Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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IX.
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Or Lastman, en 1604 un jeune homme de bonne espérance, n'aurait eu que vingt ans. Il serait donc né entre 1580 et 84, et non en 1562 comme Houbraken prétend. Houbraken et tous les auteurs à sa suite ont rapporté la phrase de van Mander que j'ai citée, à Corn. Cornelisz. En lisant avec attention on voit qu'elle se rapporté à Pieter Gerritsz. et que c'est donc de ce dernier - peintre de figures et de portraits, formé dans l'atelier de Corn. Cornelisz. et qui après ses voyages à Anvers et à Rome se fixa à Amsterdam, - que Lastman fut élève. Lastman a probablement été formé d'après les principes de dessin et de style que son maître avait de Corn. Cornelisz. Préparé de la sorte il devait suivre l'usage consacré. Aussi en 1600 ou 1602 on le voit plier bagage et partir pour la métropole des arts. A Rome il trouva quantité d'artistes Flamands et Hollandais. Il se lia de suite avec le cercle de ceux dont Elsheimer était le centre, Teniers, Poelenburg, Pinas, Goudt, Uytenbrouck, Thomas van Hagelstein, et devint zélé sectateur de leur chef commun. Nous en trouvons la preuve dans trois tableaux très distincts des autres. Le premier, dans la possession de M. Kramm à Utrecht, porte sur une pierre au milieu de l'avant-plan l'inscription Bas. 1608 - le P formé sur la barre du L. Cette oeuvre de petite dimension a été faite, selon toute apparence, en Italie, et relève directement d'Elsheimer. Cest une fuite en Egypte. Voyons d'abord le paysage. A gauche du spectateur la scène est limitée par le tronc d'un grand arbre, dont le feuillage foncé, d'un vert brun, couvre le coin gauche supérieur et dont les racines occupent le coin gauche inférieur. Au lointain des arbres, des rochers et une ville forment, avec un ciel nuageux, le fond du tableau. La partie droite au second et au troisième | |
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plan est occupée par des roches couvertes de plantes et d'arbustes et par une cascade; au milieu des arbres se montrent des constructions, un arc, et les hauteurs sont couronnées par un temple rond, celui de la Sibylle à Tivoli. Ce paysage dont les détails correspondent à celui qui a été gravé par van Noordt en 1645 d'après Lastman, est peint dans un vert pâle avec des tons bleuâtres, et éclairé par une lumière fine et gazée. C'est comme forme et comme rendu le paysage d'Elsheimer et, en remontant, de Bril. Au milieu du premier plan Marie vue de face est assise sur l'âne; le manteau vert foncé enveloppe le corps et la tête et retombe jusqu'aux pieds nus; ouvert par devant il laisse voir le front et les cheveux bruns, couverts d'un linge blanc, ainsi qu'une partie de la robe rouge et du fichu blanc. Dans le bras droit elle tient l'enfant, entièrement nu; la main gauche tient la bride. L'enfant lève vers la mère les deux bras et sa tête blonde. Nulle trace de nimbe ni de lumière autour des têtes. La tête baissée, Joseph marche à côté et regarde au devant de lui. Il est vêtu d'un manteau rouge, d'une tunique brune, et sur l'épaule il porte un bâton où pend le panier aux outils et un chapeau de paille. Sa tête est chauve, la barbe grisonnante. Au coin droit du terrain de grandes plantes. Ce petit tableau est peint avec beaucoup de soin; les lumières sont posées par touches empâtées. La touche, un peu lourde dans les figures, est fine dans le paysage. La lumière entre à gauche derrière l'arbre, éclaire le visage et le buste de Marie avec l'enfant, et laisse Joseph dans le demi-ton. La carnation de Marie est blanche au joues roses, celle de Joseph d'un rouge brunâtre, familier à ce peintre. Le dessin n'est-pas mauvais, mais sans finesse. | |
