la fin du roman, comme un éclair tombant d'un ciel bleu, à point pour en dénouer l'intrigue: le procédé, annonçait-il, trouverait des imitateurs.
Les deux autres ‘nouvelles de l'abbé de La Tour’ qui furent traduites en allemand et publiées à part n'eurent que de brefs comptes rendus. Babet von Etibal (traduction de Sainte-Anne) fut loué (XXV et XXVII) pour la vivacité du récit, la simplicité de l'intrigue, la finesse des situations, l'authentique humanité des personnages. Mais l'auteur avait visiblement précipité la fin de son roman et rien n'était moins naturel que cette accumulation de mariages dans les dernières pages du livre: la Gazette d'Iéna (XXVII) parla d'inconvenance et de mauvaise plaisanterie, tandis que celle d'Erlangen (XXVIII) ironisait sur cette harmonieuse manière de conclure une histoire.
Quant à Die verfallene Burg (traduction des Ruines de Yedburg), un seul journaliste, à notre connaissance, en fit la recension (XXVI) - et ce fut pour l'éreinter: tout le roman baignait dans une atmosphère d'oppressante médiocrité, l'épisode final révoltait le sentiment intérieur, et quant aux lettres annexées, qui selon l'auteur n'auraient pas dû être expédiées, il aurait mieux valu ne pas les imprimer non plus.
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Les conclusions de notre enquête ne peuvent être que provisoires. Sans aucun doute en effet, d'autres recensions seront découvertes un jour dans des périodiques que nous n'avons pas eu le loisir de dépouiller. En l'état, nous nous bornerons donc à relever que les oeuvres romanesques de Mme de Charrière ont rencontré un certain écho dans la presse littéraire du temps, mais qu'elles semblent avoir été plus appréciées avant la Révolution qu'après. Caliste marque entre l'auteur et son public un moment de grâce qui ne se renouvellera pas. Dans la France jacobine, thermidorienne et consulaire, les délicates productions de la romancière de Colombier passeront presque inaperçues et leurs traductions ne trouveront, dans l'Allemagne gallophobe d'après la Terreur, qu'un accueil mitigé. Les journalistes du temps ont relevé, parfois sans ménagement, les faiblesses des romans et des comédies de Mme de Charrière, leurs invraisemblances notamment, ou leurs épilogues baclés. Ils ont été néanmoins sensibles à la simplicité de ces récits, | |
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au natural et à l'authenticité des personnages, au charme du style. Certains d'entre eux ont vu qu'il y avait là un témoignage précieux sur la société contemporaine, mais aucun ne s'est rendu compte de la valeur exceptionnelle de l'oeuvre. Comme celui de Mozart, le génie de Belle a échappé à sa génération.
Une dernière remarque encore: si la critique n'a point ignoré les oeuvres de Mme de Charrière, elle a rarement connu l'identité de l'auteur. Chaillet mis à part, seuls ‘M. Comey ...’ et le rédacteur du Journal de Paris de l'an VI (celui-ci, tardivement d'ailleurs) semblent avoir su à qui ils avaient affaire. L'aristocratique anonymat que Mme de Charrière s'était imposé a donc prévalu par-delà la Révolution jusqu'à sa mort.
Jean-Daniel CANDAUX | |
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Et nous autres, qui croyons juger plus pertinemment, pensonsnous que le nom de l'Auteur n'influe point sur notre jugement?
Ne sachant donc encore à qui nous en prendre de la brochure en question, nous ne savions trop qu'en penser et qu'en dire.
En pareil cas il est une recette presque sûre, que Boileau avait enseignée à Louis quatorze. On me lit souvent des vers; on me demande ce que j'en pense; et comme je ne m'y entends point du tout, je me trouve fort embarrassé... Sire! vous êtes trop bon. Dites hardiment qu'ils sont détestables. Vous ne risquerez pas de vous tromper une fois sur trente. Cela n'est pas plus vrai des vers qu'il ne l'est des brochures anonymes. Dites toujours au hazard, Cela ne vaut rien: vous ne vous tromperez guères.
Comme si nous eussions raisonné en conséquence de ce principe, nous avons dit, Les Lettres Neuchâteloises sont une critique assez plate et assez fade... Et pour le coup nous avons mal dit.
Discutons ce point. Car quelques personnes ne sont pas revenues de ce premier jugement.
Les Lettres Neuchateloises, il est vrai, ne sont pas trop faites pour soutenir le grand jour de l'impression; elles y perdent. Cela n'est pas assez plein, pas assez ferme, pas assez nourri.
Mais aussi pourquoi en juger comme d'un livre? Ce n'en est point un. C'est la correspondance de deux jeunes gens. Ne perdez pas cela de vue. Vous jugerez absurdement, tant que vous n'aurez pas l'esprit de vous prêter à cette supposition fondamentale, tant qu'au bas de chaque lettre vous voudrez voir le nom de l'Auteur, et non pas le leur. Il n'est plus lui; il est devenu eux. Ce sont eux que vous devez juger.
Oui, si tout cela étoit vrai ... Eh! qui vous dit qu'il ne le soit pas?
Un homme très-judicieux, et point littérateur, m'a dit: Ce qui me plait de ce livret, c'est que j'ai peine, quoique je vive à Neuchatel, à me persuader que cela ne soit pas arrivé ainsi.
Ce jugement m'a fait grand plaisir. Une seule chose m'empêche d'y souscrire entiérement. Les détails indifférens sont ici trop multipliés, trop accumulés. C'est la charge et l'exagération de la vérité. C'est le paysan de la fable, qui, à force de s'être étudié à bien contrefaire le porc, grognoit à la fin trop mieux que n'auroit fait un vrai porc. | |
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Quant aux allusions, que nous n'avons pas manqué de chercher dans ces Lettres, parce qu'en n'y en cherchant point nous aurions craint d'être pris pour dupes; notre goût pour deviner nous a fait illusion, et nous avons été les dupes de notre finesse. Qui est Monsieur de la Prise? et Madame? et Mademoiselle! et ces deux Comtes? et le Caustique? ... C'est sûrement... Non en vérité, ce n'est personne. Et comment, dites-moi, subtils dévineurs, vous est-il venu dans l'esprit un instant que Mademoiselle de la Prise pût être une Neuchateloise? Elle! une étourdie comme elle! ... Oh non! je ne la reconnois point pour ma compatriote.
Savez-vous qui l'Auteur (puisque c'est une femme) pouroit bien avoir dépeint en elle? Je vous le dirai en confidence, et cette découverte nous vengera de toutes ses malices. Soi-même. Tout à l'humeur Gascone en un Auteur Gascon;
Calprenede et Juba parlent du même ton.
Je sens bien que si je m'avisois un jour de faire un roman, le héros m'en ressembleroit fort. J'ai voulu, disoit Saint Evremont, composer des Tragédies: mais je m'aperçus bientôt que, quoique je pusse faire, mon héros n'étoit jamais qu'un Saint Evremond. Ne voyez-vous pas là bien évidemment, lecteur! la triste cause de la méiocrité de nos romans, de leur froideur et de leur emphase? Intus, et in jecore aegro... Hélas! c'est qu'il n'est plus d'ame romanesque.
Celui-ci du moins n'est ni froid, ni emphatique. Il l'est si peu emphatique, il est si simple et si naturel, qu'il doit en paroître plat à tous ceux dont le goût est gâté par le rafinement et par l'emphase. Qu'un Auteur de profession, par exemple, trouveroit cela pauvre et misérable! Comme il diroit! N'est-ce que cela? ... Non, rien que du naturel: quelle pitié!
Dans mon village, nous avons mieux apprécié ce livre qu'à la ville ... Honneur au village!
C'est donc un grand chef-d'oeuvre? ... Eh! qui vous dit cela? n'ai-je pas commencé par accorder aux dénigreurs qu'un ouvrage aussi peu soigné n'étoit guères digne de l'impression?
Ce n'est qu'une bagatelle, assurément. Mais c'est une très-jolie bagatelle. Mais il y a de la facilité, de la rapidité dans le style, des choses qui font tableau, des observations justes, des idées qui restent. Mais il y a dans les caracteres cet neureux mélange de foiblesse et d'honnêteté, de bonté et de fougue, d'écarts et de générosité, qui les rend à la fois attachans et vrais; il y a une sorte de courage d'esprit dans tout ce qu'ils font qui les fait ressortir; et je | |
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soutiens qu'avec une ame commune on ne les eût point inventés. Mais il y a une très-grande vérité de sentiment: toutes les fois qu'un mot de sentiment est là, c'est sans effort, sans apprêt; c'est ce débordement si rare, qui fait sentir qu'il ne vient que de la plénitude du coeur, dont il sort et coule avec facilité, sans avoir rien de recherché, de contraint, d'affecté, ni d'enflé. ‘Mademoiselle ... se marie dans quinze jours. Tu as vu commencer ses amours; elles ont été tiedes et constantes. Je crois que ce mariage ira assez bien. Ils s'aimeront faute de rien aimer d'autre ... Tu n'aimeras jamais l'homme qu'on te destine, c'est-à-dire tu ne l'aimeras jamais beaucoup. | |
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Malheureuses gens, qui parlez sans cesse de sentiment! comment n'en reconnoissez-vous point ici le vrai langage? est-ce peut-être parce qu'il n'y a ni exclamations, ni grands mots?
Laissez-moi vous transcrire encore quelques lignes d'une lettre qu'écrit à sa tante une pauvre jeune tailleuse, à laquelle il est arrivé un malheurGa naar voetnoot(*) et dites-moi si vous n'êtes point frappés de la vérité avec laquelle elle y rend ce qu'elle pense? ... ‘Il y a des bals, et des sociétés, et des concerts, et peut-être aussi des comédies, et que sais-je bien peu? ces dames font toutes sortes pour se divertir. Et peut-être ne sont-elles seulement pas aussi braves qu'une pauvre fille qu'on laisse pleurer en faisant son ouvrage, et qui n'a pas été à toutes leurs écoles et pensions, et n'a pas appris à lire sur leurs beaux livres. Et elles ont des bonnets, et des rubans, et des robes avec des garnitures de gaze, qu'il faut que nous travaillions toute la nuit, et quelquefois les Dimanches. Et tout ça, elles l'ont, quand elles veulent, de leur mère, ou de leur mari, sans que les jeunes Messieurs le leur donnent ... Mais qu'est-ce que tout ça y fait? ...’ Oui, Mesdames, c'est précisément ainsi que raisonnent les filles qui vous servent, qui vous habillent, qui vous coëffent; et au fond, ontelles si grand tort? ... Eh bien! un seul petit trait naif, comme celui-là, me plait et me touche plus que dix pages de déclamation.
La scene du souper m'émeut aussi, et celle du balGa naar voetnoot(*), et le retour en ville sur le verglas, et le noble procédé de l'oncle, et la reconnoissance du neveu, et la bonne foi même de Juliane, et que sais-je bien peu? presque tous les détails, en vérité!
J'aime Madame de la Prise, qui, lorsque l'heure de la retraite approche, en avertit les gens qui sont chez elle par une certaine inquiétude, et le soin de tout ranger autour d'eux. | |
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J'aime la finesse de l'observation suivante, dont je ne voudrois pourtant garantir la vérité qu'avec quelque restriction ... ‘La comédie et la maniere dont on la joue m'ont expliqué le ton des femmes dans le monde: tour-à-tour marquises, soubrettes, villageoises; tour-à-tour railleuses, ingénues, emphatiques, il n'est pas étonnant qu'elles changent de ton vingt fois dans una heure’.
J'aime cette phrase légérement sentencieuse applicable à toutes les petites niches qu'on a quelquefois la bêtise de croire fort gaies et fort spirituelles... ‘Dans ces maussades combats de fin esse, l'attrapé me paroît toujours un peu moins sot que l'attrapeur’.
J'aime l'idée de faire des Lettres Neuchateloises, je veux dire, de fixer le lieu de la scène, de le choisir nouveau, et d'y approprier si bien tout ce qu'on dit, que l'on se reconnoisse à chaque page; ce qui répand jusques sur les moindres choses un grand air d'intéret et de vérité. Elle est très-heureuse, et même féconde, cette idée; je voudrois l'avoir eue; j'en suis jaloux.
Ah! cela ne vaut pas tout-à-fait les romans de Richardson, ont dit d'un ton capable des gens qui croyaient dire une belle chose. Je suis fort aise d'avoir l'occasion de relever cette absurde maniere de juger et de blâmer. Elle est assez commune, quand on n'a pas l'esprit d'apprécier chaque chose particuliere; il est court et facile, pour faire l'entendu, de savoir le nom de ce qui excelle en chaque genre, et de dire simplement: ‘Cette Tragédie ne vaut pas celles de Racine: on voit bien que ces vers ne sont pas de Boileau, ou cette Histoire de Robertson, ou cette comédie de Molière, ou cette fable de Lafontaine’. Il est vrai que cela ne signifie rien du tout: mais n'importe; prononcez-le seulement d'un certain ton de suffisance, et vous pourrez très-bien espérer de passer pour connoisseur.
