Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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ses petites nymphes et ses baigneuses minutieusement peintes dans des paysages arcadiens, lui qui voulait unir Raphaël à Elsheimer; enfin Moreelse, peintre inégal, mais qui a fait d'abord et sans doute en souvenir de son maître Mierevelt de la bonne peinture. Il en est d'autres qui pour le moment nous attirent davantage. En premier lieu il faut tenir compte de Mierevelt et de la part qu'il a prise au développement de l'art de son temps. Quoique son talent ne soit pas multiple et ne dépasse pas le portrait; quoi qu'il n'ait pas possédé le don de l'imagination, il est néanmoins un peintre très remarquable. La poésie n'est pas de son domaine, mais sa prose est bonne et claire. Il excelle dans le portrait, qu'il a peint à profusion. Le naturel, la sincérité, la sobriété, la solidité en font un des plus sérieux artistes de cette période. Avec cela il a formé de bons élèves et, ce qu'il nous importe ici de constater, il a contribué à maintenir et à propager les principes nationaux et naturels, fort en danger d'être compromis par la manie Italienne. C'est un personnage tout opposé au rigide Mierevelt, que le brillant seigneur Gerard Honthorst. Issu d'une famille patricienne, homme d'une figure distinguée, aux manières affables et civilisées, renommé dès son début, trouvant le succès en Angleterre, en Italie, en Hollande, recherché par les hommes illustres pour ses portraits, par les élèves, même princiers, pour son enseignement, comblé de cadeaux et d'honneurs, il est durant sa vie l'enfant gâté de la fortune. Il prend pour modèles Correggio et Caravaggio, et sous le nom de Gerardo Della Notte, il importa chez nous le goût des tableaux à effets de nuit, de flambeaux et de chandelles. Souvent il est faux et rude dans ces effets, | |
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quelquefois il est relâché et superficiel, mais il possède cependant une meilleure manière dont fait preuve un beau portrait au musée de Rotterdam; là il est franc et vrai, profond et ferme de couleur. On lui a supposé sur Rembrandt une influence, qui en vérité n'a jamais existé. Mais comme c'est lui qui un des premiers osa prendre dans la réalité des sujets tels que des vagabonds débraillés, des scènes de la vie guerrière ou bohême, - qui importa chez nous le naturalisme et les effets Carravaggiesques, ainsi que le goût des compositions de nuit, il appartient au groupe d'artistes, dont nous avons à nous occuper. Jan Pinas a droit aussi à une attention spéciale. Il est accepté par la majorité des écrivains comme un des maîtres de Rembrandt; sa manière brune parut un des motifs pour justifier cette opinion. Cependant sur quoi se fonde-t-elle? Je ne connais que deux sources authentiques comme biographies de Rembrandt, Orlers et Sandrart. Ni eux, ni Samuel van Hoogstraten qui de même est véridique, ne font mention de Pinas comme maître de Rembrandt. Orlers ne cite que Swanenburch et Lastman; Sandrart, Lastman seul. Houbraken est le premier qui dise que Rembrandt aurait ‘singé (sic) Pinas dans sa manière brune.’ Mais l'oeuvre des deux frères Pinas ne nous autorise pas à leur supposer Rembrandt pour élève. La peinture et les dessins de Jakob Pinas reflètent l'art Italien et ne paraissent avoir, pour ce que j'en ai vu, aucune analogie avec Rembrandt. Par le choix des sujets, par sa manière brune et par la naïveté de quelques parties, les oeuvres de Jan Pinas ont bien une analogie lointaine, non assez marquée pour le classer parmi les maîtres de Rembrandt, mais suffisante | |
