Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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VII.
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chent encore un peu a une manière antérieure. Lettré et poète, il a fait encore une quantité de dessins, illustrations d'emblèmes, des allégories, etc. Lui, van Goyen et Esajas van de Velde ont fixé ce genre des petites scènes, paysages avec haltes, escarmouches, chasses, incendies, hivers avec patineurs etc. Tandis que van de Venne les traitait d'une manière détaillée et très finie, van Goyen et van de Velde au contraire, y adaptèrent la largeur et les allures de la grande peinture. Esajas van de Velde, voilà certes un des artistes les plus remarquables non seulement de Leyden mais de son pays. Né en 1597, probablement fils de Jan, le calligraphe, il est déjà renommé à dix-sept ans. Il a demeuré quelque temps à Haarlem, mais en 1630 nous le trouvons à Leyden. Son influence a été grande, il a formé beaucoup d'élèves directs ou indirects, et a eu sa bonne part dans le mouvement général de notre peinture. Il a eu le bonheur d'être apprécié pendant sa vie par les artistes qui demandaient à l'envi la faveur de ses figurines pour animer leurs paysages et par les amateurs qui le payaient bien. Aussi est-ce un artiste charmant, et qui pour nous est un des premiers parmi les initiateurs de la nouvelle peinture. Il offre des analogies avec Hals par la vivacité et la finesse de la touche, par l'ampleur du faire et la grande sûreté de main. Il suffit de citer ici le petit cavalier si magistralement peint, qu'on peut voir au musée à Rotterdam. Cette petite figure, vue de dos, carrément et aisément assise sur le coursier couleur chamois à crinière et queue ondoyantes, semble véritablement, - M. Bürger l'a déjà remarqué, - un personnage de grandeur naturelle; c'est presque une statue équestre. Cette grandeur est encore un trait à ajouter à la physionomie de l'art de ces jours. Il a peint des batailles, des incendies, des kermesses, des intérieurs de cabaret, des paysages, tandis qu'avec sa | |
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pointe il traça plusieurs paysages et même des sujets politiques. Toutes les faces de la vie du peuple avaient ainsi trouvé des interprètes. Quant au paysage, c'est encore cette même époque qui le vit prendre une existence propre. Déjà Breughel, Bril, Elsheimer, de Momper, Savery avaient traité le paysage comme sujet principal, mais presque tous avaient encore jugé nécessaire de le justifier en quelque sorte par l'insertion de figures historiques ou bibliques, ou comme Savery par des scènes où les animaux jouaient un rôle, telles que le paradis, l'arche, Orphée. Ainsi l'indépendance du paysage dans l'acception moderne, de même que la largeur du rendu n'avaient été atteint qu'incomplètement. Jac. Gerr. Cuyp, van de Velde, surtout van Goyen et Roghman, furent les premiers à s'inspirer pleinement de la nature, à en être les interprètes fidèles. Avec beaucoup de sentiment et de naturel, et une main aussi légère que preste, van Goyen savait faire fuire les terrains, répandre de l'air dans les divers plans, accentuer la feuillée des arbres. Sa gamme ordinaire est plus ou moins brune, tant dans les terrains que dans le feuillage. Tandis qu'auparavant les vieux paysagistes peignaient les arbres et les plantes en détail, qu'ils figuraient chaque feuille, van Goyen, van de Velde et Roghman, peignaient par parties plus amples, exprimaient le feuillage par des touches plus larges, formaient de plus grandes masses, et conservaient ainsi dans leurs paysages plus d'ensemble et de grandeur d'aspect. Van Goyen aime la nature pour elle même. Aussi il a un accent très vrai dans tout ce qu'il fait. Quoiqu'il ait voyagé en France, il aime surtout les sites simples de son pays. Il a peint les villages et les hameaux au bord des rivières, | |
