Dietsche Warande. Jaargang 2
(1856)– [tijdschrift] Dietsche Warande– Auteursrechtvrij
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Un nouveau monument Néerlandais.LA somme qui est portée au budget du royaume des Pays-bas pour l'entretien des ‘Monuments historiques’ s'élevait, en 1855, au chiffre remarquable de fl. 1000. - je dis: - mille florins argent courant d'Hollande. Ex ungue leonem - c'est à dire, jugez d'après cette donnée de la disposition du gouvernement et des représentants de notre État, envers l'art existant et l'archéologie naissante. Cependant vous vous tromperiez étrangément si vous concluïez de ces mille florins que les gens en place, the nobility and gentry of this country, seraient sans entrailles pour la décoration de nos villes et pour la célébration de mystères nationales. La parure de nos cités et de nos campagnes se hérisse en pieux de lanternes et de télégraphes sveltes et gracieux, se ‘rebouche’ en temples grecs de toute espèce, pour servir de bourses, de portes, de débarcadères, d'universités, d'églises, s'étend docilement en ligne droite, emportant les tours, les remparts, les maisons, les arbres et les prés, pour laisser passer les voitures à vapeur et les piétons. On est fort dans la confection des plaines, des places, des cours de toute espèce, des toits applatis, des corniches, de tout ce qui est uni, plat, horizontal, de tout ce qui relève du niveau, pour ne pas dire du néant. On raffole du plaisir d'abattre des édifices, afin de gagner des espaces pavés. Le conseil communal d'Amsterdam a décrété la démolition d'un joli bâtiment de 1620Ga naar voetnoot1), un des rares spécimens de notre architecture en brique rouge et en pierre peinte que MM. Reichensperger, Didron et Beresford Hope ont tant admiré, quand ils nous ont fait le plaisir de visiter notre bonne ville d'Amsterdam. On n'aime pas les vieilleries. Un homme d'esprit vient de féliciter l'administration (dans le ‘Handelsblad’) du courage avec lequel elle abat tous les anciens édifices, qui, à ce que assure ce monsieur, sur la foi d'un français (voyageur en nouveautés?), sont ‘abominables’. En compensation on nous a fait don d'un monument tout neuf. Cette ville, qui tient à sa solde un directeur de théâtre, pour développer le goût national par des chanteurs allemands et italiens et par des danseuses de Madrid ou de Paris, cette ville qui n'a pas cinq cents florins pour réparer un monument éminemment caractéristique de 1620, cette ville qui vient de doubler les impôts et qui, en infligeant cette calamité à ses citoyens, court le risque de hâter sa perdition, vient de faire le simulacre d'une capitale fort-à-son aise. Elle a contribué quelques milliers de florins pour qu'on ornât sa place prin- | |
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cipale d'un monument, à l'honneur.... des événements de 1830 et 1831. Après que, par la réorganisation des relations commerciales, par la mise en correspondance des chemins de fer, par les congrès de littérateurs, de libraires et de statisticiens, on a tâché de rattacher socialement les liens nationaux, qui avaient été rompus politiquement par la révolte de 1830 et par la guerre qui l'a suivie, on va ériger un monument qui répète, pour l'édification ‘Du contemporain et de la postérité’, les cris d'il y a vingt-cinq ans ‘Aux armes!’ et ‘En avant!’ Ce sont les héros de 1830 et 1831 eux-mêmes qui se sont chargés de cette besogne; et certes, si les intéressés n'avaient pas embrassé cette cause, il y aurait eu lieu à craindre qu'on n'en eût rien fait. Le monument, comme oeuvre d'art, traduit bien la pensée des fondateurs. C'est une espèce de pilier, de silhouette heureuse, bâti sur un plan octogone et surmonté d'une statue, représentant la Concorde. Le soubassement rappelle la tombe des victimes; les flancs du pilier qui s'amortissent en pignons, du milieu desquels se dégage le piédestal de la statue, sont couverts de bas-reliefs et d'inscriptions. Au bas du monument coule une fontaine d'eau de source, qui, si elle peut être rendue pure et fraîche, sera un grand bien pour la ville, où, pendant des siècles, on n'a eu que de l'eau de pluie. Le monument fait honneur aux talents architectoniques de M. Henri van Elven, et le jeune artiste a éte dignement secondé par M. Royer, qui a bien voulu se charger de faire les modèles pour les bas-reliefs, et de composer et d'exécuter la belle statue en pierre d'escausinnes, dont le faisceau de haches, la corne d'abondance et le casque représentent évidemment l'intensité et les fruits de cette ‘Concorde armée’ que le roi Guillaume Ier a opposée à l'insurrection de 1830. Les orateurs qui ont pris la parole, à l'inauguration du monument, ont assuré que la Hollande a vaincu dans la lutte avec la Belgique; mais que du reste, comme il convient au vainqueur, nous n'en voulions plus du tout aux vaincus: nous leur pardonnons généreusement; et l'un des orateurs a dit qu'effectivement il en appelait aux fondateurs du monument pour déposer le témoignage que ce monument était consacré Exclusivement à la concorde, à l'union, à la confraternité de la Belgique et de la Hollande; l'autre a assuré que ce monument devait être une ‘Garantie’ pour les Néerlandais des anciens Pays-bas autrichiens qu'il n'existait plus aucune animosité, point de rancune, plus aucune antipathie entre eux et les Hollandais. Cette explication du monument était aussi neuve que jolie; mais ce qui est sérieux, - c'est qu'on a osé débiter ces sornettes devant le roi. La ‘Gazette d'Amsterdam’ n'a pas manqué de siffler et de huer tous ceux qui oseraient douter de l'excellence du projet national qu'on venait de mettre en exécution. Du reste: la fête a été vraiment populaire; la populace y a pris une part très active, et, encouragée par l'administration, elle a fait si bien qu'à de rares exceptions près, les riches particuliers d'Amsterdam ont tous illuminé leurs maisons. Ç'a été une belle fête; une de ces fêtes qui vous font oublier que les temps sont dûrs, qu'un double les impôts, qu'on abat les chefs-d'oeuvre de l'art néerlandais, qu'on met hors de mode les vertus de nos ancêtres: dans l'ordre intellectuel - la logique; dans l'ordre matériel - l'économie; dans l'ordre moral - l'amour de l'art national et des saines traditions du passé. | |
