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XIII.
Rembrandt en relation avec Huygens.
Jusqu'ici nous n'avons pas vu que Rembrandt ait eu aucune relation avec les éminents littérateurs dans la ville où il avait depuis huit ans fait connaître tant de chefs-d'oeuvre. Le fait sur lequel nous aurons à revenir, est d'autant plus remarquable que ces beaux-esprits abondent en vers élogieux sur tous les autres artistes. Rembrandt paraît avoir eu de suite sa place à part. Cependant il eut dès l'abord des relations suivies et assez intimes avec Constantijn Huygens.
Huygens, savant et poète plein d'esprit, conseiller et secrétaire du prince stadhouder, fut pendant de longues années en relation avec une quantité d'artistes et l'intermédiaire entre ceux-ci et le stadhouder. La connaissance de Huygens et de Rembrandt date déjà de très haut. L'on connaît le récit de Houbraken sur le protecteur distingué à la Haye, que le peintre trouva lorsqu'il était encore à Leiden. Il se peut que cela soit vrai, et que Huygens fut le mécène qui lui paya 100 florins pour son premier tableau. En 1632, Rembrandt fit le beau petit portrait de Maurice, frère de Huygens; en 1634, celui de son beau-frère, l'amiral van Dorp. Ce fut alors peut-être qu'il le fit remarquer au prince, grand ami des arts.
Frédéric Henri, venu au gouvernement en 1625, meubla
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ses divers palais et maisons de plaisance à Hondsholredijk, à Rijswijk et à Buuren, d'une quantité de tableaux et de statues. Les beaux salons dorés, les vestibules, les escaliers étaient ornés de portraits, de grandes toiles historiques, de peintures de fruits et de chasses, de tableaux de cabinet, par G. Honthorst, C. Delff, Uyttenbroeck, Rubens, P. Post, Jacob Backer, Bossaert, Bleeker, de Grebber, Gonzalo Coques, Hanneman, C. Vroom, van Goyen, etc. de statues en marbre blanc par Francisco DienssaertGa naar voetnoot1.
Plusieurs de ces achats s'effectuèrent par l'intermédiaire de Huygens, qui était de cette façon en correspondance suivie avec une quantité d'artistesGa naar voetnoot2.
Rembrandt avait achevé en 1633 les deux petits tableaux: l'érection de la croix et la descente de croix, que le prince acquit de suite. C'est peut-être à l'une d'elles que se rapporte une lettre de Rembrandt, dont je ne connais ni le texte entier, ni l'original. Cette lettre doit se trouver dans le ‘Catalogue of autograph letters etc., collection Donnadieu, London 1851.’ C'est M. Kolloff qui donne la partie suivante du texte de la lettre:
‘Que le tableau commandé sera bientôt expédié; quant au prix du tableau, j'en ai bien mérité 200 livres, mais veux me contenter de ce que son Excellence donne.
Dans la galerie de son Excellence il sera vu le mieux là où il y a une forte lumière’Ga naar voetnoot3.
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Quoi qu'il soit de cette lettre, qui pourrait traiter aussi d'un des tableaux postérieurs, il est certain que peu après, le peintre avait une autre commande du même genre. La collection de M. Verstolk van Soelen contenait une lettre de Rembrandt qui n'a jamais été publiée. Elle porte d'une autre main la date: feb. 1636, date qui a beaucoup de vraisemblance; certainement elle n'est pas postérieure à 1638.
