Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XX.
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titulé MuiderbergGa naar voetnoot1, est dédié au bourgmestre Hendrik Hooft; il chante les agréments de ce séjour et fait l'éloge du repos et de la simplicité. Le second, qui parut en 1648, est la tragédie de Médée. Six fit preuve dans ses relations d'un goût supérieur, car il prit en amitié Vondel et Rembrandt, le premier poète et le premier peintre de son pays. Sous le beau portrait de Vondel, que Lievens a gravé en 1647, il mit ces vers flatteurs: Voilà Vondel avec ses écrits;
Apollon qu'Apelles a saisi.Ga naar voetnoot2
Lorsque Six, après avoir perdu ses parents, épousa celle que sa mère lui avait souhaité pour femme, Vondel à son tour célébra cette fête par des vers élogieux pour son ami. Il va sans dire que le poète du 17e siècle ne s'abstenait pas de jouer sur les noms de la fiancée; qu'il approuve Six d'avoir ceuilli cette belle Tulipe (Tulp): ‘Que cherchez vous, ajoute-il, ô fiancé! des colliers de perles pour orner le cou blanc et la tête et les mains de votre future! Votre pêche aux perles est vaine; vous n'en trouverez pas de plus fine que votre Marguerite.’ Six et sa femme habitaient l'été la campagne Elsbroek. C'est de là qu'ils envoyèrent un jour (vers 1660) des fruits et du gibier à Vondel, qui repliqua par des vers gracieux, qui peignent un joli tableau de genre de l'intérieur de Six. ‘Là, dit-il, loin de la guerre, qui désole l'Europe, Six vit dans son élément, avec l'art et les livres; là il est heureux avec sa Màrguerite, qui l'égaie de son humeur | |
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enjouée et de son chant; il se délasse avec elle dans ses vergers, ses jardins, ses dunes, où le chant des oiseaux chasse les soucis.’ Quel contraste avec le sort terrible qui eût été réservé à cette femme, si elle avait consenti à une autre union! Le Pensionnaire Jan de Wit, cherchant en 1653 une femme riche et d'une famille qui pût lui assurer de l'influence à Amsterdam, choisit Marguerite Tulp. Il paraît qu'elle lui préférait Six. Lievens et Flinck aussi étaient bien accueillis chez Six. Le premier lui dessina en 1651 un portrait de femme dans son album et que Six accompagna de quelques vers; le second lui fit le portrait de sa Marguerite, que Vondel célébra de sa muse. Bol aussi fit un portrait de Marguerite. Une relation non moins intime s'établit avec Rembrandt. Où se sont-ils trouvés? Ce ne sera pas dans le cercle littéraire de Muiden, ni dans les salons du Tacite Hollandais. Ni Hooft, ni Vondel, ni les principaux littérateurs et savants de ce cercle n'ont fait aucun cas du grand peintre qu'ils n'ont pas compris. Six n'entra qu'en 1655 dans la famille de Tulp, et déjà en 1641 le peintre était en relations avec sa famille. Ce n'est donc pas là non plus qu'il l'a trouvé. J'ai nommé 1641. C'est la date du superbe portrait de la mère de Six. Dans sa pièce de poésie à l'occasion du mariage de Six, Vondel trace un aimable tableau de cette mère qui, veuve alors, était honorée et soignée par ses deux fils, ‘deux piliers soutenant sa vieillesse’, et qui avec une tendresse toute maternelle avait choisi la fiancée qu'elle souhaitait à son filsGa naar voetnoot1. Quelle aimable physionomie nous montre le portrait! La bonne femme, qui avait 57 ans, avec son visage frais et bien portant, vous regarde presque | |
