Chants de réveil (onder ps. Charles Donald)
(1832)–Theodoor Weustenraad–
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Chant cinquième.La nuit, sur mon grabat, quand de ses dents de glace
L'Hiver me mord les pieds et m'arrache au repos;
Quand mon ame bondit sous l'horrible grimace
Empreinte, en sillons bleus, sur mes fébriles os;
Quand, d'un long grincement, je poursuis Dieu lui-même
Dans ces Heureux du jour qui sommeillent en paix
Au milieu des éclats de l'ardent anathême
Jeté, par ma lucarne, au seuil de leurs palais:
D'où part donc tout-à-coup ce rire?
Quel démon m'insulte là-bas?
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O grand, respecte mon délire,
Pour qu'il ne te dévore pas!
Et quand au bruit plaintif de mes cris de détresse
Accourt, pâle d'effroi, ma jeune et pauvre soeur,
Qui pour les réchauffer au feu de sa tendresse
Prend mes pieds dans ses mains, les applique à son coeur,
Et m'imbibe la chair de sa suave haleine,
Et me donne, en pleurant, de doux baisers au front,
Et demande vingt fois, d'une voix incertaine:
Mais Charles, mon ami, mon frère, qu'as-tu donc?
Encor ce rire!... Il m'épouvante!
C'est le cri du chacal qui mord
Le pauvre Arabe dans sa tente:
Peut-être.... est-ce un signal de mort!
O! si, dans cet instant, quelque Puissant du monde
Abaissait les regards vers le séjour d'effroi
Où naît, se développe et meurt ce drame immonde
Qu'il contemple de loin par les yeux de la Loi,
Réduit, sur une toile à fantasmagorie,
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Au combat simulé de figures sans corps
Qui n'épouvantent nul par des cris d'agonie
Et qu'un signe disperse en de muets transports:
Écoutons!... le rire s'efface:
Mais n'entends-je pas le bruit sourd
D'un pied crépitant sur la glace?
Médoc!... prends garde à ce pas lourd!
Il sentirait le sang se figer dans ses veines,
Et sur son morne front ses cheveux se dresser,
Et dans son coeur ému s'évanouir ses haines,
Et, transporté d'amour, il viendrait m'embrasser,
Me demander pardon de son luxe farouche,
Et d'un drap d'hôpital écartant le lambeau,
Et s'agenouillant, humble, au chevet de ma couche,
Il étendrait sur moi son plus riche manteau!
Au secours! - Silence! - O le traître!
Cesse... - Tu m'as insulté! - Quoi!
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Quand j'ai faim, que... - Je suis ton maître!
- Tu veux donc... - Travaille et tais-toi!Ga naar eind(7).
Est-ce un rêve?... un accès de fièvre délirante?
Oh, non non? c'était bien un martinet de fer!
La trace en brûle, là, sur ma chair transpirante,
Vrai timbre rouge de l'enfer!
O! Riche dont la vie est liée à la mienne,
Toi, de mon souffle né, toi par mes mains nourri,
As-tu donc abjuré toute vertu chrétienne,
Dis-moi, pour me traiter ainsi?
Non, quand aux jeux du Cirque, un misérable esclave
Escaladait la loge où l'homme à laticlave
Siégeait dans les grands jours,
On ne le vit jamais, avec tant de furie,
Repousser par l'Édile au fond de la tuerie
Où l'attendaient les ours!
Et moi qui me flattais d'amener l'Opulence
A présenter le sein, à rendre la santé
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A tant d'hommes souffrans que dévore en silence
La lèpre de l'Hérédité;
Moi qui croyais répandre au fond de leur repaire
Les consolations d'un avenir plus doux,
Je ne puis, à tes pieds, secouer, ô mon père,
Que des rires et que des coups!
Le voilà donc connu cet homme
Qui se prétend si généreux,
Que jamais le Malheur ne somme
D'écouter ses cris douloureux,
Sans que son oreille soumise
Ne les recueille, et que sa voix
Ne les renforce et les redise
A l'écho du trône des Rois!
O malédiction! travaille, souffle, sue,
Du moulin féodal que la meule te tue,
Ou broie à tes regards les os de tes enfans,
Ou se brise en éclats, et de ses coups de pierre
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Déracine du sol ta tremblante chaumière,
Étouffe le cri de tes flancs!
Du sein du monde et de ses fêtes,
Qui donc élèvera la voix
Pour défendre et sauver nos têtes
Dans la banqueroute des lois,
Et nous conduire par l'orage
Qui dépeuple nos toits lépreux,
A la conquête d'un rivage
Semé d'abris plus généreux?