Elle nous révèle encore une demeure qu'on ne savait pas que Rembrandt eût occupée, dans la Nieuwe Doelestraat, rue située non loin de l'Amstel, où il restait en 1639. Voici le contenu remarquable de cette lettreGa naar voetnoot1:
Mijn heer mijn goetgunstijge heer Huijgens hoope dat UL gaerne sijn Excellensij sal aen seggen dat ick seer naerstigh doende ben met die drie passijstucken voorts met bequaemheijt af te maeken die sijn Excellensij mij selfs heeft geordijneert, een graf legging ende een verrijsenis en een Hemelvaert Christij, de selvijge ackoordeeren met opdoening en afdoeninge vant chruijs Christij |
Monsieur, mon bienveillant monsieur Huygens, j'espère que vous aurez la bonté de communiquer à son Excellence que je suis occupé avec beaucoup de zèle à achever convenablement les trois tableaux de la passion, que son Excellence m'a ordonnés lui-même, une mise au tombeau et une résurrection et une ascension du Christ; ils s'accordent avec l'érection et la descente de croixGa naar voetnoot2. De |
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van welcken drie voornoemden (stuckens)Ga naar voetnoot1 stuckens een van opgemaeckt is daer Christus ten Hemel opvaert ende die ander twee ruijm half gedaen sijn en soo sijn Excellensij dit opgemaeckte stuck voor eerst gelieft te hebben dan ofte die drie 't seffens
mijn heer biddende daer van te laeten weeten opdat ick sij prijns: Excellensij in sij lussten ten besten dienen (sal) mag
en ken oock niet naer laeten volgens mijn dienstwillijgen Kunst mijn heer te vereeren van mijn jonste werck vertrouwende dat mij ten besten sal afgenomen werden neffens mijne groetenissen aen UL. allen Godt in gesondheijt bevoolen |
ces trois tableaux susnommés l'un est achevé, celui où le Christ monte au ciel et les deux autres plus qu'à moitié; et de me faire savoir si Son Excellence désire avoir d'abord le tableau achevé ou les trois ensemble. Je prie monsieur de m'en faire part, afin que je puisse servir Son Excellence dans ce qui lui plait.
Je ne saurais négliger aussi de vous obliger par mon art et de vous faire hommage de mon dernier ouvrage, ce dont je suis convaincu qu'on me saura gré; avec mes salutations à vous tous, dont Dieu conserve la santé. |
mijn heer dienst willijgen |
De monsieur le dévoué et |
ende geneegen dienaer |
affectionné serviteur, |
Rembrandt |
Rembrandt. |
... woon naest den |
... demeure à côté du |
... Lijonaeus boereel |
... Lyonaeus boereel, |
...nieuwe doel straet |
...nieuwe doel straat. |
Feb. 1636. |
fev. 1636. |
L'ascension, qui était achevé, fut probablement demandé et envoyé de suite, car ce n'est qu'en 1639 que les deux
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autres, la mise au tombeau et la résurrection, furent envoyés. Ces deux, Rembrandt les acheva avec beaucoup de soins; il en était content, car lui-même remarque qu'ils ont le plus de mouvement et de naturel et il écrit à ce sujet à Huygens la lettre que nous allons lireGa naar voetnoot1. Elle est encore écrite sur la moitié d'une feuille in folio de beau papier de Hollande. Voici le contenu:
Mijn heer
Door die grootenlust ende geneegenheijt die ick gepleeght hebbe int wel wtvoeren van die twe stuckens die Sijn Hoocheijt mijn heeft doen maeken weesende het een daer dat doode lichaem Christi in den graeve gelecht wert ende dat ander daer Chrisstus van den doode opstaet dat met groote verschrickinge des wachters, dees selvij twe stuckens sijn door stuijdiose vlijt nu meede afgedaen soo dat ick nu oock geneegen ben om die selvijge te leeveren om Sijn Hoocheijt daer |
Monsieur
Comme j'ai eu grand plaisir à bien faire les deux tableaux que Son Altesse m'a commandés, dont l'un était la mise au tombeau du corps du Christ et l'autre la résurrection du Christ au milieu des gardiens frappés d'épouvante, ces deux pièces sont maintenant achevées avec beaucoup d'étude et de zèle, de sorte que je suis disposé à les livrer pour faire plaisir à Son Altesse; car c'est dans ces deux pièces que j'ai eu soin d'exprimer le plus de naturel et d'action; ce qui |
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meede te vermaeken want deese twe sijnt daer die meeste ende die naetuereelste beweechgelickheijt in geopserveert is dat oock de grootste oorsaeck is dat die selvijge soo lang onder handen sij geweest.
der halven soo versouck ick ofte Mijn heer Sijn Hoocheijt daer van gelieft te seggen ende oft Mijn heer soude gelieven dat men die twe stuckens eerst tot uwent ten huijsen (eerst) bestellen sal gelijck als voormaels is geschiet. hiervan ick eerst een letterken tot antwoort verwachten sal.
