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IV.
Developpement de la peinture au 16e siecle.
A chacun sa part.
L'Egypte a eu une architecture et une statuaire, monumentales par excellence.
La Grèce y a soufflé la vie et a conquis une incontestable supériorité dans l'architecture et la statuaire par l'expression de la beauté.
Le moyen-âge a brillé par une beauté mystique, naive, fort spiritualisée, qu'elle a su imprimer aux trois arts réunis. Mais la peinture est le don spécial des temps modernes, qui par elle ont exprimé la beauté de la réalité et de la vie. Ce fut la Flandre qui inaugura la nouvelle peinture: - les van Eyck. Ensuite l'Italie fit un pas de plus, et aspira au sceptre: - Masaccio, Leonardo da Vinci, - les grands quinzecentistes. Puis au nord, trois hommes partagent aussitôt cet empire: Holbein, Durer, Lucas van Leyden.
Enfin ces écoles sont détrônées; mais leur principe désormais acquis au monde reste, et affranchi de toutes entraves, il se développe et s'accuse dans toute sa clarté.
Dès le 17e siècle, la Flandre et la Hollande règnent souverainement. Elles consolident la nouvelle peinture, elles créent une pratique, une manière, une poésie entièrement indépendantes, et forment ainsi dans l'histoire de
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l'art une période à part, éminente et originale. Lorsque cette brillante époque commença qu'était la peinture ailleurs?
L'Italie, après un moment de renaissance partielle, allait au déclin.
La France s'italianisait.
L'Espagne flottait entre l'imitation des Italiens et les débuts d'une peinture nationale. Velasquez et Murillo ne font que naître.
En Allemagne - Durer restait sans pareil.
Décidément, sans vouloir être injuste envers quelques individus remarquables, tels que Callot, Claude, Poussin, Salvator Rosa, Ribéra, il faut convenir que c'étaient les Pays-Bas, les deux fameuses lignées de Rubens et de Rembrandt, qui pendant le 17e siècle tenaient la tête.
Poussin a peint un tableau allégorique, les arts allant demander à Rome pourquoi ils ne fleurissent plus. Ah! qu'ils fleurissent brillamment; mais les trois femmes, que Poussin avait chargées de cette mission, n'ont pas regardé du bon côté. Ce n'était pas à Rome, c'était au Nord qu'elles auraient dû aller. Là elles auraient vu leurs sujets, devenus majeurs, commencer une vie nouvelle, quitter le patronage et la discipline des trois dames officielles, pour adorer la divine beauté, dans la nature et la vie et non pas à l'église, ni à l'académie.
La peinture proprement dite n'appartient qu'aux temps modernes, dont elle est l'enfant. On peut dire en thèse générale, que l'art antique fut public, monumental, typique. Aussi l'architecture avec la statuaire sont-elles les formes par excellence de l'art de l'antiquité, tandis que la peinture n'y a qu'une valeur très subordonnée et ne reflète la vie qu'indirectement. L'art du moyen-âge est monumental, symbolique, centralisé et discipliné. Il n'est plus essentiellement public comme dans l'antiquité, mais il possède déjà
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ses expressions particulières et intimes; néanmoins il reste monumental, en tant qu'il tient sa forme et son caractère dans la dépendance d'un grand principe externe. Une plus grande liberté de sentiment assouplit son caractère typique, mais il reste symbolique quant au contenu, et il obéit à une discipline centralisée, parcequ'il place dans l'Eglise le centre, duquel rayonnent toutes ses émanations; parcequ'il puise ses sujets dans les livres et le dogme de cette Eglise. Autour de l'Eglise gravitent alors tous les arts: et le plus rapproché du centre est l'architecture, qui n'est plus à la vérité souveraine absolue, mais qui comme soeur ainée dirige l'économie de la famille.
Les extrémités de l'art du moyen-âge se fondent par des pentes douces, d'un côté dans l'art antique, de l'autre dans l'art moderne.
Dans l'art moderne ce sont l'individu et la vie réelle, qui sont surtout en évidence. Cet art est sécularisé, indépendant, individuel.
Il existe une connexité naturelle et logique entre l'art et l'esprit de la société humaine à chaque époque. C'est d'accord avec l'esprit des temps modernes que l'art s'est détaché de l'Eglise et s'est plongé dans la nature libre; qu'il s'est affranchi de toute discipline extérieure, afin de pouvoir refléter entièrement la nature humaine et physique, et que, reconnaissant le droit de l'individu devenu indépendant, il a permis l'expression du sentiment individuel dans les formes propres à chaque être. C'est la peinture, émancipée elle-même par le côté technique, qui se prêtait naturellement à l'expression de ces principes. Au commencement des temps modernes elle a conquis son indépendance et dès lors elle règne tellement que la sculpture, la statuaire et l'architecture adoptent des tendances pittoresques.
