De la langue belgique
(1829)–J.F. Willems– Auteursrechtvrij
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Anvers, 26 novembre 1829.J'ai lu, monsieur et savant collaborateur, votre Lettre à M. Munch, imprimée à la Librairie Romantique de Bruxelles. Elle est venue me tirer du milieu de la bataille de Woeringen, que | |
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je m'occupais à finir, sur les traces de Jean Van Heelu, poète flamand du treizième siècle, dont la chronique m'est tombée en partage, dans le travail de la commission pour la publication des monumens inédits de notre histoire, comme vous le savez. J'en étais tout juste au point où le comte de Luxembourg, s'étant jeté au cou du duc de Brabant, pour le tirer de son cheval à force de bras, et s'élevant un peu de la selle, eut le malheur d'être atteint par l'épée du chevalier Van den Bisdomme, un peu au-dessous de l'épine dorsale. Je laisse là le malheureux comte tenant de ses deux mains la partie blessée, et je viens m'occuper de vous et de votre Épître. | |
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Ce n'est pas que je veuille y répondre pour M. Munch, et agiter la question grave, de savoir si vous êtes effectivement, ou si vous n'êtes pas l'auteur de quelqu'écrit en faveur de la langue flamande. Outre que je n'ai pas l'honneur de connaître ce savant allemand, pas plus que son Aletheia, mon père m'a dit mille fois: Jongen! bemoeit u toch nooit met zaken daer ge niets van weet! et me réglant sur ce précepte sage, je n'imiterai jamais un quidam de mon voisinage, qui, Venant de balayer dans une sacristie,
Traite l'instruction d'hérétique et d'impie,
et va signer une pétition, conçue dans un idiome qu'il ne parle pas. | |
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Mais si je ne connais pas M. Munch, j'ai l'honneur de vous connaître et de connaître un peu la langue, que l'on a toujours parlée dans votre famille et dans la mienne. Quand vous avez l'air de renier cette langue (et vous avez cet air-là, monsieur), quand vous protestez hautement devant le public, qu'un homme comme M. Van de Weyer, se croirait déshonoré d'avoir écrit en faveur de cette même langue, je prétends avoir quelques droits de me placer alors dans cette partie du public qui vous juge; indépendamment de l'obligation, communè à nous deux, de nous aider réciproquement de nos lumières, pour éclaircir l'histoire nationale. Vous faire réfléchir sur le contenu de votre lettre, | |
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ce n'est pas sortir, en effet, de la position relative où nous nous trouvons placés; car, mon auteur Van Heelu m'enseigne, au commencement de son poème, qu'il est bon d'apprendre le flamand à ceux qui ne le savent pas. C'est ce qui lui fit dédier son ouvrage à Marguerite d'Angleterre, femme de notre duc Jean II. Veuillez un moment vous donner la peine d'abaisser votre ouïe à la simplicité de son langage: Vrouwe Margriete van Inghelant
Die seker hevet van Brabant
Tshertoghen Jans sone, Jan,
Want si dietsche tale niet en can
Daerom willic haer ene gichte
Senden, van dietschen gedichte,
Daer si dietsch in leeren mogheGa naar voetnoot(1).
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lequel flamand, jeté au moule français, se reproduit à peu près, mutato nomine, de la manière suivante: Monsieur Van de Weyer,
Je veux vous dédier
Ce mien petit ouvrage
Sur les droits du langage
Nommé le bas-teuton,
Qu'on croit de mauvais ton.
N'allez pas faire rage
Si j'en vante l'usage.
Pour être Belge et sage
Faudrait l'étudier,
Monsieur Van de Weyer!
Pardon de la rime! elle est mauvaise selon la prononciation ordinaire de votre nom; mais elle est riche d'après les règles de cette chère langue française, sans laquelle vous et tous les nobles | |
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bourgeois flamens de la rédaction du Courrier des Pays-Bas, seriez indubitablement idiots, agrestes et villainsGa naar voetnoot(1). Avouez, néanmoins, que c'est toujours un petit malheur de porter un nom flamand, et qu'il est très-prudent à ces messieurs de garder l'anonyme. Le moyen de paraître décemment en public avec un nom tudesque! Eh! que n'ont-ils recours à l'onomatopée, en signant le Pâtre, le Pottier, le Menin, le Polichinelle, et caetera? Mais revenons à nos moutons, monsieur le Pâtre. Si je comprends bien votre lettre à M. Munch, ce professeur vous aurait injurié, parce qu'il vous a | |
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cru capable d'avoir écrit en faveur de la langue flamande. Je dis, si je comprends bien, et c'est une précaution oratoire dont j'ai besoin; car, quoique vous vous soyez exprimé dans la langue la plus claire et la plus logique du mondeGa naar voetnoot(1), j'ai eu quelque peine à saisir votre logique dans la phrase où vous dites: ‘Que s'il restait quelques doutes sur l'importance, que vous attachez avec raison à repousser comme injurieuse la publication que M. Munch vous impute, vous vous étaieriez de l'autorité d'un de ces vieux écrivains, que ce savant connaît peut-être mieux que les modernes, et qui, dans ce | |
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langage simple et naïf, que vous aimez tant à citer, et que vous avez regret à voir négligé, disait: Les nobles bourgeois flamens.... usent de langage françois, estimans ceulx qui ne le parlent idiotes, agrestes et villainsGa naar voetnoot(1).’ Est-ce l'imputation ou la publication que vous repoussez comme injurieuse? c'est la publication apparemment, et je suis d'autant plus porté à m'arrêter à cette interprétation de vos paroles, que dans un autre endroit de | |