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Lastman est enfant de son siècle en ce qu'il fait passer la route de Nazareth vers l'Egypte par l'Italie. Au reste il est partisan de la nouvelle manière d'Elsheimer. Aucune préoccupation de style ni de surnaturalisme. Tout le charme est dans le sentiment et la naïveté de la scène, rendue humaine et ainsi plus touchante. Cette scène de famille représentée comme telle nous révèle donc une face de l'art de Lastman que nous retrouverons dans Rembrandt. Au musée de Berlin j'ai examiné deux petits tableaux, composés et conçus dans le même sentiment; l'un sans date mais au monogramme P. appartient à cette période où la naïveté du peintre, cette fine fleur, n'avait pas encore perdu sa fraîcheur en aspirant au style. C'est la suite de la scène que j'ai décrite, c'est un repos en Egypte. Couleur, facture et sentiment absolument égaux au premier. Dans l'ombre d'un gros arbre aux feuilles larges et détail - lées, traitées comme celles de Momper, de Bril et d'Elsheimer, est assise la famille; l'âne est au milieu d'elle. L'enfant repose sur les genoux de sa mère qui est enveloppée d'un manteau vert et vêtue d'une robe rose. Son père est habillé de bleu et d'un manteau jaune-brun. A ses côtés les bagages, le panier aux outils et un vase en faïence bleue de Cologne. A droite une percée de paysage, avec des rochers, des arbres, une cascade, des ruines. Le sentiment de cette oeuvre a le charme de la tendresse et du naturel; jamais Lastman n'a si bien réussi. A cette même époque appartient le second tableau de lui à Berlin, signé P. 1608. C'est toujours le même genre de paysage, avec le temple de la Sibylle au lointain. Au milieu, les pieds sur une pierre qui se trouve dans l'eau, Philippe couvert d'un manteau rouge, et la tête nue, baptise l'eunuque; de la main droite se répandent les | |
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gouttes d'eau qu'il verse sur la tête de ce dernier; la gauche tient un grand livre. L'eunuque se tient devant lui, au milieu de l'eau, dans une attitude respectueuse. Sur la rive des figures agenouillées, et deux Maures tenant les chevaux d'une voiture couverte. Au lointain deux hommes discourant; l'un entièrement costumé à la façon des figures de Rembrandt et en reproduisant jusqu'aux gestes. Le tableau n'a pas autant de charme que les deux premiers; la figure de Philippe est lourde et sans esprit. Voilà pour la première manière du peintre. Son talent paraît n'avoir pu résister aux diverses influences qui devaient nécessairement agir sur lui en Italie. Il fut ébranlé dans ses convictions, il alla chercher, et malheureusement chercha en dehors de lui-même. Cette période de transition est clairement indiquée dans quelques tableaux, notamment dans trois que j'ai étudiés au musée de Brunswijck. Déjà en 1609, date écrite avec le monogramme sur le tableau représentant Ulysse et Nausicaa, le changement s'opère, la naïveté disparaît, mais la lourdeur reste. A droite Ulysse, - dans le costume du Mardoche d'Alfred de Musset - s'agenouille sur le rivage, demandant pour couvrir sa nudité, un vêtement à Nausicaa, dont les gestes expriment la surprise. Celle-ci est habillée d'une robe jaune, aux manches blanches; une écharpe bleue lui ceint la taille. L'homme nu (carnation d'un brun-rouge dur, et dessin sans finesse) a surpris les filles dans leur repas, dont les restes, ainsi que des plats, de la vaisselle, des fruits, etc. couvrent la terre. L'une de celles qui s'enfuient, porte un turban, une autre est coiffée de joyaux et d'une aigrette; costumes familiers à toute la bande, et qu'on retrouvera chez Rembrandt. Les plis des vêtements sont gros et ronds. Le | |
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terrain est couvert par une végétation à grandes feuilles, habituelle à Elsheimer, très bien peinte. Les grands arbres à droite sont couverts de larges et grandes feuillées dans le genre de Bril, Momper et Elsheimer. Le jour est égal et sans effets de lumière. Le ciel lourd est rempli de nuages d'un gris de plomb. Une oeuvre postérieure à celle-ei représente le massacre des innocents. C'est une composition pleine de figures, peinture égale à la précédente. La couleur devient plus crue. Point de ménagement savant de la lumière. Hérode à cheval ressemble fort à une figure d'Elsheimer sur l'estampe déjà citée de Soutinan d'après ce dernier. Le troisième tableau montre encore la même manière. C'est David jouant de la harpe devant un autel; composition de plusieurs figures, prêtres, officiants, choeur, et musiciens. Le dessin, quoique passable, manque encore de légèreté, et la couleur devient plus crue et manque de moëlleux; ce tableau Italianisé, et signé Pietro Lastman, porte la date 1613. En attendant l'école Italienne avait subi de nouveaux développements. La grande et brillante période n'était plus qu'un souvenir. Mais à la fin du 16e et au commencement du 17e siècle se forma une scission, et deux partis distincts firent une seconde renaissance, où les hommes de talent ne manquaient certes pas. L'un continuait la tradition des grands maîtres. Leur éclectisme accapparait ce que les coryphées avaient eu d'excellent, mais par là justement érigeait en école, en méthode, ce qui avait été principe vivant. C'est ainsi qu'ils ne possédaient qu'un sentiment, qu'une vérité de seconde main. Cette tendance trouvait son expression suprême dans les Caracci. | |
