Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 2. Sa vie et ses oeuvres
(1868)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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costume oriental dirige l'action; quelques spectateurs entourent la croix. Le ciel est chargé de nuages et remplit la scène de ténèbres; le corps de Jésus est éclairé. Dans l'autre, la composition n'est pas moins frappante. La terre et le ciel sont couverts d'ombres; seuls la croix, le corps du crucifié et les hommes qui le descendent sont inondés par une gerbe de quelques bandes lumineuses, pareille à un bout d'arc en-ciel. Le corps est descendu par cinq ouvriers; au pied la famille désolée; à gauche un juif en riche costume, peut-être Joseph d'Arimathie. Au fond les édifices de Jérusalem. L'arrangement est entièrement semblable à celui de la grande eau-forte de cette même année. Deux petits tableaux de genre, les philosophes en méditation (au Louvre), datent de cette même année; peintures délicates et remplies de charme, de finesse et d'accessoires pittoresques. L'un des philosophes rappelle diverses études de vieillards. L'escalier tournant qui se trouve dans ces deux intérieurs, a été souvent répété par les disciples de Rembrandt. Parmi les portraits de cette année, un tableau à figures de grandeur naturelle nous ramène vers la leçon d'anatomie; je veux parler de celui qui est connu sous le nom du constructeur de navires. L'homme est assis dans son cabinet près d'une table placée devant la fenêtre; il est occupé à dessiner la coupe d'un vaisseau. Troublé dans cette occupation par l'entrée de sa femme, qui ouvre la porte et lui remet un billet, il se retourne, le compas ouvert en main, et sa figure exprime légèrement la contrariété qu'il éprouve de voir interrompre ainsi brusquement le fil de son idée. Sa bonne figure à barbe et cheveux blancs, se ride un peu sur le front. La femme a un visage débonnaire. Deux têtes admirables de vie et d'animation. Les gestes sont fixés au point juste. Par l'esprit | |
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de la conception, voici encore un sujet au lieu d'une pièce à portraits. Un jour simple et naturel éclaire le tableau, sans grands contrastes d'effet. Une harmonie superbe y règne. Il n'y a que peu de couleurs; seul le vert-bleu du tapis sur la table offre une belle variante dans le ton général. Le portrait d'une dame - au musée de Brunswick - nommée à tort madame Grotius, est peint dans le même style, mais c'est un peu plus froid de couleur. Un beau portrait d'un jeune homme, à la galerie de Dresde, appartient à cette même manière finie. Enfin un superbe échantillon de ce style se trouve encore dans le grand portrait d'homme, vendu en 1865 avec la collection Pourtalès. Le personnage se lève subitement, s'appuyant de la main droite sur son fauteuil et avançant la gauche, comme s'il allait adresser la parole au spectateur. Il porte un élégant costume de soie noire ouvragée, avec aiguillettes d'argent à la taille, et des manchettes et un col en guipure. Peinture serrée et très finie, superbe sous le rapport de l'expression et du geste. Nous trouvons un genre différent dans un buste de garçon, de forme ovale, des collections van Brienen, puis J. de Rothschild. Le teint du visage est d'une nuance de couleur qu'on trouve dans le portrait de Saskia à Cassel; la touche et d'autres couleurs, comme le rouge du veste et le vert du châle sont les mêmes que dans ce portrait. Il faut remarquer ici une autre manière, un autre style encore dans quelques têtes, qui à mon avis doivent être rangées dans les travaux de 1631 à 34. Ce sont ces bustes où le peintre s'est plu à étudier un effet spécial de clairobscur. Dans ces études, la face est presque entièrement couverte d'ombres et il n'y a de clair qu'une petite partie | |
