Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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ombres sont plus vastes et c'est alors que le peintre graveur invente graduellement tous ces procédés qu'on a dits secrets, mais qui ne sont qu'artistiques. Alors il y associe le travail à la pointe sèche; ce travail si original de Rembrandt dont la combinaison a été inventée par lui ou du moins portée par lui à la perfection qu'on y admire. Il y emplole ces artifices obtenus au moyen des bords rabotteux laissés aux tailles (barbes), sa maniere d'imprimer et de couvrir certaines parties de la planche avec l'encre, son art de reprendre les planches commencées et essayées. La variété des effets augmente avec celle des procédés; les uns et les autres se créent mutuellement. Peu à peu il essale aussi de grandes planches. Dans l'ecce homo de 1636 et la descente de croix de 1633 il est visible que le graveur ne dispose pas encore, pour couvrir les grands espaces, des procédés postérieurs. Dans l'annonciation aux bergers de 1634 le travail à la pointe sèche supplée déjà admirablemeut aux tons du lavis. Le Six de 1647, le Rembrandl à sa fenélre de 1648, le docleur Faustus, qu'il faut ranger en vertu de ces considérations entre 1647 et 50, inaugurent une nouvelle manière. Là la pointe sèche, s'assocle aux parties exécutées à l'eau-forte; couvrant en mille directions le cuivre nu de ses tailles croisées et densès, elle forme ce ton particulier à ces oeuvres, ces ombres ou assourdies ou d'un noir velouté, qui font un si admirable effet. Le peintre alors avait trouvé son moyen de couvrir de grandes masses ombrées avec des teintes nourries et comme lavées. La taille disparaît sous la teinte générale et n'a pas de valeur personnelle, pour ainsi dire, mais elle ne fait que servir à l' ensemble. Le sentiment domine les moyens. Il est évident, si l'on a remarqué cette marche, que c'est ici que s'offre comme d'elle même une place à la | |
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pièce de cent florins. Elle constitue l'expression la plus complète et la plus splendide de la gravure du Six, du Rembrandt à la fenêtre, du Rembrandt dessinant le modèle de femme, du Faustus. Après ce temps, en 1652 (le David), surtout en 1655 (les trois croix), la gravure prend d'autres allures, plus âpres, plus hardies. Elle va chercher des régions nouvelles. La pièce de cent florins, qui a pour sujet Jésus guérissant les malades, se range donc naturellement vers 1650. ‘De grandes troupes s'assemblaient pour entendre Jésus et pour être guéries par lui de leurs maladies.’ Voilà le thème de cette planche sublime. Au retrait d'un rocher près de quelque vieil édifice, Jésus appuyé sur une espèce de piédestal ou de pilastre, parle au peuple assemblé autour de lui, faisant un geste de la main droite. Sur les ombres du fond se détache sa figure calme et sereine. A sa droite en lumière, sont les pharisiens, les prêtres, les incrédules, curieux et observateurs; à sa gauche, sortant de l'ombre, les malades, les possédés, les misérables de toute espèce. Superbe antithèse comme vérité morale et comme effet artistique, qui chez Rembrandt, notons-le bien, ne tombe point dans un plat symbolisme, mais qui est l'effet naturel, à moitié inconscient peut-être, d'un sentiment aussi délicat de l'art que de la vie. Quelques malades, ceux qui aimaient à toucher ses habits, se sont avancés tout près de Jésus; une femme lui présente son enfant sur lequel un vieillard pose la main; une femme malade (Rembrandt en fit un croquis, publié par M. Blanc), couchée par terre sur la paille, est assistée par deux autres, dont l'une implore Jésus, les mains jointes. Sur la droite, où, par une porte cintrée, le jour entre et inonde la scène, arrivent d'autres groupes de malades, l'un couché de travers sur une brouette, l'autre les yeux | |
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bandés, un troisième soutenu par une femme. D'autres encore, venus de loin et dont on voit le chameau et l'âne qui les ont portés. Le côté opposé, lumineux, est composé de plusieurs figures, la plupart dessinées au trait; un pharisien obèse dans sa robe à brandebourgs bordée d'hermine, tient les mains derrière le dos; il fait des réflexions fort pratiques; un peu plus haut, des Juifs discutent, un d'eux sourie finement; près de Jésus deux types fort remarquables, dont l'un est reconnu pour Socrate et dont le second, placé derrière, offre le type d'Érasme. Dans ce pêle-mêle, une femme tire par ses habits un garçon aux pieds duquel est un chien; détail vivant, tel que l'enfant qui joue du doigt dans le sable, dans la petite Tombe, et les enfants jouants dans la prédication de Saint Jean Baptiste etc., détails par lesquels Rembrandt se plaisait à rendre ses compositions si vivantes, si vraies, si humaines. Tout cela est senti, composé, dessiné, exécuté avec un rare génie. La gravure est d'abord à l'eau-forte, puis à la pointe sèche. Les fines demi-teintes de la robe de Jésus, d'un ton argentin, et les ombres nourries sont obtenues de cette dernière façon. La lumière et les ombres d'un velouté superbe sont disposées par de grandes masses; et les détails révèlent un monde d'expressions et de caractères. Avec sa grande finesse de tons et de traits, les belles épreuves de cette estampe devaient être rares. Zomer, artiste et collectionneur, s'estima heureux déjà vers 1660 à 65 d'en posséder un bel exemplaire du deuxième état et il le distingua en écrivant au revers: ‘Vereering van mijn spéciaele vriend Rembrand tegens de pest van m. anthony.’Ga naar voetnoot1 | |
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Il lui donna en échange cette estampe de la peste par Marc Antoine d'après Raphael. Lorsque Gersaint visita la Hollande dans la première moitié du 18e siècle, il y apprit par la tradition l'origine du nom de la pièce de cent florins: un marchand de Rome aurait cédé à Rembrandt quelques pièces de Marc Antoine dont il avait demandé 100 florinsGa naar voetnoot1. Probablement c'est de Zomer qu'il s'agissait, et du prix que celui-ci mettait à cette estampe du célèbre graveur italien. |
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