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S'upposant à ce principe, l'autre parti formait l'école naturaliste qui, s'écartant de la tradition, se rapprocha de la réalité. Michel Ange Amerighi, de Caravaggio (1569-1609), était le chef vigoureux et fougeux de ce que les Italiens ont nommé la manière forte. Il suivit davantage la nature réelle, et ne la sacrifia point à l'idéal convenu des formes; ses types ne sont nullement vulgaires, mais il ne se préoccupe pas avant tout de l'élégance des contours. Il cherche surtout le caractère, les passions violentes et la vigueur de l'effet. Sans doute il vise trop à obtenir sa vigueur du seul contraste d'ombres fortes opposées à des lumières très claires, et, ainsi qu'il arrive toujours, cette exagération apparaît surtout dans ses sectateurs. Le coloris et le clair-obscur, voilà ses éléments de poésie. Dans ses meilleures oeuvres sa couleur et surtout ses chairs, peintes et modelées avec une science consommée, sont chaudes et brunes sans rudesse. De ces deux tendances opposées surgissaient les claristes et les brunistes. Les uns, afin de faire valoir leurs formes linéaires, choisissaient un jour égal et clair; les autres afin d'obtenir des effets pittoresques, sacrifiaient quelques parties en les noyant dans l'ombre, pour faire valoir davantage les parties lumineuses, et en montant leur gamme augmentaient l'intensité de leurs lumières. Les partisans du style, du dessin, étaient par là même claristes; ceux du naturalisme, du coloris (couleur et clair-obscur) brunistes. Cette tendance de Caravaggio, naturaliste et bruniste, suscita de violents antagonismes. Poussin disait le Caravagge né pour détruire la peinture, un des Caracci nomma ses nuds costui macina carne, de la chair moulue. Néanmoins il était fort de mode, non toujours pour ses vrais mérites, mais pour ses extravagances, et il avait une foule d'adhérents, parmi lesquels se signalaient surtout Valentini, | |
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Barbieri (dans sa jeunesse), Preti, Strozzi, Dominichino, Honthorst, Ribéra, Guido Réni (pour un temps). Lastman aussi, après sa manière naïve et intime, après ses tentatives transitoires, a pris le parti de Caravaggio, et compte parmi ceux qui ont introduit chez nous cette manière ‘basanée et rôtie’, comme les Hollandais la nommaient. C'est dans un tableau au musée de Rotterdam que je vois un spécimen de cette période de son talent. C'est le sujet, bien souvent traité, entre autres par Pinas et plus tard par Rembrandt, de Manoé et de sa femme à qui l'ange apparaît (Juges XIII. 19). Ce tableau, le plus grand que je connaisse dans l'oeuvre de Lastman, est entièrement dans le goût de l'école Caravaggiesque. Les figures sont à mi-corps et de grandeur naturelle. A gauche l'ange, debout, les aîles déployées, vêtu d'une tunique jaune, d'un manteau de velours cramoisi à franges d'or, de manches blanches, étend la main droite au dessus de la chair posée en offrande sur l'autel. Manoé et sa femme s'inclinent dans une attitude respectueuse; lui, vieillard à tête chauve et à large barbe, joint les mains. Ces mains, comme toujours chez Lastman, sont grandes et rondes. La lumière vient de gauche et éclaire l'ange par le dos. Derrière la tête de Manoé, enveloppée de fortes ombres brunes, se dessine bien éclairée et avec des ombres moins fortes et plus froides, le visage de la femme, dont le front est couvert d'un linge blanc. Elle regarde en haut vers l'ange d'un air plein d'étonnement, les lèvres à demi ouvertes. L'expression des têtes de Manoé et de sa femme est très bien réussie. Dans la disposition de la lumière et des ombres, on reconnaît le partisan de la manière brune et forte. Leur opposition est tranchée, pas assez harmonisée par des tons intermédiaires. Les clairs sont très vifs; les ombres très brunes ou noires manquent de transparence. | |