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pour le ranger parmi ceux de ses contemporains ayant droit de figurer au nombre des forces artistiques, qui préparèrent le chemin à la venue du grand maître. Jan Pinas a peint les scènes bibliques, la mythologie, le genre et le paysage. Il alla vers l'an 1605 en Italie, où il travailla avec Lastman, Goudt et Elsheimer. Il y prit parti pour la peinture brune, dont il fut depuis un des vulgarisateurs en Hollande. Après son retour en Hollande il se fixa à Haarlem. Nicolaas Lastman, le fils de Pieter, a fait d'après lui une gravure qui a dû reproduire fidèlement le caractère du tableau. C'est Saint Pierre délivré de prison par l'ange qui, habillé comme un officiant d'église, le conduit par la main vers la porte ouverte, par laquelle une large bande d'une lumière vive pénètre dans la prison. Comme effet de lumière l'idée est très heureuse; l'expression des figures est naïve et naturelle, et les mouvements très justes. Mais l'opposition des clairs et des ombres est un peu forte et marque l'école de Caravaggio. En général, Pinas fit ce que firent la plupart de ses confrères, qui suivaient la manière brune; il tâcha d'obtenir des effets prononcés par le contraste très marqué des clairs et des ombres, pas assez harmonisés cependant par des tons intermédiaires. Un autre artiste de Haarlem, suivant des principes analogues à ceux de Pinas, mérite notre attention. Pieter de Grebber est de ceux qui ont cultivé la grande peinture, - sujets historiques et sujets contemporains. Né vers la fin du 16e siècle à HaarlemGa naar voetnoot1, il fut élevé dans les principes partagés par la plupart des artistes de cette ville. Il me semble que je vois percer dans plusieurs oeuvres de ces | |
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artistes, un style et un faire qui tiennent à Rubens. Il se peut que ce mode ait été transmis par van Mander et par les fréquentes relations avec les artistes Flamands. J'ai aussi remarqué à l'égard d'un tableau de Hals cette manière analogue à Rubens. Nous la rencontrons de même dans une grande toile de de Grebber, au musée de Haarlem, signée 1630 P.D.G., représentant Barberousse et le Patriarche de Haarlem, offrant à la ville un écusson d'armoiries. C'est comme agencement des figures et des draperies, par la splendeur des étoffes et des couleurs, et par l'ampleur du faire, entièrement dans le goût de Rubens. Deux autres grands tableaux, de 1621 et 1628, (au même musée) sont d'un coloris plus sobre. Cependant de Grebber a pratiqué avant ou après ce temps encore une tout autre manière. C'est celle dont encore le musée de Haarlem offre un échantillon. Ce tableau à figures de grandeur naturelle à mi-corps, représentant le refus des présents d'Artaxerxes par Hippocrate, est traité d'une manière qui tient à celle de Pinas et de Lastman. Dans les types, les costumes orientaux, dans la disposition des ombres et des lumières et certains effets de clair-obscur, de Grebber s'y montre partisan de cette tendance, dont je tâche d'exposer l'histoire, et qui a abouti à Rembrandt. A cet égard il faut que nous remarquions encore les eauxfortes de ce maître, qui sont dans le même goût. Je n'ai pas encore vu les trois que Heller mentionne, une Susanne 1665, une Madeleine, et le portrait de C. Arnoldus, d'après Rubens 1630.Ga naar voetnoot1 La date de cette dernière estampe | |
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faite d'après Rubens, coïncide d'une manière fort remarquable avec celle du tableau dans lequel j'ai démontré des analogies avec ce même maître. De Grebber fut donc un moment influencé par le grand coloriste Flamand. Cependant je possède une autre estampe, qui le montre au contraire fort entré dans la voie de Lastman et de Pinas. Cette eau-forte, (dont quelques épreuves portent le nom du maître), représente Jesus assis près du puits à la gauche de l'estampe, parlant à la Samaritaine, qui est agenouillée devant lui. Elle est coiffée d'un turban rond, et habillée de la façon familière à Pinas, Lastman, Bramer, acceptée