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votre lettreGa naar voetnoot(1), vous affirmez solennellement que ‘jamais pareil écrit n'est sorti de votre plume, ni n'en sortira.’ Ici je m'arrête, et je vous demande, une seconde fois: Vous ai-je bien entendu? Comment! vous, qui voulez la liberté pour tous, qui demandez le libre usage loisible des deux languesGa naar voetnoot(2), vous ne voudriez jamais écrire un mot en faveur de la liberté du flamand, quand même on la détruiraitGa naar voetnoot(3)? | |
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C'est pour vous faire revenir d'une détermination aussi peu chrétienne, que j'ai l'honneur de vous adresser la présente lettre. Elle a le défaut d'être écrite en fort mauvais français, signe évident qu'elle manque parfois de logique; j'en conviens. Néanmoins, comme tout maître de logique n'est pas maître en raisonnement, j'ai de quoi me consoler, et n'ai point la prétention d'avoir toujours raison, mais d'être toujours raisonnable. Οὐϰ οἶηαι γάρ τινα τως ευτυχῆ γραφήν ήγεῖςαι, ᾖ μηδεἱς ἁντερεῖ αλλ᾽ἑκεινὴν ἔυλογον νομιςέον ᾖ, μηδεὶς ἐυλὀγως ὰντερεῖGa naar voetnoot(1). Après cette citation grecque,
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que je suis parvenu à entendre à demi, passons maintenant à l'objet qui doit nous occuper, et commençons par établir ou poser un bon principe, propre à nous guider sur la route que nous avons à parcourir. Il y a des nations diverses. Dieu l'a voulu ainsi, et il avait raison; Bonaparte l'a voulu autrement, et il avait tort. Les nations ne sont diverses que parce qu'elles ont des moeurs et des habitudes différentes. Comme elles ont toutes le don de la parole, et qu'elles parlent toutes d'après leurs moeurs, il s'en suit que toutes les nations diffèrent entre elles par le langageGa naar voetnoot(1). Les Alle- | |
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mands et les Italiens sont allemands et italiens par les moeurs et par le langage, quoique l'on trouve chez eux des prussiens, des wurtembourgeois, des bavarois, des toscans, des vénitiens, des napolitains. Il n'y a pas de nation prussienne ou wurtembourgeoiseGa naar voetnoot(1); il y a la nation allemande. Voilà pourquoi nous appelons allemand tout ce qui parle allemand. | |
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Les nations qui ont changé de moeurs et de langage, ont aussi changé de nom. Les Gaulois, devenus d'abord Romains rustiques par l'adoption des moeurs et de la langue latines; ensuite conquis par différens peuples, et ne sachant plus enfin ce qu'ils étaient, ont été réduits à se donner le nom d'un peuple allemand, de s'appeler Francs ou Français. Il y a une nation belgique, parce qu'il y a des moeurs belgiques. César l'a dit, le citoyen Armand de la Meuse l'a ditGa naar voetnoot(1): il faut les en croire. Le conquérant de la Gaule nous a nommés forts et vertueux, à raison seulement de l'horreur que nous inspirait la mol- | |
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lesse des provinces, qui se populo romano dedidissent et patriam virtutem projecissentGa naar voetnoot(1). Mais avons-nous aussi une langue belgique? - Laissons répondre à cette question les autres nations de l'Europe, qui nous en donnent une. Il n'y a que quelques français, tombés d'hier dans notre pays, et quelques jeunes gens, écoliers de ces français, qui prétendent nous en priver. Et quelle est cette langue dont les nations nous gratifient? - C'est la langue belgique, lingua belgica, | |
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nederlandsche tael; car, comme je vous l'ai dit, il y a une nation belgique. A moins donc de renoncer à ce nom de nation et de repousser ce titre de Belge, que nos ancêtres nous ont légué, et que nous portons encore, nous ne pouvons renier cette langue belgique. Vous semble-t-il, monsieur, que ce raisonnement soit concluant? - S'il pouvait vous rester quelque doute sur la signification que l'on attache partout aux mots lingua belgica, prenez la peine de feuilleter quelque dictionnaire étranger, ou adressez-vous à l'Académie de Bruxelles, présidée par un homme dont les ancêtres ont su ce que c'étaitGa naar voetnoot(1). - Mais les | |
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Wallons? Les Wallons, monsieur, ne sont pas des français; car ils n'ont pas changé de nom. Ce sont encore les Gaulois-belges (Galen, Walen) d'autrefois, et le dictionnaire de leur langue, composé par un bénédictin de St.-Maur, et imprimé à Bouillon, en 1777, me le prouve. Ils se trouvent aujourd'hui exactement dans la même position que les Frisons, débris d'une nation jadis aussi très-puissante. Resteront-ils wallons? je le veux bien, s'ils veulent me laisser flamand; mais ils pourraient, en se pénétrant du sens des art. 84 et 149 de | |
