Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XXV.
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paraît avoir été traduite aussi par Rembrandt. L'on voit qu'il s'occupait plus des maîtres italiens qu'on ne le pense. Au lieu de l'antagonisme contre les Italiens, que lui supposaient ses contemporains, tout prouve qu'il a fait une étude profonde de leurs oeuvres; que leur dessin même n'a pas été sans influence sur lui et qu'il a surtout admiré les grands coloristes, le Titien et Giorgione. Une figure de femme nue, de grandeur naturelle, est peinte en 1654 dans cette disposition d'esprit; c'est la Bethsabée de la collection de M. Lacaze à Paris. Elle est assise et vue de trois quarts, la tête penchée, presque de profil. Entièrement déshabillée, elle est occupée à sa toilette et vient de lire le message du roi David - une lettre cachetée en cire rouge. Pensive elle laisse un peu aller la tête et s'appuie de la main gauche sur son linge, déposé à côté d'elle sur un coussin rouge; l'autre main, qui tient la lettre, est tombée sur la cuisse. A sa droite, est une étoffe jaune de la couleur de la manche de l'homme du musée van der Hoop. En bas, essuyant le pied droit de la belle, on voit la tête et le buste d'une vieille, dans un costume et une pose qui rappellent la servante de la Belhsabée de la collection Steengracht. La tête, dont les cheveux bruns sont coiffés d'une chaîne en corail et de rubans rouges, est jolie et pleine de sentiment; le corps est plus beau de forme que les Susanne, le profil du visage plus régulier. Les couleurs rouges, jaunes, brunes dominent. A l'exception du côté bas de la jambe, qu'enveloppe une ombre grise, le corps ressort entièrement en lumière, contre les ombres du fond et entre le jaune, le rouge et le blanc des draperies, une lumière dorée, couleur d'ambre, particulière aux femmes du Titien et de Giorgione. La touche est large et empâtée, les ombres dans la tête fortement accusées de brun. C'est une oeuvre importante et d'une grande beauté. | |
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Le Louvre possède une étude de femme nue, lavée à l'encre brune, qui paraît la première pensée de ce tableau. Tout en étudiant le génie des autres, Rembrandt n'en restait pas moins lui-même. Sa superbe Baigneuse, à la National Gallery, rappelle les Susanne. C'est une femme ayant les pieds dans l'eau, couverte seulement dune chemise qu'elle retrousse; elle regarde à terre, la tête penchée. Hésite-t-elle à entrer dans l'eau, ou s'y mire-telle? Ses vêtements, pendant jusque dans l'eau, sont posés sur le rocher qui ferme l'horizon. La pâte et la touche superbes, la couleur chaude et puissante, les demiteintes, le modelé extraordinaire font le charme et la valeur de cette peinture, dont l'exécution donne plus de vraisemblance à la date de 1654 qu'à celle de 1644. C'est le ton d'ambre dans les chairs des portraits de cette période, entre 1650 et 1654, qui me fait parler ici du magnifique portrait de femme qui est au Louvre. Par cette couleur ambrée et dorée, qui reluit dans la chair et qui enveloppe tout le portrait, il se rapproche de la Bethsabêe de M. Lacaze. Au Louvre, où il pend à côté du beau Titien, la Lucretia Crivelli, on est frappé de la ressemblance dans le ton de la chair entre ces deux belles figures. Celle de Rembrandt ne le cède en cela ni au Titien, ni au Giorgione; la lumière, pleine de soleil, y est aussi intense que Rembrandt ne l'ait jamais faite. La femme est coiffée d'un petit bonnet de velours vert avec de minces rubans rouges, comme la Bethsabee de M. Lacaze; les cheveux, d'un brun ambré, tombent sur les épaules ainsi qu'un voile. Une mante fourrée, brun fauve, largement brossée, lui couvre le corps, mais laisse apercevoir la chemisette, dont les tons d'or se mêlent au ton de la gorge. Tout est dans cette gamme, ravivé seulement par les rouges | |
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délicats sur les lèvres, les joues, les coins des yeux. Les ombres du visage sont reflétées de lumière. Tout est largement brossé, mais cependant moelleux et plein de morbidesse. Ce portrait magnifique, la perle de ce que le Louvre possède de la main de Rembrandt, est une des merveilles du maître pour l'expression et pour le coloris. Parmi les portraits peints durant cette année, un autre de la plus grande beauté, mais d'un faire plus strapassé est le vieux rabbin, au musée de Dresde. Le vénérable personnage est assis de face; la main peu visible, tient un bâton. C'est d'une puissance de couleur inconcevable, d'une exécution audacieuse, presque sauvage. On dirait les couleurs de la palette mélangées et posées au moyen de quelque brosse émoussée. Une large simarre bordée de velours noir et de fourrure, entoure le corps, mais laisse apercevoir une ceinture splendide en pierreries sur la poitrine. Les manches; rudement sabrées, sont foncées avec des reflets dorés. Son grand bonnet plat