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Réception de Marie-Anne d'Autriche, fiancée du roi Philippe II,
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du baisemain. La dernière partie de l'hommage fut menée à bonne fin. La reine ôta de sa main droite ‘le gant brun et parfumé’ et, mettant la main gauche sur ses genoux, elle fit reposer la droite sur celle-ci, pour admettre les députés à la cérémonie. Malheureusement cette cérémonie avait commencé par un échec pour les États. Me Jean de Maelcote, pensionnaire de Bruxelles, s'était chargé de la composition et du débit de la harangue officielle. Les députés des autres États et principalement la ville de Louvain lui contestèrent le droit à cet honneur; on convint cependant qu'il était trop tard pour en charger un autre; mais, pour comble d'infortune, à force de critiquer et de modifier le discours que Maelcote avait dressé par écrit, on avait réussi à dérouter complètement le pauvre bruxellois dans son propre ouvrage, et un moment avant de réciter sa harangue, il avoua qu'il ne s'en sentait pas capable. Ses collègues lui permirent alors d'en faire lecture à la reine, pourvu qu'il en récitât l'exorde par coeur. Du reste le greffier Wellemans se mettrait derrière lui, pour le souffler. Mais à peine le pauvre pensionnaire avait-il énuméré les onze ‘pays’ au nom desquels il s'était arrogé de prendre la parole: le Brabant, la Flandre, l'Artois, le Hainaut, Lille, Douay et Orchiez, la Hollande, la Zélande, Namur, Tournay, le Tornesiz et Namur, que la mémoire lui manqua totalement, de sorte qu'aussitôt il dût recourir â sa petite note, et qu'au plus grand mécontentement des autres députés il fit ce qui jamais ne s'était vu avant ce jour. On regretta amèrement qu'on n'eût pas choisi un autre pensionnaire pour remplir cette fonction, ou ‘qui que ce fût, qui eût mieux appris sa leçon’. On comprend facilement qu'avec tous ces détails la relation de maître Lievens, rédigé en néerlandais du XVIe siècle, est riche en petits tableaux pleins de couleur, de naturel et de finesse même. Le pensionnaire de Louvain n'a visé qu' à la fidélité, dans son récit, et, malgré les lacunes, les lapsus calami, et d'autres petites inexactitudes, il en a rendu la lecture très attachante pour quiconque aime à se voir dérouler, devant ses yeux, les scènes du passé, pour y étudier le coeur humain et les formes de la vie, sans avoir besoin de les dépouiller du style collet monté de l'historien ou des agréables fictions du romancier antiquaire. | |
La guerre de Grimbergue.BIlderdijk, le prince des poëtes néerlandais de cette époque de transition qui rallie l'académisme du XVIIIe siècle à l'art moderne, a été le premier, a été le seul parmi ses compatriotes contemporains qui soit entré assez avant dans l'esprit du moyen âge pour en comprendre la poésie épique et pour copier un poëme de plus de 12000 vers dans l'intention de le publier. Cette intention il ne l'a pourtant pas réalisée; ce n'est que de nos jours, dans les dernières années, qu'on a confié le poëme à la presse. Enrichie des notes de M. le professeur Bormans et d'un résumé des éditeurs, ‘La Guerre des seigneurs de Grimbergue’ contre le duc de Brabant, auquel ils avaient refusé de faire hommage, a été livre à la presse par la société des | |
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‘Bibliophiles flamands’. C'est un ouvrage en deux volumes d'un prix assez élevé, et dont il n'a été tiré pour le commerce que 100 exemplaires. C'est ce qui nous a donné l'idée d'en publier quelques fragments dans notre revue. Le poëme est riche en tableaux animés de sièges, de batailles de toute espèce, où se révèle à tout moment le cachet du XIVe siècle, et où ce cachet attire nécessairement l'attention de tout amateur d'archéologie et de poésie. Les fragments publiés dans notre cinquième livraison pour 1856, sont empruntés à la première partie de l'épopée. Le démêlé s'engage; on se parle, on négocie; les caractères irascibles et fougueux se produisent à coté des naturels calmes et réfléchis; on discute, on plaide, on menace: on ne fait encore que montrer les armoiries dont les combattants auront à soutenir l'honneur. Nous avons dessiné pour cette livraison les écus des nobles qui dès le premier moment sont engagés dans la lutte; nous y avons joint les quelques vers du poëme, où ces écus se trouvent blasonnés à la manière du XIVe siècle. C'est assez curieux; car dans la science héraldique aussi, les amplifications et les distinctions du XVe siècle ne sont pas toujours préférables aux simples habitudes des XIIIe et XIVe siècles; là comme ailleurs la Renaissance a cultivé la forme sans se souvenir du fond. Nous avons remarqué, dans les armoiries que nous reproduisons ici, différents systèmes de brisure pour les enfants des nobles. L'aîné des fils du sire de Grimbergue charge les armoiries de son père de trois ‘gâteaux’ de sable (No 3); le second adopte un sautoir de gueules (No 4). Le fils du seigneur d'Oyenbrugge entoure l'écu de son père d'une bordure endentée (No 6). Messire Gérard de Screyhanc brise d'une bordure simple (No 9); messire Jean, d'une bordure endentée (No 10); l'aîné de la maison de Hombeke porte le lambel à trois pendants (No 12); le puîné adopte la bordure (No 13); Symon van den Male ne se distingue de son père que par la molette (petite roue d'épéron) qu'il a placée en canton dans son écusson. Reste à savoir s'il existe encore d'autres raisons que la convenance des champs armoriaux, qui auraient décidé l'une famille de briser d'une autre manière que sa voisine. | |
Vandalisme et académisme.