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notre Loi Fondamentale, suivre aussi l'exemple des Frisons; et vraiment, c'est ce qu'ils ont de mieux à faire, puisqu'il est incontestable que la différence du langage établit la différence des opinions et les haines nationales. Le prince Guillaume d'Orange, premier de ce nom, l'a éprouvé avec ces mêmes Wallons, et cette vérité est encore si évidente aujourd'hui, qu'il faut être aveugle pour ne pas la reconnaître. Transportez-vous sur la frontière de leur pays, vous verrez des wallons chercher leur pain à deux ou trois lieues de distance, afin de ne pas l'acheter d'un flamand, vous verrez les Wallons et les Flamands se battre à toutes les kermesses. | |
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Consacrer le principe d'une égalité de droit entre deux langues d'un même pays, c'est alimenter ces haines nationales, c'est même les porter dans la législature. Des milliers d'hommes ont été massacrés à cause de l'interprétation d'un mot. Aussi les gouvernemens bien constitués de l'Europe se gardentils de suivre un principe si destructif de l'ordre publicGa naar voetnoot(1), et les allemands de l'Alsace ont-ils le bon esprit de ne pas réclamer une liberté de langage, qui les séparerait du reste de la France. L'allemand est adopté dans la représentation suisse, quoiqu'il y ait des cantons | |
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français et italiens, et je m'assure que, dans notre seconde chambre, les choses n'en iraient que mieux, si le député hollandais pouvait être toujours entendu par le député wallon. Au moins on pourrait dire alors que celui-ci est tout-à-fait à sa place; car ce n'est pas être tout-à-fait à sa place que de faire partie d'un corps délibérant, et de ne pas savoir ce qui s'y passe. Les haines, ou plutôt les antipathies nationales, résultat de la diversité des moeurs et du langage, quand elles ont pour objet les nations étrangères, et qu'elles ne vont pas plus loin que le christianisme ne le permet, modérées d'ailleurs, en temps de paix, par le commerce, et se cachant sous les formes | |
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de la civilisation, ont toujours opéré de grandes choses, et assuré l'indépendance des peuples. Elles sont plus fortes que les armées, puisqu'elles ne meurent pas, et sont pour le moins aussi nécessaires. Je n'aime pas ces soldats, qui ôtaient leurs chapeaux devant l'ennemi, pour le saluer, et qui lui criaient: Messieurs des gardes françaises, veuillez tirer! On n'est pas là pour se faire des complimens, mais pour se tuer. Les Français du temps de Charles VII, lorsque la France allait devenir pour toujours une province anglaise, n'ont pas sauvé leur pays avec des complimens, mais avec la haine nationale. Comment les Espagnols de nos jours ont-ils résisté aux armées de vingt peu- | |
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ples divers, se ralliant sous les aigles de Napoléon? par la haine nationale: They fight for freedom who were never freeGa naar voetnoot(1).
Aussi, ce n'était pas avec des complimens que leur général Palafox répondit aux complimens du général français qui l'avait sommé de se rendre. ‘Repassez les Pyrénées, lui dit-il, et l'Espagne redeviendra tranquille! Ce n'est point à la nation la plus signalée par la légèreté de son esprit, par la mobilité de son caractère et par son inquiète turbulence, qu'il | |
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appartient de venir prêcher les graves et paisibles Castillans. Si la fureur de propager vos maximes vous tourmente, allez dans certaines contrées, dont les savans et les raisonneurs vous prêteront sans doute une oreille complaisante, et ne manqueront pas de célébrer votre modération, votre tolérance, la perfection de votre discipline, la beauté de votre tenue, le ravissement de vos hôtes en vous recevant chez eux, leur désespoir en vous perdant, vos idées libérales.... Mais nous autres, pauvres Espagnols, nous sommes trop ignorans pour renverser notre antique constitution, et pour faire tomber la tête de nos rois... Nous avons | |
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encore cet énergique caractère national, presque partout ailleurs effacé, dégradé, avili.... Vous parlez de guerre interminable? quant à cela, il faut vous rendre justice: nous savons que vous avez une patience à toute épreuve; car, depuis vingt ans que durent vos convulsions, il ne serait guère possible d'imaginer un mal, soit physique, soit moral, auquel vous ne vous soyez soumis avec un stoïcisme qui eût fait rougir Épictète. Votre Roi, le plus honnête homme peut-être qui fût parmi vous, a été traîné à l'échafaud, après avoir été abreuvé, pendant quatre ans, des plus lâches et des plus infâmes outrages..... Vous | |
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l'avez vu sans murmurer. Le sang de vos plus dignes citoyens a été versé à flots par une poignée de scélérats.... Vous l'avez vu sans murmurer. Les crimes les plus atroces ont souillé pendant sept ans toute la surface de la France.... Vous l'avez vu et entendu sans murmurer. Trois cent soixante de vos prêtres ont été égorgés, dans un seul jour, dans la grande capitale de la grande nation... et la grande nation l'a vu sans murmurer. Vous avez, pendant quinze ans, changé de gouvernement et de joug, aussi souvent qu'il a plu à vos geôliers de vous les imposer.... et vous avez porté votre bât et votre muselière sans murmurer. Depuis | |