Et voilà ce que j'avois à dire sur la platitude des Lettres Neuchateloises. Parlons maintenant de leur méchanceté.
De leur méchanceté! ... Eh! c'est une critique bienveillante, qui ne tombe que sur des choses légeres, qui nous accorde officiosité, sociabilité, charité, talens... que voulons-nous de plus?
On dit, il est vrai, que nous n'avons pas drop de lumieres, que nous ne connoissons guères les grandes passions ... Mais, par hazard, y prétendrions-nous?
Encore, tout cela n'est-il que le propos d'un certain Caustique, qu'on donne pour exagérateur. | |
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On rit un peu de notre train de vengeance, de nos conversations sur la vente, de ce que le même nom est commun à un Conseiller d'état et à un pâtissier: on en rit, mais sans humeur, sans acreté, sans aigreur. Pourquoi cela nous fâche-t-il? Quel tort cela nous fait-il?
Mais qu'avait-on besoin de relever tout cela? ... Et qu'étoit-il besoin de n'en rien à dire? qui savoit que ces remarques légeres pussent être offensantes? qui se doutoit que ces minuties fussent si sacrées? ... Heureuse la nation dont il n'y auroit rien de pis à dire!
Eh! pourquoi parler de nous? ... Eh! pourquoi non, vous dis-je? ... Quand on a de l'esprit, de la vivacité, de la franchise, de la gaité, et je ne sais quel courage; quand avec cela on se sent bien disposé à l'égard de ceux dont on parle; on croit pouvoir se laisser aller, dire tout ce qu'on pense. On se trompe: avec ce caractere on passera presque toujours pour méchant. Aussi quand on me dit que quelqu'un est méchant, je n'en crois rien pour l'ordinaire; et cela me donne plutôt bonne opinion de son esprit, de l'énergie et de la vérité de son caractere, que mauvaise opinion de son coeur.
Nous nous sommes donc fâchés; et si bien (ce qui m'a paru fort plaisant) que des vers gracieux, et même flateurs pour nous, placés par l'Auteur à la suite d'une seconde édition, ont été mal pris, et regardés comme une ironie ... Est-il si clair qu'on ne puisse rien nous dire d'obligeant que dans le but de se moquer de nous?
Un petit conte pour finir. J'ai lu quelque part qu'un Anglois ayant écrit sur le gouvernement du Danemark, l'Ambassadeur Danois reçut ordre de demander que l'indiscret écrivain lui fut livré. ‘Je n'ai pas ce pouvoir, répondit George II: mais je vous promets de dire cela à l'Auteur; il pourra faire usage de ce trait dans une seconde édition’ ... Mes chers compatriotes! ne nous mettons pas en colere à la Danoise.
L'Auteur et les Fâchés se seroient, je le comprens, également volontiers passés de mon arbitrage. Mais il m'a pris un petit accès de la manie de Dandin; j'ai voulu juger.
Si j'ai parlé longuement d'une brochure, c'est que, comme vous avez pu voir, elle m'a donné lieu de faire bien des réflexions.
Je serai plus court sur l'Homme Sauvage, roman de M. Mercier (etc.)
[Henri-David de CHAILLET] | |
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II
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Il amoit trop et n'étoit pas assez aimé. Son exemple n'est pas fait pour encourager les vieux garçons à sortir du célibat.
Retiré à la campagne du côté de Genève, il s'occupoit d'agriculture, d'économie, de politique, et il vivoit heureux au milieu de quelques paysans et de vieux domestiques qui lui étoient attachés dès son enfance. Un jeune homme de ses amis vient à se marier et l'invite à ses noces. Le spectacle du bonheur de ces deux jeunes époux lui fait penser qu'il manque quelque chose au sien. Quoiqu'il trouve dans un cheval et dans un chien qu'il aime beaucoup, à peu près de quoi remplir son coeur, il s'imagine qu'il reste encore de la place pour une femme; elle sera son conseil, son amie la plus fidelle, elle partagera ses goûts simples et champêtres, ses plaisirs en deviendront plus purs et plus touchants; cette félicité le fait d'avance pleurer de tendresse.
La femme qu'il adore ainsi n'est cependant encore qu'un être imaginaire, et aucun objet n'avoit jusqu'ici fixé ses yeux. Il apprend qu'un de ses anciens camarades, demeurant à Genève, s'est rangé sous les loix de l'hymen. Il avoit précisément quelque affaire dans cette ville. Joignez à cela je ne sçais quel instinct amoureux. Il va loger chez son ami. C'est là que l'amour l'attendoit pour achever sa conquête. Il y avoit une jeune demoiselle de trente-six ans, assez belle, fort bien mise, et très-spirituelle. C'étoit la belle-soeur de son hôte. Il en devient amoureux et l'épouse en trois jours.
Fier de sa conquête, M. Bompré la conduit en triomphe à sa maison de campagne. Ici commence l'enfer du pauvre homme. Ses paysans, ses domestiques viennent présenter des fleurs à la nouvelle épouse. Elle daigne à peine les reçevoir. Madame avoit la migraine, elle étoit horriblement fatiguée de la route. Elle quitte la fête qu'on lui préparoit pour aller se reposer. Le lendemain, en jettant un coup d'oeil sur la maison, elle la trouve affreuse. Point d'autre tapisseries que quelques vieilles cartes de géographie, de grandes chambres bonnes à tenir le sabat, et des cheminées plus grandes encore, point de glaces, aucuns meubles élégans, point de sopha. Le bruit des chevaux, des charrettes, et de tout l'attirail champêtre lui donne à chaque instant des vapeurs. Elle avoit lu les jardins de M. l'Abbé de Lille. Il faut tout réformer sur ce plan. Grand sujet de tristesse pour M. Bompré qui étoit accoutumé à ces objets et à ce train de vie. Mais M. Bompré aime beaucoup son épouse, et elle l'a assuré que s'il ne se prête pas à ses désirs, elle ne peut manquer de mourir bientôt. Il est donc obligé de céder.
Les domestiques déplaisent aussi bientôt. Ce sont de vieux visages qui dégoûtent Madame. Rien d'ailleurs de plus mal-adroit. Madame | |
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Bompré avoit une superbe porcelaine, don précieux que lui avoit fait un riche cousin: Antoine, l'ami de son maître, la renverse et la casse en rangeant l'appartement. Il faut chasser Antoine. En vain le mari prie et conjure; ses remontrances sont autant d'injures qui percent le coeur et font verser des larmes; Antoine est donc congédié. Les autres domestiques ne tardent pas à le suivre.
Il ne reste plus à M. Bompré que son cheval et son chien, amis fidèles et précieux. Il trouve un jour, en rentrant, son chien tué d'un coup de fusil; et il est forcé de vendre son cheval qu'il montoit avec tant de plaisir, et de le remplacer par deux chevaux de carrosse. Il n'y a pas jusqu'au portrait de son père qu'il ne soit obligé de dérober aux yeux délicats de Madame Bompré.
Tant de sacrifices sembloient bien devoir lui gagner le coeur de son épouse. Pleine de fierté et de dédain, elle ne lui accorde que rarement l'honneur de l'approcher. Elle demeure presque tout le jour renfermée dans son appartement, où elle orne son esprit par la lecture des romans. Ses anciens amis, il ne les voit plus. Ce ne sont plus que ceux de Madame qui sont admis à la maison. Ceux-ci ne cessent de vanter l'esprit, la délicatesse et le goût de cette femme adorable. M. Bompré est trop heureux d'avoir une aussi charmante épouse. On plaisante même le bonhomme, qui dévore son chagrin et n'ose éclater. Ayant cependant rencontré un jour hors de chez lui un de ces mauvais plaisans, il le provoque à son tour, le défie à un combat particulier, et le blesse. Madame Bompré à qui il raconte son histoire, loin de prendre le parti de son mari, le repousse avec horreur et mépris, et ne montre de l'intérêt que pour l'ami charmant que son brutal époux a pensé lui ravir.
Pour comble de disgrâce, elle l'accuse d'avoir, pour une jeune paysanne du village, des sentiments qui blessent la foi conjugale. Quoique le plus innocent et le plus vertueux des hommes, elle trouve le moyen de le faire paroître coupable. Désespéré, hors de lui-même, il croit qu'il n'a d'autre ressource contre les maux qui l'accablent, que la mort. Il l'invoque, et elle vient terminer ses malheurs.
Si ce tableau n'est pas propre à inspirer à beaucoup d'hommes le goût du mariage, le suivant ne l'est guères plus à le faire naitre dans le coeur des femmes. Vous venez de voir ici un infortuné, victime de sa sensibilité. Voici une femme que sa délicatesse extrême conduit au tombeau. M. Henley, le plus froid et le plus calme de tous les hommes, conserve toujours avec son épouse un air de dignité et un ton de supériorité qui l'accable et la désespère | |
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à chaque instant. Quoi qu'elle fasse, elle ne peut jamais parvenir à obtenir son approbation. Elle montre à son mari sa tendresse par les soins qu'elle prend d'une jeune fille qu'il avoit eue de son premier mariage: elle orne sa tête de fleurs artificielles et la présente habillée avec la plus grande élégance à son père qu'elle croit surprendre agréablement. ‘Votre intention est charmante, dit-il, mais c'est un goût que je ne voudrois pas lui inspirer; je craindrois que ces souliers si jolis ne l'empêchassent de courir à son aise; des fleurs artificielles contrastent désagréablement avec la simplicité de la campagne. La petite sçavoit lire en français comme en anglois; je voulus, dit Mistriss Henley, lui faire apprendre les fables de la Fontaine. Elle récita un jour à son père le Chêne et le Roseau avec une grace charmante. Je disois tout bas les mots avant elle; le coeur me battoit; j'étois rouge de plaisir. ‘Elle récite à merveille, dit M. Henley: mais comprend-elle ce qu'elle dit? Il vaudroit peut-être mieux mettre dans sa tête des vérités avant que d'y mettre des fictions: l'histoire, la géographie ... Malgré toute sa bonne volonté, Mistriss Henley ne trouva dans son mari qu'un coeur froid et sévère. Et admirez son bon esprit, c'est toujours d'elle-même, et jamais de M. Henley qu'elle se plaint. Elle ne croit pas qu'il puisse jamais avoir tort. Cependant sa sensibilité mise ainsi sans cesse à l'épreuve, est un poison qui la mine insensiblement; elle prévoit elle-même qu'elle ne peut plus vivre long-temps, et elle meurt en effet bientôt après en couche.
Son mari reconnoît enfin, mais trop tard, ses torts à l'égard d'une épouse si digne d'être aimée. Il rétracte lui-même les éloges que cette infortunée lui donnoit dans les lettres qu'elle écrivoit à son amie, et confesse que cette haute sagesse qui lui en avoit imposé, n'étoit de sa part que sotte vanité et morgue cruelle et insolente. C'est lui qui fait le récit de la mort de son épouse; il expose fort en détail tout ce qui s'est passé entr'eux dans ce dernier moment. On pourra trouver que pour une personne qui se meurt, Mistriss Henley parle bien long-temps. Les héros de romans ne meurent pas apparemment comme les autres hommes.
L'intention de l'auteur, en publiant cet ouvrage, n'a pas été certainement d'inspirer aux deux sexes de l'aversion l'un pour l'autre, ni du dégoût pour le lien sacré du mariage. Il n'a voulu par cette peinture assez juste, que corriger les femmes qui abusent de l'ascendant qu'elles peuvent avoir sur un mari délicat et sensible, et engager les hommes, trop fiers de leur raison, à se prêter avec complaisance | |
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aux petites foiblesses et aux fantaisies innocentes d'une épouse qui n'aspire qu'au bonheur de leur plaire et de les attacher. On pourra croire cependant avec raison qu'il n'y a pas dans tout ce que rapporte l'auteur de quoi se laisser mourir de chagrin. Quelle que soit la sensibilité, c'est la porter beaucoup trop loin; et je doute que les maris et les femmes de nos jours prennent les choses aussi vivement. Auront-ils tort? Non, sans doute: car après tout le remède ici est encore pire que le mal.
Au reste, ces lettres sont écrites assez purement: on pourroit à la vérité se passer fort bien des idées économiques de M. Bompré, et de ses raisonnements politiques sur la dernière révolution de Génève. Elles ne tiennent pas beaucoup au fond du sujet. Mais ces petits défauts sont rachetés par des détails agréables de la vie champêtre, et par plusieurs traits de bonté et de générosité de la part du Mari sentimental, aussi vrais qu'intéressans. J'espère enfin que les voeux de l'auteur seront satisfaits, et que son libraire et ses lecteurs trouveront ici chacun leur profit.