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mais qu'ils ont inventé une manière toute spéciale et neuve de célébrer sa mémoire. Dans le ‘pêle-mêle’ du musée national de La Haye on garde, sous le No 693, une mêche des blonds cheveux de la célèbre comtesse. A la page 27 du catalogue on lit effectivement: ‘No 693. Cheveux du cercueil de Jacoba van Beyeren’Ga naar voetnoot1). Il est probable que le No 707, ‘Chemise et camisole de Guillaume III’, et le No. 653, ‘Houppe de lit du Czar Pierre’, trouveront plus d'admirateurs que la douloureuse relique profanée de la pauvre Jacqueline.
Dans la commune d'Odoorn on s'occupe en ce moment de la démolition d'une église romane, attribuée (cela va sans dire) aux temps payens.
Dans un autre article sur le Vandalisme de nos jours nous avons dénoncé la destruction de deux groupes de maisons à Amsterdam, restes caractéristiques de notre art de la 1re et de la 2de moitié du XVIIe siècle. | |
Bibliographie.No IV. L'Autriche ne s'associe pas seulement au grand mouvement archéologique de l'Europe par ses constructions en style chrétien, mais encore par la science et la littérature. MM. Gustav Heider, Rud. von Eitelberger et J. Heiser, deux érudits et un architecte, viennent de fonder une publication périodique, qui donnera des descriptions et des monographies des ‘Monuments du moyen âge dans les états autrichiens’. (Stuttgart, Ebner et Seubert; Vienne, C.W. Seidel, 1856.) Nous en avons à l'inspection le 1r numéro, qui nous apporte l'histoire du monastère de ‘Heiligenkreutz’ de l'ordre de Cisteaux, par M. Joseph Feil. Cette monographie, illustrée de plans, façades, dessins perspectifs, de vitraux peints, gravés et exécutés en lithographie polychromatique, donne en même temps le tableau de l'organisation des couvents cisterciens en général. L'architecture de l'Autriche vient marier ses riches harmonies à l'accord des formes des pays du Rhin, de la Seine et de la Somme et d'au delà de la Manche.
Le Dr Forchhammer, de l'université de Kiel, vient de publier à Hambourg un traité ‘De la pureté architectonique, se manifestant dans les quatre styles principaux’: l'égyptien, le grec, le plein cintre et le gothique. Il y a progrès. M. Forchhammer traite le gothique avec moins de hauteur que les ‘philologues’ n'en ont l'habitude. Jusqu'ici M. Forchhammer a le malheur de ne pas voir que le gothique trouve son principe ailleurs encore que dans une nécessité matérielle: si M. Forchhammer n'a pas dépassé les trente ans, il est en voie d'apprendre plus tard ce que jusqu'ici il ne sait pas.
‘Manuel de la peinture à l'huile’, par M. Alex. Elbinger. Halle, 1856. Ce manuel est un peu en retard. Pour les procédés il semble | |
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que nous n'ayons plus grand'chose à apprendre après le Titien, Van der Helst, et Gerard Dou, et pour les idées, le ‘Guide de la peinture du mont Athos’ me plaisait un peu mieux (‘Manuel d'iconographie chrétienne, par Didron Aîné,’ Paris, 1845).
‘Histoire de l'habillement, des bâtiments, des meubles, des ustensiles de ménage, etc. par M. Hermann Weiss. Stuttgart, Ebner und Seubert’, 1re livraison, prix fl. 1.60. Ce manuel sera complet en 7 ou 8 livraisons. Nous le recommandons fortement à nos lecteurs. S'il restera impossible de traiter une si vaste matière dans un cadre aussi borné, on doit au moins rendre ce témoignage à l'auteur qu'il ne noie pas sa science solide dans des phrases inutiles. Il épargne son papier et le temps de ses lecteurs.
‘Traditions et historiettes pour la vieillesse et le bas âge (für jung und alt). Düsseldorf, Arnz & Co.’ Paraît en livraisons de 10 Silbergroschen. C'est une anthologie illustrée, choisie dans les recueils de Bechstein, Hocker, Herchenbach, Albert et Ellen.
‘Chants populaires historiques, publiés par le Dr Hildebrand’. Leipsick, Gust. Mayer. Ce recueil forme la seconde centaine de chants historiques rassemblés par feu Fr. L. von Soltau, complétée dans des recueils de Leyser et autres savants compilateurs. Quelques-unes des chansons se rapportent à la Néerlande.
‘Héritage délaissé par M. Willems, publié par M. van Duyse. Gand, De Busscher, 1856.’ C'est une réimpression des opuscules détachés de M. Willems, le flamandGa naar voetnoot1), qui ne se trouvent que rarement dans le commerce. M. van Duyse y a joint des introductions et des notes. Mais ce qu'on désapprouve, c'est que M. van Duyse s'est permis d'y faire des corrections (?) dont il ne rend pas compte.
