Chants de réveil (onder ps. Charles Donald)
(1832)–Theodoor Weustenraad–
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Chant troisième.Gloire à toi, Saint-Simon, seul vrai dieu de ta race!
Quand je trouvai ton pied empreint dans mes sillons,
Quand ton souffle de feu passa devant ma face,
Je sentis de plaisir frissonner mes haillons,
Et les signes des tems sur ma tête éclatèrent,
Et je me dis alors: jeune homme, lève-toi!
Lève-toi du fumier où les grands t'enchaînèrent
Au poteau de l'ancienne Loi.
Mais mon corps était faible et tout couvert de plaies,
Et mes os décharnés craquaient au moindre vent,
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Et les corbeaux hideux et les mornes orfraies
Me menaçaient déjà de leur bec insolent.
Il fallait à mes pas un appui tutélaire,
J'étendis vers un Grand ma suppliante main;
Mais il me laissa seul étendu sur la terre,
Et passa son chemin.
Ce Grand est aujourd'hui de retour au village;
Il vient pour racheter un de ses jeunes fils
Appelé par la voix d'un sombre Aréopage
Sous les drapeaux de son pays.
Parcourant d'un regard tout ce corps qui chancèle,
Il s'en plaint à mon père et regrette tout haut
Que le pain noir et sec qui gît dans mon écuelle
Ne m'ait pas nourri.... comme il faut!
L'infâme!.... O si j'étais bon pour la boucherie,
Gomme il s'empresserait de délier mes bras,
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De caresser ma soeur et ma mère chérie,
Et de semer l'or sous mes pas!
Ainsi se vendent donc les hommes
Sur le grand marché du Hasard!
Répandez l'or à larges sommes,
Et le sang vient de toute part!
Et pourquoi tous ces soins, vrais jeux d'un boucher ivre
Qui conduit, en sifflant, par de riches guérets,
Et flatte de la main la génisse qu'il livre
Au lourd marteau de ses valets!
Viens, réponds-moi, Grand de la ville!
Explique ces soins généreux;
Dépose un secret inutile:
Viens, réponds sans baisser les yeux!
Pour que j'allasse, moi, moi pauvre Prolétaire,
Défendre, n'est-ce pas? tes superbes châteaux,
Agrandir d'un arpent tes cent bonniers de terre,
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Ajouter une tête à tes vastes troupeaux,
Multiplier les mets sur ta splendide table,
Élargir les caveaux de tes joyeux celliers,
Et creuser un canal dans un désert de sable
Pour l'écoulement seul de l'or de tes fermiers.
Pour que j'allasse, moi, sous les cendres des villes,
Ramasser, pour tes fils, des dignités serviles,
Des bijoux pour ta femme et des dots pour tes filles
A tenter un amant royal,
Et, pour tes favoris, de riches sinécures,
Et de brillans galons pour tes serfs à dorures,
Et, pour tes six chevaux, de nouvelles parures
D'un luxe tout oriental.
Pour que j'allasse, moi, châtier l'insolence
D'un Despotisme altier qui brisa ton blason,
Reconquérir tes droits suspendus à sa lance,
Tout criblés de boulets et de coups d'épéron;
Arracher, l'arme au bras, de sa tente ennemie,
La noble Liberté, qui veille à tes trésors,
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Et lui construire un temple au sein de ta patrie,
Avec les ossemens de tous mes frères morts.
C'est pour cela que ta Malice
Répandrait de l'or sous mes pas,
Et verserait dans mon calice
Un miel plus doux que l'hypocras!
Et moi, que gagnerais-je, au retour des batailles
Où j'aurais prodigué le plus pur de mon sang,
Et fait à ton orgueil un lit de funérailles,
Et conquis un illustre rang?
Quelques miettes de droits et de gloire stérile
Qui tomberaient des plis de ta Charte fragile
Sous mon pied ignorant qui les écraserait;
Quelques éclats grossiers de liberté factice,
Bons pour gêner mes pas égarés dans la lice
Où le sombre Malheur me poursuit de son fouet!
Va, garde-les pour toi, ces dons que tu me vantes
Je ne me nourris point de paroles savantes;
C'est du pain qu'il me faut,
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Un abri moins infect où reposer ma tête,
Un foyer mieux nourri pour braver la tempête,
Un vêtement plus chaud;
La Liberté pour moi, les droits que je réclame,
C'est de pouvoir, un jour, me choisir une femme,
Élever des enfans
Qui ne traîneront point le boulet de leur père,
Et sauront garantir des dents de la misère
Et leurs bras et leurs flancs!
Ce grand jour ne luit pas encore,
Mais déjà mon front se colore
Des premiers feux de son aurore,
Doux comme un souffle du Printems,
Tandis qu'une nuit plus profonde,
Pleine de l'orage qui gronde
Aux confins d'un gothique Monde,
S'abaisse sur les yeux des Grands!
Par la lucarne de ma geole,
J'entends, le soir, une parole
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Qui me caresse et me console
Monter doucement vers mon coeur,
Tandis qu'une voix menaçante
Hurle sous la porte géante
De la salle resplendissante
Où danse et rit mon oppresseur!
Comprime donc, ô Grand, ces transports d'allégresse!
Ne prolonge pas trop les ébats du festin,
De peur que le remord, de sa voix de tigresse,
Ne t'éveille demain!