aussi par Rembrandt. Derrière elle une cruche ornée et à grande anse; derrière Jesus la pente d'une hauteur couverte de broussailles et d'arbustes. Au fond de grands arbres. Outre le costume et le type de la femme, la recherche d'un piquant effet de lumière par des ombres rembrunies, rattache cette pièce au groupe qui nous occupe. La planche me paraît mordue en quelques endroits, puis entièrement reprise à la pointe sèche. Mais elle est gravée d'une manière libre et pittoresque, un peu dans le genre de Goudt et de Jan van de Velde. Tout l'entourage est traité légèrement, mais les ombres dans les figures et sur l'avant-plan sont fort nourries et obtenues par divers rangs de tailles en losanges très fines. Haarlem était depuis la fin du 15e siècle un véritable foyer de l'art, et possédait dans le premier quart du 17e siècle une quantité d'artistes. Cornelis van Haarlem, van Mander, l'ainé des de Grebber, Goltzius, Vroom, comptaient parmi les vieux; de Grebber le jeune, Soutman, les Pinas, Jacob Matham, et leur maître à tous, Fr. Hals, parmi les jeunes. Il importe de noter que c'est dans ce groupe que nous | |
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trouvons les exemples à peu près les plus anciens de ces grandes toilesGa naar voetnoot1, destinées à représenter les portraits des membres des diverses corporations ou des gardes civiques, ces doelen- et regenten-stukken, que nous nommerons à l'exemple de M. Bürger, des tableaux civiques. Déjà en 1583, et dans les dix dernières années du même siècle, Cornelis van Haarlem traita ce sujet. Son élève Corn. Engelsz. Versprong, et F.P. de Grebber suivirent ses traces, Frans Hals en fit des merveilles. En même temps ce genre de peinture historique, illustrant les contemporains, fut pratiqué à Leyden par van Schooten, à Amsterdam par Theodoor de Keyser, à la Haye par van Ravesteyn. Ce Theodoor de Keyser, fils de Jakob, dont l'architecte Hendrik fut le frére, vécut entre 1590 et 1660. Homme de grand talent, il appartient au groupe de ceux qui ont développé cette peinture civique, face originale de notre art. Il est à placer, après Hals et Ravesteyn, parmi les plus vaillants devanciers de la grande école. Ses oeuvres antérieures ne me sont pas connues par des dates. Peut-être le portrait d'un magistrat, vaillamment peint, qui se trouve au musée de la Haye, est à compter parmi celles-là. L'hôtel de ville d'Amsterdam conserve de lui un grand tableau, daté 1633; seize membres de la garde civique, presque de grandeur naturelle. Cinq ans plus tard il traita un sujet analogue, les quatre bourgmestres d'Amsterdam, auxquels on annonce l'arrivée de Maria de MédicisGa naar voetnoot2. Ce panueau pourrait bien être une étude pour une toile plus grande. Mais ce petit morceau est encore une merveille d'exécution large et magis- | |
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trale. Les figures sont fermement et carrément dessinées et modelées en pleine pâte, rehaussées de touches vives. Theodoor possède cette suprême qualité de faire vivre ce qu'il touche et d'être grand indépendamment des dimensions et des sujets. Theodoor a peint un portrait du peintre Jakob Bakker, que Matham a gravé, gravure qui porte la date 1651. Ce fait démontre des relations assez intimes entre de Keyser et cet élève de Rembrandt, et rapproche encore par-là Theodoor de l'entourage de ce dernier. C'est encore une figure à refaire ou plutôt à tirer de l'ombre; car on ne sait que trop peu sur sa personne. J'ai nommé van Schooten, qui appartient également au genre dont nous nous occupons. L'on connaît la demeure de la famille van Rijn à Leyden. Si en sortant du boulevard où se trouvait cette maison, on laissait à droite la Porte Blanche, on arrivait, en longeant les remparts de la ville, au Doelen des arquebusiers. Dans la grande salle des