Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw. Jaargang 1975
(1975)– [tijdschrift] Documentatieblad werkgroep Achttiende eeuw– Auteursrechtelijk beschermd
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Dispersion de l'heritage litteraire d'Isabelle de CharriereSi aujourd'hui encore nous nous intéressons à Isabelle de Charrière, si nous la connaisons -plus ou moins- c'est grâce à ses publications faites au cours de sa vie et grâce aussi aux papiers qu'elle a légués ellemême ou par la voie de ses correspondants. Un héritage littéraire donne lieu souvent à des controverses. Par ses publications, un auteur éveille l'attention du public et de la critique, une certaine communication s'établit entre lui et ses lecteurs inconnus. Il est assez courant que sa famille et parfois certains amis ne le lisent pas, s'intéressent fort peu à ses travaux littéraires, parfois même ses écrits les dérangent. Après sa mort, ceux qui sont enfin les maîtres de ce qu'il lègue en fait de manuscrits, journaux ou lettres, détruisent ces documents, les mutilent ou les font disparaître dans des coffres hermétiquement fermés de génération en génération. Ils coupent ainsi à ceux qui se sont intéressés à lui la possibilité de prendre 7. Philippe Godet (1850-1922) (Bibl.Publ. de Neuchâtel)
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connaissance de documents qui forment souvent un élément essentiel de son oeuvre. Si un auteur est au cours de sa vie assez impuissant pour défendre ses propres ouvrages, il est après sa mort livré complètement aux intentions de ses héritiers.
Madame de Charrière a voulu préserver les papiers particuliers qu'elle possédait d'un sort peu judicieux par un petit codicile ajouté au testament réciproque de Monsieur et Madame de CharrièreGa naar eindnoot1.. Ce codicile porte toutefois l'empreinte du fatalisme d'Isabelle de Charrière, car il stipule qu'après sa mort, Mademoiselle Henriette L'Hardy, avec la connaissance des curateurs et de ses belles-soeurs Mesdemoiselles de Charrière, ‘rangera et brûlera ses papiers particuliers comme bon il lui semblera, gardant, donnant, brûlant sans que personne y ait rien à voir’. Ce paragraphe prouve qu'elle avait une grande confiance en sa jeune amie et elle a donc exclu les familles Charrière et Tuyll de son héritage littéraire. Ce n'est pas si étonnant, car les Charrière n'avaient pas d'enfants, et les soeurs de Monsieur de Charrière n'étaient pas mariées. Il ne semble pas non plus qu'Isabelle ait été en relation dans la dernière periode de sa vie avec la famille de Charrière de Sévery ou d'autres parents de son mari.
Du côté des Tuyll, les contacts avec son frère Vincent avaient été assez suivis. Après la mort de ce frère en 1794, la correspondance fut poursuivie avec son fils aîné, Guillaume René, qui fit, vers 1800, un assez long séjour à Colombier. C'est surtout après cette visite que de nombreuses lettres furent échangées entre la tante et le neveu. Ces lettres furent souvent d'un ton aigre-doux, la vivacité d'Isabelle attaquant plus d'une fois l'indolence de Guillaume René.
Après son séjour à Colombier sa tante lui avait donné un exemplaire de ses pamphlets Observations en conjectures politiquesGa naar eindnoot2. parus douze ans plus tôt, afin qu'il les fasse lire à sa famille. Mais, comme son neveu ne lui parlait jamais dans ses lettres de l'effet produit par la lecture de ses pamphlets, elle l'incita à avouer ce qu'il en avait fait: ‘si vous les avez brûlés ou mis au cabinet, dîtes-le sans façon’Ga naar eindnoot3., écrivait- elle à bout de patience. Guillaume René lui manda enfin que c'était par délicatesse qu'il n' avait pas osé les montrer, mais sa tante appelait cette délicatesse plutôt une ‘douilletterie’ bien digne de ses compatriotes.
Malgré sa tendresse pour son neveu néerlandais elle se rendait donc compte que ses écrits l'intéressaient trop peu pour lui léguer des papiers qui réprésentaient pour elle une certaine valeur, car, tout | |
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en donnant à Henriette L'Hardy la latitude de les ‘garder, donner ou brûler’, elle espérait sans doute que cette jeune amie fasse un jour quelque chose de ses papiers, sinon elle les aurait détruits elle-même. Elle laissait plus au moins le sort en décider.
