Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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XI.
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traits | |
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les mille effets et les éclats fulgurants du soleil, les harmonies des couleurs et des tons et la transparence des ombres. Sans doute il y voit des choses auxquelles l'on n'a pas encore pensé. Constamment en relation avec la nature, il la retrouve dans l'homme. Chez lui c'est l'homme qu'il étudie, sa physionomie, ses traits les plus délicats; il fixe ses mouvements, il saisit ses expressions au vol. Ses modèles sont, entre autres, sa famille, et surtout sa propre figure, qui lui livre le fond de mille expériences. Et toujours, avec le caractère spécial, avec la vie de ses sujets, c'est de la lumière qu'il s'occupe. Jamais oeil d'artiste n'avait découvert encore toute la poésie, tout le charme mystérieux de la lumière, comme elle se révéla à cet oeil, ni ne l'avait posé comme principe et point de départ pour la peinture. La nature frappa cette âme poétique par sou côté pittoresque, par sa couleur, sa lumière, ses formes caractéristiques, mais surtout par sa vie. Il s'associa aux efforts de ceux de ses prédécesseurs qui avaient déjà réalisé quelques parties de ses rêves et de sa main puissante il alla porter ces principes à leur comble, puis, pareil à Shakespeare, réunit à un degré inconnu les formes caractéristiques du naturalisme le plus sain et le plus vivant, à une fantaisie ardente et pleine de mystèreGa naar voetnoot1. Encore quelques années de ces études profondes et originales, dont les essais nous sont inconnus, et - ruisselant de lumière - le soleil apparaît au dessus de l'horizon. | |
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C'est en 1628Ga naar voetnoot1. Rembrandt débute par des portraits, et la première oeuvre qui nous soit restée de lui, est le portrait de sa mère. Il a fait d'elle une quantité de portraits peints et gravés. Parmi les femmes âgées dans son oeuvre gravé, il en est sept qu'on peut regarder comme figurant les traits de sa mère. Trois pièces portent le monogramme des premières années RH., accolés, c'est-à-dire Rembrandt HannensGa naar voetnoot2, et de ces trois, deux sont pourvues en outre de la date 1628. Ces estampes, de petite dimension, représentent la vieille femme en buste, l'une de face et coiffée d'une cornette, l'autre de trois quarts et portant une coiffe. C'est une femme d'un caractère fortement accentué. Son fils a dû lui res- | |
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sembler. Les yeux quoique adoucis par l'âge ont le même galbe, il y a les mêmes accidents autour des sourcils et vers la naissance du nez, la même expression contractée vers les régions visuelles. La bouche a un pli d'ironie dans les coins, et comme chez Rembrandt un caractère décidé. Dans ces deux estampes, (Blanc, 192 et 193) gravées légèrement et terminées à la pointe sèche, l'artiste se montre déjà maître dans ce genre de gravure. Aucune faiblesse ou indécision ne trahit la main d'un débutant. Les tailles ont toute la liberté, la spirituelle facilité des oeuvres postérieures; l'accentuation des traits, le dessin des méplats du visage, le modelé de la chair, l'expression, la vie y sont présentes à perfection. L'année 1628, remarquable par les deux premières oeuvres datées du jeune maître, l'est encore à un autre titre. En 1609 un jeune homme, natif de Harlingen, en Frise, verrier de profession, épousa à Leyden une jeune personne de cette ville. Il se nommait Douwe Janszoon. Un de ses enfants, né en 1613 se nommait Gerrit Douwensz. (fils de Dou). Montrant des dispositions pour l'art, il fut placé à sa neuvième année, par son père chez le graveur Bartholomeus Dolendo, peu de temps après chez le peintre sur verre Pieter Kouwenhorn. Mais son talent se dirigeant vers la peinture à l'huile, on sollicita pour lui l'enseignement de Rembrandt, et Gerard Dou, âgé de quinze ans, entra comme élève dans l'atelier de l'artiste qui n'était lui-même qu'un jeune hommeGa naar voetnoot1. De 1629 une seule eau-forte nous est restée, un portrait de l'artiste lui-même. C'est le buste d'un jeune homme | |