Je suis, etc. | |
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III
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un semblable, et change toutes ses idées sur le célibat, dans lequel, jusqu'à ce moment, il s'étoit cru heureux. M. de Bompré va à Genève voir un vieux Militaire, son ancien camarade, qui a une soeur d'une trentaine d'années, assez agréable de figure, des manières fort aimables, et à laquelle on trouve beaucoup d'esprit. On la lui propose; on lui prouve que cette union est très convenable. Il n'a pas le temps d'y réfléchir: il épouse. Il faut voir dans l'Ouvrage même tous les détails du changement qui s'opère successivement dans la maison de cet infortuné, auparavant simple, rustique même, mais heureuse et gaie: le bon goût et le désespoir y entrent à la fois. Il avoit un chien qu'il amoit beaucoup: ce chien gâte les meubles; il le trouve un matin tué contre une haie; un cheval auquel il étoit fort attaché; Madame lui substitue deux coursiers fringans; le malheureux époux va le racheter lui-même au Marchand qui s'en étoit accommodé, et en fait présent à son ami. Un vieux et bon Serviteur est chassé pour avoir cassé une porcelaine. Jusqu' à l'intérêt que ce coeur honnête prend à une famille de paysans, est empoisonné par la calomnie, et devient pour lui une nouvelle source de malheurs. Tous ces détails, d'une sensibilité vive et profonde, font naître un intérêt pressant, et perdent trop à être extraits. Malgré toutes ces désertions successives, M. de Bompré s'obstine longtemps à croire qu'il est aimé de sa femme, qu'elle connoît mieux que lui la route du bonheur, et il se laisse conduire aveuglément par une personne dont il estime trop la raison et l'esprit. Cette confiance excessive, relevée par un si noble motif, sert encore à le rendre plus intéressant. Mais enfin le voile tombe; il ne peut plus douter de l'empire tyrannique que s'est arrogé sa femme. Il sent trop que sa foiblesse ne lui a valu que des mépris; son âme s'ouvre à la douleur, qui s'y établit sans combat et la dévore; le malheureux Bompré, qui n'a pas eu la force de prévenir le mal, n'a pas celle d'y apporter remède, et il meurt victime de son excès de sensibilité.
Cette Histoire, fondée sur un fait réel et récent, n'a de romanesque que la forme. L'Auteur est, à ce qu'on assure, le même que celui de Camille, ou Lettres de deux filles de ce siècle, qui a paru il y a peu de temps, et qui a été lue avec beaucoup d'intérêt.
Le Roman qui suit dans le même volume est le pendant du premier.
Mistriss Henley vient de lire à Londres le Mari Sentimental, qui dit-elle, paroît depuis peu traduit en Anglois. Elle rend compte à son amie de l'effet qu'a produit cette lecture sur les époux de sa connoissance, et notamment sur le sien. La foiblesse de Bompré est condamnée, et il paroît que M. Henley sur-tout veut bien se garder de l'imiter. Mistriss Henley est jeune, et mariée depuis peu. Elle est | |
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vive, étourdie, mais très-sensible; elle veut de tout son coeur faire le bonheur de son mari; mais elle se trompe souvent sur les moyens. Elle nous peint M. Henley comme un homme plein de vertus, de sagesse et de mérite; de l'âme la plus noble, d'une belle figure, mais d'un sang-froid inaltérable, qui contraste parfaitement avec les écarts de sa jeune épouse. Il la reprend avec toute la douceur possible; mais elle n'en est pas moins vivement affectée de voir ses bonnes intentions manquer leur effet, et le chagrin qu'elle en ressent, prend autant sur elle que si son mari, par de mauvais traitemens, y donnoit un fondement réel.
Nous en citerons quelques exemples. M. Henley, déjà veuf, a une fille. Sa nouvelle épouse, qui ne veut pas passer pour une bellemère, dont elle n'a pas les sentimens, s'occupe beaucoup de l'éducation de cette jeune personne. Elle lui apprend une Fable de La Fontaine; Mistriss Henley compte sur le grand succès. ‘Je disois tout bas les mots avec elle; le coeur me battoit, j'étois rouge de plaisir. Elle récite à merveille, dit M. Henley; mais comprendt'elle ce qu'elle dit? Il vaudroit mieux, peut-être, mettre dans sa tête des vérités avant d'y mettre des fictions. L'histoire, la géographie ... Vous avez raison, Monsieur, lui dis-je; mais sa Bonne pourra lui apprendre aussi bien que moi que Paris est sur la Seine et Lisbonne sur le Tage. - Pourquoi cette impatience? apprenez-lui les Fables de La Fontaine, si cela vous amuse; au fond, il n'y aura pas grand mal. - Non, dis-je vivement, ce n'est pas mon enfant, c'est le vôtre. - Mais, ma très-chère, j'espérois .... - Je ne répondis rien, et je m'en allai en pleurant. J'avois tort, je le sais bien; c'étoit moi qui avois tort. Je revins quelque temps après, et M. Henley eut l'air de ne pas même se souvenir de mon impatience.’
Nous avons copié cette scène, pour donner en même-temps une idée du ton et du style de l'Ouvrage. Mistriss Henley éprouve une contrariété dont les suites sont plus fâcheuses. Elle devient grosse; elle est comblée d'une joie qu'elle compte bien faire partager à son mari. Elle fait déjà des projets d'une ambition extravagante; elle les communique au sage Henley, dont la modération les détruit tous. Le chagrin que ressent sa femme d'avoir si mal saisi son caractère, et de s'être trompée dans cette circonstance comme dans les autres, la mine peu-à-peu, et elle meurt en couches. C'est sans doute prendre la chose bien au tragique; et c'est, à ce que nous croyons, un reproche à faire à l'Auteur, qui n'a pas assez motivé cette mort, et qui paroît n'avoir tué son Héroine que parce qu'il étoit pressé d'en finir. La conduite de l'impassible M. Henley mérite aussi quelque | |
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critique. Sa femme ne lui demandoit pas une approbation aveugle, mais seulement de lui témoigner de la tendresse, et de lui savoir gré de ses intentions: elle le dit elle-même; et il est vrai qu'on ne conçoit pas pourquoi M. Henley, qui a les plus tendres sentiments pour sa femme, s'empresse si peu de les lui exprimer.
L'Auteur a cru répondre à cette critique par ce qu'il appelle la justification de M. Henley. Là, tout ce qu'on a vu dans l'Ouvrage précédent est changé; les deux caractères ne sont plus les mêmes, et par conséquent tout le charme est détruit. Mistriss Henley n'est plus cette étourdie, ayant tort sans cesse, et convenant sans cesse de ses torts, ce qui ne la rendoit que plus intéressante; peinte par M. Henley lui-même, c'est une femme qui possède les perfections les plus rares et les plus froides; c'est une Philosophe qui cite Rousseau, Locke et Rollin, et qui, à l'article de la mort, fait une dissertation de 30 pages sur le meilleur traité d'éducation. Si cette femme avoit vécu, elle auroit été insoutenable. Cette prétendue justification n'est d'ailleurs rien moins que bien écrite, et ne paroît pas du tout être de la même main. Nous en citerons quelques lignes.
‘Il me semble, dit Mistriss Henley dans son long discours, il me semble que l'on dépende absolument du moment, du premier objet que l'on rencontre, et que l'humeur, le caractère, le sentiment même soient attachés à des choses qui leur sont ètrangères. Mon cher ami, aimons-nous toujours, et ne mettons notre sensibilité qu'à cette felicité. Repoussons les petits incidens qui, dans le fond, sont indifférens, et qui ne valent jamais les maux qu'ils causent. Au travers de l'humanité inquiète, soucieuse, agitée, malheureuse, je verrai toujours un mari qui m'aime, et dont je préférai le bonheur à ma vie même”.’
Il nous paroît impossible que la main qui a rassemblé cet amas d'expressions impropres, obscures, incohérentes, et de consonnances si désagréables, soit la même qui a tracé, par exemple, ce tableau de ce qui se passe dans l'âme de Mistriss Henley. ‘Je suis malheureuse, je m'ennuie. Je n'ai point apporté de bonheur ici, je n'en ai point trouvé. J'ai causé du dérangement, et je ne me suis point arrangée. Je déplore mes torts, mais on ne me donne aucun moyen de mieux faire. Je suis seule, personne ne sent avec moi. Je suis d'autant plus malheureuse, qu'il n'y a rien à quoi je puisse m'en prendre, que je n'ai aucun changement à demander, aucun reproche à faire, que je me blâme et me méprise d'être malheureuse.’ | |
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Cette dernière phrase nous paroît charmante, et caractérise trèsbien le sexe de l'Auteur, Mme de C.... de Z. Son Ouvrage mérite en général beaucoup d'estime pour le fond et pour les détails; il ne péche même dans la contexture que parce que le dénouement n'en est pas assez adroitement filé. Nous répétons que nous ne pouvons croire la justification de M. Henley de la même main; et si nous l'avons traitée un peu durement, c'est pour nous venger de ce qu'elle a troublé et presque détruit l'extrême plaisir que nous avoit fait l'Ouvrage. | |
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IV
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V.
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qui est d'un joli savoyard habillé en fille, annonce de la santé, de la bonté, de la gaieté, une susceptibilité d'amour et d'amitié, la simplicité du coeur et la droiture de l'esprit; en un mot, c'est une belle et bonne fille’.
Cécile a plus d'un prétendant; mais elle paroît avoir distingué surtout un jeune lord qui demeure près du logis de sa mère avec un gouverneur. Leur petite passion, bien filée, bien naturelle, est un des objets principaux de ces lettres, où cette mere éclairée, et femme d'un mérite supérieur, développe quelquefois, mais sans prétention et sans pédanterie, les principes de l'éducation qu'elle a donnée et qu'elle donne encore, selon les circonstances, à la simple et naive Cécile. Songez, dit-elle à son amie, que ma fille et moi ne sommes pas un roman comme ADELE et sa mere, ni une leçon, ni un exemple à citer.
‘Vous êtes enchantée de Cécile, dit-elle ailleurs, et vous demandez comment j'ai fait pour la rendre si robuste, pour la conserver si fraîche et si saine. Je l'ai toujours eue auprès de moi: elle a toujours couché dans ma chambre, et quand elle avoit froid, dans mon lit. Je l'aime uniquement: cela rend bien clairvoyante et bien attentive .... Vous me demandez comment je l'ai élevée .... J'ai enseigné à lire et à écrire à ma fille dès qu'elle a pu prononcer et remuer les doigts, pensant comme l'auteur de SéTHOS, que nous ne sçavons jamais bien que ce que nous avons appris machinalement. Depuis l'âge de 8 ans jusqu'à 16, elle a pris tous les jours une leçon de latin et de religion d'un de ses cousins, et une de musique d'un vieux organiste très-habile. Je lui ai appris aussi autant d'arithmétique qu'une femme a besoin d'en sçavoir. Je lui ai montré à coudre, à tricoter et à faire de la dentelle. J'ai laissé tout le reste au hazard. Elle a appris un peu de géographie en regardant des cartes dans mon antichambre, et elle a lu ce qu'elle a trouvé dans son chemin quand cela l'amusoit. Elle a écouté ce qu'on disoit quand elle en a été curieuse, et que son attention n'importunoit pas. Je ne suis pas sçavante; ma fille l'est encore moins. Je ne me suis pas attachée à l'occuper toujours; je l'ai laissée s'ennuyer quand je n'ai pas sçu l'amuser... Elle ne joue pas de la harpe; elle ne sçait ni l'italien, ni l'anglois. Elle n'a eu que 3 mois de danse. Vous voyez bien qu'elle n'est pas trèsmerveilleuse; mais en vérité elle est si jolie, si bonne, si naturelle, que je ne pense pas que personne voulût y rien changer’... ‘J'aimois ma fille uniquement. Rien, à ce qu'il me semble, n'a partagé mon attention, ni balancé dans mon coeur son intérêt. Supposé qu'avec cela j'aie mal fait, ou que je n'en aie pas fait assez, prenez-vous en, si vous avez foi à l'éducation, prenez-vous en, remontant d'enfans à peres et meres, à | |
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Noé, à Adam, qui élevant mal leurs enfans, ont transmis de pere en enfans une mauvaise éducation à Cécile. Si vous avez plus de foi à la nature, remontez plus haut encore, et pensez, quelque système qu'il vous plaise adopter, que je n'ai pu faire mieux... Je ne me ferai point de reproches: si ma fille est malheureuse, je serai malheureuse; mais je n'accuserai point le coeur tendre d'une mère dévouée à son enfant; je n'accuserai point non plus ma fille; j'accuserai la société, le sort, ou bien je n'accuserai point; je ne me plaindrai point; je me soumettrai en silence avec patience et courage’.
Il nous semble que cette courte esquisse est bien aussi profonde et au moins aussi naturelle, aussi praticable que tous les grands raisonnemens dont notre esprit de mode a rempli tant de traités d'éducation depuis plusieurs années; c'est ce qui nous a déterminés à transcrire ce morceau de plusieurs lettres du recueil de Lausanne. On trouve sur cette ville fameuse de la Suisse un détail très-neuf, très-moral et digne de l'attention du lecteur; le voici.