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huit ans on vous traîne des bords du Nil à ceux de la Vistule, et de la Vistule à l'Èbre et au Tage, en vous faisant faucher et en vous fauchant comme l'herbe des champs..... Pas un mot, pas un mouvement pour rompre cette horrible et dégoûtante servitude. Oui, Français, vous êtes devenus le peuple le plus patient sous vos tyrans. Mais sachez que nous sommes prêts à tout, et que la patience aussi nous caractérise. Souvenez-vous qu'une petite peuplade d'espagnols chrétiens, réfugiés dans les montagnes des Asturies, a bravé pendant sept siècles toute la puissance des Maures, et que ces Maures ont fini par être chassés de | |
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toutes les EspagnesGa naar voetnoot(1)!’ Voilà comment s'exprime la haine nationale, réveillée par la guerre! Il ne s'agit pas ici, comme vous voyez, d'une vaine dispute de la foi des traités (le peuple n'entend rien à cela!), mais de conduite et de moeurs. Et notez que ce peuple espagnol, le seul qui n'ait pu être subjugué par Napoléon, était aussi le seul, du continent européen, chez lequel les manières et la langue françaises ne jouaient pas de rôle. Les barons allemands, qui avaient fait leur éducation à Paris, avec les GrimmGa naar voetnoot(2) | |
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et les d'Holbach, furent plus dociles à se laisser menerGa naar voetnoot(1). Mais citons un exemple d'héroïsme patriotique plus proche de nous; prenons-le dans notre histoire, et voyons ce que fit la haine nationale chez les Flamands, dans une | |
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circonstance où la langue même fut mise à l'épreuve. La Flandre gémissait sous le joug des Français. Son territoire était envahi et couvert par les troupes de Philippe-le-Bel, lesquelles se permettaient toutes sortes d'exac- | |
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tions. Le comte et la noblesse de Flandre, enfermés dans les prisons de France; partout les municipalités détruites; le commerce éteint; les habitans du pays forcés à bâtir eux-mêmes des citadelles destinées à les tenir en | |
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bride; le roi de France, enfin, proposant et délibérant d'extirper le peuple universel et de ruyner et anéantir toute la ville de BrugesGa naar voetnoot(1); il semblait alors que tout espoir de salut était perdu; mais le Lion Belgique vivait encore, en d'autres termes: ce qui distinguait les Flamands d'avec les Français n'avait pas pu être détruit par les tyrans. Un homme du peuple, doyen des drapiers de Bruges, nommé Pierre de Koning, que les historiens nous peignent comme très-éloquent dans sa langue maternelle, et comme n'en parlant point d'autreGa naar voetnoot(2), se lève et se montre sur la | |
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place publique de Bruges. Il harangue le peuple consterné, lui montrant d'une main les monumens de la ville menacés d'être abattus, et brandissant de l'autre une arme meurtrière. Il lui propose de se mettre à sa tête, de chasser les Français, et vient à bout de ce noble dessein. Les Brugeois s'élancent sur les oppresseurs étrangers, en criant: Lion Belgique! Lion Belgique! et massacrent impitoyablement tous ceux de leurs ennemis qui s'étaient déguisés pour s'enfuir, et qui ne pouvaient prononcer les mots du guet: Schild en vriendGa naar voetnoot(1)! | |
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Quinze cents cavaliers et environ deux mille fantassins français furent égorgés dans cette sanglante journée. Ce n'est pas tout: cette troupe de simples bourgeois, bientôt soutenue par le peuple des autres villes et par le comte de Namur, mais toujours sous la conduite du même chef, va battre les cinquante mille soldats de l'armée du roi de France, sous les murs de Courtrai!.... C'étaient là de bien nobles bourgeois flamands, Monsieur Van de Weyer! Quelque chose d'un pareil élan se manifesta à Bruxelles, dans les assemblées populaires tenues sous les baïonnettes de Dumourier, le 29 décembre 1792, lorsqu'on voulut forcer la nation à émettre son voeu de réunion à la | |
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France, circonstance dans laquelle les Bruxellois se montrèrent de véritables Belges, non-seulement sous le rapport du caractère national, mais aussi sous le rapport de la langue. Neuf sections firent leurs procès verbaux dans la seule langue flamandeGa naar voetnoot(1). Dans une de ces sections, le peuple ne voulut pas même entendre la traduction des proclamations de Dumourier, pour ne pas laisser profaner sa langue nationaleGa naar voetnoot(2), | |
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appelée notre langue flamande, par le président J.-B. MaillardGa naar voetnoot(1). Et cependant, s'il fallait en croire M. De Villete, dans sa pétition adressée au corps législatif le 26 brumaire an V, il y eut, dans les assemblées dont je viens de parler, beaucoup de ces individus qui, dans tous les temps et dans tous les pays, se vendent aux factions. A cette occasion feu M. Lesbroussart fit l'éloge du caractère des Belges, qu'il prononça et publia après le départ des FrançaisGa naar voetnoot(2). Ah! si cet estimable sa- | |
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vant pouvait sortir aujourd'hui du tombeau, sans doute on l'entendrait répéter à de certaines gens, ce qu'il mit alors en tête de son discours: Que tous ces charlatans, populaires larrons,
Et de patriotisme insolens fanfarons,
Purgent de leur aspect cette terre affranchie!
Guerre, guerre éternelle aux faiseurs d'anarchie!