• Ende om dat mijn heer in deese saecken voor die 2de maels bemoyt (is) wert sal oock tot een Erckentenisse een stuck bijgedaen (werden) weesende 10 voeten lanck ende 8 voeten hooch dat sal mijn heer vereer werden (sal) in Sijnen Huijse ende met een wensschende U alle geluck ende heijl ter saelicheijt Amen
UE Mijn heere Dw. ende geneegen dienaer
Rembrandt
Deese 12 Januwarij
1639 |
est aussi la principale raison que j'y ai été occupé si longtemps.
Je vous prie donc, monsieur, d'en prévenir Son Altesse, et de me dire si les deux pièces seront d'abord adressées à vous, comme cela a eu lieu auparavant; ce dont j'attends un mot de réponse.
Et comme vous avez été occupé dans cette affaire pour la seconde fois, j'ajouterai un morceau, long de 10 pieds et haut de 8 pieds, dont je vous fais hommage pour votre maison; avec quoi je vous souhaite tout bonheur et salut en éternité Amen.
De Monsieur le dévoué et affectionné serviteur,
Rembrandt.
Ce 12 janvier
1639. |
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A côté est écrit:
Mijn heer ick woon op die binnen Ernster thuijs is genaemt die suijkerbackerij |
Monsieur je demeure sur le Binnen Amstel (quai de l'Amstel intérieur), la maison est nommée la suijkerbackerij |
Au dos de la lettre l'adresse:
Mijn Heer
Mijn E. Heer van Schuijlenburgh |
Monsieur,
Monseigneur de Schuylenburgh. |
Là où se trouve le nom de Schuylenburgh le papier a été gratté et le nom est tracé au-dessus; cependant il est écrit de la même écriture que la lettre. Rembrandt a été peut-être incertain sur le nom du seigneur de Suylichem (Huygens), ou c'est un lapsus calamiGa naar voetnoot1.
Il paraît que Huygens lui fit parvenir le 14 janvier une réponse assez satisfaisante, mais qu'il énonça quelques scrupules d'accepter le tableau que Rembrandt lui destinait.
Celui-ci lui écrit alors le 27 janvierGa naar voetnoot2:
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Mijn Heer
Met een Sonderling vermaeck hebbe ick ue aengenaemen missijve van de 14 deses doorleesen bevinde daer ue goeden gunst ende geneegentheijt soo dat ick van harte geneege ver obblijsier blijve ue rekumpensijve dienst ende vrienschap te doen soo ist door geneegentheijt tot sulx tegens mijns heeren begeeren dees bijgaenden douck toesende hoopende dat u mijner in deesen niet versmaeden sult want het is die eerste gedachtenis die ick aen mijn heer laet.
Mijn heer den ontfanger Wttenboogaert is bij mij geweest soo als ick besich waer met dees 2 stuckens te packen hij most die noch eerst eens sien. die seijden soo het sijn Hoocheijt beliefd wil mij wt sijn kantoor die betaelinge wel doen so soude ick aen U mijn heer versoucken sulx sijn Hoocheijt mij toelecht van die 2 stuckens dat 't sel gelt hier in den eersten ontfangen mocht daer ick nu |
Monsieur
C'est avec un vif plaisir que j'ai lu votre agréable missive du 14 de ce mois, y remarquant votre faveur et votre affection, de sorte que je vous suis bien obligé et disposé de bon coeur à vous faire service et plaisir à mon tour. Dans ce sentiment et malgré le désir de monsieur j'envoie cette toile ci-jointe, espérant que vous ne me dédaignerez pas en ceci, car c'est le premier souvenir que je donne à monsieur.