Un de nos amis a consacré un chaleureux article au ‘Livre Choral’ de M.L.-S. Fanart (Paris, 1854). Nous ne parlons que rarement musique dans la ‘Warande’; ce n'est pas que nous craignions que le système chrétien ait tort dans l'art de Ste Cécile, quand il a raison dans celui des Quatre Couronnés; ce n'est pas que la vérité archéologique y soit plus généralement reconnue que ce n'est le cas dans les arts du dessin: mais notre voix qui parlait musique est éteinte; notre oreille qui écoutait les harmonies d'ici-bas, pour en faire justice, a été attirée par les concerts des angesGa naar voetnoot2). Nous pouvons communiquer à M. Fanart que le goût du véritable chant grégorien commence à se répandre chez nous; seulement on craint que les mélodies du ‘Livre choral’ ne pourront pas se chanter successivement pendant les grandes messes, dans l'ordre que le service requiert; on craint aussi que l'accompagnement ne relèvera pas assez les mélodies pour qu'on ose les exécuter telles qu'elles sont écrites; et pour abandonner à nos chanteurs l'introduction de nuances dans ces mélodies, comme M. Fanart semble le demander (p. XLIV), nous ne le pourrions en conscience. | |
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No V. ‘Recueil de modèles gothiques (Gothisches Musterbuch), par Vincent Statz et G. Ungewitter. Avec une introduction de A. Reichensperger. Leipzig, T.O. Weigel, 1856.’ L'on ne peut reprocher an noble style gothique que les qualités pratiques lui manquent. Ç'a été faute de savoir, qu'on a prêché cette erreur. Quiconque répéterait encore cette accusation injuste ferait preuve de mauvaise volonté en ne lisant pas ce que tout le monde a sous la main, et il se couvrirait d'un ridicule bien mérité. L'association de M. Statz, l'architecte aux idées poétiques et logiques tout à la fois, avec M. Ungewitter qui a surtout étudié les formes de la vie domestique, promet de grands résultats pour la publication qu'ils ont entreprise sous l'inspiration de M. Reichensperger. Le vaillant capitaine de la garde archéologique chrétienne de la Prusse a ouvert le nouveau volume de modèles gothiques, par un brillant discours. Avec un tel portail l'édifice de nos artistes ne peut manquer d'attirer de nombreux visiteurs. Le recueil est destiné à contenir une quinzaine de livraisons.
Le libraire-éditeur T.O. Weigel vient de publier la 1re livraison d'une revue ‘de l'archéologie et de l'art chrétien’. Cet ouvrage, splendidement édité, semble être destiné par les savants directeurs MM. von Quast et Heinrich Otte à devenir pour l'Allemagne ce que les ‘Annales’ sont pour la France. En annonçant cette belle entreprise dans notre ‘partie néerlandaise’, nous avons relevé entr'autres un curieux article de M. le pasteur Otte touchant l'orientation des églises. Nous avons exprimé la douleur sérieuse qui remplit notre âme, à la vue des nombreuses églises nouvelles qui se bâtissent en Hollande, sans qu'on tienne le moindre compte de la direction de l'axe de l'église. Je l'avoue naïvement - je ne puis m'accommoder des mondes à rebours. Quand, dans les hymnes du matin, les chanoines, pour saluer la nouvelle aurore, doivent tourner le dos au tabernacle, je trouve cela un spectacle très peu édifiant. Quand les rayons du midi pénètrent par le vitrail qu'archéologiquement parlant nous appelons le vitrail du transsept du nord, c'est d'un effet qui renverse toutes nos notions astronomiques: le soleil passant à travers la porte de la nuit, éclairant la région des ténèbres! Et le portail du midi, le symbole de la gloire éternelle, privé a jamais des splendeurs célestes! Que diraient Jean Beleth et Guillaume Durand d'une pareille hérésie? Le bon Dieu, qui résidait dans le sanctuaire tourné vers l'Orient, où naîtrait la lumière du monde, vous le privez de son auréole. Le grand arc au-dessus de l'ambon n'est plus l'‘arc de triomphe’; on ne sort plus de la nef comme d'un ordre inférieur, pour entrer dans l'ordre suprême, qui est figuré par le choeur et le sanctuaire, tendant vers l'Orient. Vous ne ferez plus à vos morts regarder l'Orient, quand au son de la trompette du grand jour ils lèveront la tête et demanderont où réside leur espoir. Ils ne trouveront pas la vallée de Josaphat; ils regarderont du coté de Valparaiso et de Surinam. Ne dites pas que, sur mille églises anciennes bâties dans la direction de l'est à l'ouest, il s'en rencontre parfois une seule qui ne suit pas la règle. Je sais bien qu'on peut adorer le bon Dieu sur les monts de la Samarie comme à Jérusalem; qu'on peut dire la messe sur un autel, mais aussi sur une table formée de tambours, couverts d'une planche: mais les exceptions ne font que confirmer la règle. Songez donc à la frappante profession de foi que renferme cette direction de | |
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l'axe vers l'Orient; songez à tout le système symbolique renversé de fond en comble par vos façades de l'ouest tournées vers le midi. Pour nous - chrétiens néerlandais - la première condition de la vie sociale c'est qu'il y ait des églises; la seconde, que l'axe de ces églises s'élance vers l'Orient avec l'amour du compas qui aspire vers le pole, le centre de son salut.