officiers on aurait pu voir alors en 1626 et 28, fraîchement peints, plusieurs grands tableaux, tous portraits jusqu'au genou d'officiers en grande tenue, avec drapeaux, hallebardes et écharpes, et dans leurs costumes divers et multicolores. Le peintre de ces tableaux c'est Joris van Schooten, âgé alors de 39 ans. Son maître parait avoir été Coenraed van der Maes, portraitiste à Leyden. Il n'a pas voyagé; ses parents l'en empêchèrent, et le marièrent bien vite pour le fixer chez lui. Aussi ces tableaux d'officiers de la garde, n'ont-ils rien d'Italien. Ce n'est pas la fantaisie, c'est le sentiment de la réalité qui y domine; ces oeuvres sont la reproduction naïve de figures juxta-posées et non composées. Mais la valeur en est dans le caractère et l'expression des têtes, dans une exécution serrée, dans une bonne entente de la couleur et du clair-obscur. Il a dans ces peintures quelque analogie | |
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avec van Ravesteyn, mais il n'est pas si fort à beaucoup près. S'il est resté chez lui, c'est bien à contre-coeur et par force: il a été tourmenté par le désir des voyages, surtout par la passion pour l'Italie. Il a fourni des preuves dans d'autres tableaux que l'influence Italienne savait même atteindre ceux, qui restaient chez eux. Quelques sujets bibliques sont exécutés dans un style et un costume demi-Italiens, ainsi que dans cette manière brune, ces contrastes assez forts des clairs et des ombres, qu'on remarque également chez Pinas et chez Lastman, et que tous avaient empruntés à certaine tendance alors en vogue en Italie. Parmi les jeunes hommes qui se formaient dans son atelier vers ce temps, se signalent son fils Pieter, Abraham van den Tempel et Jan Lievens. Joris van Schooten a été accepté par plusieurs biographes comme un des maîtres de Rembrandt. L'unique source à laquelle on puise cette assertion est van Leeuwen, mais, ainsi que nous l'avons déjà dit, les notices de cet écrivain sur les peintres sont trop superficielles, trop secondaires dans son livre pour y prêter quelque autorité. Un des plus vaillants peintres de ces mêmes tableaux de régents ou de schutters, est Joannes van Ravesteyn. La Haye, car c'est là qu'il faut le chercher, petite place non fortifiée ni même dotée du titre de ville, et d'une population peu nombreuse, avait été dans la dernière moitié du 16e siècle, dans des conditions très peu favorables à la culture des arts. Ce ne fut que lorsque le prince Maurice s'y fut établi, que la vie artistique s'y développa. Dans les premières années de 1600, nous trouvons dans cette ville un statuaire, un graveur, quelques peintres. En 1580Ga naar voetnoot1 | |
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y naquit Joannes van Ravesteyn. Son maître n'est pas nommé; peut-être l'influence de Mierevelt ne fut-elle pas étrangère au développement de son talent. Rien n'autorise à supposer, que Ravesteyn ait voyagé, et jusqu'à sa mort en 1657, sa vie entière s'est écoulée à la Haye, où il possédait une maison dans la Nobelstraat. Voilà donc assurément encore un de ces fameux autochthones. Il fut le peintre favori de la magistrature, pour les compositions civiques, et ses toiles furent recherchées pour orner le Doelen et l'hôtel de ville.Ga naar voetnoot1 D'ailleurs, son talent éminent de portraịtiste fut invoqué par une quantité de célébrités contemporaines, parmi lesquelles il suffira de nommer Reaal et son épouse (1629), Hoogerbeets (1619), Reinier Pauw, le prince Frédéric Henri (1628). Aussi sa position était aisée et honorable. De son mariage, il eut en 1615 un fils Arnold, qui devint peintre de portraits. Van Dijck a peint le portrait de Joannes.Ga naar voetnoot2 C'est une de ces têtes bonnes, calmes et énergiques, qu'on rencontre tant de fois parmi les schutters et régents de ces temps. Je ne connais de Ravesteyn qu'un seul tableau de genre, un intérieur qui est au musée Boymans, à Rotterdam. Et encore ce tableau pourrait bien être d'un des autres Ravesteyn. Ses nombreux portraits sont d'une facture simple et solide, d'une grande vérité dans l'expression. Ils font tous preuve d'une qualité, qu'on dirait presque inhérente à tous ces peintres, qualité de souffler la vie dans toutes leurs créations. La première oeuvre de van Ravesteyn à date certaine est de 1614; c'est le portrait du conseiller Johannes Buyesius. | |