Monsieur le receveur Wttenboogaert s'est trouvé chez moi, comme j'étais occupé à emballer ces deux pièces. Il a fallu qu'il les vît encore avant. Il disait, si Son Altesse y consent, qu'il veut bien me faire le payement à son bureau. Je vous prierais donc monsieur, que je reçoive ici aussitôt que possible ce que Son Altesse me donnera pour ces deux morceaux, ce qui me serait extrêmement utile en ce moment. S'il vous plaît, j'attendrai une réponse à ce sujet, et je |
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sonderlinge meede gerijft soude weesen hier op verwachte soot mijn heer gelieft bescheijt ende wenssche ue ende ue faemijlij alle geluck ende Heijl dat neffens mijne groetenissen
UE Dw. ende geaffexcijoneerde dienaer
Rembrandt
in der Haest deese 27 Jawarij 1639
mij heer hangt dit stuck op een starck licht en dat men daer wijt kan afstaen soo salt best voughen. |
souhaite à vous et à votre famille tout bonheur et salut, avec mes compliments.
Votre dévoué et affectionné serviteur
Rembrandt.
à la hâte ce 27 janvier 1639
monsieur suspendra ce tableau sous un jour très fort et de manière qu'on puisse le regarder de loin, ainsi il fera le mieux. |
Ayant reçu l'ordre de faire partir les tableaux, Rembrandt les envoie avec la lettre suivanteGa naar voetnoot1:
Mijn Heer
Soo ist dan dat ick met lijcensij2 ue dese 2 stucken toe sende die ick meen dat soo daenich sullen bevonden |
Monsieur
C'est donc avec permissionGa naar voetnoot2 que je vous envoie ces deux pièces, que je pensequ'on trouvera telles, que |
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werden dat Sijn Hoocheijt nu selfs mij niet met min als dusent guldens voor ider toeleggen sal doch soo Sijn Hoocheijt dunckt dat sijt niet en meerijteeren sal naer sijn eijgen believen minder geeven mij verlaetende op Sijn Hoocheijts kennis en discreesij. Sals mij danck baerlick daer met laeten contenteeren ende blijvende neffens mijne groetenisse sijnen
DW. ende geneegen dienaer
Rembrandt
Het tghene ick aen de lijsten en de kas verschooten hebb is 44 guldens in alles |
Son Altesse ne m'en donnera maintenant pas moins de mille florins pour chacune; mais si Son Altesse pense qu'elles ne le méritent pas, elle donnera autant de moins que bon lui semblera, comme je me fie à la connaissance et la discrétion de Son Altesse. Reconnaissant je me contenterai de cela, restant avec mes salutations son
Serviteur dévoué et affectionné
Rembrandt.
Ce que j'ai avancé pour les cadres et la caisse est 44 florins en tout. |
Derrière la lettre est écrit:
Die reeckeninge van des 2 stuckens |
Le compte des 2 pièces. |
Je suppose que Huygens annonçant l'arrivée des deux tableaux ait eu à écrire au peintre que le prince trouvait la somme demandée trop forte et qu'il lui rappelait celle payée pour les premiers tableaux.
Le peintre y répondit par une lettre, inédite jusqu'iciGa naar voetnoot1. Elle est écrite d'une bonne écriture sur une feuille in folio
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de ce fin papier de Hollande qui servit aussi à imprimer des estampesGa naar voetnoot1. Elle est écrite sur la page recto, pliée en quatre, puis en trois et fermée avec un cachet en cire rouge. Elle est adressée à
Mijnheer
Mijnheer van Suijlikum raet ende secretaries van Sijn Hoocheijt den Prinsen van Oranghen
tot
Schraevenhage.
Port.
