Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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Les plus vieux sont Cornelis Cornelissen, Uttewael, Vroom, Bloemaert, Mierevelt, Mooreelse. Plus jeunes de dix à quinze ans sont Ravesteyn, Lastman, Pinas, Hals, Poelenburg, van Schooten, van de Venne, Janson van Ceulen, Theodoor de Keyser, Honthorst, le vieux Cuyp, van Goyen, Bramer, E. van de Velde, Roghman; tous nés entre 1580 et 1597. Ensemble ils constituent un groupe fort remarquable, dont tous les membres possédaient des mérites réels, quelques uns un talent original et d'une valeur durable, et dont un, Frans Hals, est tout-à-fait hors ligne. Avec eux nous voyons se développer l'étude de la nature, et aussi le culte des grands peintres Italiens. La naïveté, qui n'avait même pas cessé d'accompagner le grand talent de Lucas de Leyden, fit place à une plus grande réflexion. Le sujet, déjà émancipé par Lucas des entraves saintes, fut trouvé dès lors dans chaque domaine de la vie; - non seulement l'histoire profane, la mythologie classique, les sujets de genre, mais encore le paysage, la marine, la peinture d'architecture, les fleurs, la nature morte, trouvaient des interprètes passionnés. Le progrès du goût dans la mise en scène et l'agencement des groupes est évident; la facilité et la liberté du dessin augmentèrent: les couleurs devinrent plus profondes, les contours plus moëlleux, la science de la lumière s'accrut, l'expression des rapports du clair et de l'obscur fut plus intime. Le faire fut porté, surtout par Hals, à une hauteur que surpasserait à peine l'époque suivante. En un mot la peinture dans l'acception moderne se consolida. La lutte éternelle entre la discipline, le styleGa naar voetnoot1 et l'indi- | |
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vidualisme, le naluralime, continue dans cette période d'une manière conséquente; aussi nous voyons deux filiations d'artistes, les partisans de l'Italianisme et les indigènes. Presque tous dans la liste que nous avons donnée, ont, dès leur entrée dans le monde artistique, été achever leurs études à l'étranger, surtout en Italie. La plupart y fixèrent même leur séjour pour quelques années. Très peu seulement, Mierevelt, van Ravesteyn, van Schooten, Hals, ne subirent pas cette influence. Les autres rapportèrent une seconde fois la pratique et les principes des Italiens dans leur pays. Il est juste de dire qu'ils aidèrent à propager et à achever chez nous la révolution de la peinture. Des carnations plus vives, des couleurs plus profondes, une touche plus grasse, l'art ‘des ordonnances, de la peinture historique avec des figures nues, de représenter toutes sortes de poèteries’ ce furent là les fruits de ces voyages. Mais il faut noter que tous ces progrès incontestables, nous ne les devons pas en entier à l'Italie. Les mêmes idées modernes, qui firent naître la peinture nouvelle en l'Italie, portaient aussi leurs fruits chez nous. Chez nous aussi l'esprit s'était élevé à une plus grande indépendance, et l'art en fut une expression équivalente. Lorsque l'art du nord de l'Europe, se sépara peu à peu de la tradition, dès la moitié du 15me siècle, et pencha vers un certain naturalisme réaliste, cette évolution eut lieu tou-tà-fait en dehors de l'influence Italienne. Que l'on consulte les figures xylographiques Hollandaises de ce temps, et on sera persuadé que, dans leur naturalisme naïf, elles | |
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portent un caractère national que l'art du midi n'a nullement influencé. Toutefois, dès le 15me siècle, l'art nouveau de l'Italie avait atteint un tel dégré de perfection, que la culture plus fine et plus élevée du midi dut nécessairement entraîner la culture plus naïve et plus rude du nord. Même ceux qui étaient restés chez eux subirent en partie cette influence, et ne purent manquer de profiter de ce qui était acquis à l'art de l'Europe entière. Ainsi le niveau général de la puissance artistique était haussé considérablement. Cependant sur ce niveau tout n'était pas applani: les tendances antérieures survécurent. C'est ainsi que l'élément national de notre peinture subsista dans la période de 1580 à 1620. Cet élément peut être généralement caractérisé comme un esprit individualiste, libre, émancipé de l'église à la vie; comme une tendance démocratique, réaliste et basée sur un amour profond de la nature. C'est un sentiment artistique qui se montre plus sensible pour l'intimité de l'expression que pour la grandeur monumentale; qui préfère les formes caractéristiques et les couleurs vivantes de la réalité, aux formes idéalisées et à la pureté des lignes; et l'effet du clair-obscur au style du dessin. Je ne décide pas entre Rome - et la Hollande. Pour moi je suis fermément convaincu que nous devons savoir apprécier chaque expression du beau; qu'il n'y a pas de style fixe ni de règle absolue. Les tendances et les préférences des peintres Hollandais n'étaient ni plus ni moins que l'expression de leur âme à eux, dans des formes inhérentes à leur nationalité. C'était le même cas chez les Italiens. Vouloir poser en règle un de ces deux principes, est absurde. L'art ne sera et ne peut être jamais en un sens concret qu'une expression individuelle de la beauté; celle-ci existe absolument, mais nous ne la | |