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à cheveux hérissés et en partie frisés, vêtu d'un habit à collet. La gravure est à grosses taillesGa naar voetnoot1. A ces débuts appartiennent peut-être encore quelques unes des têtes de jeune homme ressemblant à Rembrandt, et des pièces marquées du monogramme spécial à ses premières annéesGa naar voetnoot2. Mais c'est dans l'année 1630 que l'activité de Rembrandt augmente considérablement. D'une pointe, tour à tour fine ou large, toujours spirituelle et libre, il attaque vaillamment le cuivre. Ce sont des esquisses de gueux et de gueuses, des études de vieilles têtes expressives et prêtant au pittoresque, toujours des effigies de sa propre face; enfin un sujet nouveau emprunté aux évangiles, Jesus présenté au temple. La gravure est ordinairement encore légère et peu travaillée. Dans les gueux et mendiants la pointe fine se plaît à tracer avec esprit les contours pittoresques, à reproduire le caractère typique des figures et des costumes. Dans les bustes il attaque le modelé, les ombres des plans, le rendu de la chair et des traits de la figure. Dans ses propres portraits, dont cinq sont relatés par Wilson, il retrace les métamorphoses de sa physionomie expressive, tantôt riante ou faisant la grimace, tantôt avec la bouche ouverte, les yeux dilatés ou les sourcils froncés. Grâce à ces estampes autobiographiques, le visage avec son caractère et ses divers mouvements nous est familier. Rembrandt est alors un jeune homme robuste; sa tête est pleine et vigoureuse, des cheveux blonds l'encadrent en longues touffes | |
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épaisses et frisées, de légers poils naissent au-dessus des lèvres et autour du menton, la bouche est grande, les lèvres fermées et les coins annoncent une fermeté inébranlable. Mais les yeux surtout annoncent le peintre. Ce ne sont pas des yeux de penseur. L'action de voir y est pénétrante, et toute l'expression du visage est concentrée dans les régions du front autour des yeux. Les plis, les bosses autour des sourcils et la naissance du nez démontrent vers quel côté la cervelle est constamment occupée. Ces yeux perçants couvent la lumière et se rétrécissent comme des griffes pour saisir les formes et les effets. Ces portraits, dont les conceptions diverses dépeignent la fierté, l'audace et le penchant fantasque du caractère, montrent les préoccupations artistiques du jeune peintre. Déjà il étudie les divers sentiments et expressions de la face humaine, et les variétés, les jeux et reflets de la lumière. Un mot encore sur sa première page biblique. Là encore, comme dans ses autres sujets déjà mentionnés, il se place d'un bond sur le terrain qu'il n'a jamais quitté, celui de l'humanité. Aucun souci du surnaturel, de l'héroïque; aucune indécision; dès son début, pleine conscience de ce qu'il veut, conviction claire. Cette première page biblique qui nous est restée de lui, c'est la présentation de Jesus au temple (Blanc 24). Marie, habillée comme une simple bourgeoise, est agenouillée devant Simeon qui tient l'enfant. Joseph à genoux à sa droite. A la gauche de Marie, la figure d'Anne et l'ange aux ailes déployées qui lui montre l'enfant. Souvenir de ses études de gueux, un homme estropié de la jambe fait partie du public qui assiste à cette simple scène. La planche est gravée légèrement. Enfin dans cette même année 1630 nous rencontrons le peintre! | |