Waerde Heer
UE vertrouwe ick alles goets toe ende insonderheijt vant beloonen over dees 2 laetste stuckxen vertrouwende UE dat soo het naer UE gunst ende nae recht ginck so en souden geen teegensegghen in de voorghescreven prijs niet weesen. Ende wat aengaet de voorijgen geleverde stucken en syn niet hooger betaelt als 600 k. guldens ider. Ende alsoo Sijn Hoocheijt met goede vougen tot hooger prijs niet en is te beweegen al- |
Monsieur
Monsieur de Suylikum conseiller et secrétaire de Son Altesse le Prince d'Orange à la Haye.
Port.
Cher Monsieur
Je vous confie tout et en particulier la rémunération pour ces deux derniers tableaux, assuré que si la chose se fit selon votre faveur et selon le droit il n'y aurait pas à redire quant au prix nommé. Et pour ce qui regarde les pièces vendues auparavant, elles ne sont pas payées plus que 600 florins carolus chacune. Et si Son Altesse ne peut être persuadée d'une façon convenable à donner plus, |
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hoewel sijt kennelick merijteeren met 600 k. guldens ick(de) mij van ieder te vreden stellen mits dat ick mijn wtgelijde van d 2ebbene lijsten en de kas dat saemen 44 guldens is mocht bij geordijneert werden. Soo sonde ick aen Mijn heer vriendelick versoucken dat nu met den eersten mocht mijn betaelinge alhier tot Amsterdam hebben vertrouwende dat door de goede gunst die aen mijn geschied (hier vertrou sal) nu eerst daechs sal mijn penningen genieten mits dat ick erkennelick voor al sulke vrienschap blijve. Ende naer mijne hartelicke groetenissen aen Mijn heer ende aen UE naesten vrienden allen Godt in langhduerijgen gesondtheijt bevoolen
UE dw en geaffexionneerden dienaer
Rembrandt
den 13 febrewarij 1639 |
et quoiqu'elles le méritent pleinement, je me contenterai avec 600 florins carolus chacune, pourvu qu'on ordonne, que ce que j'ai avancé pour les cadres en bois d'ébène et la caisse, 44 florins ensemble, me soit remis en même temps. Ainsi je prierais beaucoup monsieur, que je pusse recevoir le payement aussitôt que possible ici à Amsterdam, confiant que par la faveur qu'on me fait, je recevrai un de ces jours mon argent, et je resterai reconnaissant pour tant d'amitié. Et après mes salutations amicales à monsieur et à vos amis intimes, que tous soient commandés à Dieu en bonne santé.
Votre dévoué et affectionné serviteur
Rembrandt.
le 13 février
1639 |
On tardait néanmoins à lui faire parvenír l'argent, et le peintre qui paraît en avoir eu besoin, s'adresse encore une fois, non sans hésitation, à Huygens. Il lui écrit:
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Mijn Heer |
Monsieur |
Myn E. Heer met schroomen ist dat ick ue met mijn schrijvens kom besoucken ende dat doort seggen van den ontfanger Wttenboogaert die ickt tardeeren van mijn betaeling klaechden hoe dat den tresoorier Volbergen dat lochgent als dat daer (jaer) jaerlicks intresse getrocken werden soo heeft mij den ontfanger Wttenboogaert nu voorleeden woondach daer op geantwoort als dat Volbergen allen halven jaer die selvij intressen heeft gelicht dat tot nu toe soo dat daer nu wederom over 4000 k. gulden bij den selvij kantooren verscheenen is ende bij desen waerachtijge geleegentheijt soo bidde ick u mijn goet aerdijgen Heer dat mijn ordonnansij nu in den eersten mocht klaergemaeckt werden op dat ick mijn wel verdiende 1244 guldens nu mocht een mael ontfangen Ende ick sal sulx aen ue met reverensij dienst ende blijck van vrienschap altijts soucken te rekumpenseeren met deesen ist |