en velours noir est couvert d'or et de pierres fines. Et le visage! En harmonie avec les couleurs carminées et dorées du costume, la tête et la barbe blanche sont d'une magie de couleur incomparable. Le visage, entouré de longs cheveux blancs, est magistralement brossé avec du carmin, et du jaune pour la lumière; les clairs posés en pleine pâte; la grande barbe blanche est peinte avec du jaune et du vert. C'est d'un effet qui écrase tout le voisinage. Mais malgré cette fougue extraordinaire, gardons-nous de penser que c'est une peinture décorative et grossière; au contraire, elle est très travaillée et fouillée, le ton mûr et profond, et la largeur du faire n'exclut pas la finesse du sentiment. Un très beau portrait d'un vieillard, dans la même salle du musée de Dresde, rappelle un peu, comme portrait, celui que nous venons de décrire, mais n'y peut cependant être | |
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mesuré. Le musée de Brunswick possède un portrait de guerrier, que j'aime à rapprocher du premier rabbin. Ce guerrier est peint dans la même gamme de carmin, assez originale. Il est debout et porte un hausse-col peint de bistre et de jaune, une écharpe, couleur de carmin, un grand casque à visière prolongée, à plume rouge et surmonté d'un dragon pour cimier. Il regarde un peu de travers et cause une impression analogue à celle du chevalier de la mort de Dürer. Le coloris est d'un rouge carminé violent; l'exécution puissante et mystérieuse. C'est probablement vers cette époque que Rembrandt dessina le joli portrait dans lequel on croit reconnaître Titus. Le garçon, qui paraît avoir une douzaine d'années, regarde avec un léger sourire par la porte dont le battement supérieur est ouvert et s'appuie des deux bras sur l'autre. Ce charmant dessin à la plume, à la sanguine et lavé d'encre brune, est connu par le beau fac-similé de Ploos van Amstel. L'eau-forte a suivi chez Rembrandt la marche de la peinture. Plus son pinceau fouille la toile, plus sa pointe devient grasse et coloriste. Il mène la pointe parfois comme la pierre noire; les tailles sont alors plus nourries; dans plusieurs pièces de cette période, des hachures courtes, parallèles, non croisées, forment les demi-teintes. Cette manière se remarque dans la petite Tombe, la descente de croix aux flambeaux, la mise au tombeau de 1654, Jésus disputant avec les docteurs, David priant etc. La petite Tombe, ou, pour mieux dire, la petite estampe de la Tombe, est le nom de la belle gravure Jésus prêchant. Pieter de la Tombe était courtier en objets d'arts. En relation avec Rembrandt, il possédait en commun avec lui un grand tableau de Giorgione, la Samaritaine, et un homme riche de Palma Vecchio. Ce courtier avait son | |
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magasin sur le Vijgendam, à l'emblême-enseigne de la bible françaiseGa naar voetnoot1. De la Tombe paraît avoir possédé le cuivre ou le droit d'éditer Testampe qui depuis a porté son nom. Dans cette composition, les figures ressortent presque toutes en lumière, sur le fond noir velouté du réduit où se trouvent le prédicateur et son auditoire, composé des mêmes personnages qu'on rencontre dans la pièce de cents florins. Par une porte au fond on voit des maisons vivement éclairées. Le fond est très travaillé; les figures, largement éclairées, présentent en divers endroits ces ombres à simples traits parallèles, particuliers à cette période. Cette estampe, charmante par l'effet pittoresque, par la composition et l'expression des physionomies, est une de celles qui ont été le plus recherchées par les amateurs, même du vivant de Rembrandt. Le style et la gravure la font ranger entre 1650 et 1654. Un joli paysage, le bouquet de bois, portant la date 1652, est remarquable par la gravure à la pointe sèche. C'est en 1653 que nous trouvons encore un joli paysage, celui à la vieille tour carrée. Une douzaine d'eaux-fortes de 1654 nous font admirer de nouveau ce génie créateur. Voici un Saint Jérôme, plusieurs sujets du nouveau testament: une Sainte famille où Marie pose le pied sur un petit serpent, Jésus disputant avec les docteurs, très belle composition, Jésus ramené du temple, avec le délicieux paysage au fond, une fuite en Égypte, avec le passage de l'eau, qui rappelle Elsheimer; la fuite en Égypte dans le paysage de Hercules Seghers. Dans plusieurs de ces pièces le travail est sobre, large avec de grands plans de lumière et d'ombre. Dans d'autres, règne un effet vigoureux, comme dans la mise au tombeau, qu'il | |
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faudra ranger ici; dans la descente de croix aux flambeaux, composition pleine de poésie et de grandeur. Enfin, pour délassement de tous ces sujets plus élevés, un sujet populaire, les joueurs au kolf. Des portraits de Titus et du peintre lui-même, offrent aussi le style de cette époque. |
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