M. Génard, secrétaire d'un comité d'archéologie qui s'occupe de la publication des inscriptions funéraires et monumentales de la province d'Anvers, a publié une monographie de l'ancienne église collégiale de N.-Dame à Anvers. C'est à un sceau remarquable du chapitre de cette église que M. Génard a emprunté les lignes principales du bâtiment qu'il nous a reconstruit, qu'il a meublé, orné et peuplé avec érudition et bon goût. La sphragistique et la numismatique paraissent être appelées à rendre de grands services encore à l'histoire de l'architecture, de l'habillement et des moeurs de nos ancêtres. Si l'explication que donne M. Génard du sceau en question est juste, du milieu des bas-cotés mêmes de l'ancienne collégiale se seraient élevées ses deux tours, et l'église n'aurait pas eu de transsept.
‘Palais ducal d'Urbin, mesuré, dessiné et publié par Frédéric Arnold. Leipsick, T.O. Weigel, 1856.’ M. Arnold utilise les différents procédés de la lithotypie pour nous donner, en 50 dessins, avec texte explicatif, une idée aussi complète que possible de ce beau palais de la Renaissance, pendant plusieurs années atelier favori des architectes Lucien de Laurano, Baccio Pintelli et François di Giorgio.
‘Chronique de l'art, dirigée par M. van Westrheene. XVIIIme Année.’ Prix par an (y compris un billet à une loterie de tableaux) ƒ10. - Leyde, 1856. - C'est dans la ‘Kunstkronijk’ que nous avons éprouvé, pour la première fois, cette volupté exquise qu'on appelle le plaisir de se voir imprimé: ce n'est que la polygraphie qui compromet l'innocence de ce plaisir: comme tout abus compromet tout bonheur. Il est naturel que cette revue nous ait toujours inspiré quelque intérêt. Nous nous félicitons que sous la direction de M. van Westrheene elle promet de servir l'art un peu plus sérieusement qu'elle ne s'y est appliquée à bien d'autres époques de sa vie. La présente livraison contient, en fait d'illustrations, la bonne lithographie d'un tableau d'Adrien Brouwer et d'un dessin de M. Spoel, ainsi que le facsimile d'un dessin à la plume du tombeau de Raphaël, lors de l'exploration qui en a été faite en 1833.
‘Histoire du développement de la tragédie française, surtout au XVIe siècle, par M. Adolphe Ebert.’ Gotha, Perthes. M. Ebert ne jette pas la pierre à la tragédie de Corneille et de Racine, comme c'était devenu la mode depuis les apothéoses mensuelles de Shakespeare et de Göthe et depuis les essais helléniques à Berlin. M. Ebert nous semble faire sa part à chacun avec justice et dignité.
‘Les limites de la musique et de la poésie, par M. Aug. Wilh. Ambros.’ Prague, H. Mercy. M. Ambros. est de ceux qui considèrent l'art dans l'ensemble de ses ramifications différentes. Ce qui surtout nous a intéressé, ce sont les rapports qu'il fait remarquer entre la musique et l'architecture, cet autre art qui se plait dans la multiplication, le rejaillissement, le remaniement des idées déjà exprimées. | |
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Nous avons annoncé aussi un livre de linguistique. C'est M. Aug. Schleicher qui s'est mis à écouter, dans les plus pauvres cabanes, l'idiome sublime des Lithuaniens. Il y a trouvé une richesse et une beauté de formes, qui confirment de nouveau que dans l'ordre intellectuel tout ce qu'il y a d'excellent ne date pas de la civilisation du XVe siècle. | |
Mélanges.NOus parlons, dans nos ‘mélanges’, de choses mieux connues à l'étranger que chez nous, peut-être. Nous ne croyons pas qu'il soit nécessaire d'en dresser l'inventaireGa naar voetnoot1). On connait les particularités du concours de Lille; on se raconte les succès de MM. Cuypers & Stoltzenberg, qui pratiquent les principes de l'art chrétien; on a lu attentivement les ‘Annales’ de M. Didron; on a vu avec étonnement que, quand les représentations de mystères, de drames religieux, sont abolies en Espagne, on les accueille en France - même à l'Ambigu-comique, avec un enthousiasme soutenu. Pour nos amis d'en deça de l'Escaut nous nous permettons d'emprunter au numéro II et III de la célèbre revue (année 1856) ce qui va suivre: | |
L'Art et l'archéologie en Hollande.