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Deux ans après il acheva cette vive et fraîche peinture des officiers de la garde civique, sortant pèle-mêle du Doelen, dont ils descendent le perron, après avoir bu le coup de vin, qui annuellement leur était offert par le magistrat dans cet édifice. Dès cette oeuvre, son talent en pleine sève nous est révélé par une série de tableaux. C'est en 1618, - Rembrandt n'avait alors que onze ans - qu'il fit un grand tableau qui suffirait seul à le placer en première ligne parmi ceux qui ont inauguré la conception et la facture de Rembrandt. C'est une toile magnifique, où il a représenté le magistrat, assis à un banquet, recevant le verre en main les officiers de la garde. C'est d'une justesse, d'un caractère admirables dans les gestes et les physionomies, d'un faire savant et solide. La couleur est profonde, ombrée en même temps que chaude, et tout est modelé dans une pâte abondante. Il y a ici de ces blancs reflétés de brun, de ces tons bruns et dorés, de cette chair couleur d'ambre, de ces lumières glissantes, que Rembrandt n'aurait pas désavoués. Un très beau portrait d'homme, que possède M. de Weckherlin à la Haye, est exécuté dans un ton pareil. Une grande analogie rapproche ces peintures de Ravesteyn de la leçon d'anatomie de Rembrandt. Ravesteyn cependant n'a pas persisté dans cette manière. Soit que les amateurs ou les artistes lui aient déconseillé de ‘se fourvoyer dans cette manière brune et rôtie’, comme on disait alors, soit qu'il n'ait fait ici qu'un essai dans une voie nouvelle, ses oeuvres postérieures montrent un changement dans sa manière de voir. Les tableaux qu'il fit depuis, sont dans une lumière égale et unie. Il eut toujours d'admirables qualités d'expression, il dessina toujours à merveille les gestes et les physionomies, la vie n'y fait jamais défaut; - j'en appelle à ces belles toiles de l'hôtel | |
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de ville de la Haye. Mais il quitta les lueurs de la poésie pour la clarté de l'histoire. Admirable peintre de portraits, Eavesteyn est surtout un des premiers de ceux, qui ont élevé la peinture des grandes toiles civiques à la hauteur de pages historiques. Avec ceux du maître de Haarlem, les tableaux de van Ravesteyn sont au premier rang dans ce genre. Chacun d'eux a sa manière propre. Hals obtient du premier coup ses effets, chez van Eavesteyn tout est plus travaillé, plus fondu. Puis chez le premier tout est hardiesse et franchise, l'autre est plus calme et plus tenace. Quant à la vie, à l'expression, à la vérité et la justesse étonnantes des mouvements, ils sont égaux. Mais Ravesteyn n'égale pas Hals dans la désinvolture, dans l'élégance, dans la verve coloriste. Frans Hals prime non seulement dans ce genre, mais dans l'école entière de cette période. Il est né en 1584 à Malines, et a demeuré à Haarlem jusqu'à sa mort en 1666. Issu d'une famille patricienne, il épousa Anna, fille du conseiller Cornelis Stalpart van der Wiele. Elle est d'une famille non seulement patricienne mais encore artistique, car trois autres demoiselles Stalpart, épousèrent trois artistes de Haarlem, Jacob de Gheyn, Jacob Vroom et Jan de Bray. Hals ne mérite en aucune façon d'avoir été flétri par les sots commérages de Houbraken, dont la fausseté est démontrée. Artiste vif et spirituel, il est devenu la victime des mauvaises langues colporteurs d'anecdotes, qui n'ont pas eu honte de salir la mémoire d'un homme sans reproche, d'un artiste extraordinaire. En 1644, il était chef de la gilde de Saint Luc; preuve de distinction de la part de ses confrères. L'on sait qu'il sort de l'atelier de van Mander, qu'il fréquentait apparemment vers 1600 ou 1603, et qu'à son tour il forma les deux fameux Adriens, Brouwer et Ostade. Heureusement il n'a pas été chercher en Italie ce qu'on ne trouve | |