Ce principe d'un art libre, individualiste, qui puise dans
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la vie entière de la nature et de l'homme, aucune école ne l'a réalisé d'une manière aussi conséquente, aussi complète que l'école Hollandaise. C'est en elle qu'a été consolidée l'émancipation de cet art, son affranchissement de toutes les tendances monumentales ou décoratives, du style académique, des idées philosophiques et religieuses.
Il s'en faut cependant beaucoup que ceci ait été réalisé uniquement par les grands maîtres du 17e siècle.
Quand on s'oriente dans l'histoire de l'art Hollandais des siècles antérieurs, on remarque que, tout en suivant le courant de l'art Européen du moyen-âge, il possède néanmoins un caractère propre, et que la peinture du 17e siècle n'est que le développement non interrompu et logique de plusieurs tentatives précédentes; qu'elle n'est que le résultat d'une activité nationale qui avait dès son origine, senti et exprimé son caractère propre en toute force, et en pleine conscience.
Dans cet art là le côté naturel et intime a toujours dominé; jamais il n'a pu exceller dans le style monumental, public, pompeux ni officiel. De là qu'au moyen-âge, il a été bien en arrière dans la production de chefs-d'oeuvre ecclésiastiques; qu'il n'a jamais excellé dans la statuaire ni dans l'architecture; mais qu'il a pris la première place dès qu'il a reconnu et su éterniser dans la peinture la poésie et la beauté intimes de la vie entière, de chaque manifestation de la nature et de l'homme. De là cette supériorité soudaine qui naquit de la conscience du caractère et du génie propres.
Il existe une si grande connexité dans les diverses périodes de l'art qui se fondent par des transitions imperceptibles, qu'il y a toujours beaucoup de difficulté et quelque peu d'arbitraire dans la démarcation des limites et des points de départ.
Dans ce qui précède on trouve constamment les éléments
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qui concourent à former ce qui suit; les générations passées travaillaient à modeler les figures qui leur succéderont. Cette vérité m'invite à rechercher la part que ceux qui ont précédé Rembrandt ont eu à sa formation; étude qui ne nuira nullement à l'affirmation du génie et de la supériorité de ce peintre. Quoique génie spontané, lui-même il n'est dans le contexte des événements que le résultat logique et nécessaire, le point culminant, la floraison des forces artistiques qui l'ont précédé. Après son épanouissement les forces diminuent, la plante languit.
Les prédécesseurs immédiats de Rembrandt sont ces artistes qui d'un pied sont encore dans le 16e et de l'autre déjà dans le 17e siècle; ceux dont le berceau se trouva dans le premier, le chevalet dans le second. Groupe remarquable dont l'histoire n'a jamais été écrite et qui n'en a pas moins fait preuve de talents peu communs.
Ceux là nous expliquent la période entre Lucas van Leyden et Rembrandt, et donnent la solution de ce qui sans eux est une énigme, l'explication de la distance énorme entre l'art de ces deux époques. Cet intervalle n'a pas été franchi subitement; les artistes que nous avons en vue forment le pont de l'une à l'autre rive. Cette période a par là un grand charme et mérite notre attention tant pour elle même que pour la lumière qu'elle répand sur la grande école du 17e siècle.
La peinture du moyen-âge avait atteint son faîte dans les van Eyck. Ce qu'elle avait encore de défectueux était la faute du temps; mais le sentiment, le sens religieux, la noblesse y avaient trouvé une expression complète. Dans les van Eyck, cet art atteint un degré très notable d'étude de la nature, de beaute indépendante, de coloris et de clairobscur. Mais il était interdit à cet art, ou à un pareil d'aller plus loin. Il avait fini, il clôt une période.
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Après lui pendant quelque temps l'école soutient encore la bannière et continue la tradition, mais un art nouveau, dont les germes étaient contenus dans les van Eyck même, se montra déjà à l'horizon.
L'art des provinces septentrionales a suivi jusqu'au milieu du 15e siècle le même cours que l'art entier de l'Europe occidentale. Mais à cette époque la tendance nouvelle se fit jour. Un art nouveau se développa par l'application d'un procédé nouveau et très fécond, et par une étude plus immédiate et plus réaliste de la nature. Ce furent surtout les grands chefs Italiens qui donnèrent l'exemple de cette peinture nouvelle, dans la seconde moitié du 15e et la première moitié du 16e siècle.
Voilà les deux grands événements dans le domaine des arts au 15e et 16e siècle. Diverses circonstances, modifiant l'esprit et le goût, les voyages, les découvertes, l'imprimerie, la gravure sur bois et sur métal, concoururent à développer et à répandre ces nouveaux principes dans l'art.