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l'architecture gothique n'était qu'un produit d'une Nécessité de construction. Maintenant M. Rose vient de donner des preuves, en public, qu'il apprécie hautement les qualités esthétiques de l'art ogival, et il a dit, dans un discours prononcé à la ‘Société pour l'architecture’, que quiconque se trouverait devant la croisée de Saint Jean de Bois-le-duc et n'éprouverait pas quelque chose de divin en parcourant des yeux cette imposante enceinte, devrait être privé de tout sentiment d'art; ‘l'art lui est un livre fermé, dont il n'apprendra rien, parce que son âme dort et dormira peut-être toujours’. M. Rose a formulé des accusations sérieuses contre la négligence des administrations qui sont cause de la ruine de presque tous nos monuments du moyen âge. ‘Et s'il se trouvait un ennemi’, a dit M. Rose, ‘qui allât dénoncer à l'étranger, dans une “revue” par exemple, notre manque d'enthousiasme pour les monuments des ancêtres, et si dans notre colère patriotique, nous allions nous venger de cette offense en prenant dorénavant un soin exemplaire des monuments d'un passé glorieux, - ah que nous aurions lieu d'admirer et de rendre hommage à celui qui se serait exposé volontairement à notre courroux afin d'assurer quelque peu le sort de nos monuments du moyen âge, et, par conséquent, de l'honneur et de la bonne renommée de notre patrie!’ Dans l'‘Organ für christliche Kunst’, qui se publie à Cologne, on a remarqué le discours judicieux et éloquent de M. Rose: ce discours, malgré l'opposition qu'il a éveillée auprès de quelques membres de la Société d'architecture, a été applaudi dans l'‘Organ’ comme il l'a été par la majorité de l'auditoire hollandais. M. le docteur Leemans, directeur du musée d'antiquités ‘non chrétiennes’ de Leyde, s'est imaginé que dans mon article (des ‘Annales’) j'en avais voulu à la collection confiée à ses soins. C'est une erreur: rien n'avait annoncé que je voulais m'occuper d'objets égyptiens, romains ou celtiques quand j'ai pris la parole dans votre publication. Lorsque j'ai parlé du pêle-mêle de nos musées, je n'ai pas cru que le musée de M. Leemans ‘où l'on n'admet pas les tombes romanes’, dût prendre sa part dans ma critique plutôt que le musée d'histoire naturelle ne l'aurait fait. M. Leemans, du reste, m'a fait l'honneur de s'occuper de mon article dans un travail de quelque étendue inséré dans le ‘Gids’. Si je voulais donner un compte-rendu des observations et des réclamations de M. Leemans, je me laisserais entraîner plus loin que ne le comportent les bornes d'une simple lettre. Dans la ‘D. Warande’, no 2, j'ai inséré ma réponse à la critique de M. Leemans, et je remplis ici une promesse que j'ai faite à l'auteur. J'annonce donc aux lecteurs des ‘Annales’ que, malgré les actes de vandalisme signalés dans mon article, on prend soin dans quelques endroits, entre autres dans certaines églises protestantes, que des fonts baptismaux des périodes romanes et ogivales ne soient pas détournés de leur destination primitive par nos maçons, qui à ce qu'il paraît affectionnent beaucoup ces bassins sacrés pour la préparation de leur chaux. M. Leemans tenait aussi beaucoup à ce qu'on sût que les peintures murales, découvertes dans quelques églises occupées par les protestants, n'ont pas toutes été recouvertes de chaux, de volets ou de rideaux. M. Leemans m'a également fait observer qu'en Gueldre il existe une commission pour la conservation et la réparation des monuments: mais a-t-elle jamais donné le moindre signe de vie? Un libraire de Nimègue, remarquant que le sujet traité par nous te- | |
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nait quelque peu l'attention publique, m'a demandé la permission de joindre une traduction de mon article à la critique de M. Leemans qu'il se proposait de publier séparément. Je n'y ai fait aucune difficulté et M. Leemans a enrichi le volume d'une réponse à mon anticritique. Je regrette seulement qu'il n'y règne plus ce ton de bienveillance auquel M. Leemans m'avait accoutumé, et qu'on ait donné lieu à de singuliers soupçons, en ne pas réimprimant cette anticritique elle-même. Dans la dernière quinzaine, il a paru un opuscule de M. Is. Warnsinck, échevin de notre bonne ville d'Amsterdam, architecte et ancien secrétaire de la quatrième classe de l'InstitutGa naar voetnoot1). M. Warnsinck prétend que, dans la traduction de mon article ‘des Annales’ on a reconnu pour l'architecte désigné à la page 51 du tome XIVe.... M. Warnsinck en personne. Et pour prouver que j'avais avancé un fait inexact, que M. Warnsinck qualifie d'un nom dont je ne veux pas souiller le beau papier blanc des ‘Annales’, M. Warnsinck livre à l'impression le rapport officiel présenté par lui à la quatrième classe de l'Institut lors de la discussion sur le sort de nos monuments. Il va sans dire qu'en réponse à cette attaque de M. Warnsinck, attaque qui se caractérise entre autres par une condamnation véhémente de notre architecture domestique des XVIe et XVIIe siècles, je ne puis pas consentir à franchir le cercle de discrétion que je m'étais tracé en recélant le nom de l'architecte en question. La seule chose que je puisse faire, c'est de déclarer que dans le ‘Rapport officiel’ de M. Warnsinck en tant que se rapport subsiste par écrit, il n'est pas dit ‘qu'il vaut mieux laisser crouler les anciens monuments et édifices, que de les conserver, afin de donner l'occasion aux jeunes architectes de faire du nouveau’. Néanmoins je persiste dans ma déclaration que cette opinion a été exprimée dans la quatrième classe de l'Institut et j'ajoute qu'elle y a été goûtée; car les considérations qui ont conduit l'Institut à Ne rien faire pour les monuments en rendent hautement témoignage. A chaque siècle ses monuments propres, a-t-on dit; c'est comme si l'on disait: A chaque jour, a chaque heure ses propres idées; rompons avec la mémoire, rompons avec le génie, qui crée des rapports entre les phénomènes, les faits, les idées d'hier et d'aujourd'hui. Vivons au jour le jour, satisfaisons nos appétits du moment et soyons sans souci pour l'avenir, comme nous sommes sans amour pour le passé. Maintenant, Monsieur et ami, comme j'ai vu, jusqu'à quel point la majorité de mes compatriotes était sensible à des observations faites ‘en français’, et quelle était au contraire la dureté d'oreille des administrations et des particuliers de quelque influence, quand on s'est borné à défendre la cause des principes et des oeuvres d'art en simple néerlandais, je me suis laissé engager à joindre à chacune des livraisons de la ‘D. Warande’ sous la même couverture, un bulletin ou notice en langue française, contenant en premier lieu un résumé des | |
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articles néerlandais; puis, quelque petit travail qui pourrait intéresser les amis de France, d'Allemagne et d'Angleterre, et, si ceux-ci ne nous refusent pas leur concours, toutes les communications qu'il leur plairait de nous faire relativement à la cause commune. En outre, la partie française de la ‘D. Warande’ pourrait particulièrement se prêter à être l'organe de ce pays intéressant qu'on appelle la ‘Flandre française’. En somme les choses archéologiques vont dans notre pays leur train naturel. Elles éveillent des amitiés et des antipathies, comme cela doit être. Il reste prouvé dorénavant que l'art chrétien est viable. Si le fleuve ne reprend pas le chemin de sa source, du moins nous voguons par la tempête comme par le beau temps, vers cette grande et belle mer du beau et du vrai, où l'on sent plus immédiatement la présence de Dieu. Je n'ai aucune crainte. Le soleil ne s'est jamais avisé de retourner sur ses pas, et si, nous autres, nous venons à manquer aux travaux de la journée, le soleil n'en continue pas moins paisiblement son cours. Comme il s'agit ici d'un soleil surnaturel, nous avons lieu d'espérer que, l'astre éclairant une fois la terre des feux du midi, les tenèbres ne reprendront plus leur empire. Que le bon saint Luc, patron des artistes chrétiens, et dont on célèbre aujourd'hui la mémoire, nous soit en aide! Agréez, etc.