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qu'en soi-même. Il est resté original et naturel, et il appartient par là à ce groupe d'artistes nationaux, qui ont imprimé à l'art Hollandais son caractère, sa physionomie spéciale. C'est un praticien extraordinaire et prestigieux. Sa facture est franche et magistrale. Il ébauche prestement avec des couleurs abondantes et fondantes, puis avec des touches vives, légères et sûres, il pose les reliefs, les lumières, sans plus y revenir, sans étendre ses teintes. Avec tout l'aplomb d'un maître conṡommé, il sait d'un jet modeler ses figures. Avec cela sa couleur est tantôt profonde, tantôt brillante, toujours vraie; partout dans ses oeuvres la vie circule et l'atmosphère remplit l'espace. Il est le premier en date des peintres Hollandais, qui ait osé être si large et si hardi dans son coup de brosse. On a de lui beaucoup de portraits, parmi lesquels figurent les personnes les plus illustres de son temps, Voetius, Descartes, Bor, et tant d'autres. La même vie qui respire dans ses portraits et dans ses personnages de fantaisie, anime ses grands tableaux. Là son habileté à manier les grandes masses, à produire une charmante harmonie et l'unité de couleur est admirable. Rien dans ces grandes toiles avec quinze ou vingt officiers de la garde ne sort de l'harmonie générale, rien ne choque. Quand on regarde les grandes toiles pareilles de la plupart de ses contemporains, toutes les têtes sont séparées et font des clairs détachés; chez lui tout s'harmonise. Et puis tout cela a un air de grandeur et de dignité. C'est lui vraiment qui mérite le titre du plus brillant précurseur de Rembrandt, par la vie et le caractère de ses figures, par sa peinture large et hardie, par ses tendances naturalistes et modernes. Hals est l'introduction brillante, l'allégro vivace con brio de la majestueuse symphonie Rembrandt. Les thèmes développés entièrement dans ce dernier, sont indiqués dans l'oeuvre de | |
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Hals. Il aut pour le connaître voir à Haarlem les huit toiles capitales où tout son talent se déploie dans un espace de cinquante années. Dans le beau tableau de 1616 il est passé maître déjà. Il est très remarquable que ce tableau se distingue de la plupart des suivants par une plus grande profondeur de couleur; le ton y est plus foncé et plus chaud. Mr. Bürger, qui a si parfaitement apprécié Hals, a émis l'opinion, qu'après avoir vu les oeuvres de Rembrandt depuis 1632, Frans aurait modifié un peu sa manière selon celle du grand maître, et serait devenu ainsi plus profond de couleur. La date du tableau s'oppose à cette idée.Ga naar voetnoot1 Cette date est 1616. Eembrandt n'avait alors encore que neuf ans. Il est très curieux que cette même force de la couleur, cette même tonalité se trouvent dans le fameux Ravesteyn de 1618 à l'hôtel de ville de la Haye. Lui et Hals ont donc pratiqué cette couleur profonde, brune et chaude, avant qu'ils aient pu voir l'exemple de Rembrandt. Dans ce tableau remarquons encore que Hals a plus travaillé, plus fondu les couleurs qu'après. Mais dans les costumes il a déjà sa liberté de coup de brosse. De 1627 il y a de lui, toujours à Haarlem, deux banquets d'officiers. Le ton y est plus clair et plus transparent, la disposition du jour plus égale. Dans l'un le coloris est extrêmement frais, avec des carnations roses et blondes, des tons roux, d'une franchise flamande. On dirait qu'il a pensé à Rubens. La largeur du faire augmente, les transitions des couleurs ne sont pas éteintes. Dans celui de 1688 le ton mûrit | |