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de la joue, du nez et de l'épaule. Déjà vers 1630 nous remarquons une semblable manière d'éclairer dans quelques ustes peints et gravés. Le peintre continue l'étude de cet effet dans le buste du jeune homme au musée de la Haye. Les eaux-fortes nos, 223, 215, 214, 216 en sont aussi des types. Van Vliet reproduit cette manière dans sa tête d'officier, de 1631. Dans ces oeuvres le noir est très intense, trop fort même. Mais voici que le peintre poursuit ses essais dans quelques têtes, où il garde le même système d'ombres et de clair, mais où les ombres ne sont pas de couleur noire, mais brune; non pas opaques, mais transparentes et peintes d'une manière vague et plus moelleuse (dommelig). L'eau-forte, datée 1633, portrait de fantaisie de Rembrandt, dit à l'écharpe, nous offre ici un point certain de comparaison. Le visage est couvert d'ombres; le bas de la machoire gauche et le bout de l'oreille reçoivent seuls une lumière assez vive, tandis qu'un léger point lumineux se voit au bout du nez et en bas de la bouche. La lumière venant de derrière, éclaire aussi le haut de l'épaule gauche. J'ai trouvé au musée de Gotha un petit panneau, bien authentique, qui reproduit, mais en sens inverse, ce portrait de Rembrandt. Il n'a pas de coiffure dans celui-ci. La tête est découverte, et une petite collerette à bords frangés entoure le cou, au lieu de l'écharpe qu'on voit sur l'eau-forte. Mais la tête est la même, sans moustaches cependant, et entourée de cheveux également arrangés, ou dérangés si l'on veut. Le dos, la joue, le bout du nez sont éclairés de la même manière. Ce joli petit morceau est d'une touche légère et dans un ton brun fauve transparent. A la galerie de Cassel se retrouve la même tête. Elle | |
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ressemble au peintre et reproduit aussi presque entièrement l'eau-forte de 1633. La tête est entourée d'une chevelure épaisse, qui tombe jusque sur le front. Elle se détache en vigueur sur le fond d'un gris verdâtre et n'est éclairée que sur la joue dro te et sur l'épaule. Plusieurs têtes, gravées par van Vliet, d'après Rembrandt, en 1631, 33 et 34, reproduisent exactement cette manière. Seulement la pointe de ce graveur a un peu exagéré le noir et n'a pas rendu la transparence qu'on remarque spécialement dans les deux études de Rembrandt que je viens de décrire. Rembrandt fit cette année de très belles eaux-fortes. Il grava une des plus grandes planches de son oeuvre, la descente de croix. La composition nous est déjà connue par le tableau; elle ne varie que par quelques accessoires, et par la bande de lumière qui est plus grande. Il grava deux fois ce sujet. La première gravure, cintrée par le haut ainsi que le tableau, fut manquée. Il fit donc une seconde planche, celle qui est carrée par le haut. Cette belle oeuvre montre déjà l'habileté du maître. Elle est gravée par tailles très fines et beaucoup fouillées. Cette estampe paraît avoir été mise dans le commerce par Rembrandt, peut-être à la demande de son neveu Hendrik Ulenburgh, dont elle porte l'adresse. Sur un cuivre de moindre dimension Rembrandt grava la scène du bon Samaritain; reprenant trois à quatre fois sa planche pour y faire de légers changements, tels que dans la queue et le cou du cheval, le mur du perron, le foin etc. Cette planche paraît avoir été également mise dans le commerce, car l'inscription cum privil. devait servir à en assurer le droit de l'éditeur. J'incline à penser que Rembrandt a emprunté cette composition à une estampe de Jan van de Velde, ainsi que | |