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On ne peut constater que deux tableaux de cette année. De l'un l'existence n'est connue que par une estampe de Schmidt d'après lui, portant l'inscription RI v. Rijn pinx. 1630. C'est un philosophe dans une grotte. L'autre heureusement existe et j'ai pu l'étudier à la galerie électorale de Cassel. C'est le portrait d'un vieillard maigre et petit, à grande barbe blanche, et la tête couverte d'un baret foncé. Il est en buste, sans mains, de trois quarts à gauche, la tête un peu penchée en avant. Il est vêtu d'un pourpoint très foncé et porte autour du cou une double chaîne d'or avec croix qui pend sur la poitrine. Le tableau porte la signature authentique RI 1630Ga naar voetnoot1; le panneau a 2 pieds 2½ de hauteur, 1 p. 9, de large. Il est de forme octogoneGa naar voetnoot1. La pâte est assez abondante, à touches visibles; c'est beaucoup et continuellement travaillé, d'une exécution serrée et très détaillée. Les poils de la moustache et de la barbe, les rides et les rugosités de la peau sont soigneusement détaillées. Mais ce qui nous intéresse infiniment, c'est la manière dont le portrait est éclairé. Là encore, quoique évidemment sans la puissance entière dont il fera preuve plus tard, la conception artistique se révèle pleinement. Le peintre se trace de suite son chemin, et n'aura plus qu'à pénétrer plus avant. Supprimant les mains, que l'éminent coloriste saura plus tard rendre inoffensives par d'autres moyens ingénieux, refoulant,tout ce qui est secondaire dans des pénombres, c'est la tête qu'il rend lumineuse. Tout le système de ses portraits est là. Et cette lumière, forte sans heurter les ombres, possède déjà à un degré remarquable le charme lumineux et fascinant. Le peintre de ce buste se range de suite parmi les partisans | |
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du coloris brun et chaud; mais quelle originalité cependant dans le maniement de ces éléments! - Aucun de ses compatriotes n'avait encore entrevu ces hauteurs. Cette manière d'éclairer une face, d'y mettre cette lueur magique, de concentrer dans cette force lumineuse l'intérêt du sujet ainsi que celui de la peinture, de refouler le secondaire dans l'ombre, et de maintenir néanmoins dans une parfaite unité et l'ombre et la lumière, de les harmoniser dans une seule et même gamme, c'est là le trait génial, qui éclate déjà dans cette oeuvre juvénile, et qui est une des causes de la fascination qu'exercent tous les portraits du grand initiateur de cette conception.
Avec la connaissance de ces oeuvres nous nous expliquons déjà parfaitement l'éclat subit qui suivit ses débuts. Déjà en 1630 le fils de Harmen van Rijn était renommé. L'histoire anecdotique raconte son succès chez un connaisseur à la Haye, son voyage vers cette place, ses aventures avec la voiture de poste à son retour. Quant à ce dernier conte, je le regarde comme absurde. Il est forgé ou enjolivé après coup par Houbraken, afin d'ajouter par le trait d'avarice, qui s'y fait jour, à l'inculpation de cupidité sordide inventée encore par Houbraken le premier. C'est surtout à Amsterdam où l'on se rappelait peut-être le formidable élève de Lastman, que son talent trouvait un accueil flatteur, et même à ce qu'il paraît avant 1630. Car maintesfois il avait été sollicité, dit Orlers, de venir dans cette ville, soit pour faire des portraits, soit pour livrer d'autres tableaux. Il résolut alors de suivre sa destinée et de se fixer dans la grande ville, qui offrait un milieu plus convenable et plus fertile à l'épanouissement de ses forces. | |
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Un jour eu 1630 il s'embarqua, et mit pied dans la grande ville sur l'IJ. Ici nous quittons notre peintre. Dans le groupe des peintres de ces temps, les plus vieux commençaient à être obscurcis, aux plus jeunes et aux plus forts se mêla la génération nouvelle, Koninck, Lievens, Brouwer, Cuyp, Terburg, Ostade, et bientôt nous verrons Rembrandt à la tête du mouvement artistique, qui dans son essor, assurera à l'école Hollandaise du 17e siècle, sa place parmi les grands événements de l'histoire de l'art. |
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