La grande lutte entre l'autorité et sa concentration en une seule personne ou un seul corps d'un côté, et de l'autre la liberté, le droit de développement selon ses tendances individuelles, c'est là une lutte qui remplit l'histoire de l'humanité entière. Elle se montre dans chaque sphère de la pensée et du sentiment humain. Elle se montre de même dans les arts, et histoire de ceux-ci n'en est qu'une illustration continue. L'histoire de l'art du 15e et 16e siècle est le récit du moment le plus agité de ce combat, et de la révolution qui assura le triomphe de l'art libre. Les Italiens avaient maintenant fini ce combat et ce qui en résulta fut réellement un art nouveau, ayant ses racines dans les nouvelles tendances de
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l'esprit. Les Hollandais s'associèrent à ce mouvement, et suivant une pente naturelle se complétèrent de deux côtés. Ils acceptèrent la peinture à l'huile des Flamands et ils se mirent en voyage pour l'Italie afin d'étudier, de s'approprier l'art nouveau.
Cependant les esprits avaient été préparés aussi chez nous. Le paysage et le genre en étaient sortis spontanément. Le fond doré et l'antique coutume de représenter la nature à l'aide d'un personnage étiqueté, ou par quelque simulation schématique avaient cédé le pas dès longtemps à la représentation directe de la nature et de l'entourage réel. Le schisme entre la manière traditionnelle et la manière libre et nouvelle, surgit déjà dans les tableaux des anciens peintres de Haarlem.
Si Dirk Stuerbout, le jeune, suivit encore la tradition, non le vrai principe des van Eyck, Geertgen van Sint Jans a été déjà indépendant, et à développé ce principe libre; et Albert van Ouwater, ainsi que Vredeman de Fries représentent aussi le principe nouveau, si non dans leurs procédés, en tout cas par le choix de leurs sujets. Cependant si cette tendance n'était pas absente alors, ce n'est qu'après les voyages en Italie, qu'elle se dessina davantage. Lorsque les vieux peintres s'en tenaient encore à cette manière sèche, qui était générale jusqu'au 15e siècle, leurs élèves acceptèrent la manière nouvelle plus moëlleuse. Scorel, né en 1495, son élève Antonius Moro et Maarten van Heemskerk, (ainsi que leurs confrères flamands, Jan Gossaert van Maubeuge et Barend van Orley) allèrent visiter l'Italie. Ils y rencontrèrent l'art nouveau en pleine fleur; le vieux Leonardo était encore là, Raphaël, Michel Ange, le Titien, Correggio étaient dans toute leur force, et leur renommée remplissait l'Europe. Ces voyageurs avaient vu leurs grandes compositions, leurs figures nues,
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leurs sujets mythologiques; ils avaient observé leur étude de la nature, leurs allures plus franches, plus amples, leur coloris, leur goût, et ils formèrent leurs idées et leur style d'après eux. Revenus dans les Pays-Bas, ils rapportèrent ces sujets et ces qualités nouvelles. Dans les oeuvres de Scorel, un des chefs de l'art des provinces septentrionales, cette influence Italienne se montre dans le dessin, la couleur, la manière de concevoir, l'agencement. Par lui et par ses sectateurs la méthode Italienne fut introduite chez nous.
Et cependant, alors que Scorel était à la tête d'un groupe d'artistes, qui suivirent ses principes, - il y avait sur un point de ce pays un autre peintre, né en 1494, étant âgé d'un an de plus que lui, qui avait l'originalité de ne pas aller en Italie, mais qui dans la tranquillité d'une ville Hollandaise développa un talent si original et si fort, qu'il mérite toujours l'admiration. Lucas van Leyden, jeune et frêle, était le moteur d'une opposition vigoureuse contre l'influence étrangère, le chef de cette glorieuse lignée d'artistes qui ont maintenu le principe libre et individuel. Car il faut bien remarquer que le principe d'un art libre, individuel, ayant ses racines dans l'étude de la nature, et que les Italiens naturalistes du 16e siècle avaient créé et développé, - que ce principe avait fini par se perdre dans ceux qui en étaient devenus les imitateurs, par le fait même de cette imitation. Le principe vital de ces naturalistes était l'étude directe de la nature par l'individu lui-même en dehors des règles convenues. Or leurs imitateurs tuaient le principe en suivant non pas la nature elle-même, mais la manière dont elle leur avait été transmise par les Italiens. Lucas au contraire, comme l'avaient fait les Italiens naturalistes euxmêmes, s'en tint à l'étude directe de la nature et du réel,
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et par là sauva sou originalité, son caractère propre et l'art autochthone.
Dès lors, à côté de la vieille lutte entre la tradition et la liberté, il s'en éleva une pareille, entre la discipline, qui commençait à poser en loi les idées et le faire des Italiens, et l'individualitisme ou l'étude propre et directe, qui ne reconnaissait d'autres maîtres que la nature et la réalité.
C'est dans telle forme que cette lutte se prolonge à travers l'art Hollandais des siècles postérieurs.
En résumé nous constatons donc deux diverses tendances dans la Hollande pendant la première moitié du 16e siècle, la tendance Italienne et la tendance Hollandaise, originale. Il va sans dire que cette dernière ne comptait que peu d'adhérents; le dessin, le style Italien avaient le dessus, et les contemporains ne tarissent pas en louanges sur les Raphaëls Hollandais et Flamands.
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