Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XVIII.
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en briques et en pierres de taille, avec des arcs plats au-dessus des fenêtres. Un fronton triangulaire couronnait la façade. A l'aide de l'inventaire, qui en fut dressé, nous pouvons remeubler entièrement cette maison, qui existe encore. Montons les marches du perron. Nous arrivons d'abord dans le vestibule, qui au 17e siècle et dans les maisons bourgeoises avait aussi son mobilier. C'était un vestibule comme Pieter de Hooch en a peintGa naar voetnoot1. Près de la fenêtre, les dalles étaient couvertes en partie par un petit plancher en bois de sapin; à l'entour six chaises espagnoles, dont quatre garnies de coussins noirs. Vingtquatre tableaux couvraient les murs, indiquant dès l'abord le goût du propriétaire. Il y avait, avec quelques têtes en plâtre, quatré tableaux de Brouwer, quatre de Lievens, un petit paysage de Hercules Seghers, et quatorze de Rembrandt, parmi lesquels des natures mortes, des vanitas, quelques paysages et une de ces belles chasses au lion, que nous avons admirées dans les eaux-fortes, un St. Jérôme (peut être un de ses premiers tableaux, de 1630). Le visiteur admis dans l'antichambre avait de quoi s'occuper s'il devait un peu attendre. C'était le salon. Les murs étaient ornés de tableaux, dont quelques uns à beaux cadres dorés. On en voyait seize de Rembrandt, divers paysages, plusieurs études de maisons d'après nature, une descente de croix, grand tableau dans un beau cadre doré, une résurrection de Lazare, un Christ flagellé etc. Il y avait des Pinas, un Tobie de Lastman, des Lievens, des morceaux de Brouwer, de Seghers, de de Vlieger, même de Lucas van Leyden. Mais ce qui devait attirer alors surtout les regards ce furent quelques italiens, un | |
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Palma Vecchio, un du vieux Bassano et même une tête par Raphael. Cette antichambre était meublée d'une grande table en noyer, couverte d'un tapis de Tournay, des chaises espagnoles à coussins en velours vert, une glace à cadre d'ébène et un rafraichissoir en marbre. Amis de la maison, nous entrons dans la pièce attenante derrière ce salon. Nous ne sommes plus chez un simple peintre, nous comprenons que nous sommes dans un vrai petit musée. Toujours des tableaux aux murs; des Rembrandt à profusion, une vierge à l'enfant, une esquisse d'un crucifiement, une femme nue etc., des figures de Brouwer, toujours des paysages de Seghers, de Persellis, des tableaux rarissimes de Aartgen van Leyden, une tête de vieillard par van Eyck et deux copies d'après Annibal Carrache. Ici l'on observe quelques ustensilles de ménage, et, ce qui indique que Rembrandt avait coutume de graver et d'imprimer ici, des abat-jour en carton et une presse en bois de chène. C'est là qu'il s'occupait à tirer lui-même ces épreuves artistiques, qu'il renouvela sans cesse ses essais pour chercher soit ces tons argentins ou veloutés, soit les effets divers de ses feuilles immortelles. La salle ou chambre de derrière s'annonce comme le centre du ménage. Il y avait une grande glace, une table avec un tapis brodé, des chaises à couvertures bleues, un lit à tenture bleue, une presse à linge en bois de cèdre, une petite armoire à linge du même bois. Mais l'homme qui vivait dans cette chambre était artiste et s'entourait encore ici d'objets d'art. Les murs étaient garnis de tableaux de Rembrandt, entre autres le tableau allégorique sur la Concorde du pays, une résurrection et une esquisse de la mise au tombeau, un Ecce Homo en grisaille; des morceaux de Seghers, Lievens, Lastman, Aartgen van Leyden; puis d'une vierge par Raphaël, d'un grand tableau | |
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de Giorgione, la Samaritaine. Au premier, le maître avait ses ateliers et son musée. D'abord le cabinet d'art (de kunstkamer). C'était plus qu'on ne pouvait voir en une seule fois; tout était rempli et couvert de statuettes en porcelaine, en plâtre, en marbre; des empereurs romains, des bustes d'Homère, d'Aristote, de Socrate; des globes, des minéraux, des plantes, des coquilles, des oiseaux empaillés; ici des porcelaines de la Chine et du Japon, des armures et des armes curieuses, un bouclier attribué à Quintin Massys; là des moulages sur nature parmi lesquels un masque du prince Maurice; des verres de Venise, des éventails, quelques livres. Enfin près de soixante portefeuilles en cuir, remplis de dessins, d'études, de gravures et d'eaux-fortes du maitre lui-même et des principaux artistes italiens, allemands et hollandais; un véritable cabinet d'estampes. Près de ce musée il y avait un petit cabinet, où se trouvaient quelques tableaux de Rembrandt, de Brouwer, de Seghers, d'Aartgen van Leyden, un petit tableau du fils de Fr. Hals, quelques moulages d'après A. van Vianen, et une femme nue, esquissée d'après nature par Rembrandt. Il y avait encore à voir le petit atelier, divisé en cinq compartiments, rempli d'armes antiques, indiennes et turques, d'instruments de musique orientaux, de moulages sur nature, quantité de morceaux d'étoffes anciennes et curieuses et des plâtres d'après les antiques. On y remarquait déjà le Laocoon, peu répandu alors. Enfin le grand atelier où l'on trouvait encore quantité d'armes et de costumes indiens et autres et un enfant d'après Michel-Ange, et le vestibule où l'on voyait des peaux de lion, puis le petit bureau qui contenait encore dix peintures par Rembrandt. Voilà non seulement tout l'attirail d'un peintre d'histoire, | |