‘Connoissez-vous, dit l'auteur à son amie, Plombières, Bourbonne ou Barege? ... Lausanne ressemble assez à ces endroits-là. La beauté de notre pays, notre académie et M. Tissot nous amenent des étrangers de tous les pays, de tous les âges, de tous les caracteres, mais non de toutes les fortunes: il n'y a guere que les gens riches qui puissent vivre hors de chez eux. Nous avons donc surtout des seigneurs anglois, des financières françoises et des princes allemands qui apportent de l'argent à nos aubergistes, aux paysans de nos environs, à nos petits marchands et artisans, ou à ceux de nous qui ont des maisons à louer en ville ou à la campagne, et qui appauvrissent tout le reste en enchérissant les denrées et la main-d'oeuvre, et en nous donnant le goût avec l'exemple d'un luxe peu fait pour nos fortunes et nos ressources. Les gens de Plombieres, de Spa, de Barege, ne vivant pas avec leurs hôtes, ne prennent par leurs habitudes ni leurs moeurs; mais nous, dont la société est plus aimable, dont la naissance ne cede souvent pas à la leur, nous vivons avec eux, nous leur plaisons; quelquefois nous les formons, et ils nous gâtent. Ils font tourner la tête à nos jeunes filles; ils donnent à ceux de nos jeunes hommes qui conservent des moeurs simples, un air gauche et plat; aux autres, le ridicule d'être des singes, de ruiner souvent leur bourse et plus souvent leur santé. Les ménages, les mariages, n'en vont pas mieux non plus pour avoir dans nos coteries d'élégantes françoises, de belles angloises, | |
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de jolis anglois, d'aimables rouésGa naar voetnoot(*) françois; et supposé que cela ne gâte pourtant pas beaucoup de mariages, cela en empêche beaucoup. Les jeunes filles trouvent leurs compatriotes peu élégans: Les jeunes hommes trouvent les filles trop coquettes ... J'ai trouvé longtemps fort injuste, dit-elle plus bas, qu'on jugeât les moeurs d'une femme de marchand ou d'avocat plus séverement que celles de la femme d'un fermier-général ou d'un duc; j'avais tort. La première se corrompt davantage, et fait plus de mal à son mari. Elle le rend plus ridicule, parce qu'elle lui rend sa maison désagréable, et qu'à moins de le tromper bien completement, elle l'en bannit: or, s'il s'en laisse bannir, il passe pour un benêt; s'il se laisse tromper, pour un sot. De maniere ou d'autre, il perd toute considération, et ne fait avec succès rien de ce qui en demande. Le public le plaint, et trouve sa femme odieuse, parce qu'elle le rend à plaindre. Chez des gens riches, chez des grands, dans une maison vaste, personne n'est à plaindre. Le mari a des maîtresses, s'il veut en avoir, et c'est presque toujours par lui que le désordre a commencé. On lui rend trop de respects pour qu'il paroisse ridicule. La femme ne paroît point odieuse et ne l'est point. Elle traite bien ses domestiques; elle peut faire élever ses enfans ... On danse et l'on mange chez elle. Qui est-ce qui se plaint, et combien de gens n'ont pas à se louer? En vérité, pour ce monde, l'argent est bon à tout. Il achete jusqu'à la facilité de conserver des vertus dans le désordre, d'être vicieux avec le moins d'inconvéniens possibles. Il vient, je l'avoue, un tems où il n'achete plus rien de ce qu'on desire, et où des hommes et des femmes gâtés longtems par son enivrante possession trouvent affreux qu'il ne puisse leur procurer un instant de santé ou de vie, ni la beauté, ni la jeunesse, ni le plaisir, ni la vigueur; mais combien de gens cessent de vivre avant que son insuffisance se fasse si cruellement sentir! ... Je m'apperçois que je n'ai parlé que des femmes infidelles, riches ou pauvres; j'aurois la même chose à dire des maris. S'ils ne sont pas riches, ils donnent à une maîtresse le nécessaire de leurs femmes; s'ils sont riches, ce n'est que du superflu, et ils leur laissent mille amusemens, mille ressources, mille consolations. Pour laisser épouser à ma fille un homme sans fortune, je veux qu'ils s'aiment passionnément; s'il est question d'un grand seigneur fort riche, j'y regarderai peut-être d'un peu | |
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moins près’.
Nos lecteurs ne trouveront pas sans doute ce morceau trop long: il peut les faire réfléchir utilement sur les vérités qu'il contient.
Ecoutons encore la mere de l'intéressante Cécile, qui vient de raconter ingénument à cette mere si honnête comment le jeune lord a surpris sur sa main un baiser, tandis qu'elle s'étoit baissée pour ramasser une pièce du jeu d'échecs dont ils jouoient ensemble une partie; on croit entendre parler la raison la plus éclairée, et nous croyons que nos lecteurs, après avoir examiné la conversation que nous allons transcrire, penseront comme nous qu'on voit aujourd' hui peu de productions aussi utiles et d'un ton aussi décent.
‘Cécile, dans vos leçons de religion, on vous a dit qu'il falloit être chaste et pure: avez-vous attaché quelque sens à ces mots? - Non, maman. - Eh bien! le moment est venu de pratiquer une vertu, de vous abstenir d'un vice dont vous ne pouviez avoir aucune idée. Si cette vertu vient à vous paroître difficile, pensez aussi que c'est la seule que vous ayez à vous prescrire rigoureusement, à pratiquer avec vigilance, avec une attention scrupuleuse sur vous-même. - La seule? - Examinez-vous, et lisez le décalogue. Aurez-vous besoin de veiller sur vous pour ne pas tuer, pour ne pas dérober, pour ne pas calomnier? Vous ne vous êtes sûrement jamais souvenue que tout cela vous étoit défendu, et vous n'aurez pas besoin de vous en souvenir.... Ce qu'on appelle vertu chez les femmes sera presque la seule chose que vous puissiez pratiquer en tant que vertu, et la seule dont vous puissiez dire en la pratiquant: J'obéis aux préceptes qu'on m'a dit être les loix de Dieu, et que j'ai reçu comme tels. - Mais, maman, les hommes n'ont-ils pas reçu les mêmes loix? Pourquoi se permettent-ils d'y manquer et de nous en rendre l'observation difficile? - Je n'ai point de fils; je ne sçais ce que je dirois à mon fils; je n'ai pensé qu'à la fille que j'ai, et que j'aime pardessus toute chose. Ce que je puis vous dire, c'est que la société, qui dispense les hommes et ne dispense pas les femmes d'une loi que la religion paroît avoir donnée également à tous, impose aux hommes d'autres loix qui ne sont peut-être pas d'une observation plus facile. Elle exige d'eux, dans le désordre même, de la retenue, de la délicatesse, de la discrétion, du courage; et s'ils oublient ces loix, ils sont déshonorés; on les fuit; on craint leur approche; ils trouvent partout un accueil qui leur dit: On vous avoit donné assez de privileges; vous ne vous en êtes pas contentés. La société effrayera par votre exemple ceux qui seroient tentés de vous imiter, et qui, en vous imitant, troubleroient tout, renverseroient tout, ôteroient du monde | |
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toute securité, toute confiance...... Et puis, que d'autres obligations pénibles la société ne leur impose-t-elle pas? Croyez-vous, par exemple, que si la guerre se déclare, il soit bien agréable à votre cousin de nous quitter au mois de Mars pour aller s'exposer à être tué ou estropié, à prendre, couché sur la terre humide, et vivant parmi des prisonniers malades, les germes d'une maladie dont il ne guérira peut-être jamais? - Mais, maman, c'est son devoir, c'est sa profession; il se l'est choisie; il est payé pour tout ce que vous venez de dire; et s'il se distingue, il acquiert de l'honneur, de la gloire même; il sera avancé; on l'honorera partout où il ira, et jusques chez les ennemis qu'il aura combattus. - Eh bien! Cécile, c'est la profession, c'est le devoir de toute femme d'être sage: elle ne se l'est pas choisie; mais la plupart des hommes n'ont pas choisi la leur. Les parens ou les circonstances ont fait ce choix pour eux... Une femme est aussi payée de cela seul qu'elle est femme. Ne nous dispense-t-on pas presque partout des travaux pénibles? N'est-ce pas nous que les hommes garantissent du chaud, du froid, de la fatigue? En est-il d'assez peu honnêtes pour ne pas vous céder le meilleur pavé, le sentier le moins raboteux, la place la plus commode? Si une femme ne laisse porter aucune atteinte à ses moeurs ni à sa réputation, il faudroit qu'elle fût à d'autres égards bien odieuse, bien désagréable pour ne pas trouver partout des égards, et puis n'est-ce rien après s'être attaché un honnête homme, de le fixer, de pouvoir être choisie par lui et par ses parens pour être sa compagne? Les filles peu sages plaisent d'abord plus que les autres; mais il est rare que le desir aille jusqu'à les épouser; encore plus rare qu'après les avoir épousées, un repentir humiliant ne les punisse pas d'avoir été trop séduisantes ..... Je trouve souvent les hommes odieux dans ce qu'ils exigent et dans leur maniere d'exiger des femmes; mais je ne trouve pas qu'ils se trompent si fort de craindre ce qu'ils craignent. Une fille imprudente est rarement une femme prudente et sage. Celle qui n'a pas résisté à son amant avant le mariage lui est rarement fidelle après ... Son imagination lui promettoit des plaisirs qu'elle ne trouve plus ou qu'elle n'a pas trouvés; elle espere les goûter ailleurs que dans le mariage; et si elle n'a pas résisté à ses penchans étant fille, elle ne leur résistera pas étant femme. L'habitude de la foiblesse sera prise; le devoir et la pudeur sont déjà accoutumés à céder. Ce que je dis est si vrai, qu'on admire autant dans le monde la sagesse d'une belle femme courtisée par beaucoup d'hommes que la retenue d'une jeune fille dans le même cas ... J'ai vu des femmes se marier avec la plus violente passion, et avoir un amant deux ans après leur mariage, ensuite un autre et puis un troisième, jusqu'à ce que méprisées, | |
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avilies .... Ah! maman, s'écria Cécile en se levant, ai-je mérité tout cela? - Vous voulez dire ai-je besoin de tout cela, lui dis-je en l'asséyant sur mes genoux, et en essuyant avec mon visage les larmes qui couloient sur le sien’.
Cette leçon, si digne de la plus respectable et de la plus intelligente des meres, a sur Cécile tout l'effet qu'on pouvoit se promettre d'un caractere simple et naîf comme le sien. La vertu qu'elle ignoroit est entrée dans son ame avec toute sa pureté. Cécile avoit un penchant innocent; elle s'observe scrupuleusement jusqu'à ce que, plus éclairée sur le coeur du lord, qui ne ménage pas assez sa confiance, et qui a assez peu de délicatesse pour parler de son retour dans son pays sans mettre à cette annonce rien de ce qui peut la faire pardonner, elle se décide avec courage à partir pour Lyon avec sa mere, qui va passer quelque temps près de l'amie à laquelle sont adressées les estimables lettres que nous avons sous les yeux, et dont nous conseillons la lecture à toutes les meres et à toutes les jeunes personnes, qui pourront y puiser des forces contre l'impérieuse séduction des sens.
A ce que nous en avons déjà rapporté, nous joindrons quelques traits particuliers pris de côté et d'autre, et qui confirmeront sans doute ce que nous avons fait pressentir en faveur de l'ouvrage et de l'auteur.
‘On parle tant des illusions de l'amour-propre; cependant il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu'on croie l'être autant qu'on l'est. Un enfant ne voit pas combien il occupe continuellement sa mere. Un amant ne voit pas que sa maîtresse ne voit et n'entend partout que lui. Une maîtresse ne voit pas qu'elle ne dit pas un mot, ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le sçavoit, combien on s'observeroit par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien inestimable et incompensable d'être tendrement aimé’!....
‘Vous voudriez que je fisse apprendre la chymie à Cécile, parce qu'aujourd'hui en France toutes les jeunes filles l'apprennent. Cette raison ne me paroît pas concluante; mais Cécile, qui en entend parler autour d'elle assez souvent, lira là-dessus ce qu'elle voudra. Quant à moi, je n'aime pas la chymie. Je sçais que nous devons aux chymistes beaucoup de découvertes et d'inventions utiles et beaucoup de choses agréables; mais leurs opérations ne me font aucun plaisir. Je considere la nature en amant: ils l'étudient en anatomistes’. | |
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Dans la 12e. lettre l'auteur dit à sa fille:
‘Vous avez entendu louer, et peut-être avoit-on tort de louer en votre présence des femmes connues par leurs mauvaises moeurs; mais c'étoient des femmes qui n'auroient pu faire ce qu'on admire en elles, si elles avoient été sages. La le Couvreur n'auroit pu envoyer au maréchal de Saxe le prix de ses diamans, si on ne les lui avoit donnés, et elle n'auroit eu aucune relation avec lui, si elle n'avoit été sa maîtresse; Agnès Sorel n'auroit pas sauvé la France, si elle n'avoit été celle de Charles VII. Mais ne serions nous pas fâchées d'apprendre que la mere des Gracques, Octavie, femme d'Antoine, ou Porcie, fille de Caton, aient eu des amans? Mon érudition fit rire Cécile. On voit bien, maman, dit-elle, que vous avez pensé d'avance à ce que vous venez de dire, et il vous a fallu remonter bien haut.... Il est vrai, interrompis-je, que je n'ai rien trouvé dans l'histoire moderne; mais nous mettrons, si vous voulez, à la place de ces Romaines Mme. Tr....., Mlle. des M*** et Mlles. de S***’.