On peut même ici se poser la question si Madame de Charrière aurait eu le courage de détruire elle-même ses lettres à Constant d'Hermenches si celui-ci les lui avait renvoyées après ses demandes instantes. Elle avait conservé jusqu'à la fin de sa vie les lettres de ce correspondant qui l'avait tant subjuguée.
Nous ne possédons malheureusement aucune liste de ce que représentait son héritage littéraire ni de ce que contenait la bibliothèque des Charrière. Nous savons seulement que cette bibliothèque fut partagée après la mort de monsieur de Charrière en 1808 entre messieurs Chaillet, d'Ivernois, Berthoud et GaullieurGa naar eindnoot4..
Car, ce qu'Isabelle de Charrière, malgré ses précautions quant à ses papiers particuliers, n'avait pu prévoir, c'est qu'Henriette L'Hardy mourrait trois ans après elle at avant Monsieur de Charrière. Elle avait épousé en 1806 M. Gaullieur, également un ami du Pontet et deux ans plus tard la naissance d'un fils lui coûta la vie.
Ce fut ce fils, Eusèbe Henri Gaullieur, qui réunit plus tard les titres de jurisconsulte, paléologue, historien et professeur qui se trouva, par hasard, en possession des nombreux papiers qu'Isabelle de Charrière avait fidèlement conservés. Ils tombèrent donc entre les mains de quelqu'un qu'elle n'avait pas du tout connu.
Nous pouvons supposer, d'après les documents qui se trouvent actuellement à la Bibliothèque Publique de Neuchâtel, que ses papiers se composaient de nombreux manuscrits et d'une quantité assez considérable de lettres d'une centaine de correspondants et en outre de lettres d'Isabelle même à différents membres de sa famille qui lui avaient été restituées après la mort de ceux-ci.
Gaullieur, nous le savons -malgré ses titres et son admiration pour Isabelle de Charrière- n'était pas un transcripteur soigneux. Pour ne citer qu'un exemple, il publia en 1849 dans la Bibliothèque Universelle des lettres rappelant le séjour d'Henriette L'Hardy à la cour de Frédéric Guillaume II, mais en changeant le nom de sa mère en celui d'Isabelle de Charrière. C'est elle que Gaullieur situe à la cour de Berlin en 1792 comme dame de compagnie de la comtesse Doenhoff, alors qu'à cette époque Isabelle quittait encore à peine sa maison!Ga naar eindnoot5. | |
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Le cas des publications dans la Revue Suisse sous le titre Lettres Mémoires est suffisamment connu; ici également aussi bien Gustave Rudler que Philippe Godet détectèrent de nombreuses erreurs et modifications.
Pendant que Gaullieur préparait ses premières publications, il reçut la visite de Sainte-Beuve qui connaissait les ouvrages d'Isabelle de Charrière, mais ‘mieux informé de toutes choses par rapport à elle durant mon séj our en Suisse’ écrit-il dans son portrait de Madame de CharrièreGa naar eindnoot6., ‘j'aurais cru manquer à une sorte de justice que de ne pas venir tôt ou tard, parler un peu en détail d'une des femmes les plus distinguées assurément du XVIIIème siècle.’ Trop confiant, Sainte-Beuve publia sans vérification les renseignements qui lui furent communiqués par Gaullieur et la critique lui a assez reproché cette négligence.
C'est grâce pourtant aux extraits de lettres cités par Sainte-Beuve et grâce aussi aux lettres publiées par Gaullieur dans la Revue Suisse que nous savons que parmi les papiers légués par Isabelle de Charrière se trouvaient des lettres écrites dans sa jeunesse à sa famille. Ce sont des lettres écrites de Voorn, de Heer et d'Arnhem, mais dont nous ne connaissons que quelques paragraphes. Nous pensons ici surtout à l'extrait d'une lettre à sa mère, cité par Sainte-Beuve, écrite quand Belle logeait chez des amis et qui forme pour ainsi dire le thème de sa nouvelle Le Noble.