J.A. Alberdingk Thijm.Ga naar voetnoot1) | |
II.Depuis longtemps j'attendais qu'une circonstance, prétexte ou raison, me permît d'aller en Hollande: mon enfance avait été bercée par des contes ingénieux sur ce pays, et mon âge mûr s'était intéressé au récit des faits que me signalait mon ami M. Alberdingk Thijm, faits où l'archéologie et l'art religieux étaient en jeu. L'occasion, qui s'était offerte déjà plusieurs fois s'étant de nouveau représentée au mois d'avril dernier, je l'ai prise sous le bras et je me suis embarqué avec elle pour la Hollande. J'étais à Lille à quelques heures d'Anvers et à une bonne journée d'Amsterdam; je n'ai pu résister. Me voilà donc parti. D'Anvers à Moerdijk, déjà en Hollande, par le chemin de fer, trois heures; de Moerdijk à Rotterdam, en pleine Hollande, trois heures, par le bateau à vapeur; de Rotterdam à Amsterdam, par le chemin de fer qui stationne à Delft, La Haye, Leyden, Haarlem, quatre heures. On part d'Anvers après déjeuner, si l'on se sent en appétit, vers huit heures et l'on arrive à Amsterdam pour dîner avant six heures. Je ne saurais dire le charme d'une pareille course, surtout quand le soleil brille, comme je l'ai eu le jeudi 3 Avril dernier. Je ne suis pas un paysagiste, et les lecteurs des ‘Annales’ n'auraient rien à faire avec une description pittoresque, avec les prairies et les bestiaux, les canaux et les canards de la Hollande; et cependant il faut le dire, c'est un des principaux attraits de ce pays que l'homme a | |
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créé, qu'il a semé d'herbe fine, planté de grands arbres, peuplé de vaches et de moutons, et conquis sur cette mer que vous entendez gronder à l'horizon, tandis qu'elle se couche calme et unie comme une glace, à vos pieds dans les canaux. La Hollande, nous dit M. Alberdingk, fleurit surtout au XIIIe siècle. Non-seulement ce XIIIe siècle fut pour elle, comme pour l'Europe, son printemps de grâce et de beauté; mais l'Europe était déjà vieille tandis que la Hollande naissait alors au milieu des fleurs comme Adam et Ève dans le paradis terrestre. C'est principalement du XIIe et XIIIe siècle qu'elle sortit de l'écume de la mer, comme la Venus antique. Les meilleurs monuments de ce pays qui sont à Utrecht, à Bois le-duc, à Maestricht, à la Haye, datent de cette époque. J'ai très héroïquement passé devant Dordrecht, Rotterdam, Delft, La Haye, Leyde, Haarlem, cette odorante ville des fleurs, sans m'y arrêter d'abord, tant j'avais hâte d'aller serrer la main à M. Alberdingk Thijm, au milieu d'Amsterdam, sur le quai des seigneurs (Heerengracht). ........................ J'ai donc vécu trois jours entiers dans Amsterdam avec M. Alberdingk Thijm, qui, pour ainsi dire, a déplié sa ville sous mes regards. Cette ville est la plus charmante, après Venise, que j'aie jamais vue. Toute pleine des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles, elle est d'un goût assez frivole peut-être, mais d'une fantaisie des plus originales. Sous ce ciel gris, sur ce sol abaissé, les maisons d'Amsterdam et de toute la Hollande, du reste, s'égaient de couleurs vives et se relèvent en nombreux accidents de construction. Le peintre le plus lumineux, Rembrandt, sort de la Hollande terne et brumeuse, au même titre et pour la même raison sans doute que les constructions les plus capricieuses poussent dans le terrain le plus plat. C'est peut-être la loi des compensations, qui le veut ainsi. Il est déplorable seulement que les architectes actuels de la Hollande, architectes académiciens et, comme ils le sont ailleurs, aussi entêtés que maladroits, déshonorent les constructions anciennes ou les remplacent par les laideurs modernes. En Hollande, pays de neige et de pluie, les maisons se coiffent de pignons et de toits pointus; les architectes modernes se sont donc empressés d'abattre les pignons et d'aplatir les toits. Dans cette atmosphère grise et monotone l'âme éprouve l'appétit de la couleur et du relief, comme le corps sent le besoin de chasser l'humidité par les boissons chaudes et alcooliques; en conséquence, les académiciens en question badigeonnent tout à blanc, autant qu'ils le peuvent et ratissent toutes les sailles. Partout, en Hollande, comme en France, même intelligence de l'homme et du climat. C'est au débarcadère du chemin de fer d'Amsterdam que le génie et le goût des grands architectes vivants commence à se révéler. Lourde bâtisse en style dorique, ce débarcadère s'orne d'un péristyle porté par des colonnes sans base, mais qui reposent sur une plinthe de trois centimètres de hauteur et dont les coins vifs, espèces d'épines de pierre, carressent les durillons et les cors aux pieds de ceux qui sont doués de cet agrément. Au sortir de ce débarcadère dorique, on entre dans la ville par une porte corinthienne. On pourrait donc se croire en pleine Athènes, au pied du temple corinthien de Jupiter panhellénique, et en face du temple dorique du Parthénon; mais il n'en est pas tout à fait ainsi, car on voit se dérouler devant soi une rue presque interminable, toute bordée de maisons du XVIe au XVIIIe siècle; cela ne ressemble pas | |