La 13e. lettre offre des preuves de la religion de ce modele des meres. Elle répond à une lettre de son amie de Lyon, et elle lui dit:
‘Vos hommes m'ont bien fait rire. Celui qui est étonné qu'un hérétique sçache ce que c'est que le décalogue, me rappelle un François qui disoit à mon père: Monsieur, qu'on soit huguenot pendant le jour, je le comprends: on s'étourdit, on fait ses affaires, on ne pense à rien; mais le soir, en se couchant dans son lit, dans l'obscurité, on doit être bien inquiet: car au bout du compte, on pourroit mourir pendant la nuit; et un autre qui lui disoit: Je sçais bien. Monsieur, que vous autres huguenots, vous croyez en Dieu; je l'ai toujours soutenu, je n'en doute pas, mais en J.-C.... Quant au président qui ne comprend pas comment une femme qui a quelque instruction et quelque usage du monde ose encore parler des dix commandemens, et en général de la religion, il est encore plus plaisant et plus pitoyable. Il a voulu raisonner; il dit comme tant d'autres, que sans la religion nous n'aurions pas moins de morale, et cite quelques athées honnêtes gens. Répondez-lui que, pour en juger, il faudroit trois ou quatre générations et un peuple entier d'athées: car si j'ai eu un pere, une mere, des maîtres chrétiens ou déistes, j'aurai contracté des habitudes de penser et d'agir qui ne se perdront pas le reste de ma vie, quelque systême que j'adopte, et qui influeront sur mes enfans sans que je le veuille ou que je le sçache, de sorte que Diderot, s'il étoit honnête homme, pouvoit le devoir à une religion que de bonne foi il soutenoit être fausse’.
‘On ne voit pas assez (15e lettre) que chez les hommes le revers de la médaille est de son essence aussi bien que son beau côté. Changez quelque chose, vous changez tout. Dans l'équilibre des facultés vous trouverez la médiocrité comme la sagesse’. | |
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VI
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penètre en un clin-d'oeil. Il est étourdi, espiégle, spirituel: il va dire tout ce qu'il voit: la mère de Cécile le retient, et il a honte de son indiscrétion. On aime ce jeune étourdi, et on est même disposé à croire que Cécile le distingueroit, si son coeur n'étoit pas prévenu. Il a un frère d'un caractère tout opposé, taciturne, réfléchi, occupé tout entier de son métier. Ces deux François font de la sensation à Lausanne. ‘Mais en admirant l'application et les talens de l'aîné, on regrettoit qu'il ne parlât pas un peu plus, qu'il ne fût pas comme un autre; et en admirant la vivacité d'esprit et la gentillesse du cadet, on auroit voulu qu'il parlât moins, qu'il fût circonspect et modeste: sans penser qu'il n'y auroit alors plus rien à admirer, non plus qu'à critiquer chez aucun des deux.’ Cette observation est neuve et fine à la fois. Il y en a plusieurs de ce genre dans ces Lettres. La personne qui les a écrites a des idées solides et des sentimens tendres: on regrette infiniment de ne pas suivre plus longtems la mère et la fille. Ce sont, pour ainsi dire, des connoissances agréables que l'on vient de faire: on s'y est attaché malgré soi; et il faut les abandonner tout-à-coup sans aucun espoir de recevoir de leurs nouvelles. Telle est la disposition où l'on se trouve après la lecture de ce petit Ouvrage. Il y a des Romans qui semblent presque éternels: celui-ci est trop court; c'est un défaut plus rare. | |
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VIII
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l'un par la passion que Caliste conserve pour son Amant et les preuves involontaires qu'elle en donne à son mari; l'autre par la coquetterie de la femme, et la tiédeur et la tristesse de l'époux. Enfin la santé de Caliste reçoit différentes atteintes, qui, jointes au chagrin qui la minent, la conduisent au tombeau, et son Amant apprend à Lausanne la nouvelle de sa mort.
Il n'y a point ici, comme on voit, d'intrigue compliquée, d'événemens frappans; mais l'amour, ses peines, ses innocentes joies et son dévouement y sont peints avec une vérité peu commune et avec un charme trop grand peut-être. Cette Caliste, cette fille entretenue est peut-être trop aimable et trop séduisante; et comme elle doit une partie de son mérite à l'état qui flétrit sa vie, à la mélancolie, à la réserve, à la douceur, à l'extrême complaisance qui en sont les effets, peut-être a-t-on donné à cet état même un relief qu'il ne doit pas avoir; mais nous croyons qu'on ne lira pas ce petit Ouvrage sans beaucoup d'intérêt.
Quant au style, nous trouvons une grande vérité et un naturel souvent fin et toujours animé, avec des négligences qui étonnent, mais qu'on pardonnera sans doute à l'Amant de Caliste, écrivant sa propre histoire dans une langue qu'on peut supposer ne lui étre pas devenue tout-à-fait naturelle. | |
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IX
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que les échecs la fatiguent, sort, et ne rent re que lorsque les trois hommes s'en sont allés. Alors elle raconte à sa mère, qu'ayant voulu relever un pion tombé, le jeune Lord a serré et baisé sa main: elle l'a retirée; mais elle s'est sentie si contente de ce que leur bouderie ne duroit plus! les yeux du Lord lui ont paru si tendres! elle a été si émue! Cependant elle espère qu'il aura cru qu'elle boudoit encore; car elle ne le regardoit pas. Je souhaite qu'il l'ait cru, dit la mère; mais pourquoi le souhaitez-vous, dit Cécile? La mère, en lui répondant, n'examine pas si les leçons qu'elle va lui donner, étoient aussi données par la Nature, c'est-à-dire, si la Nature avoit mis dans les devoirs des deux sexes la même différence que nos institutions; mais elle fait voir à sa fille que les hommes, en se réservant le droit de succomber sans déshonneur à toutes les tentations de leurs sens, et en se dispensant en cela d'une loi à laquelle ils soumettoient les femmes, se sont imposé beaucoup d'autres loix qui leur sont particulières, et dont l'observation n'est peut-être pas plus facile: que c'est avec raison qu'on a donné le nom absolu de vertu à la sagesse des femmes, parce que celles qui sont bien nées, n'ont besoin que de leur coeur et de leur éducation pour obéir à tous leurs autres devoirs, et que celui-là est le seul dont la pratique leur soit pénible. Enfin elle finit par lui peindre la dureté avec laquelle les hommes punissent une jeune personne de l'impression qu'ils ont faite sur elle, et des faveurs qu'ils en ont reçues, et elle lui en explique les raisons.
‘Ma chère Cécile, lui dit-elle, un moment de cette sensibilité à laquelle je voudrois que vous ne cédassiez plus, a souvent fait manquer à des filles aimables, et qui n'étoient pas vicieuses, un établissement avantageux, la main de l'homme qu'elles aimoient, et qui les aimoit. - Quoi! cette sensibilité qu'ils inspirent, qu'ils cherchent à inspirer, les éloigne. - Elle les effraye: Cécile, jusqu'au moment où il sera question de mariage, on voudra que sa Maîtresse soit sensible, on se plaindra d'elle si elle ne l'est pas assez; mais quand il est question de l'épouser ... on se rappelle les refus avec plaisir, on se rappelle les faveurs avec inquiétude. La confiance qu'a témoignée une fille trop tendre ne paroît plus qu'une imprudence qu'elle peut avoir vis-à-vis de tous ceux qui l'y inviteront. L'impression trop vive qu'elle aura reçue des marques d'amour de son Amant, ne paroît plus qu'une disposition à aimer tous les hommes. Jugez du déplaisir, de la jalousie, du chagrin de son mari; car le désir d'une propriété exclusive est le sentiment le plus vif qu'il lui reste. Il se consolera d'être peu aimé, pourvu que personne ne puisse l'être. Il est jaloux encore lorsqu'il n'aime | |
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plus. Et Cécile, son inquiétude n'est pas aussi absurde, aussi injuste que vous pourriez à présent vous l'imaginer...... Une fille imprudente est rarement une femme prudente et sage. Celle qui n'a pas résisté à son Amant avant le mariage, lui est rarement fidèle après... L'habitude de la foiblesse sera prise, le devoir et la pudeur sont déjà accoutumés à céder.... J'ai vu des femmes se marier avec la plus violente passion, et avoir un Amant deux ans après leur mariage; ensuite un autre, et puis encore un autre, jusqu'à ce que méprisées, aviliés’.....
Cécile, épouvantée de cette image, s'écrie: Ah! maman, ai-je mérité tout cela? Vous voulez dire, ai-je besoin de tout cela, lui répond sa mère? Puis voyant que Cécile n'est pas assez calme pour prêter l'oreille à ce qu'elle auroit encore à lui dire, elle la renvoie; elle s'approche de son bureau et elle lui écrit:
‘Ma Cécile, ma chère fille, je vous l'ai promis, cette seule fois, vous aurez été tourmentée par la sollicitude d'une mère qui vous aime plus que sa vie; ensuite sachant sur ce sujet tout ce que je sais, tout ce que j'ai jamais pensé, ma fille jugera pour ellemême; je pourrai la faire souvenir quelquefois par un mot de ce que je lui aurai dit aujourd' hui; mais jene le luirépéterai jamais. Permettez done que j'achève, Cécile, et soyez attentive jusqu'au bout. Je ne vous dirai pas ce que je dirois à tant d'autres; que si vous manquez de sagesse, vous renoncerez à toutes les vertus; que jalouse, dissimulée, coquette, inconstante, n'aimant bientôt que vous, vous ne serez plus ni fille, ni amie, ni amante: je vous dirai au contraire, que les qualités précieuses qui sont en vous, et que vous ne sçauriez perdre, rendront la perte de celle-ci plus fâcheuse, en augmenteront le malheur et les inconvéniens. Il est des femmes dont les défauts réparent en quelque sorte et couvrent les vices: elles conservent dans le désordre un extérieur décent et imposant. Leur hypocrisie les sauve d'un mépris qui auroit rejailli sur leurs alentours. Impérieuses et fières, elles mettent sur les autres un joug qu'elles ont secoué; elles établissent et maintiennent la règle; elles font trembler celles qui les imitent... Leurs maris, pour peu que le hasard les ait servies, les croient des Lucrèces; et leurs enfans, loin de rougir d'elles, les citent comme des exemples d'austérité; mais vous, qu'oseriez-vous dire à vos enfans? Qui ôseriez-vous blâmer? Hésitant, vous interrompant, rougissant à chaque mot, votre indulgence pour les fautes d'autrui déceleroit les vôtres. Le désordre s'établiroit autour de vous: si votre mari avoit une maîtresse, vous vous | |
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trouveriez heureuse de partager avec elle une maison sur laquelle vous ne vous croiriez plus de droit, et peut-être laisseriez-vous partager à ses enfans le patrimoine des vôtres. Soyez sage, ma Cécile, pour que vous puissiez jouir de vos aimables qualités: soyez sage, vous vous exposeriez, en ne l'étant pas, à devenir trop malheureuse. Je ne vous dit pas tout ce que je pourrois dire; je ne vous peins pas le regret d'avoir trop aimé ce qui méritoit peu d'être aimé; le désespoir de rougir de son Amant, encore plus que de ses foiblesses, de s'étonner, en le voyant de sang froid, qu'on ait pu devenir coupable pour lui, J'ai fini, Cécile. Profitez, s'il est possible, de mes conseils; mais si vous ne les suivez pas, ne vous cachez jamais d'une mère qui vous adore; que craindriez-vous? des reproches? Je ne vous en ferois point; ils m'affligeroient plus que vous. La perte de mon attachement? - Je ne vous en aimerois peut-être que plus, quand vous seriez à plaindre, et que vous courriez risque d'être abandonnée de tout le monde. - De me faire mourir de chagrin? - Non, je vivrois, je tâcherois de vivre, de prolonger ma vie pour adoucir les malheurs de la vôtre, et pour vous obliger à vous estimer vous-même, malgré des foiblesses qui vous laisseroient mille vertus, et à mes yeux mille charmes’.
Sans doute, c'est en parlant de ce ton, et c'est très souvent celui de l'Auteur, qu'on pénètre dans un jeune coeur, et qu'on le rend docile à toutes les impressions qu'on veut qu'il reçoive: c'est ainsi qu'on lui inspire un grand attachement et une égale confiance, et qu'on peut trouver dans la crainte qu'il auroit de nous affliger, un sentiment plus fort peut-être contre ses foiblesses, que l'autorité même des principes et de la vertu. Malheureusement, cet Ouvrage si moral, et où éclate tant de talent, est resté imparfait. La mère, mécontente du jeune Lord, et fâchée que Cécile, quoiqu'à moitié désabusée, ne rende pas assez de justice à un autre Amant qui voudroit rechercher sa main, et qui est plus aimable et plus amoureux, se décide à quitter Lausanne et à aller avec sa fille faire une visite à une parente qu'elles ont en Languedoc. C'est ainsi que se termine la première Partie.