Il dirait encore, à ceux qui ne veulent pas du flamand: ‘La langue flamande, fût-elle aussi pauvre et aussi faible qu'elle est riche et énergique, puis- | |
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qu'elle est la langue du pays, elle doit nécessairement être apprise. Quoi de plus fatigant et de plus désagréable que d'entendre des hommes, ornés d'ailleurs de certaines connaissances, s'exprimer dans leur langue avec une barbarie et une trivialité qui annoncent presque l'impéritie!... Ceux qui conservent encore un sentiment d'amour pour la gloire de leur patrie, voient avec peine qu'elle est tombée dans l'avilissementGa naar voetnoot(1). Les peuples qui se sont distingués et se distinguent encore | |
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dans les lettres, n'y sont parvenus qu'en joignant à l'étude des langues anciennes, une connaissance approfondie de la leur. Le gouvernement des Pays-Bas, jaloux de la gloire de la nation, n'a donc prescrit à Bruxelles, pour le flamand, que ce qu'on a prescrit à Paris pour le françaisGa naar voetnoot(1).’ - Et M. Lesbroussart était français! J'ai dit que nous avons une langue belgique, parce qu'il y a des moeurs belgiques. Il me reste à vous prouver que sous ce rapport aussi l'idiome français nous est étranger. En effet, s'il nous est si naturel, qu'on veut le faire accroire, pourquoi les quatre-vingt- | |
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dix-neuf centièmes au moins de ceux d'entre nous, qui ont appris à le parler, se montrent-ils tous les jours flamands en français? Le dictionnaire des flandricismes et wallonnismes, composé par M. Tarte cadet, ouvrage dans lequel on indique les fautes que commettent les Belges en parlant l'idiome français, ou en l'écrivantGa naar voetnoot(1), est un véritable dictionnaire de la différence de l'expression de nos moeurs, d'avec celle des moeurs françaises, quoiqu'il soit loin d'être complet. Vous avez beau chasser le naturel, il revient au galop, et de véritables écrivains français prouvent tous les jours, que même | |
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ces messieurs du Courrier des Pays-Bas, malgré leur correcteur français, restent entachés de ce vilain péché originel (horresco referens!). Tant il est vrai de dire: n'est pas français qui veut. Aussi le public éclairé se montre-t-il peu dupe de toutes les protestations de francisme qu'on lui faitGa naar voetnoot(1). Il a peu | |
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de goût pour le français des Belges. Les gens comme il faut envoient leurs enfans à Paris, ou bien leur donnent des professeurs français. Les Muses bruxelloises ont de la peine à trouver tous les ans un imprimeur, et la collection des poètes gallo - belges est restée là sans souscripteurs; tandis que les poésies flamandes de l'Almanak voor Blijgeestigen comptent 6000 acheteurs, et qu'on vend tous les ans plus d'un millier d'exemplaires du Belgische Muzenalmanak de Gand. Il faut bien le dire: quand nous achetons du français, nous en achetons de bon aloiGa naar voetnoot(1). En | |
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Flandre et en Brabant, on lit vingt fois plus de livres flamands, qu'on n'y lit d'ouvrages français faits par des Belges. J'ai donné ailleurs des extraits de près de 300 poètes, appartenans à ces provinces, qui ont écrit en langue maternelleGa naar voetnoot(1). Et combien de poètes français croyez-vous qu'elles ont produits? Il en est jusqu'à trois que l'on pourrait nommer.
Lorsqu'en 1811, je disputais à | |
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Gand le prix de la poésie flamande, à trente et un poètes de la Flandre, six concurrens seulement se présentèrent pour obtenir celui de la poésie française, presque tous français de naissanceGa naar voetnoot(1). Aujourd'hui encore, et malgré notre éducation du temps de NapoléonGa naar voetnoot(2), il paraît dans les provinces flamandes autant de journaux flamands que de français, et le Mercurius van | |
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Gend compte plus d'abonnés, dit-on, que le Courrier des Pays-Bas. Que serait-ce donc, si des hommes de talent et de goût présidaient à la rédaction de pareilles feuilles, si le flamand pouvait se donner à aussi bon compte que le françaisGa naar voetnoot(1), et si nos hommes de talent voulaient accorder à l'étude de la langue nationale la moitié seulement des peines qu'ils se donnent maintenant, | |
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pour écrire un français dont nos voisins ne veulent pas? On a beau parler de notre inimitable La Fontaine et de notre satirique BoileauGa naar voetnoot(1), ceux qui croient par-là se fourrer parmi les bons écrivains de France, se trompent singulièrement. Un grand monarque, Frédéric II de Prusse, malgré son académie française de Berlin, et quoique conduit au temple du goût par la main d'un Voltaire, son illustre teinturier, n'a pu parvenir à obtenir même une petite place parmi eux. Tous les classiques français ont dû écrire à Paris. En Russie, où les hautes classes de la société connaissent et parlent mieux le | |
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français, qu'on ne le fait en Belgique, on n'a jamais songé à se faire une langue nationale française, ou à s'approprier la littérature des Racine et des Corneille. ‘Notre Boileau’ sonnerait aussi mal dans la bouche d'un russe que dans celle d'un belge. Autant nous avons des dispositions naturelles pour le flamand, autant nous en avons peu pour surmonter les difficultés de la langue française, celle-ci se réglant exclusivement sur les moeurs parisiennes, qu'il faudrait constamment étudier, afin de l'écrire purement. Exemples. Parce qu'à Paris une fille est vulgairement censée être une......, je ne peux décemment vous dire que j'ai une fille chez moi, lorsque mon en- | |
