Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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à boiseries de chêne. On voit contre l'angle de la table, couverte d'un tapis turc de vives et diverses couleurs, qui repousse et ravive les tons sombres des figures. Cette table coupe les trois figures assises derrière; la quatrième est assise dans un fauteuil au coin gauche. Derrière elle le cinquième personnage se lève. Tous ils portent un simple habit noir, de grands chapeaux noirs, des collets plats. Derrière eux se tient le valet, tête nue. Le plus âgé assis au milieu, a devant lui un gros livre ouvert et du dos de la main frappe la page, comme en appuyant ses paroles par son contenu. Ils regardent tous vers le spectateur, qui se trouve ainsi admis en leur présence et comme interpellé par les cinq magistrats. Ce qu'il y a d'abord de superbe dans cette peinture, c'est l'expression, la vie des personnages; c'est en second lieu la puissance du rendu. Le ton est élevé à une vigueur extraordinaire. Ce n'est pas une force claire et brillante, mais sonore et mâle. La lumière baigne assez également le tableau et il n'y a pas un jeu de soleil comme dans la sortie des arquebusiers. Quoiqu'elle soit fort montée, la couleur est si naturelle, que ce n'est qu'en la comparant à la réalité qu'on aperçoit sa vigueur. C'est un tout autre système coloriste et une tout autre touche que dans les oeuvres de 1656, le Six, le St.-Jean, le Jacob. Les têtes par exemple, sont fortement modelées et comme pétries dans la pâte. Une atmosphère chaude et dorée s'étend sur toute la toile. Voilà ce me semble ce que cherchait le peintre en ces dernières années; mais les peintures que nous voyons au Louvre, le St. Mathieu et le portrait du peintre ne le réalisaient pas encore. C'est dans les Syndics seulement que le pinceau, tout en conservant la largeur de ce grand style, conserve la transparence et la précision. Comme | |
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rendu d'une figure, on dirait qu'on ne pouvait aller plus loin. Ce Saint Mathieu, que je viens de nommer, signé 1661, n'a pas la touche aussi ferme et aussi arrêtée que les Syndics. L'évangeliste, qui a une belle tête pensive, y est représenté, méditant devant son livre et écoutant l'inspiration que l'ange lui souffle à l'oreille. La peinture est dans le ton brun rouge du portrait de 1660 au Louvre. Une circoncision, un Christ en Ecce Homo, un portrait connu sous le nom de Jansenius, une étude, l'homme au couteau, furent encore exécutées par le maître en cette année. La femme à la flèche, une magnifique eau-forte, rappelle un peu les femmes de 1658 et 59. C'est une femme nue, vue de dos et assise sur un lit; de la main droite elle tient une flèche. Sur le devant du lit est placé son linge, une manche de la chemise pend jusqu'à terre. On voit dans l'ombre du fond une tête. Cette planche excelle par le clair-obscur, le beau ton velouté. Il est fait à hachures grossières comme l'Antiope de 1659, et la pointe y dessine comme si c'était de la pierre noire. C'est avec le grand Coppenol la dernière pièce de l'oeuvre gravé. Ce portrait de Coppenol le représente âgé, la tête garnie de cheveux blancs très ras est couverte d'une calotte; elle est tournée vers le spectateur. Coppenol tient un papier des deux mains et une plume est entre ses doigts. La tête est finement modelée à la pointe sèche. Ce grand portrait de Coppenol démontre que les relations amicales entre le peintre et le ‘phénix de toutes les plumes’ ne se sont pas refroidies. Nous les retrouvons encore tous les deux dans ces dernières années dans un album remarquableGa naar voetnoot1, d'un homme qu'on n'avait pas encore rencontré dans la vie de Rembrandt. Je veux parler de Jacobus Heyblocq, | |
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paedagogne et poète & Amsterdam, familier aux savants et aux hommes de lettres de son pays, qu'on retrouve dans cet album, tels que Triglandus, Voetius, Heinsius, Junius, Vossius, Vondel, Cats, de Decker, Huygens etc.Ga naar voetnoot1 En 1658, Coppenol lui traçait dans ce recueil en superbe calligraphie deux pièces de poèsieGa naar voetnoot2. De ceux des artistes qui nous intéressent ici particulièrement, nous rencontrons dans cet album: Flinck avec un portrait de 1656, Eeckhout, Cappelle et Rembrandt. Eeckbout lui dessina une feuille avec une composition d'Argus dormant et Mercure; dessin peu remarquable; mais il y ajouta quelques vers de sa mainGa naar voetnoot3. Jan van de Cappelle lui des- | |
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sina en 1654 une plage gelée avec des joueurs de kolf, joli croquis à l'encre de Chine, an peu dans le genre de van der Neer. Eeckhout y ajouta encore des vers, qui offrent quelque intérêt. En voici le titre et le sens:
Sur la peinture de Joannes van der Cappelle, apprise par lui-même et par sa seule ambition.