Nous apprenons, en commençant la seconde, que Cécile et sa mère ont loué leur maison à des étrangers qui sont venus l'occuper tout de suite; et qu'en attendant que la saison leur permît de se mettre en voyage, elles se sont réfugiées dans une maison de campagne qui leur a été prêtée par un de leurs amis. Tout le reste de cette seconde Partie est rempli par un épisode plus long et plus intéressant que l'Ouvrage principal; ce qui seroit sans doute un défaut, si l'on pouvoit | |
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jamais appeler défaut ce qui amène des beautés d'un ordre supérieur. Voici comment l'Auteur a lié cet épisode au reste de son Roman.
Le jeune Lord est à Lausanne avec un de ses parens plus âgé que lui de quelques années, et qui lui sert en quelque manière de Gouverneur. Pendant que le Lord s'attache à Cécile, son parent paroît s'attacher à la mère. Bientôt à ses assiduités, et à d'autres signes qui accompagnent ordinairement les passions naissantes, on ne doute point qu'il n'en soit amoureux. Il n'en est rien cependant, et ses assiduités ont une autre cause. La mère de Cécile a dans les traits, dans les sentimens, dans le tour de son esprit, une multitude de choses qui retracent à l'Anglois une femme de son pays, pour qui il a eu une passion qui n'est pas éteinte, et de laquelle de fortes raisons l'obligent à vivre éloigné. La mère, qui lui découvre beaucoup de qualités aimables, et qu'il intéresse d'ailleurs par une mélancolie qui va toujours en croissant, lui en demande un jour la cause: il la dit, et c'est son histoire, et celle de la femme qu'il aime, qui composent l'épisode dont il s'agit.
L'Auteur y met en action un caractère qui n'est pas rare parmi les hommes, et qui cependant n'avoit été peint, à ce qu'il nous semble, par aucun Ecrivain. Il donne à son héros une figure aimable, beaucoup de bonté, de douceur et d'esprit, et encore plus de foiblesse. Il n'est pas dépourvu de sensibilité; mais c'est une de ces ames molles et sans énergie, qui, en faisant tout ce qu'elles peuvent, ne rendent jamais qu'à moitié aux autres les sentimens dont elles sont l'objet. Il avoit un frère jumeau qui avoit eu pour lui dès l'enfance un attachement extrême; si ce frère eût vécu, et que leur amitié eût subsisté, il auroit été heureux par elle, car il ne falloit pas une émotion plus puissante à cette ame sans ressort. Mais son frère le suit en Amérique, et il est tué à ses côtés dans une bataille. On ramène l'autre en Angleterre, où sa douleur et ses agrémens extérieurs intéressent une jeune femme charmante. Il en est aimé, il l'aime aussi, par reconnaissance peut-être, mais enfin suffisamment pour l'espèce de bonheur dont il a besoin. Il auroit donc encore été heureux, si le sort de cette femme eût été un sort ordinaire, mais elle avoit été vendue par sa mère aux désirs d'un riche Lord; et bien qu'elle eût depuis vécu d'une manière exemplaire, cette première idée effarouchant le père de l'Amant, il défend à son fils de l'épouser.
Il n'ose désobéir: alors le dépit porte Caliste à accepter la main d'un autre Amant: lui-même se laisse marier à une autre femme, qui désire d'abord son attachement, mais qui n'a ni l'esprit | |
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de connoître son caractère, ni les qualités qu'il falloit pour pénétrer dans son coeur. C'est une femme vaine et haute. Son mari s'éloigne de plus en plus d'elle; et l'estime ne le lui ramène pas. Ladi Betti n'en mérite aucune. Elle a pris le parti de se dédommager avec d'autres de cet attachement qu'elle n'obtient point. Elle a plusieurs intrigues de suite, et met si peu de soin à les cacher, qu'elles frappent les regards du père de son mari. Il croit devoir avertir son fils: nous rapporterons sa réponse, comme un des endroits de l'Ouvrage où le caractère de cet homme foible, mais raisonnable et bon, est le mieux tracé.
‘Je lui répondis qu'il ne m'étoit pas possible d'ajouter à mes autres chagrins celui de tourmenter une personne qui s'étoit donnée à moi avec plus d'avantages apparens pour moi que pour elle, et qui dans le fond avoit à se plaindre. Il n'y a personne, lui dis-je, au coeur, à l'amour-propre et à l'activité de qui il ne faille quelque aliment. Les femmes du peuple ont leurs soins domestiques, et leurs enfans dont elles sont obligées de s'occuper; les femmes du monde, quand elles n'ont pas un mari dont elles soient le tout, et qui soit tout pour elles, ont recours au jeu, à la galanterie, ou à la haute dévotion. Miladi n'aime pas le jeu, elle est d'ailleurs trop jeune encore pour jouer; elle est jolie et agréable; ce qui arrive est trop naturel pour devoir s'en plaindre..... Je ne veux me donner ni l'humeur, ni les ridicules d'un mari jaloux. Si elle étoit sensible, sérieuse, capable en un mot de m'écouter et de me croire, s'il y avoit entre nous de véritables rapports de caractère, je me ferois peut-être son ami, et l'exhorterois à éviter l'éclat et l'indécence, pour s'épargner des chagrins et ne pas aliéner le public; mais comme elle ne m'écouteroit pas, il vaut mieux que je conserve plus de dignité, et que je laisse ignorer que mon indulgence est réfléchie. Elle en fera quelques écarts de moins, si elle se flatte de me tromper. Je sais tout ce qu'on pourroit me dire sur le tort qu'on a de tolérer le désordre; mais je ne l'empêcherois pas, à moins de ne pas perdre ma femme de vue. Or quel Casuiste assez sévère pour oser me prescrire une pareille tâche? Si elle m'étoit prescrite, je refuserois de m'y soumettre, je me laisserois condamner par toutes les autorités, et j'inviterois l'homme qui pourroit dire qu'il ne tolère aucun abus, soit dans la chose publique, s'il y a quelque direction, soit dans sa maison s'il en a une, soit dans la conduite de ses enfans, s'il en a, soit enfin dans la sienne propre; j'inviterois, dis-je, cet homme-là à me jeter la première pierre. Mon père me voyant si déterminé, ne me répliqua rien; il entra dans mes intentions, et vécut toujours bien avec Ladi Betti; et dans le | |
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peu de temps que nous fûmes encore ensemble, il n'y eut point de jour qu'il ne me donnât quelque preuve de son extrême tendresse pour moi. Je me souviens que dans ce temps-là un Evêque, parent de Ladi Betti, dînant chez mon père avec beaucoup de monde, se mit à dire de ces lieux communs, moitié plaisans, moitié moraux, sur le mariage, l'autorité maritale, etc. qu'on pourrait appeler plaisanteries ecclésiastiques, qui sont de tous les temps, et qui dans cette occasion pouvoient avoir un but particulier. Après avoir laissé épuiser à neuf ce vieux sujet, je dis que c'étoit à la Loi et à la Religion, ou à leurs Ministres, à contenir les femmes, et que si on en chargeoit les maris, il faudroit au moins une dispense pour les gens occupés, qui alors auroient trop à faire, et pour les gens doux et indolens, qui seroient trop malheureux. Si on n'avoit cette bonté pour nous, dis je avec une sorte d'emphase, le mariage ne conviendroit plus qu'aux tracassiers et aux imbécilles, à Argus, et à ceux qui n'auroient point d'yeux. Ladi Betti rougit. Je crus voir dans sa surprise, que depuis long-temps elle ne me croyait pas assez d'esprit pour parler de la sorte, etc..’
Il semble que tant de raison, de douceur et d'indulgence auroit dû ramener Ladi Betti à ses devoirs, ou lui donner du moins un peu plus de respect pour les bienséances. Mais non, son désordre augmente. Bientôt elle s'y livre avec tant d'éclat, que son mari croit devoir de séparer d'elle: il accepte d'accompagner le fils d'un de ses parens qui va commencer ses voyages; il vient avec lui sur le Continent. C'est là qu'il apprend la mort de la malheureuse Caliste, qui périt accablée de chagrins domestiques, et désespérée de l'avoir perdu.
Il règne dans cet épisode un intérêt touchant; nous aurions pu le prouver en multipliant les citations, mais il vaut mieux renvoyer à l'Ouvrage même. Nous croyons que le Lecteur y remarquera avec beaucoup d'esprit et de sensibilité, le talent de bien dessiner les caractères, et de les placer dans des situations où ils se développent d'eux-mêmes, et bien plus heureusement que par des paroles. Quant au style, il est plein de chaleur et de naturel; il l'est aussi très-souvent d'élégance; nous ne dissimulerons cependant point qu'il laisse à cet égard quelque chose à désirer. L'Auteur est doué de la plus extrême facilité, et il est quelquefois entraîné par elle. Lorsque la pensée ou la situation le soutiennent, son style ne reste jamais au dessous; mais il y a des détails qu'il a oublié d'ennoblir, et où il tombe dans des négligences qu'on ne sauroit excuser. Il semble qu'il auroit mieux valu suivre un procédé contraire. Lorsqu'on a le bonheur de rencontrer une grande idée, on | |
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peut la reproduire telle qu'elle est, et ne rien craindre; sa hardiesse, sa nouveauté ou sa profondeur, suffisent à sa parure: mais on a besoin de travail et d'art pour faire passer les iddées communes, et ce sont celles-là qu'il faut embellir par l'expression.
On peut aussi reprocher à l'Auteur de Caliste, un usage trop fréquent des répétitions.
Jusqu'au moment où il sera question du mariage ..... Mais lorsqu'il est question de l'épouser .... En vérité, Madame, cela seroit insupportable; car à présent que cela n'a rien de réel, l'idée m'en est insupportable, etc. etc.
Il nous semble qu'on ne passe guère ces formes de style qu'aux Penseurs par excellence, à ceux, qui, exerçant sans cesse la raison, la fatigueroient promptement, s'ils n'appeloient à leur aide la plus extrême clarté. Cette classe d'Ecrivains mène souvent le Lecteur dans des routes nouvelles; et comme à la plus lègere obscurité notre esprit seroit arrêté ou refroidi, il faut bien qu'ils sacrifient tout autre mérite au besoin d'être entendus. Mais dans les Ouvrages d'imagination, on parle au Lecteur de ce qu'il aime et entend le mieux. Alors une partie de son attention lui suffit pour se tenir au courant des choses; il garde l'autre pour le style, et ne pardonne rien à l'Auteur. Malgré ces taches que nous n'avons pas voulu dissimuler, et qu'il est aisé de faire disparoître, les Lettres de Lausanne et Caliste nous paroissent des Ouvrages vraiment distinguées; et ce qui doit leur donner un nouveau prix, ils sont d'une femme (Mme. de Char....), qui les a écrits dans une Langue qui n'est pas la sienne; car elle n'est pas née en France, et elle n'y habite pas.
(Cet Article est de M. Comey....) | |
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ratifs nécessaires: mais Ladi Betti semble un peu réfroidir l'attachement de Willam pour Caliste; celle-ci en est affectée. Un Gentilhomme campagnard, protégé par l'oncle de Ladi, bienfaiteur de Caliste, allarme Willam, par ses assiduités auprès de son amante, mais il ne change point; et le désir de tout concilier, ne cesse de le rendre timide, et irrésolu dans sa marche. Le Gentilhomme se détermine à lui faire des propositions; Caliste les accepte conditionnellement, espérant toujours que son amant se déterminera à l'épouser. Vain espoir: après les situations les plus déchirantes, elle part; écrit à son amant des Lettres pleines d'ame et de sentiment: mais voyant que tous ses efforts sont inutiles, elle finit par accepter la main du Gentilhomme.
Willam consent de se marier avec sa cousine Ladi Betti, pourvu qu'on lui accorde un intervalle de quatre mois pour voyager: mais comme son père désire que le mariage n'éprouve aucun retard, il le consomme avant son départ.
