Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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VII.
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dit mézétin, couleur rouge cerise, garni d'une plume blanche et d'une chaîne d'or. Saske porte des perles au cou et aux oreilles. Sa robe de damas bleu-clair, à lacets et à aigrettes d'or, laisse à découvert le cou et un fichu en gaze blanc. La main droite, couverte d'un gant chamois, est levée à la hauteur de la poitrine. La face est éclairée d'en haut; la lumière tombe sur le bord du bonnet et illumine la partie inférieure du visage, le cou et le buste. Le front est dans l'ombre projetée par le bord du chapeau. Jeune fille animée et pleine de vie, elle incline sa face mutine et riante vers le spectateur. Les lèvres, un peu entrouvertes, laissent apercevoir les dents. Les joues se gonflent par le sourire et les yeux clignent. L'expression ne me plait pas beaucoup. Le rire fait un effet désagréable. Chose singulière! Rembrandt qui a exprimé à merveille des sentiments si divers, n'a pas réussi à mon avis à bien peindre le rire. Lui-même, dans le superbe tableau où il tient Saske sur son genou, ne fait qu'une grimace pénible à voir, quand on le regarde longtemps. Il est vrai que le portrait de Saske a souffert; dans le visage, on voit les nervures du panneau. Il se peut qu'à cause de cela la peinture de cette partie de la figure ne soit pas aussi harmonieuse que d'habitude. La galerie du cardinal Fesch contenait un portrait de Saske, daté de 1633, de forme ovale. C'était une belle fille au teint blanc, aux grands yeux foncés, aux lèvres vermeilles; les cheveux châtains, crêpés et ornés de deux plumes, l'une blanche, l'autre verte, laissent les tempes découvertes. Elle porte des boucles d'oreilles, un collier de grosses perles, une chaîne d'or et par dessus son corsage à brandebourgs qui laisse percer sa chemisette, une mantille de soie verte, brochée d'or, retenue par une agrafe. Un voile en mousseline brodée retombe sur ses épaules. Rien qu'à cette toilette, choisie | |||
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avec toute la fantaisie et le luxe de couleurs et d'ornements qui caractérisent les portraits de la femme de Rembrandt, on reconnaît Saskia. C'est un costume analogue à celui du tableau de Cassel, découpé à la gorge de la même manière; ce sont les mêmes parures. L'exécution est très soignée; il y a moins de laisser aller, la touche est un peu molle, le coloris moins transparent et moins naïfGa naar voetnoot1. C'est vers 1633 que Rembrandt me semble avoir peint la grande toile qui est à la galerie de Cassel et qui représente sa femme ou sa fiancée. Debout, en profil de gauche, elle est vue jusqu'aux genoux. Elle porte une robe dont le corsage est de velours rouge foncé, tandis que la manche est d'un vert indécis. La robe est découpée carrément sur le sein, couvert jusqu'à la gorge par une chemisette soigneusement fermée. Cette chemisette ouvragée et à plis fins, ainsi que la manche du bras gauche, ont des couleurs verdâtres avec des tons de gris, de violet et d'or. Ces tons ont l'air de poussière de pierres fines. Un manteau à bords fourrés lui pend de l'épaule droite et est retenu par le bras; la main sort un peu de l'ombre, qui la cache presqu'entièrement, et tient une fleur. Le bras gauche est légèrement avancé pour soutenir le manteau. Elle est couverte de grappes de pierres fines et de perles. A l'oreille un pendant d'or avec perle, sur les cheveux deux rangs de perles, au cou une chaîne avec grosse perle en pendeloque; sur le sein une forte chaîne d'or avec | |||
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pierres fines enchâssées; enfin aux poignets de doubles rangs de perles. Une toque de velours amarante, de forme plate et à crevés sur les bords, surmontée d'une plume blanche avec agrafe, enrichie d'une pierre précieuse, lui couvre la tête. Les cheveux, d'un brun qui tire un peu sur le roux, sont refoulés en arrière. La figure se dessine contre le fond brun foncé, avec un profil délicat, un nez fin, une bouche fermée et un peu pincée. Le visage est entièrement en clair, presque sans ombres et d'une couleur très vive et très fraîche. Le corps est enveloppé de pénombres. Le portrait est achevé avec un soin extrême et d'une exécution serrée; la touche est précise et n'a pas cette morbidesse, ce vague qui la distinguera plus tard. Le costume, bien que d'un arrangement pittoresque, n'a rien qui soit en désordre. Peinture remarquable, forte, magistrale même sous divers rapports, elle n'exerce pas ce charme irrésistible, cette fascination d'autres portraits du maître. Pour moi, je préfère la Saske de Dresde (de 1641) et celle d'Anvers. Je pense que ce portrait fut destiné à Saske elle même ou à sa familleGa naar voetnoot1. On dirait que le peintre l'a fait pour des gens aimant plus le soigné que le caractère artistique qui leur paraît un peu rude et brusque. Il paraît avoir sacrifié les empâtements audacieux de sa brosse. En comparant ce portrait aux autres Saskia, on y remarque la retenue de | |||