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C'est de cette manière là qu'on voulut obtenir beaucoup de force, tandis qu'on en obtient bien plus par des moyens contraires. Chez Rembrandt, les ombres sont toujours claires et transparentes; jamais elles ne se heurtent avec les clairs, et sa force ne résulte que du concours savant d'une longue suite de tons. Caravaggio non plus n'a pas toujours ces oppositions trop fortes, ni ces ombres trop noires, que la plupart de ses sectateurs n'ont su éviter. Peut-être même tels de ses tableaux qui montrent ces ombres trop accusées doivent-ils en partie cette particularité au temps qui, on le sait, a poussé souvent les couleurs au noir. Plusieurs de ses oeuvres, quoique toujours d'un ton chaud, prouvent qu'il avait une entente très juste de la dégradation, du mariage des divers tons. Dans ses Génies faisant de la musique, qui se trouvent à la galerie de Cassel, le nu est peint à merveille, d'une couleur ambrée, et palpitant de vie.
Apparemment le tableau dont nous nous sommes occupés a été peint par Lastman après son retour en Hollande. Lui, Jan Pinas, Honthorst sont les principaux de ceux qui ont importé chez eux cette nouvelle manière Italienne; manière brune et forte, qui a eu pendant quelque temps beaucoup de vogue et que Rembrandt lui-même a cultivée. Cependant, remarquons dès à présent qu'il ne faut pas identifier ces deux manières. Rembrandt appartient par son principe de clair-obscur à la lignée des brunistes, mais il a porté ce système à une perfection jusqu'alors presque inconnue. Il l'a dégagé de toute rudesse, et n'en a gardé que ce qui était avantageux au mystère de sa poésie et de sa fantaisie. Toute proportion gardée entre l'emploi d'un agent et son ménagement magistral, je pense qu'il faudra tenir compte pour l'histoire de la formation du ton général des oeuvres | |
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de Rembrandt, de ces éléments de couleur et de clair-obscur, de cette entente, de cette conception de la lumière pratiquées par son maître. De retour dans son pays, Lastman se fixa à Amsterdam et se mariaGa naar voetnoot1. De son mariage naquit un fils, Nicolaas, devenu graveur, et dont on a diverses planches. Il grava entre autres, en 1608 une estampe d'après un tableau de son père, Jesus dans le jardin avec les trois disciples endormis, dans un paysage avec clair de lune; - St. Pierre délivré de prison, d'après Pinas; - un martyre de St. Pierre, d'après Guido Reni; - le bon Samaritain, d'après une composition de lui-même. Nicolaas est sans doute disciple de son père quoiqu'on cite aussi Pinas comme son maître. Des autres élèves de Lastman vers ce temps nous connaissons Jan Lievens, Roodtseus et Nedek. Lievens, venu de Leyden, est supposé avoir fréquenté son atelier à sa douzième année; c'est à dire vers 1620. Dans ses types, sa manière de draper, surtout dans le dessin des mains, l'enseignement de Lastman se fait quelquefois sentir. C'est apparemment une parente de son maître dont Lievens a fait le portrait et qui dans les vers de Jan Vos est nommée Margriet Lasmans, femme d'Eugenius Fontein. Jan Alberts Roodtseus, né à Hoorn en 1611 ou 12, a peint le portrait et des tableaux civiques. Pieter Pieterse Nedek était natif d'Amsterdam; il a peint le paysage. | |
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Lastraan, très recherché par les élèves, rencontra un succès éclatant: ses oeuvres furent très courues et ornaient les cabinets de divers amateurs à AmsterdamGa naar voetnoot1. Dans la préface de sa tragédie Joseph à Dothan (1640) Vondel dit avoir vu chez le docteur Robbert van der Hoeven à Leyden plusieurs tableaux remarquables de Pierre Lastman. Vondel faisait grand cas de son talent, mais Vondel n'était pas fort connaisseur en peinture. Il va jusqu'à le nommer l'Apelle de son siècle et à douter qui des deux Pierres, Lastman ou Rubens, mériterait la palme. On trouve cela dans quelques vers au sujet d'un portrait de Lastman peint par Thomas de Keyser, portrait dont je regrette d'autant plus la perte, que je n'ai pu réussir à trouver aucune image de Lastman. Vondel a chanté encore un autre tableau de notre peintre, représentant St. Paul et St. Barnabé à Lystre s'opposant au sacrifice payen, sujet traité aussi par Elsheimer. Ces vers sont classés par M. van Lennep à l'année 1648; date qui pourrait peut-être se rapporter de même au tableau. Cette composition pleine de figures se trouvait alors en la possession de Joan Six.