Philippe Godet a vainement cherché ces lettres à sa famille quand il travaillait à sa biographie. Dans le fonds Godet, depuis peu accessible à la Bibliothèque Publique de Neuchâtel, se trouve une lettre d'un Monsieur Godefroy de Charrière du 28 août 1886 adressée à Godet, dans laquelle il lui communique que ‘Les Lettres-Mémoires’ parues dans la Revue Suisse avaient eu beaucoup de succès et que quelques années après M. Gaullieur voulut faire dans la Bibliothèque Universelle une seconde publication de ce genre. ‘Mais les Lettres-Mémoires, ajouta-t-il, ainsi que les détails intimes qu'elles contenaient sur la famille avaient éveillé l'attention de cette dernière. Messieurs de Tuyll de Hollande s'opposèrent à ces nouvelles indiscrétions et se firent livrer moyennant finance les lettres que M. Gaullieur se préparait de publier’.
Si ces publications contenaient à l'avis des Tuyll certaines indiscrétions, elles contenaient surtout, comme nous le signalions, beaucoup d'erreurs qui ont pu également -et à juste titre- irriter les Tuyll. | |
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D'autre part, nous savons qu'une très grande partie des documents utilisés par Gaullieur pour ses publications se trouvait vers 1900 dans les archives de Monsieur A. Revillod de Muralt où Philippe Godet a pu les consulterGa naar eindnoot7.. Ces archives contenaient également les lettres de Belle à son frère Ditie, une preuve que la famille de Tuyll n'aurait pas racheté toutes les lettres à sa famille.
Egalement dans le fonds Godet, nous avons retrouvé un autre témoignage, qui forme peut-être la véritable version des difficultés surgies entre la famille de Tuyll et Gaullieur. Ici il s'agit d'une lettre de la comtesse de Saint-Georges de Tuyll de Serooskerken qui habitait Genève. Elle écrivait à Godet le 28 mars 1888 lors d'un séjour à La Haye, chez ses parents: ‘On vient de me prêter un volume de lettres de Madame de Charrière devenu très rare et dont les derniers exemplaires ont été soustraits par la famille à la publicité’Ga naar eindnoot8.. Il s'aggissait ici des publications dans la Revue Suisse, maisil n'est pas question dans sa lettre de documents originaux.
Gaullieur a également excité la curiosité de ses lecteurs en déclarant que dans les papiers dont il était dépositaire se trouvaient des choses qui ne verraient jamais le jour. ‘Il existe tel secret que nous entendons respecter, déclara-t-il. Il est d'autres pièces au contraire qui sont acquises à l'histoire, à la langue française, comme aussi à la philosophie du coeur humain. Si la postérité n'a que faire des faiblesses de quelques grands noms, elle a droit de revendiquer les documents qui la conduiront sur la trace de certaines carrières étonnantes, qui lui dévoileront les vrais éléments dont s'est formé à la longue tel caractère historique controversé’Ga naar eindnoot9.
Il est clair que Monsieur Gaullieur a, par pudeur, voulu soustraire à la postérité des papiers qui illustraient à ses yeux des ‘faiblesses’ de Madame de Charrière. Il croyait pourtant avoir publié des documents acquis ‘à la philosophie du coeur humain’. Mais que dire de la ‘philosophie d'un coeur humain’ qui a eu des ‘faiblesses’ qu'on ne connaît pas? Chez Isabelle de Charrière précisement les soi-disant ‘faiblesses’ forment un élément qu'elle a essayé de camoufler le moins possible.
Gaullieur a-t-il été brusquement effrayé par l'attitude de la famille de Tuyll envers ses publications et s'est-il empressé de se débarrasser d'un grand nombre de papiers qui lui donnaient des tracas? On sait en tout cas qu'il a vendu soixante-seize lettres d'Hermenches au petit-fils de ce dernier, Victor-Constant de Rebecque. La baronne Constant les a retrouvées dans des archives de famille et sur l'enveloppe qui les contenait | |
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se trouvait ‘Lettres de mon grand-père, M. d'Hermenches, à Madame de Charrière qui me furent proposées et vendues par M. Gaullieur pour la somme de 60 francs’.
On ne sait si c'est Gaullieur ou sa veuve qui céda la plupart des documents originaux hérités par Henriette L'Hardy à la famille A. Revillod de Muralt qui les possédait donc quand Philippe Godet se mit en quête de documents pour préparer sa biographie. La plupart, car Mme Veuve Gaullieur céda encore trente-sept lettres de Belle à Hermenches et les lettres de Benjamin Constant adressées à Mme de Charrière au Musée d'Histoire de Neuchâtel, qui les donna à son tour à la Bibliothèque Publique de Neuchâtel. Elles arrivèrent là à bon port, car c'est vers cette bibliothèque que furent dirigés finalement - par des donateurs différents ou des achats - de nombreux documents et lettres légués par Isabelle de Charrière.