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plus à la ville de Périclès que Rabelais ne rime avec Platon. Cependant, sur la grande place où s'élève le palais royal, on rencontre un édifice ionique; ce monument c'est la célèbre Bourse d'Amsterdam, c'est-à-dire l'oeuvre la plus honteuse des modernes architectes hollandais. On dit que le constructeur a étudié à Paris dans notre école des Beaux-Arts; il n'est vraiment pas possible, à voir ce qu'il a fait, d'en douter un instant. Par malheur, les monuments anciens ne rachètent pas suffisamment cette misère des édifices modernes. La vieille-Église (Oude-Kerk) autrefois dédiée à saint Nicolas, n'était déjà pas très-belle quand on la construisit au XIVe siècle; mais elle s'est notablement enlaidie depuis qu'elle appartient aux calvinistes: c'est un sépulcre blanchi à la chaux, et un sépulcre vide, une cage dont l'oiseau pittoresque et harmonieux s'est envolé. Cependant les protestants ont eu le bon esprit d'y laisser quelques vitraux peints par Digman en 1555Ga naar voetnoot1); on y voit l'Annonciation, la Visitation, la Naissance et la Circoncision du Sauveur, la mort de la Vierge. Les calvinistes, qui ne sont pas ou ne veulent pas être forts en iconographie, prennent la mort de Marie pour celle d'une dame hollandaise à laquelle on a mis un cierge en main et qui rend son âme à Dieu en présence de sa famille. Une autre verrière renferme les armoiries des bourgmestres d'Amsterdam de 1578 à 1757; rien n'est plus curieux pour l'histoire. Une autre verrière, non moins historique, peinte en 1648 et restaurée en 1767, représente Philippe IV reconnaissant la république des sept Provinces-Unies. Le roi d'Espagne remet entre les mains du représentant de la république une charte scellée d'un sceau rouge extrêmement vif. Malgré ces verrières, malgré la curieuse voûte en bois, armée de nervures et d'arcsdoublaux, qui couvre la nef, malgré une série de stalles sculptées de grotesques réjouissants, il me tardait de sortir de ce temple. Je n'eus pas même le courage d'entrer dans la Neuve-Eglise (Nieuwe-Kerk) qui regarde un des côtés du Palais-Royal, qui date du XVe siècle, et ou j'entrevoyais cependant quelques vitraux. Je ne saurais dire combien ces temples, qui ressemblent à des granges plutôt qu'à des églises, et à des granges sans gerbes, m'attristent et m'oppressent. J'aimais mieux prendre l'air et la couleur sur les quais d'Amsterdam, et m'égayer à la vue de ces moulins nombreux qui remuent leurs ailes laborieuses sur les fortifications de la ville. A Haarlem où M. Alberdingk et son vieil ami, M. Lurasco, voulurent bien me conduire, mêmes impressions; ville d'une gaieté et d'une propreté ravissantes, mais grande et ennuyeuse église, malgré son orgue de cinq mille tuyaux, qui monte du pavé à la voûte. Cette cathédrale était autrefois sous le vocable de saint Bavon, le patron de la ville de Gand. Dans le choeur l'ancien lutrin servait en même temps de tronc; il se compose, non pas d'un aigle de dinanderie, comme on en voit un si grand nombre en Belgique, mais d'un pélican qui s'ouvre le ventre; et c'est par cette plaie, stigmate de la charité par excellence, que les fidèles catholiques introduisaient leur aumône. Beau motif, et que je ne connaissais pas encore. | |
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La grande nef est voûtée en bois avec arcs-doubleaux et nervures nombreuses. Nos architectes archéologues devraient aller en Hollande étudier ces grandes charpentes dont ils pourraient tirer parti, non pas dans les églises, car les églises françaises ne doivent être voûtées qu'en pierre, mais dans des hôtels de ville ou des gares de chemin de fer. Le dirai-je, je préfère à saint Bavon la boucherie de Haarlem, qui date de la fin du XVIe siècle et porte un rare cachet d'originalité. C'est d'une gaieté de forme et de couleur et d'une intelligence remarquables. On y a sculpté des bucrânes et des têtes de moutons comme à notre palais du Luxembourg, à Paris; mais le monument d'Haarlem est une boucherie et le Luxembourg n'est pas une halle à la viande. En France, nous avons toujours cu tellement de science classique et professé tant de goùt pour l'art païen, que nous en sommes quelquebois hébétés. Le lundi 7 avril, je serrais la main à M. Alberdingk-Thijm, je disais adieu aux moulins d'Amsterdam qui enveloppent la ville entière en guise de tours féodales, et je me rendais à Utrecht par le chemin de fer. Utrecht, l'une des plus anciennes villes de la Hollande, mérite une mention spéciale et nous en parlerons une autre fois.
Didron aîné. |
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