Tes beaux jours sont passés. En vain ton pied m'arrête
A la porte du temple où gît mon Avenir;
Va! j'y pénétrerai, marchant fier à la tête
De tes noirs Parias, tout las de te servir.
Gloire à toi, Saint-Simon, seul vrai dieu de ta race!
Quand je trouvai ton pied empreint dans mes sillons,
Quand ton souffle de fèu passa devant ma face,
Je sentis, de plaisir, frissonner mes haillons,
Et les Signes des tems sur ma tête éclatèrent,
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Et je me dis alors: jeune homme, lève-toi!
Lève-toi du fumier où les Grands t'enchaînèrent
Au poteau de l'ancienne Loi!
Mais des Grands rassemblés entendirent ma plainte,
Et l'un d'eux s'écria: ce misérable est fou;
Valet! approche-toi, viens, saisis-le sans crainte,
Jette-le dans un trou!
Mais il se fit alors un grand bruit dans le monde;
Deux Rois étaient tombés de leur ciel souverain,
Et dans l'ébranlement de leur chute profonde
Ils faillirent briser l'axe du genre humain.Ga naar eind(5)
Les Grands, dans leur effroi, détournèrent la tête,
Et stupéfaits du choc de la double comète
Coururent se cacher au fond de leurs châteaux;
Et quand le pied vengeur du géant populaire
Eut, en les écrasant, éteint dans la poussière
Les débris enflammés de ces astres jumeaux,
Les Grands revinrent, fiers, et de la cendre rouge
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Que l'énorme scorie entassait autour d'eux,
Au Peuple triomphant qui rentrait dans son bouge
Jetèrent plein les yeux;
Et des rameaux coupés à l'arbre salutaire
Qui devait, de ses sucs, féconder nos vallons,
Les Libry, dont leur or engraisse la misère,
Firent de lourds bâtons;
Comme s'ils projetaient, dans leur sombre folie,
De nous ramener tous sous le joug d'un Passé
Que nous, peuple loyal, au péril de la vie,
Nous crûmes avoir terrassé!
O Grand dont l'orgueil nous repousse,
Dont le char d'or nous éclabousse,
Ne sois donc pas surpris
De voir, des bornes du rivage,
Luire autour de ton équipage,
Des yeux fauves et gris!
O Grand dont la vie est maudite,
Dont la main se ferma si vite,
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Ne sois donc pas surpris
De voir le fer des baïonnettes,
De tes salles les plus secrètes
Soulever le tapis!
Où sont, dis, les bienfaits promis à la Victoire,
Dans ces jours de terreur où, par les carrefours,
Ruisselait à grands flots un sang expiatoire
Sous les ongles sacrés du vieux Chat-pard des cours,
A cette heure brûlante où, retiré dans l'herbe
Qui croît, fangeuse et noire, au pied de ton château,
Tu préparais déjà, Boa lâche et superbe,
Ta tricolore peau?
Mon grabat est-il moins humide?
Mon foyer est-il mieux garni?
Ma cave en-est-elle moins vide?
Mon grenier est-il mieux fourni?
Tu les oublias donc ces discours si magiques
Dont tu berçais alors mes frères en courroux,
Où tu leur dépeignais, en couleurs magnifiques,
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L'Avenir qui devait éclater sous leurs coups;
Je l'avais bien prédit en contemplant ton rôle!
Mais moi qui n'en ai point perdu le souvenir,
Je viens te rappeler ta première parole
Et te sommer de la tenir!
Regarde ces haillons; ce sont toujours les mêmes;
Les rides de ces traits toujours hâves et blêmes,
Cet oeil fou de douleur, ces sordides cheveux,
Ces lèvres où la faim imprima ses souillures,
Ces bras nùs que le Fisc couvrit de ses morsures,
Et ce sein noir et creux.
Qu'en dis-tu, Grand, toi qui te flattes
D'être mon Père Nourricier,
Et de remplir mes mains ingrates
Des fruits de ton plus beau Palmier,
Ces mains qui jonchèrent les dalles
Où siége ton Iniquité,
Des diamans et des opales
Pris au front du Roi rejeté?
Ne sens-tu pas, au fond de la poitrine,
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Ta conscience en feu se tordre sous l'arrêt
Que trace, chaque nuit, une main clandestine
Au mur de ton chevet?
Grand! cet arrêt d'un Dieu surgi pour nous défendre
Qui ne te permet plus de vivre de nos pleurs,
Qui, de ton nid d'oisif, te condamne à descendre
Parmi les travailleurs,
Pour expier l'abus des droits de la Conquête,
Entrer dans l'Ordre saint de la Capacité,
Et détourner les maux qui grondent sur la tête
De toute la Cité;
Tu le verras bientôt luire au front de la Terre,
Au nom d'un Peuple élu se transformer en loi,
Se faire homme, s'asseoir entre le Sanctuaire
Et le Trône du Roi;
Grandir au-dessus d'eux et dominer le monde
Comme l'oeil tout-puissant de la Divinité,
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Dont le rayon éclaire et le regard féconde
Tout le globe habité!
Gloire à toi, Saint-Simon, seul vrai dieu de ta race!
Quand je trouvai ton pied empreint dans mes sillons,
Quand ton souffle de feu passa devant ma face,
Je sentis, de plaisir, frissonner mes haillons,
Et les signes des tems sur ma tête éclatèrent,
Et je me dis alors: jeune homme, lève-toi,
Lève-toi du fumier où les Grands t'enchaînèrent
Au poteau de l'ancienne Loi!
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