Dans cette bibliothèque se trouve aussi une lettre de Madame Gaullieur du 19 mai 1868 prouvant qu'elle fit don à la Bibliothèque de Neuchâtel, en souvenir de son mari, de manuscrits de plusieurs pièces de théâtre d'Isabelle de Charrière. Quant aux lettres, dit-elle, échangées entre Madame de Charrière et sa belle-mère (Henriette L'Hardy): ‘leurs relations étaient trop intimes pour pouvoir en disposer’. Ces lettres sont sans doute connues actuellement. La Bibliothèque de Neuchâtel en possède cent-soixante, de ce nombre elle en acheta soixante à un libraire en 1943.
Environ cent ans après la mort de Belle, Philippe Godet se mit à reconstruire sa vie d'après des documents authentiques et c'est avec une réelle passion qu'il a travaillé pendant vingt ans pour réaliser sa biographie, Madame de Charrière et ses amisGa naar eindnoot10., parue en 1906. Il y a travaillé avec un même scrupule que le pastelliste Quentin de La Tour au portrait de Belle qui se trouve actuellement au Musée de Genève.
Son introduction ressemble à une véritable déclaration d'amour. Sans doute a-t-il été l'adorateur le plus fidèle et le plus tenace de Belle. Au cours de sa vie seul Constant d'Hermenches eut pour elle un même élan. Leur correspondance s'échelonne en effet sur une période de quinze ans, il l'aimait par correspondance et Godet dans sa survie littéraire.
Grâce à des articles et des conférences des archives lui furent ouvertes et on signala à Godet des bibliothèques contenant des documents pouvant l'intéresser. Ainsi il fut un des premiers à prendre | |
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connaissance à la Bibliothèque de Genève de la fameuse collection de lettres de Belle de Zuylen à Constant d'Hermenches. Il en publia de larges extraits dans sa biographie et sous le titre Lettres de Belle de Zuylen à Constant d'HermenchesGa naar eindnoot11. il publia cette intéressante collection en 1909. Il dut toutefois supprimer une centaine de pages manuscrites parce que l'éditeur limitait le nombre de pages de cette édition. Godet s'est demandé s'il avait le droit de publier ses lettres à Constant d'Hermenches alors que Belle - Agnès - avait demandé si souvent à son correspondant de les brûler ou de les lui renvoyer. Il les publia, dit-il, parce que ces lettres se trouvent dans un dépôt publique et que par conséquent elles peuvent être consultées par tout le monde. Mais sa raison la plus impérieuse de les publier rejoint l'argument de d'Hermenches, qui estimait qu'elles devaient être connues de la postérité. Godet, comme d'Hermenches, reconnaissait leur grande valeur littéraire et psychologique et une fois au courant de leur contenu, il lui aurait été impossible de faire comme s'il les ignorait.
Godet eut aussi le privilège de pouvoir consulter les lettres d'Isabelle de Charrière à Benjamin Constant et il en cita de larges extraits dans sa biographie. Ensuite ces lettres furent inaccessibles et c'est depuis le début de 1974 seulement qu'elles peuvent à nouveau être consultées.
Quand on considère la liste de ses principaux correspondants: d'Hermenches, Boswell, Constant, Huber, Henriette L'Hardy, Caroline de Sandoz-Rollin, Isabelle de Gélieu, des membres de sa famille, etc. tous ont conservé ses lettres, à l'exception de Mlle Prévost, C. de Salgas (c.à.d, on n'est pas parvenu à les retrouver) et P.A. Dupeyroux, qui avait ordonné de brûler après sa mort un grand nombre de lettres (sans doute aussi celles de Mme de Charrière). Isabelle se sentait fort flattée quand son frère Vincent lui écrivait, que ses lettres avaient le pouvoir chez lui de se faire relire souvent avec le même plaisir. Il y a encore beaucoup d'autres compliments de ce genre de ses contemporains et ceux qui, après sa mort, furent les premiers à découvrir ses lettres, Gaullieur, Sainte-Beuve, Berthoud et Godet, eux aussi, exprimèrent leur admiration pour son talent épistolier. Ses lettres, qui n'avaient pas été écrites pour être publiées ajoutèrent une dimension à son oeuvre littéraire déjà connue.