La Tribune est debout encore
Sur ses fondemens récrépis,
Et conserve un écho sonore
Riche! pour tes fantasques cris;
Mais le cri que le Pauvre jette
Meurt, sans écho, dans ses flancs sourds,
Et trouve son seul interprète
Dans le pavé des carrefours.
Parmi les champions du dogme politique
Qui consacre la lutte et l'érige en devoir,
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C'est à qui flétrira le front de la Belgique,
A qui déchirera le manteau du Pouvoir,
Enfoncera l'épine au pied d'un adversaire,
Déflorera la loi dont il n'est pas l'auteur,
Et fera déborder de l'égoût populaire
Toutes les passions du tribun détracteur.
Et parmi les soutiens d'un Pouvoir en enfance
Qui ne sait d'un pied ferme écraser les abus,
C'est à qui nourrira sa crédule ignorance,
A qui l'exploitera jusques dans ses vertus,
Écartera de lui le flambeau tutélaire
Qu'alluma, dans nos mains, la Révolution,
Et lui fera fermer l'oreille doctrinaire
Au sifflement aigu des balles de Lyon.
Devant la barre de ces hommes,
Maître, ne nous renvois donc pas,
Ils ignorent ce que nous sommes,
Ils n'ont jamais vu nos grabats;
Toujours préoccupés d'eux-mêmes,
Prompts à réprimer nos efforts,
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Ils nous frappent de leurs blasphèmes,
Et puis s'en vont.... nous croyant morts.
Allez!... Vos Morts sont pleins de vie,
Et quoique refoulés par vous
Au sein d'une atmosphère impie
Qui nous ronge et déforme tous,
Sous nos tissus de chair immonde
Brûle et circule assez de feu
Pour rajeunir votre vieux monde
Qui tombe en lambeaux sous son Dieu!
Et ce Dieu, c'est Satan. C'est lui dont la colère
A présidé toujours aux destins de l'État;
Mais son règne est fini, mais la voix de la Terre
Appelle Saint-Simon au grand pontificat,
Saint-Simon qui vécut dans une nuit d'orages,
Et mourut isolé, par son siècle abattu,
Pour renaître au grand jour, sous un ciel sans nuages
Dans huit cents jeunes-gens tous pleins de sa vertu
Triomphe! enfin le poids de nos terrestres chaines
Va tomber sous la main qui doit les morceler,
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Et les cris de notre ame, et le sang de nos veines
Pourront librement circuler;
Et le palais des grands, et nos demeures sombres
Tout va s'illuminer de la nouvelle Foi,
Et, devant ses rayons, disparaîtront les ombres
Où nous plongea l'antique Loi.
Suave et riante pensée
Plane sur mes humbles travaux,
Réchauffe ma couche glacée,
Parfume mes pâles lambeaux,
Relève ma tête flétrie,
Attache mon oeil sur le ciel,
Et dans mon ame trop aigrie
Change le vitriol en miel!
Silence!... une voiture, à la course rapide,
Descend, avec fracas, du faubourg. Écoutons!
Elle approche: quel trot! Mon plancher peu solide
Frémit et s'en émeut. Serait-ce? Oui, sur ses gonds,
La porte roule et s'ouvre, et la torche rayonne
Du haut du vieux perron, aux plus lointains trottoirs,
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Et de la grande cour le pavé tremble et sonne
Sous le piaffement de quatre chevaux noirs.
C'est mon maître! Il revient, haletant, d'une orgie,
D'une orgie à grands feux, à vastes coups de dent,
Qui dévore, en une heure, onze mois de la vie
De chaque prolétaire, et lui casse, en hurlant,
Les bras, et, sous des fleurs, creuse un gouffre insondable
Où viennent, tôt ou tard, à grand bruit, s'engloutir
Coupes d'or, plats d'argent, lustres, buffet et table
Et le Riche, et le Pauvre, et tout leur avenir.
Il revient! tête nue et la veste fouillée,
Un feu morne dans l'oeil où couve l'impudeur,
Des blasphèmes sans nom sur la lèvre souillée,
Le corps ployé, puant, hideux à faire peur,
Si hideux qu'il doit même épouvanter sa femme
Quand, en se réveillant, elle voit se dresser
Au dessus de son sein, cette tête de flamme,
Et ce bras lourd et mort qui veut la caresser.
Il revient! Le voilà. De son regard oblique
Il chasse ses valets. Il avance à tâtons.
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J'entends, sur l'escalier, son rire diabolique:
Vite! sous mon chevet enfonçons ces crayons,
Vite! Éteignons la lampe et cachons sa présence;
Et toi, Médoc, fais trève à tes grondemens sourds,
Et puisqu'il faut nous taire et souffrir en silence,
Nous nous tairons, mon chien,.... mais non pas pour
toujours.
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