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fant y est. La fille, c'est la servante de la maison; cependant, la fille de la maison n'est pas la servante, et ma servante n'est pas ma fille. Les Français ont des honnêtetés et des honneurs de toutes les sortes. Un homme honnête est chez eux tout autre qu'un honnête homme; mais un honnête homme, plus un autre honnête homme, ne font pas des honnêtes hommes. S'ils jurent sur leur parole d'honneur (terme qui répond à peu près à notre affirmation byja! et byneen!), ils sont un peu moins vrais que lorsqu'ils disent sur mon honneur. Leurs hommes d'honneur diffèrent aussi considérablement de leurs dames d'honneur. Jusqu'ici soit, et j'y consens; mais quand M. Laveaux | |
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m'enseigne en outreGa naar voetnoot(1), qu'on peut avoir de l'honneur sans être un homme d'honneur, et être un homme d'honneur sans avoir de l'honneur, ma raison flamande commence à trébucher, et je dois avouer que les Français sont plus fins que les Belges, chez qui l'on croit tout bonnement, que ce qui est honnête et honorable, doit l'être toujours. On a tort de dire: beaucoup de locutions françaises ne peuvent se rendre en flamand. C'est là faire l'éloge de notre langue et de notre nation. Les mots ne nous manquent pas, mais la signification corrompue des mots nous manqueGa naar voetnoot(2). | |
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Vainement cherche-t-on un terme flamand pour désigner une coquette; mais au fond, qu'est-ce qu'une coquette? - une poule qui cherche le coq. Cela étant, ne sommes-nous pas plus vrais en l'appelant manszottin? Au reste, cette pauvreté de notre langue, si c'en est une, disparaîtra du moment que nos coquettes voudront parler du bon flamand. Il suffit de montrer ici que la langue française est l'expression des | |
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moeurs françaises, ou plutôt parisiennes, et qu'elle se règle d'après ces moeurs. En voulez-vous des nouvelles fraîches? Apprenez qu'au moment où je vous parle, il est de mode à Paris, d'aller au moins une ou deux fois la semaine au salon du Musée, et que, depuis que cette mode existe, on ne peut plus dire aller au salon, pour exprimer l'idée de l'action de passer d'une antichambre dans un salon. Aucun dictionnaire ne nous a, jusqu'ici, fait connaître ce changement. Il est donc nécessaire que nous autres Belges nous sachions, qu'il faut constamment tenir l'oeil sur les Parisiens, afin d'être dignes d'écrire leur langue. Mais comme les Parisiens sont passablement changeans, | |
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il serait bon qu'ils voulussent bien, en envoyant des culs-de-Paris, des arrache-coeurs et des imbéciles à nos femmes, nous faire parvenir de temps à autre un vocabulaire des termes nouveaux, par forme d'appendice au Journal des modes. Ne forçons point notre talent, a dit La Fontaine, et c'est ce que nous faisons en voulant tailler nos façons de dire au patron des ParisiensGa naar voetnoot(1). Ces mêmes Parisiens sont les premiers à rire de nos quiproquo: C'est de l'esprit français la devise éternelle,
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pendant que nous faisons de véritables folies pour les imiter. Je me rappelle à ce sujet, que feu le notaire Van J....... d'Anvers, (auquel Dieu fasse paix!) trouvant dans les formulaires français, que les immeubles s'adjugent à la chaleur des enchères, et voulant combiner l'expression française avec l'usage flamand d'adjuger met stokslag en verdieren, annonça au public qu'il allait vendre à la chaleur des coups de bâton. Notre instinct flamand va donc mal aux formes de la langue française, en d'autres termes, cette langue nous est étrangère. Elle l'est également pour un | |
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très-grand nombre de wallons. Dans les meilleures sociétés de Namur, on s'exprime rarement en français, les Namurois parlant wallon entre eux, parce que c'est dans leurs moeurs. Toutefois, ce que je viens de dire, n'est pas pour prouver qu'il n'y a pas de moeurs françaises en Belgique: ce serait nier la vérité. Le mal existe, et va de jour en jour empirant. Je sais fort bien que les personnes appartenantes aux hautes classes de la société, ayant fait leur éducation à Paris, ou sous des précepteurs français, possèdent une très-forte dose de manières étrangères. Néanmoins, ces personnes ne sont françaises qu'à demi. Elles ne peuvent | |
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Troubler du Ciel les justes règlemens,
Mais de leurs deux instincts suivent les mouvemensGa naar voetnoot(1),
c'est-à-dire, qu'elles parlent tantôt flamand, tantôt français. Même en parlant français, s'il leur advient quelque contrariété, assez forte pour les mettre en colère, voilà que tout à coup le naturel flamand prend le dessus, et ces mêmes personnes jurent en flamand comme les vaert-kapoenen de votre ville. De plus, tous les Belges de cette catégorie savent très-bien distinguer en eux-mêmes ce qui appartient aux moeurs françaises, de ce qui leur est exclusivement propre, et tel et tel, que je pourrais | |
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nommer, se confessent régulièrement d'avoir juré bygod, qui ne se confessent nullement d'avoir dit pardieu, quoique les deux termes soient parfaitement semblables. Ne riez pas, monsieur, de voir citer des juremens. Ils jouent, dans l'affaire qui nous occupe, un rôle plus important que vous ne croyez. Lorsque nous imitons les français, nous le faisons rarement en bien. Molière avait bien raison de dire: Quand sur une personne on prétend se régler,
C'est par les beaux côtés qu'il lui faut ressembler,
Et ce n'est point du tout la prendre pour modèle,
Ma soeur, que de tousser et de cracher comme elleGa naar voetnoot(1).