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de face. Elle est assise dans son fauteuil; la main droite, dans la pénombre, repose sur le bras du fauteuil, la gauche est ramenée vers son sein. Son costume se compose d'une robe de soie noire rayée, bordée de fourrure brune. Sur le fond verdâtre et la grande collerette tuyautée s'enlève fermement la petite tête ronde, avec son bonnet blanc aux coins recourbés. Tout est caressé et fini avec soin, dans ce style, qui se rattache encore à celui de la leçon d'anatomie. Si les mains sont un peu rondes et molles, la tête est d'une vie et d'une expression supérieures. Le modelé des chairs, le relief, la vigueur et l'harmonie de l'ensemble sont d'une grande beauté. Vondel fit un quatrain sur ce portrait et ce ne fut pas un lieu commun de dire: ‘C'est ainsi qu'Anne semble vivante’Ga naar voetnoot1. C'est donc en 1641 et à l'occasion de ce portrait que Rembrandt rencontra le jeune Six. Mais pour moi, il existe une autre cause des relations intimes qui les lièrent peu après: ils étaient tous les deux ce qu'on nommait des curieux. Six était un érudit bouquiniste, un collectionneur d'objets d'art et de curiosité. Peu à peu se forma son cabinet de marbres antiques, de pierres gravées, d'objets rares, de dessins et d'estampes, de tableaux. Il avait des Italiens - Palma, Giorgione, le Titien, Sébastien del Piombo; on admirait chez lui Poussin, van Dijck, Breughel, Holbein; les vieux Hollandais: Scorel, Lucas van Leyden; les modernes: Lievens, le Paul et Barnabas à Lystres de Lastman, célébré par les vers de Vondel. De Rembrandt il avait Abraham recevant les anges, dé 1646, | |
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la prédication de Saint Jean Baptiste, de 1656, et le beau portrait de la femme du peintre. C'était donc un amateur, un riche collectionneur, et dans cette voie il devait rencontrer le plus fanatique collectionneur du pays, notre Rembrandt. En 1645 Rembrandt grava le pont de Six, probablement une vue près d'Elsbroek. On connaît à propos de cette pièce l'anecdote de la moutarde, qui me semble cependant assez apocrypheGa naar voetnoot1. Mais voici une oeuvre plus significative: le portrait de Six, de 1647. Rembrandt l'a représenté dans un cabinet, entouré des objets qu'il affectionnait: à la muraille, un tableau antique; sur une chaise, des livres; sur la table, une épée de forme curieuse. Il est debout contre la croisée ouverte, d'où vient le jour et lit dans un mince in-folio qu'il tient des deux mains. Quel beau portrait! Et si caractéristique! C'est une des plus belles eaux-fortes, travaillée avec complaisance, d'une pointe très fine. Couverte de beaux tons veloutés, la planche est éclairée par de délicates lumières qui donnent de la transparence aux ombres. La figure aussi est illuminée par le reflet des feuillets du livre qu'il tient. Tête fine, encadrée d'une masse de cheveux blonds, absorbée dans l'étude. Cette belle pièce est un prodige en son genre, et c'est bien un signe d'amitié qu'un portrait aussi soigné que Rembrandt lui offritGa naar voetnoot2. Peu après, en 1648, Six avait préparé pour la presse sa tragédie Médée, et il ne pouvait mieux lui assurer un | |
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intérêt impérissable qu'en y ajoutant une estampe de Rembrandt. Elle représente le mariage de Jason et de Créuse, agenouillés devant l'autel d'un temple à voûtes et à colonnes; sur la droite est la statue de Junon, tantôt coiffée d'un bonnet dans ces états si rares, recherchés déjà du vivant de Rembrandt par les collectionneurs, tantôt portant une couronne dans les états ordinaires. L'estampe est jolie sans être supérieure. Dans le temps qu'il fréquentait la campagne de Six, van Rijn dessina peut-être ces deux charmants paysages pris près de Hillegom, légers croquis à la plume et lavés d'un peu d'encre brune. C'est bien peu, mais c'est bien beau. Il lui fit en 1652 deux autres jolis croquis dans son album, nommé Pandora et dont Six aimait à faire couvrir les feuilles par ses amis artistes et littérateurs. Pour ne pas le séparer du cadre qui lui convient, nous remarquerons ici le superbe portrait peint de Six, bien que cette peinture nous conduise à une époque beaucoup plus avancée. Je pense que c'est sur ce portrait là que Vondel fit les vers suivants: Tel on nous peint Jean Six, dans la force de l'âge,
Amoureux des sciences, des arts, de la vertu,
Qui brille plus que plume ne saurait décrire.