Nous poursuivrons l'étude de l'oeuvre de Lastman par l'examen d'un des ouvrages postérieurs, où l'on remarque encore des qualités nouvelles et curieuses. C'est un tableau daté de 1632. L'année de la leçon d'anatomie de Rembrandt. Le sujet représente la résurrection de Lazare. Dans une grotte spacieuse, au premier plan le groupe principal occupe la partie gauche et est en lumière. C'est la tombe | |
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ouverture sur le bord de laquelle est assis le ressuscité; deux hommes déroulent son linceul; derrière eux trois femmes en manteaux, jaune, rouge et bleu; ces trois dernières, comme types et comme costumes, inspirées par le goût Italien. Le coin droit est occupé par un rabin vêtu de blanc et de rouge, la tête couverte d'une calotte rouge. Près de ses pieds croissent de grandes feuilles. Le second plan un peu plus élevé, et contenant beaucoup de figures, est dans la demi-teinte. Au milieu Jesus, habillé d'un manteau violet par dessus son habit brun; une faible lumière jaunâtre entoure sa tête, dont les cheveux, la barbe et les moustaches sont rousses. Relevant de la main gauche son manteau, il lève le bras droit. Sur son visage se dessine une expression d'étonnement. A ses pieds une femme agenouillée, le corps droit, les bras étendus, le visage tourné vers le groupe du devant; sa figure et ses cheveux sont roux; la jupe de dessous et les manches vertes, la robe jaune, découpée carrément sur la gorge. Cette femme est une figure très rembranesque, ainsi que le type de Jesus. Parmi les figures qui entourent celui-ci un homme porte le turban employé souvent par Rembrandt. Ce qui est notable c'est le trait de lumière qui cotoie cette figure. Au fond dans l'ouverture de la grotte, une percée de ciel et quelques femmes accourant en hâte. Celles-ci en demi-ton et éclairées derrière par une lumière fine. La scène est composée en règle; c'est une pyramide, et tous les groupes, disposés de même pyramidalement, concourent dans la direction de la pyramide principale. Deux tendances se montrent dans ce tableau, l'une Italienne, l'autre originale. Tout le premier plan est peint d'une manière claire, déterminée; le reste au contraire est plus moëlleux, a plus de transparence dans les ombres, et possède à un degré inconnu jusqu'ici dans l'oeuvre du | |
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peintre, ce charme du mystère, de l'immatérialité qui nous fascine toujours dans. Rembrandt. Oui voilà vraiment encore un point de rapprochement, voilà un des chaînons qui lient le maître médiocre au disciple de génie. Mais voilà qu'une question se dresse au devant de nous, celle de savoir si Lastman a emprunté ces ressemblances, ces éléments lumineux à son disciple déjà célèbre; - ou bien si nous oserions les regarder comme des germes d'une manière de voir et de sentir que Rembrandt a depuis portée à la perfection? Je penche pour la seconde solution, parceque cette circonstance n'est pas isolée, mais s'associe à diverses autres dans le même sens. Cette même conformité se fait encore sentir à un degré remarquable dans un petit tableau sur bois, qui se trouve au musée de Haarlem. C'est une adoration des bergers; à gauche sur une hauteur à quelques marches Marie est assise avec son enfant. Le coin gauche en bas de Marie est occupé par des boeufs; à droite arrivent les bergers dont le plus avancé va s'agenouiller. Au haut de la droite on voit un nuage, d'un brun jaunâtre, s'ouvrir et un ange paraître. Quoique ce