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la personne, et dans le visage quelque chose qui indique plus la jeune fille que la femme mariée. Deux beaux dessins, au musée Teyler à Haarlem, montrent Rembrandt jeune et sa femme. Je les crois de cette époque. Ils sont en ovale, sur papier bleu et exécutés à l'encre de Chine, avec des mélanges de blanc et de jaune, d'une manière estompée. Rembrandt porte de petites moustaches et un chapeau sur la tête; sa femme, de face, a les cheveux blonds frisés, ceints d'un mince bandeau; une chemisette plissée jusqu'au cou et un manteau aux bords fourrés, fermé sur le devant. Elle a le visage plein et potelé, les yeux vifs, la bouche petite, ainsi qu'on la voit sur l'eau-forte de 1634 et sur celles de 1636Ga naar voetnoot1. En feuilletant au musée de Berlin une enveloppe contenant des dessins dans le goût de Rembrandt, j'y ai rencontré un très beau dessin à la mine de plomb sur vélin. Aucun doute, c'est Saske. De face, le visage rond et aimable, elle porte un grand chapeau, dont le bord jette une ombre légère sur son front. Elle est assise devant une table ou le bord d'une fenêtre et y appuie le bras gauche, dont la main tient une fleur; le bras droit soutient la tête, les doigts légèrement posés contre les tempes et le front. Que ce délicieux croquis soit de Rembrandt, je ne saurais en douter; il est fait d'un trait si délicat et si ferme, l'expression est si naturelle, le dessin si parfait, surtout celui des mains, dans lesquelles on peut toujours reconnaître Rembrandt par la perfection des intentions et des mouvements, que le doute ne paraît pas admissible. Mais voici l'énigme: dans la grande marge blanche en bas se trouvent ces mots d'une écriture ancienne: | |||
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Ces dates ne concordent pas avec celles que fournissent les pièces authentiques. L'âge de la femme cependant est celui de Saske, puisque, née en 1612, elle dut avoir 21 ans en 1633. Que penser maintenant de ce portrait, de cette inscription si curieuse? J'avoue que je n'ai pas de réponse. La pièce, ou l'inscription, est-elle fausse? Ou doit-on l'attribuer à un autre maître qui dessinait comme Rembrandt et aurait eu une femme ressemblant à Saske? Une eau-forte du maître, de 1634-36, présente une ressemblance frappante avec la figure et la pose dans ce dessin. C'est le no. 250, une feuille de croquis à trois têtes de femme. Celle qui se trouve en haut est un buste de Saske de face, les doigts de la main gauche appuyés contre la tête. C'est un croquis d'un charme et d'une délicatesse extrêmes. On y voit comment il est peu vrai de dire que Rembrandt manquait de noblesse, et il serait difficile de trouver ailleurs une tête plus jolie, plus vivante et plus charmante. Le visage ressemble aussi beaucoup à celui de l'eau-forte où Saske est assise vis-à-vis de Rembrandt. Voici une autre pièce fine et délicate, la femme en cheveux, de 1634; c'est Saske, vue un peu plus que de profil, coiffée en cheveux avec trois rangs de perles, un collier, une collerette en dentelle ouverte par devant et avec des manches bouillonnées. Elle a beaucoup d'embonpoint. Le visage fin rappelle fortement le portrait de CasselGa naar voetnoot1. | |||
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En 1636, nous trouvons la Saske assise à la table vis-à-vis de Rembrandt, et en 1639 la délicieuse feuille d'étude avec six têtes, dont celle du milieu est un des types les plus aimables de Saske. Elle y a les cheveux longs, coiffés en perles et un voile derrière la tête. Cette jolie tête ressemble surtout au tableau où Rembrandt s'est peint avec sa femme sur son genou et au superbe portrait de 1641, tous les deux à Dresde. Dans ces deux peintures, Saske a la même tète fine, un visage ovale, de beaux yeux bleus, une jolie bouche fraîche et souriante. Elle est rayonnante de bonheur et de santé et le peintre lui a prodigué les beaux costumes, les joyaux en profusion et toute la magie de sa palette. Nous retrouverons ces tableaux en leur lieu. Il y a encore plusieurs portraits, dits la femme de Rembrandt en fiancée juive, la Juive etc. et qui en effet ont une grande ressemblance avec elle. J'en ai consigné les détails dans la liste des oeuvres de Rembrandt, où je les ai classés entre 1636 et 1641. On voit de quel luxe de princesse ou de fée le peintre sut orner l'image de sa femme. Saske était encore dans la fleur de la jeunesse et de la santé. Il nous reste à mentionner un portrait d'une nature différente; c'est la Saske d'Anvers. Ce portrait reproduit, mais avec des variations, celui de Cassel. La tournure, le costume sont à peu près pareils, mais l'expression diffère entièrement. C'est | |||