Or la vertu demeure, et la couleur s'en va.
Ces vers portent pour titre: ‘Sur le très savant et très poli seigneur, maintenant commissaire, Joan Six.’ Cela nous fournit la date de ces vers, celle de 1656, époque à laquelle Six fut nommé commissaire des mariages. D'ailleurs le style et la couleur de la peinture nous conduisent infailliblement à cette même date. La toile est d'une gamme de couleur spéciale à cette époque et que | |
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nous retrouvons dans le Jacob bénissant les enfants de Joseph, dans la prédication de St. Jean Baptiste etc. Rembrandt a représenté son ami et son Mécène an moment de sortir. Il a un grand feutre sur ses cheveux blonds, un peu roux, qui encadrent la tête en grosses touffes; le visage, qui porte de petites moustaches, est pensif et préoccupé. Six met un grand gant chamois à sa main gauche, geste qui est exprimé avec une justesse surprenante, par quelques larges coups de brosse. Par dessus son pourpoint gris tendre, garni de boutons et de passementerie, il a jeté sur l'épaule gauche son manteau couleur vermillon, à collet et bordures d'or. Ces trois tons - gris, jaune, rouge assourdi - s'unissent dans une harmonie délicieuse et s'accordent avec la couleur du visage et des cheveux. Tableau surprenant par le geste, la vie, la pensée du personnage, par sa couleur si originale et si délicate, il excelle encore par la touche qui est d'une largeur, d'une maëstria étonnantes. Le pourpoint et le manteau sont largement brossés, les passements, les plis touchés par coups plats. Les mains sont d'une facture dont on ne trouve un exemple que chez Hals. Ces deux mains sont extraordinaires; voyons-les de près: le gant semble fait avec une brosse à badigeon, la main nue se compose de touches plates en pleine pâte de blanc, de jaune, de rouge, juxta-posées, la séparation des doigts indiquée par fortes touches de couleur brune; la chemise bouffante au poignet, un paquet de blanc; le bord de la manche grise empâtée de jaune, pour exprimer une broderie d'or. Reculez de deux pas et regardez: quel effet surprenant! La forme, le mouvement y entrent, et qui plus est, le ton devient si profond, si mûr, si riche et si fin! La rudesse apparente vous révèle une harmonie achevée. C'est le même ton distingué qu'on remarque dans le Jacob. La tête, dont le front est ombré, est par com- | |
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paraison un peu plus fondue, quoique d'une touche encore large. Elle est d'un modelé superbe, d'une puissance de rendu qu'on ne saurait surpasser. La date de ce tableau est fort remarquable. Elle prouve que les relations de Six et de Rembrandt ont duré même après le petit scandale de 1654 et le désastre de 1656. Au dix-septième et au dix-huitième siècle le culte de la peinture et des oeuvres de Rembrandt se transmit aux deux cousins de Jan Six, les deux fils de son frère Pieter, nommés Pieter et Willem, tous deux magistrats d'Amsterdam. Leurs cabinets contenaient, celui de Pieter, deux Rembrandt, celui de Willem pas moins de vingt-deux, et son oeuvre gravé en épreuves de première qualité. L'amour des arts et surtout le souvenir de Rembrandt van Rijn s'est perpétué dans cette famille, et aujourd'hui encore l'illustre galerie Six doit une partie de sa célébrité au grand peintre. |
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