tableau ait cruellement souffert, il est précieux comme témoignage. Par la mise en scène et par le sentiment dans lequel il est conçu il appartient à la manière intime et familière, que Elsheimer, Bramer, Uytenbrouck, Lastman et Rembrandt, ont pratiquée pour ces sujets. Le type de l'ange et la couleur brun-jaune-doré du nuage dans lequel il apparaît se rapprochent bien plus encore de la conception de Rembrandt. Je ne saurais assigner une date à ce tableau. Il a trop souffert pour qu'il soit possible d'argumenter de la facture. Le style est le plus conforme aux oeuvres antérieures par la naïveté et l'absence d'influences Italiennes. | |
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Le tableau est signé; les lettres las sont visibles. Avant de déterminer le degré d'influence exercée par Lastman sur Rembrandt, terminons l'analyse de ses productions. Nous avons examiné sa peinture dans ses développements successifs. Il nous reste ses dessins et ses eauxfortes. Quant aux premiers je n'ai pu parvenir à en découvrir. Ce que nous en savons, c'est que comme les artistes de son temps, comme Rembrandt lui-même, il exécuta ses dessins soit à la plume, soit à la sanguine, soit avec des lavis à l'encre de Chine ou en brun. Rembrandt possédait de lui deux livres à esquisses, les uns à la plume, les autres à la sanguine. Bartsch (suivi par Nagler)Ga naar voetnoot1 dit, que vers 1626 Lastman a donné des épreuves d'estampes coloriées. Il aurait fait mordre le cuivre par l'eau-forte, puis aurait adapté les couleurs sur cette planche. De cette manière l'estampe était imprimée en une seule fois, méthode différente de notre chromotypie. Où sont les produits de cette opération? En a-t-on jamais vu? Le fait ne me paraît donc pas encore acceptable. Trois eaux-fortes sont attribuées à la main de Lastman, Juda et Thamar, dans un paysage; une femme assise sous une voûte, la tête enveloppée d'un voile; et un bourgmestre faisant l'aumône à un jeune garçon. Cette dernière planche porte le monogramme M.S. (M. Sorg) et ne saurait être de Lastman. La première est signée P.L. Le premier doute contre l'authenticité de ces pièces m'a été suggéré par M. van der Kellen, excellent connaisseur en fait d'estampes, à Utrecht. Et en vérité le doute est permis. Le monogramme P.L. sur la seule des trois pièces, et qui ne se trouve pas même sur les | |
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premiers états, peut n'être que la reproduction du monogramme ordinaire se trouvant sur le dessin bu la peinture d'après lesquels l'eau-forte pourrait-être faite. Quand je compare l'eau-forte de van Noordt, d'après Lastman, paysage Italien avec le temple de Tivoli, avec celle de Juda et Thamar, la ressemblance dans le maniement de l'outil, dans le rendu et le dessin des arbres ne peut être niée. Et il se pourrait bien, comme M. van der Kellen le suppose, que cette dernière estampe fût dé la même main. La question n'est que posée; mais si même nous ne pouvions pas faire précéder Rembrandt comme aqua-fortiste, par Lastman, cette même pièce nous fournit néanmoins une preuve de plus de la connexité des deux peintres. Le goût entier de cette estampe, les costumes et leurs détails, les types, sont tellement rembrandtesques, qu'on ne saurait s'y méprendre. Qu'on me permette d'insister sur quelques détails, et de faire remarquer la ressemblance de la manche de Thamar, de l'habit à lacets de Juda, de ses souliers à minces crevées au devant, avec ces mêmes détails qu'on retrouve chez Rembrandt.