Monsieur c'est avec hésitation que je viens vous aborder avec ma lettre, et cela parce que le receveur Wttenboogaert, auquel je me plaignais du retard dans le payement, m'a dit, quoique le trésorier Volbergen le nie, qu'on touche des intérêts annuels, et le receveur Wttenboogaert m'a répondu mercredi passé, que Volbergen a touché les intérêts chaque sémestre, jusqu'à présent, de manière qu'aujourd'hui encore 4000 florins carolus ont été perçus à ces mêmes bureaux, et par cette même occasion je vous prie mon bon monsieur, que l'ordonnance soit maintenant mise en ordre pour moi au plus vite, afin que je puisse à la fin toucher mes 1244 florins que j'ai bien mérités, et je tâcherai de retourner cela toujours avec respect, service et preuve d'amitié envers vous. Sur quoi je salue monsieur de coeur et souhaite que Dieu vous garde |
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dat ick mijn heer hartelick groete ende wenssche dat ue Godt lanck in goeden gesondtheijt ter saelicheyt spaeren werde |
longtemps en bonne santé et en grâce
Votre dévoué et affectionné serviteur
Rembrandt. |
UE Dw ende geafflexcioneerde dienaer |
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Rembrandt |
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ick woon op de binnen-Emster in die suijkerbackerij |
je demeure sur le Binnen-Amstel dans la maison nommée die Suijkerbackerij. |
Adresse |
....Ga naar voetnoot1 |
Mijn Heer |
Monsieur |
Mijn Heer van Suijlikum raet ende Secreetarijus van Sijn Hoocbeijt |
Monsieur de Suylikum, conseiller et secrétaire de Son Altesse |
in den |
à |
port. Schraeven Haech |
port. la Haye. |
En attendant les démarches de Huygens avaient eu le succès désiré. Le 17 février 1639 le prince, sur l'attestation du seigneur de Suylichem, avait fait délivrer par son trésorier un ordre de payement pour 1244 florins au sujet des deux tableaux en questionGa naar voetnoot1. La dernière lettre de Rembrandt était donc peut-être superflue et le peintre
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a pu toucher de suite la somme au bureau de Uyttenboogaert.
Ces lettres sont éminemment intéressantes pour la connaissance du caractère de Rembrandt, de ses relations avec Huygens et le prince, et des tableaux dont il s'agit. Tout homme, un peu versé dans le style épistolaire de ces temps (en notre pays), reconnaîtra que ces lettres sont d'un homme civilisé. Elles montrent une manière de s'exprimer et d'agir respectueuse mais indépendante, franche et sans bassesse. Et comme le grand artiste est peu prétentieux! Il dit ce qu'il pense à l'égard du prix de ses peintures, mais avec cette facilité qui dénote une vraie générosité, il se conforme au prix qu'il plaira à Son Altesse de fixer. Le voilà bien loin de cette avarice sordide à laquelle tant de biographes ont voulu nous faire croire. L'offre même d'un tableau à Huygens est faite en des termes qui bannissent toute idée de spéculation et d'une manière si franche et si amicale qu'on pouvait l'accepter sans scrupule. Le peintre écrit à un personnage haut placé et plus âgé que lui de onze années, mais il est avec lui sur un pied qui permet de tout dire et de lui confier ses intérêts. Nous ne savons si Huygens accepta le tableau. Dans l'oeuvre de Rembrandt je ne connais qu'une seule toile qui mesure juste dix pieds de long et huit de haut, l'ange quittant Manoć et sa femme. Mais ce tableau, qui se trouve au musée de Dresde, est daté 1641.
Il est à regretter que nous n'ayons pas les lettres de Huygens. Dans ses écrits je n'ai trouvé aucun indice direct concernant le peintre. Cependant j'ai cru deviner le sens d'une petite pièce de poésie, qui peut se rapporter à
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luiGa naar voetnoot1, où il dit qu'en retour d'un cadeau il veut offrir quelque chose qui ne soit pas commun; qu'il lui donne donc un coeur reconnaissant, ce qui, pense-t-il, sera aussi peu commun chez lui qu'à la Haye.