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apparemment une image de Saske dans la dernière période de sa vie, image enveloppée de sérieux et de mystère. Nous admirerons en son temps cette oeuvre superbe. Outre ces portraits, où le maître était tantôt près de son modèle, tantôt transporté par la fantaisie, il y a plusieurs compositions où le peintre s'inspira de la figure de sa femme. Rembrandt s'occupait pendant quelque temps de certains sujets pour lesquels il fit des études de femme. L'une d'elles, de 1634, est l'étude à l'eau-forte, nommée la grande mariée juive. Cette femme, c'est évidemment Saske qui en a livré le modèle. Assise dans son fauteuil, elle est couverte d'un peignoir par dessus sa robe. Ses longs cheveux pendent autour de la tête et descendent à grands flots sur ses épaules; ils sont retenus au front par un collier de perles, ainsi que cela se voit dans plusieurs autres portraits de Saske. Elle tient un rouleau de papier et auprès d'elle est une table couverte de papiers. Rembrandt a gravé ce portrait avec beaucoup de soin et en divers états, achevant d'abord le buste seul, puis tirant d'autres épreuves à mesure qu'il avait plus travaillé l'architecture du fond, le peignoir, les mains, et couvrant en dernier lieu les mains de tailles légères. Nous devons à M. Blanc de savoir qu'il existe chez M. Donnadieu à Londres, une peinture de cette même composition, qui a été aussi gravée en manière noire par Haid. Mais dans ce tableau, la femme est accompagnée d'une vieille; on y remarque de plus un miroir et une cassette à bijoux sur une table couverte d'un riche tapis. Il s'agit donc d'une femme à sa toilette. Mais quelle est cette femme? Smith la nomme Bethsabée, recevant le message de David. Cherchons encore. Alors nous rencontrons une composition de 1634, qui offre quelque analogie avec celle-ci. Elle se trouve au musée de Madrid et | |||
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c'est à la description de M. Clément de Ris que j'emprunte les détails. C'est une femme assise, ‘ruisselante de santé et de vie,’ somptueusement vêtue d'un costume pseudooriental, à laquelle une servante, qui se trouve un peu plus bas, apporte à boire dans une coupe richement ciselée. Au fond et dans l'ombre, une vieille femme. Les figures sont coupées à mi-corps; la jeune Artémise, ainsi on la nomme, occupe la droite de la toile. ‘Je n'essayerai pas, dit M. de Ris, de rendre l'effet magique de la lumière, se détachant sur un fond sombre et transparent, l'éblouissant costume de la jeune femme, la puissance et la chaleur de cette couleur, qui a fait croire à quelques uns que Rembrandt préparait ses toiles avec une feuille d'or.’ L'exécution lui paraît plus serrée, moins libre que dans les oeuvres postérieures. C'est comme dans le portrait de Cassel. M. Clément de Ris pense à Saste et en effet je ne doute pas que ce soit elle. Elle a aussi les longs cheveux flottant sur les épaules, la bande de perles qui ceint la tête, la robe découpée, enfin tout ce qui distingue la grande mariée juive, et la belle reine de la féte de Samson. Car, la mariée juive, la Bethsabée, l'Artémise se retrouvent toutes dans ce tableau au Musée de Dresden, intitulé: la féte d'Assuérus, mais qui représente le festin de Samson. Cest toujours la même belle femme, resplendissante de vie, de luxe et de lumière, aux longs flots de cheveux, couronnés de bijoux. Dans ce tableau, qu'on retrouvera à l'année 1638, elle est assise au milieu de la table, entourée de convives. Ces trois tableaux se rapportent donc évidemment plus ou moins à l'eau-forte la grande mariée juive, et il est remarquable, ainsi qu'il arrive souvent, que, tout en la faussant en partie, la tradition ait conservé néanmoins un fond de vérité. Caria mariée juive, c'est évidemment la fiancée ou la femme de Samson. | |||
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En 1638 nous trouvons une autre eau-forte, la petite mariée juive; cela rappelle encore un peu Saske avec sa belle chevelure et le cordon de perles. A côté d'elle on voit une roue dentelée, l'attribut de Sainte Catherine. Rembrandt aurait-il pensé à faire un tableau de l'histoire des Saints? Une vieille gravure par Lépicié attribue à Rembrandt un tableau, Vertumne et Pomone. Les traits, les ornements, la coiffure frisottante font encore reconnaître Saske dans cette Pomone. |
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