L'intérêt que Lastman inspire, il faut bien en convenir, est dû en majeure partie à son rapport avec son élève et nous ne pouvons partager l'enthousiasme du poète Vondel à son égard. Mais celui-ci regardait plus au sujet qu'à la partie artistique. Nous avons déjà pris connaissance du couplet qu'il fit à l'honneur du portrait de Lastman. M. van Lennep, dans son magnifique travail sur Vondel, classe ces vers à l'année 1649, et y ajoute que le poète les fit à la mort du peintre, qui aurait eu lieu à Haarlem dans cette année. M.A.J. Enschedé, archiviste de Haarlem, a eu l'obligeance de faire des recherches à cet égard, mais les registres mortuaires de 1640 à 1650 ne contiennent | |
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pas le nom du peintre; non plus que les registres des baptêmes et des mariages. Nous pouvons donc pour le moment écarter Haarlem, comme lieu de naissance et de mort, et accepter Amsterdam comme tradition vulgaire. Les recherches dans cette dernière ville n'ont de même abouti à rien. L'année 1649, pour la mort de Lastman, n'est donc non plus prouvée.
Lastman pour nous n'est qu'un talent très secondaire. Mais il faut le juger d'après son temps. C'était un homme de transition. Supérieur à beaucoup de ses devanciers, promoteur de nouvelles idées et manières en peinture, il a été dépassé entièrement par le sublime élan de ses contemporains plus jeunes. En le voyant sous cet aspect nous pourrons rendre justice à ses qualités, sans manquer à la vérité. Son dessin, sans être mauvais, manque d'élévation, de finesse artistique et sa touche de légèreté. Dans ses débuts il a le charme de la naïveté, de l'intimité; plus tard il a quelques qualités de coloriste, et va même jusqu'à toucher une corde harmonieuse dans ses essais de clairobscur. Dans ses conceptions nous louerons sa représentation toute humaine des personnages bibliques, et ce qu'il a fait par là pour l'avenir d'un art vraiment humain. A vrai dire l'histoire n'est pas de son domaine, et ce n'est que dans le paysage animé de figures qu'il a réussi. Là il pouvait déployer des qualités plus modestes, et surtout un talent très remarquable pour le paysage. Nous n'aurons presque plus à insister sur son rapport avec Rembrandt. Lastman traitait les mêmes sujets, le drame de la passion, Abraham, David, Manoé, Mardochée, les scènes empruntées au livre de Tobie; et deux fuites en Egypte de Rembrandt ressemblent même à celle de Lastman. Leur manière de traduire ces sujets est la même manière simple, humaine, | |
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naturelle; leurs costumes, le style des édifices, des temples sont les mêmes, parfois avec des ressemblances frappantes; les types, les gestes de ses figures, on les retrouve de temps en temps dans l'oeuvre de Rembrandt. Enfin la lumière, la façon d'éclairer de Rembrandt, on peut en trouver quelquefois des traces dans son maître, il est vrai à l'état d'embryon, mais enfin d'intention au moins. Ce n'est que la distance immense entre le tâtonnement et le résultat sublime qui au premier abord fait douter de leur rapport. Donc Lastman pris en bloc a concouru à l'avènement de Rembrandt.
Aucune circonstance ne nous explique assez la raison du choix qu'on fit de ce maître pour Rembrandt. Pour nous, nous aurions regardé partout ailleurs; ou vers Mierevelt avec son talent sévère et solide, ou vers Honthorst, ou vers van Ravesteyn, et en premier lieu vers le magistral et brillant Frans Hals. Et encore possédait-on à Leyden même un maître tel que Esajas van de Velde. Mais Lastman était une célébrité dans son temps, et le premier poète de son pays lui consacra des chants. Ajoutons qu'il avait été en Italie, et qu'il peignait des sujets religieux, tandis que les autres que nous venons de nommer ne faisaient que le portrait et le genre! L'époque vers laquelle Rembrandt alla à Amsterdam, n'est pas relatée par les anciens biographes. Si nous supposons qu'il est entré à douze ou treize ans, c'est-à-dire en 1619 ou 1620 chez Swanenburch, où il resta trois ans, c'est vers 1622 ou 1623, à l'âge de quinze ou seize ans, qu'il aura été en apprentissage chez Lastman. Il n'y resta, suivant Orlers, que six mois. |
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