Après avoir parcouru diverses contrées, il arrive à Londres, où il va au spectacle. Dans la loge qu'il a choisi, il retrouve Caliste, cette reconnaissance est des plus attendrissantes; ils se content mutuellement ce qui leur est arrivé, depuis qu'ils se sont quittés: elle lui apprend, comment, par un fâcheux hasard, elle avait su son mariage avec sa cousine, et que ce coup lui avait été si sensible, qu'en présence de son mari, elle était tombée évanouie; de-là, la plus grande froideur entr'eux. Willam lui apprend qu'il a perdu aussi le coeur de son épouse, parce qu'elle a appris tout ce qu'elle aurait dû ignorer. Enfin, la piece finie, Caliste lui dit: ‘Voulez-vous que nous nous en allions ensemble? N'avez-vous pas assez obéi à votre pere? N'avez-vous pas une femme de son choix, et un enfant? Reprenons nos véritables liens. A qui ferons-nous du mal? Mon mari me hait, et ne veut pas vivre avec moi; votre femme ne vous aime plus ... Ah! ne répondez pas, s'écria-t-elle, en mettant sa main sur ma bouche; ne me refusez pas, et ne consentez pas non plus. Jusqu'ici, je n'ai été que malheureuse; que je ne devienne pas coupable! je pourrais supporter mes propres fautes, mais non les vôtres; je ne me pardonnerais jamais de vous avoir dégradé. Ah! combien je suis malheureuse, et combien je vous aime! Jamais homme ne fut aimé comme vous! .... Le tems devenant affreux, James, accourant, lui cria, au nom du Ciel, Madame, venez! Voici la grêle: il l'entraîne vers le fiacre, l'y fait entrer, et ferme la portiere. Je restai seul dans l'obscurité; je ne l'ai jamais revue.’ | |
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Willam repart pour la campagne; son père étonné de son prompt retour, lui témoigne le regret qu'il a de son mariage, et semble même l'engager à quitter sa femme, pour ne vivre que pour Caliste. Willam justifie la conduite de son épouse par la sienne: pour se distraire, il prend le parti de voyager avec Mylord **. Il parcourt l'Italie, le Portugal, etc. et vient à Lausanne. Caliste lui écrit encore plusieurs Lettres, où elle déplore ses malheurs, et lui fait de tendres reproches. Sa santé entiérement dérangée; l'oncle du Lord, son bienfaiteur, veut qu'elle retourne chez son mari. Celui-ci, attendri et instruit de cette chaîne fatale d'événemens, lui fait savoir, par une Lettre, qu'il laisse chez lui, qu'il a pour elle les sentimens les plus tendres: mais que l'impression du chagrin qu'il a éprouvé, l'oblige de s'éloigner encore pour quelque tems d'elle, etc. etc.
Son Protecteur lui laisse une grande partie de sa fortune en mourant, Caliste suit toujours son penchant à la bienfaisance: enfin, elle écrit une derniere Lettre à son amant, où, en lui demandant une réponse, elle regarde sa mort comme prochaine, et lui fait les plus tendres adieux. Willam peint assez bien son caractere par ce peu de mots: ‘Ah! malheureux, j'ai toujours attendu qu'il fut trop tard, et mon pere a fait comme moi! Que n'a-t-elle aimé un autre homme, et qui eût un autre pere? Elle aurait vêcu, et ne mourrait pas de chagrin’. Il continue de se désespérer, et reçoit enfin la triste nouvelle de la mort de Caliste, par son mari même. La Lettre finit par ses paroles: ‘si je ne puis vous promettre de l'amitié, j'abjure au moins tout sentiment de haine’. Telle est la marche de ce Roman, qu'on ne lit pas sans intérêt; où l'on trouve de l'énergie, et beaucoup de sensibilité.
(Note des Rédacteurs.) Quoique cette analyse nous ait été communiqué par un homme d'esprit de cette ville, nous nous permettrons, cependant, d'ajouter que l'Auteur de cette production manque souvent, sans son style, d'harmonie et de pureté. On sait que dans les ouvrages agréables, le Lecteur a droit d'être plus exigeant que dans ceux qui n'ont pour but que l'instruction; qu'on pardonne à la profondeur des idées, ce qu'on ne pardonne pas à un ouvrage destiné seulement à faire passer quelques heures délicieusement. En remerciant l'Auteur du plaisir qu'il nous a procuré, nous l'invitons à donner, à l'avenir, plus de soins à ses productions; et cela lui sera facile. | |
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Stücke gewählt, die keinen politischen Endzweck haben, und wo die Anspielungen auf die jetzigen französischen Sitten ao ausserwesentlich sind, dass sie vielleicht wegbleiben, oder, wie er jedesmal (z.B. im zweyten Stück bey dem Ausdruck: Es ist aus mit der Excellenz) selbst vorgeschlagen, mit andern vertauscht werden können. Im ersten Stück kommt zwar ein Professor vor, dessen innere demokratische Gesinnungen zuweilen durch die Aussenseite von Aristikratismus durchdringen wollen, dies geschieht aber so selten, und mit so vieler Zurückhaltung, dass dieser Charakter keinen Anstoss geben kann. Am meisten liesse sich vielleicht gegen das letzte Stück einwenden, indem es zwar anfangs scheint, als ob hier die Egaliseurs persiflirt werden sollen, ihnen aber doch im Grunde die edelsten Rollen gegeben sind. Die vier Stücke dieses ersten Theils sind folgende: 1) Eitelkeit und Liebe, ein Lustspiel in drey Aufzügen, aus dem Manuscript eines Ungenannten übersetzt. Dieses ernsthafte Intriguenstück, dessen Scene in Deutschland ist, hat viele einzle Schönheiten, verdient aber doch nicht an der Spitze der Sammlung zu stehn. Die meisten Personen darin räsonniren mehr, als sie handeln, und der Hauptcharakter, eine feinere Kokette ändert sich zuletzt auf eine unwarscheinliche Art. 2) Tartuffe der Zweyte [...................] | |
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Für Boudoir wäre vielleicht Schmollkämmerchen nicht zu verachten. Am Ende des Buchs verspricht der Autor seine Personen wieder auftreten zu lassen. Wir glauben der Lesewelt einen Dienst zu leisten, wenn wir ihn beym Worte halten; doch werden uns die Handlungen der Frau von Vaucourt noch lieber seyn, als ihre Vernunftschlüsse. | |
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ihrer Gebuhrt nicht entgangen zu seyn, und von unwürdigen Aeltern allerley geerbt zu haben. Ihr Bild ist ganz aus einer Farbe; aber fröhlich kann uns diese Farbe nicht machen. Die Verschlagenheit des Kindes ist schmerzlich; es interessirt uns, als ein Geschöpf, dessen Anlagen schon im ersten Keime verfälscht werden: denn die reinste Liebe kann einem so gefährlichen, so kühlen Scharfsinne schwerlich die Waage halten, um ihre Unschuld zu retten. Die Art, wie sie die Verderbtheit der Kammerfrau zu ihren Zwecken benutzt, macht einen widrigen Eindruck, und ihre traurige Reise ist unstreitig um einige Jahre zu früh, selbst für diese Anlagen, angesetzt. Wir geben weiter keinen Auszug aus der Geschichte, um dem Leser nichts von dem Vergnügen zu rauben, das er hier finden kann. Die Revolution wird am Ende ziemlich mit Gewalt herbeygerufen, um dem Knoten eine Art von Auflösung zu verschaffen. Sie wird wohl noch oft in Romanen den Dienst eines Blitzes leisten müssen, der aus blauem Himmel niederfällt. An verschiedenen Zügen ist der Vf. als Emigrirter kenntlich, und der Stil ist nicht frey von Gallicismen, so dass man dies Werkchen für eine Uebersetzung halten muss, wenn gleich das Original noch nicht erschienen ist.
[August Wilhelm von SCHLEGEL] | |
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die Geschichte bey weitem nicht das Vornehmste. Anziehender noch als sie sind die Briefe, welche die eine ausgewanderte Französinn, Constanzie, an den Abbe schreibt. Vorzüglich gut ist der fünfte Brief über Schriftsteller als Gesellschafter und Freunde, und die Schilderung der Mittel, die Theobald, der junge Gutsherr, anwendet, um unter seinen Unterthanen Kenntnisse zu verbreiten. Auch der sechste Brief, über Rousseau und Voltaire, so wie der gute Rath für die Reichen im achten Briefe, und der Charakter des atheistischen Lehrers des Mathematik, verdienen Aufmerksamkeit. Sehr sinnreich ist die Verwechselung zweyer eben geborner Kinder, eines von der Gräfinn Mathilde, und eines von der Cammerfrau Sophie. Wir wüssten keine feinere Verspottung der vornehmen Geburt, als diese. Einige französirende Wörter, als Präsumtion, Cousin, Cousine, vegetiren, und ähnliche, hätte Herr Huber, da er sich übrigens eines guten und reinen Ausdrucks befleissigt, billig vermeiden sollen. | |
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Dans le second, il est absent. On lui écrit.
Ce tome second est plein de conceptions philosophiques et agréablement exprimées. Constance est celle qui tient la correspondance. Elle s'exprime non pas seulement sans recherche, sans air et prétention, mais encore en négligeant tant soit peu trop la pureté du style. N'importe: qu'on ne chicane pas sur les vraisemblances, on s'arrêtera avec plaisir sur bon nombre de pensées fines, délicates, spirituelles, pleines de sel et de sens.
Par exemple: la noble comtesse et la roturière Joséphine accouchent chacune d'un fils au même instant; Emilie et Constance ont à l'avance préparé des layettes, qui n'ont pas entre elles la moindre différence. Les nouveaux nés sont posés à côté l'un de l'autre; le comte arrive, il croit que sa femme est accouchée de 2 enfans, il caresse l'un, il carresse l'autre, les pose à droite, à gauche. La comtesse demande son fils, lequel est le sien? On n'en sait plus rien. Elle les rejette tous deux. Joséphine s'en charge, et les allaite avec une égale tendresse. Ils seront élevés de même, et l'on verra un jour s'il y a quelque différence entre le sang noble et la sang roturier.
Constance veut faire encore une autre expérience sur deux jumeaux, l'un mâle, l'autre femelle; c'est d'élever comme garçon la petite fille, et comme petite fille le garçon, on verra si la différence dans les résultats n'est pas autant l'ouvrage de l'éducation, que celui de la nature.
Constance, malgré quelques dérisions sur les extravagances de la noblesse, n'est pas d'un républicanisme bien prononcé. Elle n'aime pas le Panthéon, elle ne fait ni rejeter ni admettre le gouvernement d'un seul. Elle est encore moins démocrate. Elle consent qu'il y ait des riches et des pauvres; mais que les riches, dit-elle, mettent du moins une sourdine à leur tourne-broche.
Nous pourrions citer beaucoup plus de jolies choses, mais elles ne nous ont pas éblouis sur le fonds de cet écrit, lequel ne nous paroît exact ni en morale, ni en observation. Le résultat constant de l'observation est que l'honnêteté et le travail vont ensemble, comme le vice avec l'indolence; à ce compte, Joséphine, laborieuse, devoit être mieux traitée. Mademoiselle Emilie se reproche quelques inconséquences, qui à peine méritent d'être apperçues. Elle avoit un reproche bien plus grave à se faire. Elle avoit à remplir un devoir aussi honorable qu'impérieux. C'étoit à elle à travailler pour se nourrir elle et sa suivante. Elle savoit coudre, et ce n'est pas quand le besoin nous presse, et presse quelqu'un qui nous est attaché | |
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qu'on s'occupe de babioles. Elle n'est pas assez punie. Constance est la seule des trois qui ait une idée juste du devoir; dans l'impossibilité de restituer, elle fait du bien, on ne pouvoit rien demander de plus.
Nous en étions là quand nous avons appris que l'auteur des Trois Femmes est elle-même une femme. Malgré nos profonds égards pour le sexe aimable, nous ne rabattrons rien de notre censure; peut-être même, par cette considération, eussions [-nous] insisté encore plus rigoureusement sur la loi des convenances. | |
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et reservée; qu'est-ce que cela veut dire? On veut qu'elle craigne le blâme, sans desirer la louange; on applaudit à toute ma tendresse pour elle, mais on voudroit que je fusse moins continuellement occupée à lui éviter des peines et à lui procurer du plaisir. Voilà comme, avec des mots qui se laissent mettre à côté les uns des autres, on fabrique des caracteres, des législations, des éducations et des bonheurs domestiques impossibles’.
Cécile, élevée par une mere si tendre et si sage, la récompense par une confiance sans bornes: aimée par un jeune lord qu'elle aime, elle s'abandonne à la direction de sa mere, qui ne desire rien tant que de la donner en mariage au jeune Anglais, trop timide pour la demander. Les détails de leur amour sont pleins de grace, de finesse et de vérité. Cécile et son amant ne sont point des êtres extraordinaires, et cependant ils inspirent un vif intérêt; leurs sentimens sont si naturels, si simples! Ils jouent aux dames ensemble. Quand les dames ennuieront Cécile, le jeune lord dit qu'il aura de petits échecs. ‘Il ne voit pas, ajoute la mere, combien il est peu à craindre qu'elle s'ennuie. On parle tant des illusions de l'amour-propre; cependant il est bien rare, quand on est véritablement aimé, qu'on croie l'être autant qu'on l'est. Un enfant ne voit pas combien il occupeGa naar voetnoot+ ne voit et n'entend par-tout que lui; une maîtresse ne voit pas qu'elle ne dit pas un mot, qu'elle ne fait pas un geste qui ne fasse plaisir ou peine à son amant. Si on le savoit, combien on s'observeroit, par pitié, par générosité, par intérêt, pour ne pas perdre le bien inestimable d'être tendrement aimé’!
J'espère que Mlle. Cécile n'a point perdu ce bien inestimable; tous ceux qui prétendoient à sa main étoient de sottes gens: le petit lord dut l'emporter; d'ailleurs il étoit aimé, ses parens et son gouverneur étoient très-raisonnables; voilà d'excellentes raisons pour que leur mariage se soit fait, et quoique le livre n'en dise rien, je suis convaincu que Cécile et le jeune Anglais font à présent le plus heureux ménage du monde.