C'est peut-être par ses relations avec Huygens que Rembrandt fit la connaissance de Uyttenboogaert, le receveur des États de Hollande à Amsterdam. C'est de 1639 que date la grande et belle eau-forte, le peseur d'or, qui représente le receveur assis à sa table, entouré de sacs, de tonneaux et d'un coffre rempli de pièces de monnaie. C'est le même bureau dont la lettre de Rembrandt fait mention. Allant recevoir le paiement des 1244 florins, ordonnés par le prince, chez Uyttenboogaert, il trouva du pittoresque dans l'entourage et dessina le receveur, ainsi qu'il fit souvent, juste dans le caractère de ses fonctions.
Ce sont des relations amicales que nous remarquons entre le receveur et le peintre. C'est lui qui désire voir encore une fois les peintures que ce dernier est occupé à emballer; c'est lui que Rembrandt va consulter, qui propose de faciliter la remise de l'argent. Le peintre de son côté reconnut le service par le don de l'admirable estampe.
Les lettres du peintre confirment, ce qui se voit d'ailleurs, qu'il achevait et travaillait beaucoup ses petits tableaux; que la liberté du faire cache un ‘zèle studieux’ (stuijdiose vlijt); qu'il aimait qu'ils fussent vus sous un jour fort, afin qu'on pût voir la transparence des pé
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nombres et la profondeur du ton. Pour ses grands tableaux et beaucoup de ses portraits, s'ils étaient brossés d'une touche large et à effet, il voulut que vivement éclairés on pût les voir à distance. Au 17me siècle on accrochait les tableaux à une plus grande hauteur que de nos jours, comme on peut observer dans divers images d'intérieur. Sa recommandation de voir à distance s'accorde d'une manière remarquable avec ce que raconte Houbraken: ‘un tableau n'est pas fait pour être flairé’, disait Rembrandt, ‘l'odeur des couleurs est malsaine.’
Les tableaux du prince ont fait partie de ses collections jusqu'à sa mort en 1647. Alors ils furent dispersés dans sa famille. Les toiles de Rembrandt se trouvaient en 1781 dans la galerie de Dusseldorf, d'où elles ont été transportées au musée de Munich. Les six scènes de la vie de Jésus qu'on y voit aujourd'hui, sont celles qui ont appartenu au prince.
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voetnoot1
- Livres d'ordonnances, 1637-1652. Aux Archives du royaume.
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voetnoot2
- Plusieurs lettres d'artistes à Huygens existent et ont été publiées, par exemple par M. Schinkel; j'en ai publié deux dans le Nederl. Spectator, 1866.
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voetnoot3
- Kolloff, v. Raumers Tasschenbuch, 1854
L'auteur du Catalogue ajoute que la lettre est écrite sur un morceau de papier ayant servi à emballer une planche de cuivre. Mettons l'état de ce papier sur le compte du temps et non sur celui d'un manque de savoir vivre de Rembrandt. Toutes les lettres qu'on a de lui sont écrites sur de grandes feuilles de beau papier de Hollande.
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voetnoot1
- Cette lettre est écrite sur la moitié d'une feuille de fin papier hollandais; au dos est l'adresse (Mijn heer mijn Ed. heer Huygens raet ende secretarus van sijn Excellensij, - den Haeghe. port) et un cachet en cire rouge dont l'écusson porte deux objets posés en croix de St. André, avec des figures entre les pattes; pour cimier un cygne. La lettre resta dans la famille de M. Verstolk jusqu'en novembre 1867, lorsqu'elle fut vendue à Amsterdam avec la belle collection d'autographes, de dessins et de gravures, provenant d'un membre de sa famille. Elle fut achetée f 219 par M.M. Nijhoff.
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voetnoot2
- Tableaux peints en 1633 pour le prince.
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voetnoot1
- Les mots en parenthèse sont rayés, ceux en petits caractères sont ajoutés sur la ligue.
