Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
[pagina 266]
| |
XXVI.
| |
[pagina 267]
| |
George (Sint Joris Doelen). La grande salle était ornée de festons et d'emblèmes symbolisant la paix, la guerre, la musique, les attributs artistiques, peints par Cornelis Brizé, renommé pour ses sujets de nature morte et d'ornements. Des légendes en vers expliquaient ces trophées. Le Mécène qui présida à cette fête fut le seigneur Johan Huydecoper van Maerseveen, bourgmestre et chevalier de Saint Michel; le héros en était Joost van den Vondel. Lorsqu'on fut à table, Apollon se montra et prononça quelques vers élogieux en l'honneur de Vondel, qui, sur un siège élevé, occupait le haut bout de la table. Cela fait, le dieu lui posa sur la tête une couronne de lauriers. Puis, dans une pièce de poésie, il complimenta les convives et décréta les lois de la table: on était averti par ces lois, qu'on ne devait pas se griser, qu'il était permis de laisser reposer le verre, quand on avait porté, la tête découverte, trois santés; les chercheurs de querelle étaient priés de se retirer et tous exhortés à se comporter les uns envers les autres de bonne amitié. Alors vint Mercure, qui, en vers aussi, déclara que l'heure de la paix avait sonné; que l'art fleurirait et surpasserait celui de Rome. Le poète Asselijn prononça encore quelques vers en l'honneur de Vondel. A la suite de cette fête, on convint de fonder une nouvelle confrérie de peinture, dont la constitution fut célébrée le 21 octobre 1654 par des ‘peintres, statuaires et amis des arts’, dans la même salle du Doelen. Cette confrérie fut érigée par M. Kretser, Barth. van der Helst, Nicolaas de Helt Stockade et J. Meures. A cette occasion, il y eut des fêtes plus splendides encore. Entre autres, on donna une représentation arrangée par le poète Asselijn, dans laquelle Pallas, Apollon et Mercure, prenant les | |
[pagina 268]
| |
choses d'assez haut, c'est-à-dire du siège de Troie, exposèrent comment Neptune bâtit une ville sur l'IJ. Après une dissertation sur cette ville et ses splendeurs, ils en vinrent enfin à la fondation de la confrérie. Alors Pallas dit à Mercure: Allons Mercure, priez la déesse de l'art de montrer un Phénix dans la noble peinture, célèbre par son pinceau, et un autre dans la statuaire. Il paraît qu'il y eut alors des représentations de noms ou de figures. Voilà les plus grands, dit Mercure, et ainsi de suite. Malheureusement les noms de ces ‘plus grands’ ne se trouvent pas dans le récit. Certes, qui de nos jours retracerait ces deux fêtes de 1653 et 1654, ne manquerait pas d'y faire figurer en premier lieu Rembrandt van Rijn. Et cependant il est douteux qu'il y ait assisté. En tous cas, dans la description de ces fêtes par Asselijn son nom n'est pas prononcé. Du côté de la littérature tout était en règle; la place d'honneur fut occupée par Vondel, et de droit. Pendant une quarantaine d'années l'illustre et courageux poète tenait le premier rang parmi les hommes de lettres. Seul Hooft allait de pair avec lui. L'auteur de tant d'oeuvres superbes et qui, en cette même année, venait d'achever sa belle tragédie Lucifer, un des monuments de son génie, méritait la couronne offerte par Apollon. Mais assurément on voudrait voir dans une fête d'artistes, à côté de lui et partageant ces honneurs, le grand peintre, génie non moins fécond et créateur que Vondel, et à mon avis plus universel et plus original encore que ce dernier. Si Apollon a fait son devoir, Saint Luc a manqué au sien en n'offrant pas une couronne aussi à Rembrandt, comme au peintre sublime qui remplirait de sa gloire les siècles futurs de l'art hollandais et qui, dépassant les limites de son | |