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Or, nos paysans, ne sachant parler que flamand, jurent cependant en français comme des Normands. C'est de nos anciens maîtres qu'ils l'ont appris, et sous ce rapport aussi nos maîtres étaient plus forts que nous; car, outre qu'ils jurent par Dieu, ils jurent encore par le diable; ce qui fit dire à un poète anversois: Gallica gens quoties vanum per doemona juratGa naar voetnoot(1)!
Mais je m'aperçois que ma lettre commence à prendre trop d'étendue. Soyons plus brefs, et voyons ce que | |
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vous avez à opposer à mes raisonnemens? Cela se réduit, je pense, à une simple proposition. La voici: J'ai été hier à la nation française; donc, j'ai droit à rester français aujourd'hui; en d'autres termes: la nation française m'a forcé à donner tout mon temps à l'étude de sa langue que j'ai appris à écrire; donc, je ne peux et je ne veux plus m'occuper du flamand, que j'ai appris à parler seulement. Je veux la liberté du langage pour moi, comme pour ceux qui veulent l'ancienne langue belgique. Très - bien, monsieur: c'est parler clairement. Je ne serai pas difficile avec vous, mais je vais un moment vous concéder tout. Je vais faire abnégation entière de mes propres sen- | |
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timens, afin d'entrer dans les votres. Vous voulez la liberté du langage? moi aussi. Je veux même plus: je veux des garanties pour cette liberté; car, il n'y a pas de liberté sans garanties, disent les journaux, et je ne suis pas libre, s'il ne m'est pas loisible d'être libre (pour me servir d'une expression de votre logique). Or, quelles garanties me présentera-t-on pour m'assurer que les hautes classes, ci-dessus mentionnées, en un mot, tous ceux qui n'ont étudié que la langue française, étant les plus puissans, voudront bien me laisser la liberté du flamand? La loi me l'accorde, direz-vous. Bien; mais la loi, en accordant à M. Van de Weyer la liberté du langage, lui accorde le | |
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droit de ne pas me comprendre, même celui de ne pas vouloir me comprendre: que ferai-je avec M. Van de Weyer? J'aurai beau plaider contre lui ou contre tel et tel avocat français, qui ne m'entend pas, et que je pourrai ne pas entendre non plus. Que faire donc? prescrire à tout le monde de savoir les deux langues, ce qui serait doubler la tyrannie dont vous vous plaignez? non, des deux choses l'une: ou les fonctionnaires et avocats wallons, hollandais, flamands, parleront exclusivement leur langage chez eux, dans leur pays, ou bien tous, sans exception, ils doivent parler les deux langues. Point de priviléges, ni pour l'un ni pour l'autre. Que s'il m'arrive (et cela ne peut - il | |
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pas m'arriver comme à un autre?) qu'étant en colère contre un écrivain wallon, je parte un beau matin d'Anvers pour aller lui crever l'oeil à Mons, je veux qu'alors le procureur du Roi de là-bas, les juges et les avocats traitent mon affaire en flamand, et que je puisse m'expliquer selon ma liberté; - que si un soldat de la garnison de Namur est amené devant le tribunal de Namur, il faut que tout le monde y parle la langue de ce soldat; et ainsi de suite. Il y a plus. Tous ceux qui parlent flamand, étant très-certainement de la nation belgique, et ceux qui parlent français, ne l'étant pas toujours, les premiers peuvent prétendre, ce me | |
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semble, à ce que le flamand soit mis au moins à l'égal de la langue des Français. Et comment établir une juste parité? Faudra-t-il mettre un impôt sur les réimpressions françaises de Bruxelles, qui se donnent à si bas prix, jusqu'à ce qu'elles soient au niveau du prix des livres flamands et hollandaisGa naar voetnoot(1)? Faudra-t-il que tous les journaux paraissent dans les deux langues? Faudra-t-il.....? mais il suffit. Ne poussons pas plus loin les conséquences à déduire d'un principe insoutenable sous tous les rapports. La liberté, l'égalité des droits entre deux langues est | |
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une chimère, un mot vide de sens. Avouez-le franchement: vous - même vous avez de très-mauvaises dispositions à soutenir cette libertéGa naar voetnoot(1); et quand même vous en auriez de bonnes, vous ne voudriez pas encore parler flamand devant les tribunaux, parce que d'un côté l'arme française du ridicule se lèverait contre vous, et parce que, d'un autre côté, vous croiriez faire tort à tels et tels avocats français, vos collègues, qui n'ont pas appris à le parlerGa naar voetnoot(2). Vainement vous m'objecterez | |
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encore: ‘Tous les gens d'esprit ont parlé et parlent le français en Belgique, avant comme après la domination napoléonienneGa naar voetnoot(1): il n'y a pas | |
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de mal qu'ils continuent à traiter nos affaires de la manière qu'ils l'entendent le mieux.’ Qu'appelez-vous gens d'esprit? Nos bons bourgeois des | |
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classes moyennes (la partie saine de la nation), nos prêtres, dont le plus grand nombre ignorent complètement votre idiome favori, sont-ce des idiots? Mon- | |