Quoique dans le coeur de cette chapelle
On n'ait pas entendu les préceptes de Rome,
L'art du fameux Apelles
Paraît s'élever en luiGa naar voetnoot1.
Cappelle, ayant développé lui-même sont talent, tut donc aussi familier au cercle des amis de Rembrandt. Une des plus remarquables illustrations de cet album est un dessin de Rembrandt. Ce précieux croquis, signé au bas de la marge Rembrant f 1661, représente encore une fois Simeon, à barbe blanche, tenant l'enfant dans ses bras; à gauche est Marie regardant son enfant avec tendresse, les mains jointes et levées, et Joseph. Le dessin, d'un grand sentiment, est largement touché avec quelques traits et frotté d'un peu de brun et de blancGa naar voetnoot2. Le musée | |
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Fodor possède un joli croquis à la plume par Rembrandt, qui a beaucoup de ressemblance avec celui-ci. La série des peintures commence à s'éclaircir. Je n'ai trouvé aucune oeuvre qui puisse être rangée avec certitude dans les années 1662 et 1663. En 1664, l'oeuvre se poursuit par un tableau de Lucrèce plongeant un poignard dans son sein, dont Smith loue la couleur, l'effet, l'exécution magistrales. Il fit en cette même année le portrait d'un officier, assis près d'une colonne, un pistolet à la main. De 1666 on mentionne un Ecce Homo, qui se trouverait dans l'église du St. Esprit à Magdebourg, et une autre Lucrèce, tenant un poignard de la main droite; un portrait de femme à la National Gallery, un portrait d'homme à l'Ermitage. En 1667, une composition, Joseph allant à la rencontre de son père. Joseph vêtu d'un pourpoint jaune, coiffé d'une toque à plumes et ayant une épée au côté, s'avance vers son père agenouillé, vieillard à barbe blanche, avec un manteau rouge, bordé d'hermine. Le carosse du ministre du pharaon, lourd véhicule surmonté par un large parasol et attelé de deux chevaux blancs, est arrêté à distance. Enfin des guerriers, des pages, des femmes richement costumées. Selon M. Chaumelin, il est peint dans des tons dorés; les ombres ayant une légèreté et une transparence merveilleusesGa naar voetnoot1. Nous enregistrons encore cinq portraits dans cette année, parmi lesquels un du vieux maître, paraissant avoir soixante | |
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ans. C'est le portrait du palais Pitti et qui nous offre son image pour la dernière fois. Rembrandt est habillé d'une robe fourrée; une chaîne entoure la poitrine, un bonnet de velours couvre la tête. Le visage de face, est sillonné de plans et de rides, les chairs sont molles et pendantes. Il semble que Rembrandt a fait dans une des dernières années de sa vie le portrait du célèbre naturaliste Johannes Swammerdam. Stolker a fait un dessin, représentant ce savant, qu'il dit avoir copié d'après Rembrandt. Il représente le personnage assis devant une table avec des livres, une écritoire et une feuille de papier avec le nom de Rembrandt. Le peintre plaça Swammerdam au millieu des objets qui le caractérisent, car dans sa main est un papier sur lequel on lit: Hist, Naturalis Hemerobii Ephemeri. C'est le titre de son opuscule sur les éphémèresGa naar voetnoot1. Contre le mur de la chambre est appliquée une figuration du coeur humain avec les poumons etc. Ce fut le sujet de sa dissertation, écrite lors de sa promotion en 1667. On peut supposer que c'est vers ce temps que Swammerdam, qui avait trente ans alors, fut peint par Rembrandt. Mais l'original est-il bien de Rembrandt? Je pense que nous pouvons nous fier à Stolker, qui connaissait les oeuvres du maître, qu'il avait souvent reproduites. Swammerdam, qui jamais ne fut riche, n'aura pas commandé ce portrait au peintre. Il y a donc lieu de supposer que Rembrandt fit pour lui, ce qu'il avait fait pour plusieurs de ses amis, Coppenol, Krul, Decker, c'est-à-dire qu'il fit le portrait par amitié. Nous avons déjà remarqué que Rembrandt fut en relation avec tous les grands médecins d'Amsterdam. Il ne pouvait mieux faire que leur ajouter le grand naturaliste. |
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