Godet a été le premier à regretter de devoir déchiqueter dans sa biographie les lettres de Madame de Charrière. Il aurait voulu les publier toutes, mais pour encourager cette entreprise il aurait fallu que le public vint à partager son enthousiasme. Et s'il a pu être lui-même | |
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deçu d'une certaine indifférence du public, c'est pourtant à partir des publications de Godet - et de la réédition par lui de certains ouvrages d'Isabelle de Charrière, que de nombreuses études ont été consacrées à Belle de Zuylen, presque toutes basées sur ses recherches. C'est jusqu'à présent l'étape la plus importante dans l'histoire de l'héritage littéraire de Madame de Charrière. Depuis, hélàs, certaines lettres que Philippe Godet avait pu consulter ont à nouveau disparu ou des archives alors accessibles ne le sont plus aujourd'hui.
En dehors des nombreux livres, chroniques et articles que les imposants travaux de Godet ont déclenché jusqu'à aujourd'hui, quelques autres éditions sont venus compléter les renseignements qu'il avait pu recueillir à son époque.
Citons d'abord la correspondance d'Isabelle de Charrière avec sa cousine Madame de Charrière de Sévery parue dans La vie de Société au Pays de Vaud à la fin du dix-huitième siècleGa naar eindnoot12., des lettres d'autant plus précieuses que nous possédons si peu de renseignements sur les premières années en Suisse après son mariage.
Ensuite, Les mariages manqués de Belle de TuyllGa naar eindnoot13. par la baronne Constant et Dorette Berthoud. Comme nous le signalions Madame Constant avait retrouvé dans le fonds Constant les soixante-seize lettres vendues par Gaullieur. Il s'agit donc ici en premier lieu d'une publication de lettres de Constant d'Hermenches et d'extraits de lettres de Belle. Dans son introduction la baronne Constant a reproché à Godet que l'emprise sur lui de son héroine avait été telle qu'il s'était montré par trop sévère envers d'Hermenches!
En 1952, se fut d'un autre coin que nous arrivèrent des renseignements complémentaires sur Belle de Zuylen par la publication de Boswell in Holland par F.A. PottleGa naar eindnoot14.. Philippe Godet n'avait retrouvé que la fameuse longue lettre de dix-sept pages de Boswell qui se trouve à la Bibliothèque Publique de Neuchâtel. Il ignorait même ce que Boswell était venu faire en Hollande.
D'autres publications par Charly Guyot notamment d'une série de lettres d'Isabelle de Charrière à Caroline de Sandoz-Rollin et à son traducteur Louis Ferdinand Huber, en 1963 et en 1970, dans le Musée Neuchâtelois, nous apprenaient qu'il s'agissait de collections de 250 et de 125 lettres, mais une minime partie seulement en fut publiée. | |
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D'autres lettres encore, cherchées vainement par son biographe Suisse, celles à Isabelle de Gélieu, n'ont été signalées que vers 1968. Ce fut Dorette Berthoud qui reçut par téléphone cette bonne nouvelle d'un collectionneur jurassien. Elle en publia des extraits dans d'Actes de la Société Jurassienne d'EmulationGa naar eindnoot15..
Jusqu'à présent presque toutes les recherches sur Madame de Charrière ont eu lieu en Suisse. Philippe Godet a d'ailleurs fait ressortir dans l'introduction de sa biographie qu'en composant son livre il a pensé tout d'abord aux lecteurs neuchâtelois et suisses. Nous savons qu'il a essayé de retrouver en Hollande les lettres de Belle à sa famille dont il est question chez Sainte-Beuve, mais il n'a retrouvé ici que les lettres d'Isabelle de Charrière à son neveu Guillaume René et quelques extraits seulement on été publiés de cette correspondance dans Madame de Charrière et ses amis.