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les rives où passent des bacs chargés de voyageurs, les remparts de ville, les petits coins agrestes, et il anime ces scènes par de petites figures, peintes légèrement et spirituellement. On a de lui aussi quelques sujets de genre, des kermesses, des charlatans, qui font prévoir Jan Steen, et expliquent ce que celui-ci a pu apprendre de celui qui fut son maître, avant de devenir son beau-père. Van Goyen, né en 1596, n'a pas reçu, comme on le dit, l'enseignement de van de Velde; mais ils étaient concitoyens et de même âge. Contemporain de ces deux, né en 1597, Roeland Roghman fit faire un pas de plus au paysagisme moderne. Ainsi que van Goyen, il a voyagé, car il a peint et gravé plusieurs vues dans le Tyrol, des paysages montagneux, des cascades etc., et il n'était pas homme à faire cela de fantaisie. Il a beaucoup dessiné d'après nature, entre autre des centaines de châteaux et demeures seigneuriales dans les Provinces-Unies. Il paraît qu'il n'a pas fait beaucoup de tableaux, du moins on n'en voit que rarement. Les anciennes ventes n'en ont que très peu, les principales galeries de l'Europe en manquent. Le cardinal Fesch en possédait un; un autre, paysage rocailleux avec cascade, figures et bestiaux, a paru à la vente du cabinet de M. Bleuland à Utrecht; la galerie de Cassel en possède deux, attribués auparavant à Rembrandt.Ga naar voetnoot1 M. Suermondt à Aixla-Chapelle possède de lui une vue de ville à l'extérieur. L'harmonie générale y est dans un roux doré. Les premiers plans, dit M. Bürger, sont voilés de chaudes pénombres, transparantes malgré la vigueur du ton. Les lointains ont une finesse merveilleuse, à cause de l'air qui circule par- | |
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tout. Voilà bien le paysagiste qui a du plaire à Rembrandt. Au musée de Berlin j'ai trouvé un beau paysage à horizon étendu, attribué à J. de Momper, ce qui est en tout point impossible. Il m'a paru être un Roghman. C'est comme un dessin à la sepia. Il n'y a presque que du brun et du rouge; analogie remarquable avec les paysages de Rembrandt à Cassel et à Brunswijk, et avec celui de Roghman chez M. Suermondt. S'il a peu peint, il a infiniment dessiné; ordinairement à la pierre noire, et avec des lavis amples et légers à l'encre de Chine ou au bistre. Ces dessins sont exécutés d'une main libre et adroite; le dessin est très sûr et ferme dans les édifices, les ombres et les lumières distribuées par parties très larges. A peu de frais il obtient de l'effet et de la couleur. Les arbres sont traités largement et à grandes masses. Il a gravé aussi une trentaine de sujets; toujours des paysages, car il ne connaissait pas bien la figure. Aussi Lingelbach lui a quelquefois prêté secours pour peupler ses sites. Houbraken lui reproche sa manière rude et ‘hâlée ou rôtie’.. Le fait est que le talent de Roghman était fier, ample et brusque. Sa couleur chaude, sa science du clair-obscur, la vigueur en même temps que la finesse du ton, le placent parmi les précurseurs immédiats de Rembrandt, qu'il a précédé sans aucun doute dans la conception poétique du paysage. Un mot encore sur Pieter Molijn et Salomon Ruysdael. Tous les deux descendent en partie de van Goyen. Molijn, né vers la fin du 16e siècle à Haarlem, est un des premiers qui cultiva le paysage indépendant. Ses eaux-fortes se font remarquer sous le rapport du clair-obscur; ses peintures sont d'un coloris fort et naturel. Il aimait les effets pittoresques, le jeu des ombres. Un de ses paysages avec effet d'éclair, fait encore preuve de ce goût. Il a animé | |
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ses sites d'animaux et de figures, et a traité aussi le genre. Jan van de Velde a gravé entre autres d'après lui une pièce à effet de chandelle, des enfants chantant à Noël devant une maison. Salomon Ruijsdael, né vers 1600, n'a pas de biographie. Il faut qu'il reprenne sa place parmi les premiers créateurs du paysage. Quoiqu'il soit excellent dans les figures de ses tableaux, le paysage chez lui a le premier rang. Il en est qui se rapprochent fort de van Goyen, dont il a souvent les tons jaunâtres et bruns; souvent il est plus exquis que lui. Le naturel, l'air, la légèrete, la finesse de sentiment chez lui sont admirables. C'est ainsi que la peinture de la nature se développa en divers sens. Van de Venne, van de Velde, Molijn avaient partagé leurs grâces entre le paysage et les figures. Van Goyen, Roghman, Ruijsdael sont plus francs paysagistes. Les formes, les couleurs, l'air, le sentiment agreste, étaient exprimés à merveille. A ce paysage naturel, Roeland Roghman ajouta encore une grandeur de caractère et une poésie de couleur, telles que Rembrandt, son ami, allait les rêver. |
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