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semble le prouver cette pièce curieuse, signée J. v.d. Velde fecit, Cl. J. Visscher exc. Je doute fort que les lettres V.R. dans la marge se rapportent à Van Rijn. Quoique entièrement dans le goût de Rembrandt, l'estampe rappelle encore plus Elsheimer, Goudt, Pieter Molijn et le genre de ce groupe que j'ai décrit dans la 1re partie. C'est un effet de nuit, comme ils l'affectionnaient. Elle est due à la pointe de van de Velde, et comme elle porte fecit au lieu de sculpsit, je lui en attribue aussi l'invention. La scène me paraît le prototype de celle de Rembrandt, avec son vieil édifice, son perron, où apparaît un valet, portant une torche, son escalier, au bas duquel le Samaritain paye l'hôte qui tient une chandelle, et avec son cheval et le serviteur qui en enlève le blessé. Le fond en diffère; il s y trouve une porte cintrée, dont l'ouverture laisse voir un bout du ciel et la route. Dans un petit tableau, au marquis de Hertfort, Rembrandt a reproduit à peu près la scène de son eau-forte. Un petit morceau, finement gravé, la fuite en Égypte, rappelle un peu une composition pareille, peinte par Lastman, dont j'ai parlé dans la biographie de ce peintre. Enfin Rembrandt prêta sa fine pointe pour illustrer l'Éloge de la navigation, poème très peu poétiqueGa naar voetnoot1 de E. Herckmans, où toutes sortes d'histoires relatives à la navigation sont décrites; à commencer, cela s'entend, par l'arche de Noé. Le 3o livre traite entre autres des guerres de Germanicus, et a en tête la jolie pièce de Rembrandt, connue sous le nom de la fortune contraire, et en Hollande sous celui de het scheepje van fortuin ou de wufte fortuin, (la barque de la fortune, ou la fortune incertaine). On a | |
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proposé diverses explications de ce sujet. M.Ch. Blanc a cru y reconnaître la bataille d'Actium, la défaite d'Antonins et la clôture du temple de Janus. En lisant attentivement ce troisième livre du poème de Herckmans, chose peu divertissante, j'y ai rencontré entre autres la description du voyage de St. Paul à Rome, et c'est là que se trouve l'explication de notre planche. Au fond, à gauche, se voit un temple à Jérusalem, entouré d'une foule dans laquelle se trouvent des prêtres; deux hommes s'efforcent d'en fermer les portes. Dans le XXIe chap. des Actes on lit comment le peuple ‘tira Paul hors du temple, dont on ferma aussitôt les portes.’ Alors le capitaine s'enquièrant de ce qui se passa, fit garrotter l'apôtre, - détails qu'on retrouve aussi sur la planche. Au premier plan de celle-ci, un cheval s'abat avec son écuyer, qui étend les mains et lève les yeux au ciel. On ne peut s'y méprendre, c'est Paul. Dans le XXVIe chap. suit le récit de Paul à Agrippa, concernant son aventure sur le chemin de Damas. Rembrandt, suivant ici l'antique façon de représenter plusieurs moments d'une histoire, ajoute à ces trois scènes une quatrième, qui occupe la partie droite. On y voit une barque faisant voile, une figure féminine debout près du mât et sur la proue un des hommes de l'équipage qui boit dans un pot. Tous ces détails, inexpliqués jusqu'ici, se retrouvent au XXVIIe chap. Dans ce trajet à Rome Paul dit à l'équipage: ‘Je vous exhorte d'avoir bon courage; - car en cette même nuit un ange du Dieu à qui je suis et que je sers, s'est présenté à moi. - Alors ayant pris courage, ils commencèrent à prendre de la nourriture.’ Cet ange, cet homme qui prend de la nourriture, notre planche les a encore. | |
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Voilà donc le sens de cette estampe, dont la gravure est très spirituelle an second plan et dans le fond. Ici se fait encore remarquer la parfaite connaissance de Rembrandt du texte de la bible. Il trouva son motif dans les vers de Herckmans, mais en homme accoutumé à se pénétrer de son sujet, il ne s'en tint pas là, et prit le récit original. De là ces divers détails qu'il trouva dans les Actes, mais qui ne sont pas dans le récit du poète. Les autres eaux-fortes de cette année sont un portrait de la mère de l'artiste et un portrait de Sylvius. Quelques portraits du peintre doivent être rangés à cette année, entre autres le portrait bien connu de Rembrandt à l'oiseau de proie. |
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