Pourtant Belle avait passé presque la moitié de sa vie en Hollande -son enfance et sa jeunesse- et nous savons par ses lettres à d'Hermenches qu'elle avait à cette époque déjà un grand nombre de correspondants parmi ses compatriotes. Nous pensons à Rendorp, Antoine Bentinck, Wassenaar van Obdam, Madame Geelwinck, Madame Hasselaar, sa cousine la Comtesse d'Athlone; les dames de Degenfeldt et de Roosendael; van Welderen, Reynst, plus tard aussi Taets van Amerongen et plusieurs membres de sa famille. Mais que sont-elles devenues?
A la Bibliothèque Royale de La Haye se trouve un manuscrit d'une dame van Tuyll van Serooskerken décédée en 1959 qui a pour titre: Belle van Zuylen en haar familiekring. Son manuscrit avait sans doute rebuté les éditeurs, parce qu'il est pour ainsi dire bilingue, l'auteur ayant laissé dans la langue originale les longs extraits de lettres et les documents joints en annexe. Ce manuscrit est surtout remarquable, parce que dans l'introduction l'auteur mentionne qu'elle a écrit son livre pour prouver qu'il est inexact, comme on le prétend dans certains milieux néerlandais que Belle de Zuylen aurait rompu toute relation avec sa famille et son pays après son mariage. Madame de Tuyll avait puisé ses arguments dans des lettres de Belle à son frère Vincent, à l'épouse de celui-ci et à leur fils aîné Guillaume René. Ce manuscrit révéla donc l'existence en Hollande d'un grand nombre de lettres encore inconnues. Ces lettres ont, par la suite été retrouvées, elles sont au nombre de 150 environ dont la première est de novembre 1765 et la dernière du 15 septembre 1805, soit quelques mois avant la mort d'Isabelle de CharrièreGa naar eindnoot16.. | |
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Ces lettres complètent certains renseignements déjà connus, parfois elles révèlent des faits nouveaux comme une visite d'Isabelle de Charrière à Voltaire en 1777, comment elle apprit la mort de son frère Ditie, des renseignements sur le père de Monsieur de Charrière, le séjour de Madame de Charrière à Paris sans son mari et une allusion aux goûts de Monsieur de Charrière si différents des siens, ce qui le faisait hésiter à la rej oindre à Paris.
En dehors de cette intéressante collection les recherches ont été assez vaines en Hollande. A part quelques lettres isolées de collections qui doivent avoir été beaucoup plus importantes, une douzaine de lettres à van Pallandt ont été retrouvées.Ga naar eindnoot17. Ce sont toutefois des copies faites par lui, car les lettres originales furent rendues à la correspondante.
En tout cas les recherches se poursuivent aussi bien en Hollande qu'en Suisse. Là nous attendons encore avec impatience la fin du classement du fonds de Charrière aux Archives Vaudoises à Lausanne, on s'en occupe depuis plusieurs années et il faudra, nous a-t-on écrit, patienter encore au moins trois ans avant de pouvoir consulter ces documents.
Ce n'est pas une raison, pensons-nous, de remettre encore l'édition des nombreux documents déjà connus. L'oeuvre d'un écrivain est une chose vivante, un auteur demande à être relu et réétudié, chaque génération y fait de nouvelles découvertes. En ce qui concerne Isabelle de Charrière, les travaux de recherches ont connu une trop longue stagnation depuis les travaux de Godet.
Il est inconcevable qu'une si petite partie seulement de ses lettres n'ait été éditée jusqu'à présent. Pour Isabelle, le plaisir le plus grand qui soit attaché à la condition d'auteur est celui de vivre avec des inconnus et d'être dans tous les lieux du monde. Ce ne sont pas les louanges qui touchent le plus, mais la sympathie excitée au loin et qu'on soupçonne plus qu'on ne la sait. ‘Si Fénelon’, écrit-elle à Caroline de Sandoz-Rollin, ‘a soupçonné, comme je n'en doute pas, qu'une Marianne Ustrich, en gardant ses chèvres lirait Télémaque avec enthousiasme, c'est là le plaisir le plus grand que le sentiment de sa gloire et d'une judicieuse postérité lui aura donné’Ga naar eindnoot18..
J'ignore s'il y a encore aujourd'hui des bergères qui lisent; cette image poétique n'est pas de notre époque. Si Belle de Zuylen n'a pas pu savoir qu'un colloque lui serait consacré au château de Zuylen en 1974, elle l'a peut-être soupçonné. Simone Dubois septembre 1974 |
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