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percevons que par le prisme de nos conceptions individuelles. C'est encore de ce temps que date le notable progrès dans la pratique, et par là même dans la puissance et l'étendue de l'expression. Ce n'est pas l'invention de la peinture à l'huile que j'ai en vue. Car même après cette découverte, la manière de peindre était restée toujours un peu sous l'empire de la détrempe, et toujours quelque peu sêche, sans empâtement, sans atteindre le moëlleux, qui fait se fondre et s'arrondir les contours. Sauf de rares exceptions ce n'est que parmi les artistes dont nous avons énuméré les meilleurs, que se montre pleinement la nouvelle manière de peindre, la peinture proprement dite. Celle là n'est plus l'enluminure à l'aide des couleurs, mais la façon de modeler dans la pâte de telle sorte que l'objet est comme pétri par le pinceau. Elle oblige à reléguer les accessoires dans l'ombre, et à tenir compte des effets et des relations de la lumière et de l'ombre, en un mot elle exige toute la science du clair-obscur et de la perspective aërienne. C'est elle enfin qui aspire à ce degré de perfection où la toile, les couleurs matérielles disparaissent pour faire place à l'impression elle-même. Avec tout cela la peinture avait centuplé ses forces. Ce n'était que par de tels moyens, qu'il devint possible d'exprimer la vie, non seulement dans ses manifestations extérieures, mais encore dans sa vérité intime et dans tous les sentiments de l'âme. Une nouvelle poésie pittoresque se révéla alors, c'est-à-dire la poésie de la couleur et du clair-obscur, ainsi qu'un nouvel élément de composition qui naquit des effets multiples et réciproques des couleurs et du clair-obscur. Si le parti-pris n'avait consenti à voir du style que dans les lignes, désormais le style même se révèle aussi par la couleur, par le clairobscur; et c'est du style encore que cette science de ba | |
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lancer et équilibrer les couleurs, le clair et l'obscur, les masṡes lumineuses et les ombres, de même que l'on faisait auparavant seulement pour les lignes et les groupes. Aussi ce progrès-là, qui pour être en partie technique n'en est pas moins inséparable du fond et de l'esprit du tableau et dont la valeur est essentielle, n'est pas dû aux Italiens seuls. Sans prétendre nier, ni sans vouloir amoindrir la force de l'exemple donné surtout par les coloristes Vénitiens, on ne saurait laisser inaperçu que les sympathies, les préférences des Hollandais penchaient depuis longtemps du côté de la couleur, du clair-obscur, du pittoresque. Tout à ḷ'heure nous avous distingué entre ceux qui suivaient l'école Italienne, et ceux qui s'étaient développés selon leurs propres principes. Maintenant une nouvelle distinction s'éleva entre la manière claire et la manière brune. Il est évident que ceux qui avaient le goût du style, du dessin, qui voulaient faire ressortir les contours et les formes, se plaisaient dans la manière claire et préféraient un jour égal qui permît de voir tout dans leurs tableaux. Tels Bloemaert, Cornelis Cornelisz. van Haarlem, Poelenburg, Moreelse. Ceux au contraire, qui faisant moins de cas de laisser voir toutes les formes et leurs contours, qui sacrifiaient ces détails en vue d'un effet plus concentré et qui noyaient les accessoires dans le clair-obscur au profit d'une expression lumineuse plus forte dans sa concentration locale, ceux-là préféraient la manière brune, qui leur promettait les effets plus saisissants du clair-obscur. Tels entre autres, Ravesteyn (surtout autour de 1618) Lastman, Pinas, Honthorst, Bramer, Roghman, van Schooten, van Goyen.
Dans tout ce qui précède, nous avons vu une divergence | |
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de développement, qui s'individualise pour le sentiment comme pour la pratique. Résumons notre pensée: Lutte entre la discipline et l'individualisme; entre un norme de beauté, et le droit pour chaque individu de l'exprimer telle qu'il la perçoit; entre le style qui impose sa règle à la nature ou en abstrait la généralité, - et le naturalisme qui accepte la nature dans ses manifestations caractéristiques, même accidentelles; choix de la manière claire ou de la manière brune; droit et indépendance du sentiment, qui trouve son expression pittoresque dans la couleur et le clair-obscur; acquisition d'un nouvel élément de beauté, le style et la poésie de la couleur et du clair-obscur; dans les cas premiers on vise à la solennité, à l'élégance, à la noblesse des formes, à la pureté des lignes et des contours; c'est l'art de la composition, de l'équilibre des groupes et des lignes; dans les seconds, - effets de couleur et de clair-obscur, effets renforcés par la concentration de la lumière et le sacrifice des accessoires; préférence du caractère et des signes constitutifs des objets à une forme idéalisée; sacrifice des contours pour obtenir des masses. Désormais l'expression artistique se meut dans ces deux sens, selon que prévaut dans l'individu le sentiment des lignes et des groupes, ou le sentiment - plus strictement pittoresque - de la couleur dans ses valeurs chromatiques et lumineuses. Le premier de ces sentiments présente ordinairement un caractère plus raisonné et touche plus la réflexion; le second, d'un caractère plus passionné, s'adresse plus à l'imagination. Le premier est dans son essence plus sculptural, l'autre, plus musical. | |
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Voilà des distinctions analytiques que je ne regarde nullement comme absolues, dont les limites ne se trouvent pas dans la réalité si nettement arrêtées, mais qui présentent assez fidèlement les diverses tendances de l'esprit artistique de ces temps. |
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