[pagina 269]
| |
pays, prendrait place parmi les plus grands artistes du monde. Mais voilà ce que son temps n'a pas compris. J'ai dit qu'on ne saurait assurer si Rembrandt assista à ces fêtes ou non. J'avoue que tout me portait à penser qu'il n'y était pas, jusqu'à ce que j'eusse trouvé dans les poésies de Jan Vos une pièce intitulée: Combat mire la mort et la nature, ou triomphe de la peinture. Le poète y représente la peinture comme triomphant de la mort et finit son tableau avec une vision prophétique, - mais écrite, paraît-il, peu après ces fêtes - dans laquelle la nature prédit la gloire d'Amsterdam, où il ‘fourmillera de peintres et de poètes.’ ‘Là, sur l'avis de Kretser, dit-il, ils élèveront une confrérie ‘Pour vous honorer à la fête de Saint Luc; ‘Brizé y peindra des festons et des emblèmes; ‘Apollon s'y unira à Apelles. Puis: ‘Ici l'on voit Rembrandt, Flinck, de Wit, Stockade, Là van der Helst, les Koninck, Quellinus, Van Lo, Verhuist, Savry, van Zijl, Bronkhorst, Kalf et Bol, Et Graat et Blom,’ etc. S'en suit-il de ce passage curieux, que le poète, qui trace visiblement un tableau des fêtes que nous venons de décrire, a voulu parler de ceux qui étaient présents? Il se peut aussi que ces noms ne figurassent que sur des allégories peintes, qu'Asselijn avait arrangées et au sujet desquelles il fait dire à Pallas: ‘montre nous, Mercure, un Phénix dans la peinture’ etc. | |
[pagina 270]
| |
Quelle peinture doublement intéressante aurions-nous eue si le peintre de la sortie eût été invité à éterniser cette compagnie d'artistes et de poètes! Quel pendant superbe pour le repas de la compagnie de Witsen (de schuttersmaaltijd) de van der Helst! Au milieu de la table, dans un groupe vivement éclairé de cette lumière qui dore la belle Saske au festin de Samson, le vieux Vondel et Rembrandt, entourés de Huydecoper, de Tulp, de Six, de Witsen; plus près de Vondel que de Rembrandt, le gros van der Helst, au sourire débonnaire et sans souci d'idées ni de haute poésie, et Flinck trinquant avec van der Helst, qu'il admirait déjà plus que Rembrandt. Tout près de ce dernier, ses amis fidèles Roghman et Eeckhout et les Koninck, puis le vieux Dubbels, l'ancien de la confrérie, discourant avec ses successeurs en peinture de marine, Bakhuyzen et de Vlieger. A l'un des bouts, Asselijn, le peintre, avec son beau-frère Stockade, Berchem et Lingelbach parlant de leurs voyages et de Rome et du bizarre Bamboots, qui était revenu en 1637. D'un autre côté Jan Vos et de Decker s'extasiant sur le Lucifer et s'indignant contre les prédicateurs qui déclamaient après le théâtre et les pièces bibliques de Vondel. Là, pêle-mêle, Bol, Moyaert et Brizé; Quellinus, Symon Bosboom et van Campen discourant du nouvel hôtel de ville, la superbe création du génie de van Campen; Aart van der Neer avec Jan van Cappelle, le turbulant et caustique Emanuel de Wit avec les jeunes Maes, Dullaert, Willem van de Velde, discutant sur le choix entre Rembrandt et van Dijck, sur la manière ‘rôtie’ et la peinture ‘délicate et claire.’ Et tout cela allant et venant, assis et debout, trinquant et versant, écoutant, discourant, s'échauffant, jusqu'à ce que le vieux Vondel dise en badinant tout bas à Flinck: | |
[pagina 271]
| |
Govert! ik verschrik van kampen,
Vechten, drinken ....
Wilt ge blijven? ik ga schampen.Ga naar voetnoot1
Quel sujet que tous ces hommes de talent, et tant d'autres dont Amsterdam fourmillait à cette époque, et quel tableau, si le pinceau de Rembrandt nous l'eût tracé, comme il l'a fait pour les médecins, les arquebusiers et les syndics de la halle aux draps! |
|