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mais le cabinet d'un véritable curieux, amassant tout ce qu'il pouvait accaparer et que Pels a bien peint lorsqu'il le décrit comme un homme: ‘qui par la ville courait chercher sur les ponts et aux coins des rues, sur les marchés, des cuirasses, des morions, des poignards japonnais, des fourrures qu'il trouvait pittoresques....’ Pour réussir à collectionner une telle masse d'objets d'art et de curiosité, il fallait la passion que Hoogstraten nous fait connaître quand il écrit qu'il avait vu donner par Rembrandt jusqu'à 80 rijksdaalders, pour une estampe (Uilenspiegel) de Lucas van Leyden. Sandrart raconte dans la vie de Lucas van Leyden, que ‘le célèbre Johan Ulrich Mayr lui a assuré qu'il avait vu donner par son maître Rembrandt à une vente publique 1400 florins pour 14 pièces de Lucas van Leyden, en belles épreuves, où se trouvaient le Ecce Homo, le voyage de St. Paul à Damas, la grande mise an tombeau, la danse de la Madelaine et autres.’ On le voit, Michel-Ange, Raphael, Giorgione, Palma, Marc-Antoine, étaient connus de Rembrandt, aussi bien que Durer et Beham, que van Eyck et Lucas van Leyden et les vieux maîtres hollandais. Et même les antiques trouvaient un admirateur fervent dans ce peintre qu'on se plaisait et se plaît encore à représenter comme un original bizarre qui ne se souciait de rien hors de son propre art. En vérité, la triste pièce qui nous dévoile la catastrophe du peintre, est en même temps la preuve incontestable de ses connaissances étendues et profondes concernant tout ce que l'art avait produit. Si donc Rembrandt a travaillé comme il l'a fait, c'est qu'il le voulut ainsi et non par ignorance. Nous connaissons déjà plusieurs personnes qui fréquentaient sa maison, soit comme amis, soit comme amateurs. Le receveur Uyttenbogaert, le savant rabbin Menasseh, les | |
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marchands d'oeuvres d'art Abraham France et Clement de Jonghe. Au cercle plus intime appartenaient Coppenol, la famille Sylvius, son cousin Hendrik Ulenburgh, Eeckhout et Roghman, Ph. Koninck, qui avait épousé une Marguerite van Rijn, le poète Jeremias de Decker, qui était très lié avec le peintre, enfin plus tard le marchand Jan Pieterse Zomer, le premier collectionneur de l'oeuvre gravé de celui qu'il nomma ‘son ami spécial.’ Les copistes de Houbraken appellent cela une conversation de gens de bas aloi. Si nous pénétrons dans la vie de famille, nous ne trouverons qu'une parfaite simplicité. Une vie sobre et régulière, remplie par le travail. Un ménage bourgeois et heureux, une femme dévouée. Le soir, le ménage se tenait apparemment dans la chambre de derrière, à la tenture bleue. Au fond on apercevait à peine le grand lit, la presse, le petit tiroir où la mère rangeait le linge des enfants. La lumière des chandelles laissait dans l'ombre une vingtaine de tableaux et quelques têtes d'antiques; elle se concentre, en vraie lumière de Rembrandt, sur les principaux personnages. A la grande table, on se figure Saske, assise, travaillant ou soignant un enfant et Rembrandt occupé soit à jeter sur le papier des esquisses légères à la plume, lestement lavées d'encre brune ou de couleurs, soit à graver une planche. Quelques fois Saske, assise en face, ou les amis, qui viennent les voir, se trouvent ainsi traduits sur le papier ou sur le cuivre, éternisés sans le savoir. Pour cette vie de bonheur et de succès il vint un point culminant qui ne pouvait durer ni être surpassé. Nous avons vu la gloire de l'année 1642, c'est l'ombre maintenant qui s'élève. Saskia allait mourir. Saskia paraît avoir été souffrante vers l'été de 1642, elle avait le profil délicat et pensif qu'on lui voit sur le portrait à Anvers. Vers le | |
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mois de juin son mal empira. Alors elle pensa à son mari et à lenr enfant, et se hâta de prendre des mesures pour assurer leur sort. Le 5 juin à 9 heures elle manda le notaire Mr. Pieter Barcman et dicta ses dispositions, qui font preuve d'une vive sollicitude et d'une confiance entière à l'égard de son mari. Elle institua comme son héritier universel son fils Titus, mais à condition que son mari resterait, jusqu'à sa mort ou à de secondes noces, dans la possession usufruitière de tous les biens de la testatrice, pourvu qu'il ait soin de l'éducation de son enfant et lui donne en cas de mariage une dot comme il lui semblera convenable. En cas que Titus meure elle lègue tous ses biens à son mari Rembrandt van Rijn, en topte liberté, avec la seule réserve pour celui-ci, en cas de secondes noces, d'en céder la moitié à Hiskia van Ulenburgh, qui aura à donner quelques legs à sa famille. Le tout sans que Rembrandt soit tenu de donner à personne au monde un état ou inventaire des biens susdits, ni de donner aucune caution, ce dont elle exempte son mari expressément, ‘parcequ'elle a la confiance que celui-ci agira en ceci parfaitement selon sa conscience.’ Enfin elle exclut la Chambre des orphelins et stipule que les biens de l'enfant seront gérés par Rembrandt, son mari, qu'elle constitue tuteur et administrateur de son fils. Quelques jours après avoir signé les dispositions dictées par son amour et par une confiance entière dons son mari, la jeune femme, qui n'avait que trente ans, mourutGa naar voetnoot1. Le 19 juin Rembrandt accompagna ses funérailles vers l'Ancienne Église et retourna veuf dans sa demeure où il lui resta un enfant de quelques mois, mais d'où le rayon de soleil était parti. |
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