S'il n'en étoit pas ainsi, ils auroient eu tort, et d'autant plus tort, qu'ils avoient sous les yeux un exemple frappant des chagrins auxquels on s'expose quand on laisse échapper le bonheur que l'on a sous la main. Le gouverneur du jeune lord avoit été aimé de Caliste. ‘Caliste étoit d'une extraction honnête et tenoit à des gens riches; mais une mere dépravée et tombée dans la misere, voulant tirer parti de sa figure, de ses talens et du plus beau son de voix qui ait jamais frappé une oreille sensible, l'avoit vouée de bonne heure au métier de comédienne, et on la fit débuter par le rôle de Caliste dans the Fair Penitent, la Belle | |
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Pénitente. Au sortir de la comédie, un homme considérable alla la demander à sa mere, l'acheta pour ainsi dire, et partit avec elle pour le continent’. - A la mort de cet homme, la malheureuse Caliste, sentoit toutes les douleurs de sa position: ‘Avant vous, disoit-elle à celui qu'elle aime, j'avois connu la reconnoissance et non l'amour; je le connois à présent qu'il est trop tard; quelle situation que la mienne! moins je mérite d'être respectée et plus j'ai besoin de l'être. Je verrois une insulte dans ce qui auroit été des marques d'amour; au moindre oubli de la plus sévere décence, effrayée, humiliée, je me rappellerois avec horreur ce que j'ai été, ce qui me rend indigne de vous à mes yeux et sans doute aux vôtres; ce que je ne veux, ce que je ne dois jamais redevenir. Ah! je n'ai connu le prix d'une vie et d'une réputation sans tache, que depuis que je vous connois. Combien de fois j'ai pleuré en voyant une fille, la fille la plus pauvre, mais chaste, ou seulement encore innocente, etc.’
Cette douceur, ce repentir, cette tendresse donnent au caractere de Caliste un charme qu'on ne trouve point ailleurs; et l'auteur a peint ce caractere avec un talent très-distingué: c'est l'Anglais lui-même qui raconte son histoire et celle de sa maîtresse: ‘Dans ses pensées, dans ses jugemens, dans ses manieres, elle avoit, dit-il, je ne sais quoi qui négligeoit les petites considérations, pour aller droit aux grands intérêts, à ce qui caractérise les gens et les choses. Son ame et ses discours, son ton et sa pensée étoient toujours d'accord: ce qui n'étoit qu' ingénieux ne l'intéressoit point; la prudence seule ne la détermina jamais, et elle disoit ne savoir pas bien ce que c'étoit que la raison; mais elle devenoit ingénieuse pour obliger; prudente pour épargner des chagrins aux autres, et elle paroissoit la raison même quand il falloit amortir des impressions fâcheuses, et ramener le calme dans un coeur tourmenté ou dans un esprit qui s'égaroit... Elle avoit contracté je ne sais quelle réserve triste, qui tenoit tout ensemble de la fierté et de l'effroi; et si elle eût été moins aimante, elle eût pu paroître sauvage et farouche ...’
Malheureusement le pere de notre Anglais ne connoissoit de Caliste que ses erreurs et ses torts: il s'opposa donc formellement au mariage de son fils; celui-ci fut foible, sans énergie; lady Bethy lui fit des avances, l'amour-propre le rendit un moment moins sensible à l'attachement de Caliste; elle en souffrit sans se plaindre. Il épousa lady Bethy; et la pauvre Caliste, toujours aimante et malheureuse, traîna plusieurs années une existence qui n'avoit plus d'avenir. Elle eut cependant le bonheur de revoir encore une fois cet Edouard qu'elle aimoit et qui ne l'avoit point oubliée. Ne pouvant vivre avec lady Bethy, Edouard la quitta pour aller voyager sur le continent. Ce fut dans le courant de ce voyage qu'il reçut les | |
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dernieres lettres de Caliste, et qu'il apprit bientôt après la mort de celle qui l'avoit tant aimé, et dont il avoit si mal récompensé la tendresse.
Ce petit ouvrage, plein de sensibilité et de douceur, est écrit avec pureté et élégance. La mort de Caliste est touchante et simple comme son caractere; elle est triste comme sa vie. Nous n'appliquerons point ici les regles d'une morale sévère; il peut être dangereux de présenter des caracteres aussi séduisans que celui de Caliste, parce qu'il est à craindre que tout jeune homme ne voie une Caliste dans la comédienne dont il sera amoureux. Mais lorsqu'on écrit avec tant de grace et de charme, on se fait tout pardonner, même des erreurs, et il n'est personne qui n'en veuille à cet Edouard de ce qu'il n'eut pas la force de vaincre un préjugé, raisonnable presque toujours, mais sans fondement quand il s'agissoit de prendre Caliste pour épouse.
R. [Pauline de MEULAN] | |
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et comme le vice heureux ne peut m'inspirer que du dégoût, je dois conclure encore, d'après ma maniere de sentir, qu'un ouvrage qui m'inspire du dégoût pour le vice est un ouvrage immoral.
S'il m'étoit permis de traiter cette grande question sous un rapport purement littéraire, je croirois devoir condamner tout ce qui m'inspire du dégoût, soit pour le vice, soit pour autre chose; car le dégoût ne m'a jamais paru un moyen poétique ou romantique, comme on voudra; et comme le vice ne me paroît pas pouvoir être séparé du dégoût, je ne crois pas qu'il soit jamais bon à présenter; il exclut d'ailleurs nécessairement ce qui peut seul intéresser dans une composition quelconque, la passion, les combats et l'incertitude. Le vice est une habitude, qui a fait du mal, ou du moins d'une certaine sorte de mal, la routine, pour ainsi dire, de notre vie, qui a dépravé une partie de notre être, par laquelle notre nature, ou une partie de notre nature se trouve viciée et corrompue. L'homme passionné ne peut être vicieux; entraîné hors de lui-même, il ne suit pas sa nature; il y échappe par de continuels orages, et ne connoît pas cette tranquillité, suite de l'insensibilité produite par le vice. Manon l'Escaut, dans l'excès de son désordre, n'est pas vicieuse; entraînée par le goût des plaisirs, ramenée par l'amour, passant continuellement de l'infidélité aux remords, et des remords à l'infidélité, elle se livre à tous ses mouvemens, et jamais à une seule habitude.
Ce pourroit n'être pas non plus une personne vicieuse que cette petite Joséphine du roman de Mme. de Charrière: mais il faudroit pour cela qu'entraînée par des penchans que l'éducation ne lui a point appris à réprimer ou à diriger, croyant expier, par une dévotion mal entendue, de continuelles foiblesses, et dominée cependant malgré elle par l'ascendant que donne la vertu, elle se cachât, elle rougît de ses fautes aux yeux de la jeune fille innocente et respectable dont elle fut autrefois la servante, et dont elle est maintenant la bienfaitrice et l'appui. Il faudroit que le sentiment d'une honte qu'elle ne peut cesser de mériter la tînt dans l'humiliation devant celle dont elle soutient l'existence par son courage, son travail et son dévouement. Mais Joséphine ne se cache pas très-soigneusement de ses fautes; elle en plaisante presque, elle les excuse du moins avec tant d'esprit, d'une maniere si piquante qu'on voit bien qu'elle est trop éclairée pour ne pas les sentir. On la voit coupable, coupable à ses propres yeux, et cependant heureuse, et le dégoût est inévitable: ce sentiment change à la fin, parce que Joséphine devient malheureuse. Revenue à la seule vertu à laquelle elle ait manqué, elle est méprisée et punie avec justice pour y avoir | |
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manqué. C'est bien assez pour la moralité du roman; mais cette moralité est à la fin, et ne change rien à l'effet un peu pénible qu'a produit le commencement.
Emilie (c'est le nom de la jeune personne à laquelle est attachée Joséphine) est une émigrée de seize ans; elle a perdu ses parens, ses derniers moyens d'existence et l'espoir d'en retrouver aucun. Joséphine lui a tenu lieu de tout. Attentive, respectueuse, zélée, elle est à-la-fois la mere et la servante d'Emilie, elle la sert et la nourrit, elle s'est dévouée à elle, elle n'aime qu'elle. C'est au milieu des sentimens d'une affection exaltée par la reconnaissance qu'Emilie découvre les désordres de Joséphine. Elle se voit obligée de sacrifier à cette affection, à cette reconnoissance si méritée, l'horreur qu'inspire à l'ame pure d'une jeune fille le premier aspect du désordre. D'un autre côté, une jeune veuve, Mme. de Vaucourt, s'est attachée à Emilie. Vive, aimable, sensible, irréprochable dans sa conduite, Mme. de Vaucourt ne cherche de jouissances que dans l'emploi généreux et bienfaisant d'une grande fortune. Mais cette fortune, ceux de qui elle la tient ne la possédoient pas à des titres légitimes; son pere et son mari l'ont enrichie aux dépens de leur honneur; la nature de leurs dépradations ne permet pas à Mme. de Vaucourt de reconnoître ceux à qui elle pourroit devoir des restitutions; mais obligée de cacher, pour éviter de répandre la honte attachée au nom qu'elle porte, une existence qu'elle honoreroit par des vertus, obligée d'étourdir sa conscience sur la source d'où elle tire des jouissances toutes honnêtes, toutes généreuses, craignant de décider sur le dégré d'estime qu'elle se doit et qu'elle peut mériter, Mme. de Vaucourt a porté sur tous les principes une sorte de scepticisme qui effraie ceux d'Emilie, sans lui offrir cependant des raisons suffisantes pour se détacher d'une personne à qui son amitié est nécessaire. En même tems, l'intérêt de Joséphine dont il faut sauver l'honneur et peut-être la vie, l'engagent dans des démarches qui répugnent à sa droiture et à sa probité naturelle; ainsi, toujours forcée en quelque sorte par des sentimens honnêtes à en sacrifier d'autres, Emilie semble destinée à prouver cette incertitude des devoirs que professe Mme. de Vaucourt, et contre laquelle s'élève Théobald, le jeune amant d'Emilie. Aimable, sensible, quelquefois sévere, même pour celle qu'il aime, mais toujours tendre, quelquefois passionné, inflexible à défendre ses principes, mais quelquefois entraîné à les oublier, il n'abandonnera jamais la cause de la vertu, bien qu'il puisse s'écarter quelques momens de la route qu'elle prescrit. Il ne pardonnera pas un principe qui s'écarte de la ligne tracée par le devoir. On lui demande dans une discussion à ce sujet, | |
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s'il se soumet à ce qu'il exige. En supposant, répond sa mere présente à la conversation, que mon fils ne courbe jamais la regle, mais que dans certains momens il la méconnoisse, la brise, la jette loin de lui, est-il ou n'est-il pas ce qu'il veut que l'on soit? Sans doute, il est ce que l'on peut exiger de la foiblesse de l'homme. La perfection ne lui est pas ordonnée, mais seulement la volonté de cette perfection, le désir constant d'y parvenir. Il peut en approchant du bord être repoussé par une vague, mais il faut qu'il recommence ses efforts, ne se rebute jamais, et il remplira mieux sa destination, il sera plus fidele à la vertu en travaillant toujours pour n'arriver jamais, qu'en se reposant sur l'écueil qui se trouve plus à sa portée, en s'appuyant sur un mauvais principe pour ne pas se repentir d'une mauvaise action. Je hais encore plus, dit Rousseau, un mauvais principe qu'une mauvaise action. Et il a bien raison; une mauvaise action n'est qu'une action; un mauvais principe les gâte toutes, même les bonnes. Mais un mauvais principe dans un bon caractere n'est qu'un travers de l'esprit que le coeur dément à chaque instant; un faux systême dans une personne de goût est de même écarté par l'instinct. En paroissant vouloir prouver l'incertitude des devoirs, ce qui détruiroit tout intérêt pour des personnages dont les actions auroient alors peu d'importance pour eux-mêmes, Mme. de Charriere prouve au contraire combien leur base est fixe et inébranlable. Emilie commet quelques fautes; mais incapable de répondre aux raisonnemens qui lui démontrent qu'elle ne peut pas se conduire autrement, elle ne sent pas moins qu'elle a tort. Obligée de sacrifier ses principes pour sauver Joséphine, cette Condescendance, dit-elle, m'ôtera peut-être peu-à-peu toute l'estime que j'avois pour moi-même; mais n'importe; et l'on comprend que ce sacrifice de sa propre estime lui doit être si pénible qu'il ajoute à l'idée de sa bonté. Mais cette idée de bonté n'existeroit pas si, en faisant une action qu'elle juge condamnable, Emilie abandonnoit le principe qui la condamne, car alors elle ne feroit aucun sacrifice. Il demeure donc mieux prouvé que jamais, que ce qui nous intéresse dans une action qui blesse la vertu, c'est le reste de vertu qu'on y apperçoit encore, et peut-être qu'en y pensant un peu, on trouvera que cette derniere production de l'auteur de Caliste est une des compositions les plus morales, comme elle est une des plus originales et des plus piquantes qui ait paru depuis long-tems. P[auline de MEULAN]. |
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