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seigneur l'évêque de Gand, qui n'a jamais parlé français, est-ce un vilain? vous n'oserez pas l'écrire! - Enfin, c'est encore vainement que vous m'objecteriez: ‘La langue hollandaise est aussi étrangère aux provinces méridionales, que tout autre langue étrangère.’ Je vous répondrai à cela: Eh bien! parlez donc, écrivez donc en flamand, comme moiGa naar voetnoot(1). Mais, monsieur, si les dialectes hollandais et flamand sont deux langues différentes, comme vous le dites, comment se fait-il, que | |
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les nombrenses sociétés de rhétorique, à Bruxelles, à Anvers, à Gand, et dans tous les lieux de la Flandre, ne jouent ordinairement que des pièces hollandaises, et comment se fait-il que leurs acteurs, parlant d'après l'accent hollandais, sont si bien compris par les milliers d'auditeurs qui courent aux représentations de ces pièces, auditeurs qui n'appartiennent pas tous à la classe lettrée de la société? Comment se fait-il, enfin, que tous les mots hollandais se trouvent dans les bons dictionnaires flamands, et que les lexiques de Kilian et de PlantinGa naar voetnoot(1), sont en- | |
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core aujourd'hui la meilleure autorité des grammairiens hollandais? Pour avoir droit de parler de la différence des idiomes du nord et du midi des Pays-Bas, il faut les connaître. Toutes vos objections tombant à faux, | |
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je reviens à mon principe général. Il me reste encore une arme victorieuse à faire manoeuvrer contre vous. Je l'avais laissée là, un peu en arrière, comme une réserve. Voyons si elle pourra faire taire vos dernières batteries: | |
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La liberté et l'indépendance de mon pays avant tout! Je vois à nos frontières la nation française convoitant toujours le beau sol de la Belgique, tandis que nous avons parmi nous cent mille français, qui restent toujours français, à cause de la langue! Depuis trente ans que nous nous efforçons inutilement à monter jusqu'à eux, très - peu d'entre eux se donnent la peine de descendre jusqu'à nous, de s'approprier nos moeurs, de se confondre dans la masse du peuple, d'apprendre à parler avec ceux dont ils exploitent l'industrie et dont ils mangent le pain! Partout et en tout, nous fléchissons le genou devant leurs supériorités réelles ou imaginaires; chez les grands du monde | |
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comme chez les hommes du pouvoir, dans les assemblées comme dans les conseils, les beaux parleurs français sont nos maîtres! La droiture belgique, les simples vertus de nos pères, que peuvent - elles contre l'appât de leur politesse trompeuse? Vous riez, monsieur? Vous traitez de chimériques les dangers de cette influence française qui, même selon vous, n'existe pas? Quoi! elle n'existe pas? Lorsqu'aux yeux de l'Europe entière, qui nous contemple, nous avons l'air de nous placer sous la tutelle de cinquante journalistes françaisGa naar voetnoot(1), réglant | |
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tous les jours nos intérêts et nos devoirs, cette influence n'existe pas? - Lorsque je vois ces journalistes compter minutieusement tous les hollandais qui peuvent se trouver parmi nous, et | |
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ne parler point des français, il n'y a pas de partialité à l'égard de ces derniers? - Lorsque, dans ce moment-ci, on réimprime, à Bruxelles, tout ce qui a préparé en France les hommes de 1793, je ne peux pas croire qu'on veut faire de nous des révolutionnaires français? - Lorsque dans ma province, j'ai vu toujours les français et les fils des français occuper les meilleures places, et devancer les Belges; lorsqu'à Anvers (la moins française peut-être des grandes villes du midi des Pays-Bas), je les vois les mieux rentés, fonctionnaires, avocats, notaires, courtiers, officiers des pompiers, professeurs, architectes; lorsque j'ai vu des habitans des villes être nommés | |
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comme bourgmestres et secrétaires de deux trois communes du plat-pays ensemble, à cause qu'il ne se trouvait pas dans ces communes d'individus parlant le français; lorsque j'ai vu un membre de ma famille deux fois repoussé de l'administration locale, à cause qu'il n'avait appris que le latin et le flamand, il n'y a pas d'influence française? - Lorsque je vois des gens du peuple venir à mon bureau, accompagnés d'un interprète qui puisse m'adresser la parole en français, c'est donc parce que le peuple croit qu'il n'y a plus de français dans les bureaux?.... Ah! lorsque je vois tout cela, puis-je m'empêcher de frapper du pied le sol natal, et de m'écrier: O ma patrie! suis - je | |
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belge ou français? - O mes compatriotes! Sachons une fois ce que valaient nos ancêtres, et ce que nous pouvons valoir! Accueillons, chérissons les Français, je le veux bien, ils sont mes frères et mes amis; mais qu'ils deviennent belges! Et peuvent-ils le devenir sans s'approprier ce qui nous est propre, sans nos moeurs et notre langage?
Et vous, en particulier, monsieur, je vous prie de réfléchir aux questions que je fais ici. J'aime à me persuader qu'en les examinant mûrement, vous ne tarderez pas à partager mes sentimens, qui sont certainement des sentimens belges. C'est dans l'espoir de | |
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vous voir les professer bientôt, que j'ai l'honneur de me dire,
Votre tout dévoué serviteur et compatriote,
J.F. WILLEMS. |
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