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voetnoot1
- Elle appartient à S.M. la Reine des Pays-Bas. Cette lettre curieuse a été mentionnéc par van Eynden et v.d. Willigen, au Supplément de l'Hist. de la peinture. Pag. 145. Ils ajoutent qu'une lettre de Rembrandt a été vendue à Londres en vente publique, il y a quelques années, pour quelques livres st., et le 3 juin 1839 à Amsterdam dans Het huis met de hoofden pour f 100.
M. Scheltema fait mention d'un catalogue de manuscrits, vendus à Londres en 1825, où sous le no. 460 on trouve: Four letters of Rembrandt van Rijn. Elles valurent 30 livres st. Une de ces lettres était datée 27 Jan. 1639; c'est peut-être celle que possède M. Six.
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voetnoot1
- La lettre est pliée de la manière usitée alors, mais ne porte pas le signe de la poste ni le mot port; elle ne montre pas de trace de cire à cacheter, (on fermait quelquefois les lettres avec un fil) ni une indication de ville.
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voetnoot2
- Les deux lettres suivantes, qne possède M.J. Six, ont été publiées en fac-simile par lui dans les actes de l'Institut en 1843. Depuis elles ont été imprimées dans le livre de M. Scheltema. Mais elles n'ont jamais été exposées dans l'ordre et l'ensemble logique. Je crois avoir réussi dans cet arrangement, beaucoup plus difficile qu'il ne paraît, et donné des copies plus exactes. La première de ces deux lettres est écrite sur une feuille in folio, recto et verso, avec quelques lignes sur la troisième page; l'autre sur la moitié d'une feuille.
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voetnoot1
- Cette lettre est donnée aussi en fac simile par J. Smith dans son catal. raisonné, 1836. Mais cette reproduction n'est pas juste en tout point.
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voetnoot2
- On a la dans cette lettre: Soo ist dan dat ick met Lyvensen... (c'est donc par l'intermédiaire de Lievens...). Le mot où l'on a cru voir le nom de Lievens, est lycensy, c'est à dire met verlof, avec permission. En général les copies qu'on a données des letties de Rembrandt sont très peu exactes.
Dans la dernière livraison de son supplement M. Kramm a aussi remarqué que le mot est: lijcensij.
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voetnoot1
- Elle se trouve dans la collection intéressante de M. Mazel, directeur du musée royal de peinture à la Haye, qui a eu la bienveillance de me la communiquer. M. Mazel l'a de M. Verstolk van Soelen.
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voetnoot1
- Le même papier que la lettre du 12 janvier, ayant le même filigrane sur la deuxième page.
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voetnoot1
- Ici se trouvent dans le facsimile de Barnet quelques caractères, que porte également l'adresse de la lettre précédente, caractères qui paraissent une marque de la poste, mais ne sont pas la date 7 Oct.
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voetnoot1
- Le livre des ordonnances du prince, qui se trouve aux Archives à la Haye, porte:
Den 17 february 1639 is gedepecheert ordonn. op d'attestatie van d'Heer van Zuylichem, ten behoeve van Schilder Rembrandt als volgt: Sijne Hooch. ordonneert hiermede Thyman van Volbergen sijnen Tresorier en Rentmr Generael te betalen aan den Schilder Rembrandt de somme van twaalf hondert vier en veertig Carolos guldens voor twee stucken Schilderij wesende 't eene de Begraeffenisse en het andere de Verrijsenisse von onsen Heer Christus bij hem gemaeckt en gelevert aen Sijn Hoocht uytwijsende de bovenstaende verclaringe.
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voetnoot1
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Ick socht wat ongemeens, wat seldsaems te bedencken,
Daermede ick uwe gonst ten deel' vergelden mocht;
Maer 't was oud en gemeen al wat ick u kon schencken:
Dit ongemeen in 't end' heb ick u toegedocht:
'k Schenk u een danckbaer hert, dat noemt men alle dage,
Maer mog'lick ist by u soo vreemd als in den Hage.
Sneldicht, 23e boek, no. 57.
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