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encore, la couleur tend à devenir plus immatérielle; toujours la même largeur de plus en plus magistrale et sûre. Puis, le maître découvre des gammes nouvelles. Dans une toile magnifique de 1641, - cinq régents de l'hospice de St. Elisabeth, assis à une table couverte d'un tapis foncé, - Hals prophétise les Syndics de Rembrandt. C'est d'une puissance extraordinaire. Le grand coloriste a quitté là les vives fraîcheurs pour une gamme presque monochrome. Là il découvre ce grand secret, que Rembrandt aussi a ppssédé, d'obtenir une couleur puissante sans couleurs; de rester dans une seule gamme de tons voisins. Il n'y a que du noir, du brun, du brun chaud; seules les têtes ont quelque peu de rouge, mais la carnation est reglée d'après la dominante. Aussi la lumière y est plus rare, plus concentrée, plus mystérieuse; et tandis que les couleurs sont rendues immatérielles, la réalité la plus vivante fait respirer ces hommes. Hals alors avait 57 ans; son talent a la force mâle, la sobriété classique de l'âge mûr. Mais comme le Titien, comme Rembrandt, cet étonnant coloriste tendait toujours à une plus grande hardiesse. En 1664, - à quatrevingts ans - il est presque sauvage. Deux tableaux de cette année, un des régents, l'autre des dames régentes d'un hospice, sont d'une largeur, d'une témérité extrêmes. Alors il est comparable à Rembrandt au temps du portrait de Six. Je ne saurais en dernier lieu passer sous silence Jacob Gerritsz. Cuyp. Il prend rang parmi les plus excellents précurseurs de Rembrandt par l'intimité d'expression et l'intensité de la vie de ses portraits. Le plus éclatant exemple que j'en ai vu est le portrait de vieille dame, au musée de Berlin. Il porte la signature authentique aetatis 68 Anno 1624 J.G. (entrelacés) cuijp fecit. La dame, de grandeur naturelle, à mi-corps, est en habit noir avec | |
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fourrure, collerette et cornette blanches, et se détache sur un fond grisâtre très clair. C'est peint avec une grande simplicité, sans artifices d'ombres ni de couleurs. La gamme est tranquille, du noir, du gris, du brun. Quoique les ombres du visage soient d'un brun très tendre et légèrement accentuées, le modelé de la chair est rendu à perfection. C'est une peinture sobre et savante, d'une grande intimité d'expression et d'une grande distinction. Nous avons exposé dans cette esquisse le développement d'une face de notre art et les talents les plus accentués dans la peinture de figures. Remarquons-y la promulgation du coloris brun et chaud, les joueurs, soldats et vagabonds de Honthorst, le portrait, mais surtout une spécialité dans l'art Hollandais, digne de remarque. Je veux parler de ces tableaux civiques, qui sont vraiment des tableaux d'histoire. Les peintres anciens, les Italiens de même, commémoraient leurs contemporains en les faisant entrer dans des compositions bibliques. Ceux-ci s'agenouillent devant Marie, portent des noëls à l'enfant Jésus, s'attablent à Cana. Chez nous la peinture d'histoire contemporaine figurait les gardes civiques dans leur équipement, leurs processions, leurs banquets; les administrateurs d'hospices, les syndics de corporations commerciales, autour de la table et discourant sur les intérêts de l'institution; les dames régentes surveillant les indigents; les formidables bourgmestres, égaux des rois, pesant dans la balance les intérêts de l'Etal et souvent de l'Europe. |
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