Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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III.
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vers 1612) J. van Leeuwen, van Adman, Joris van Schooten, Joost Dirkx Grijp, Adriaen van Tetroede. Ils ne comptaient plus parmi les jeunes, ni, à l'exception de van Schooten, parmi les meilleurs. Dans ce même groupe il faut ranger Pieter van Veen, (demeurant après 1613 à la Haye) de qui l'hôtel de ville de Leyden conserve une très-médiocre peinture, réprésentant la délivrance de la ville en 1574; le vieux bourguemestre Isaac Nicolai (Isaac Claesz. van Swanenburch); Hans et Cornelis Liefrinck, (graveur), Pieter Pietersz. van Neyn, tailleur de pierre de la ville, qui copia les batailles et les paysages de son ami Esajas van de Velde; Boissens, graveur et célèbre calligraphe; Simon van der Valck, orfèvre et peintre; David Bailly, né en 1584, peintre et dessinateur de portraits; enfin, les trois frères van Swanenburch. Cette quantité d'artistes fait preuve d'une activité remarquable dans les arts pendant le premier quart du siècle. Aussi Leyden, ville opulente, d'ailleurs le centre des sciences, ne manquait pas de conditions favorables à l'épanouissement des arts ni de débouchés aux oeuvres des artistes. Cependant nous' n'avons nommé que des hommes de talents très-secondaires. Ils sont bientôt effacés par une nouvelle génération qui grandit parmi eux, dans laquelle l'esprit d'un temps nouveau se faisait jour, et qui releva encore une fois la vieille gloire artistique de Leyden. Voilà où en était l'art dans cette ville au temps de la jeunesse de Rembrandt. Parmi tous ces artistes le père de ce dernier en choisit un, dont le nom même comme peintre eût infailliblement péri s'il n'avait été illuminé par la splendeur de son élève. C'était van Swanenburch, et le premier maître de Rembrandt réclame une attention spéciale. Les van Swanenburch sont une ancienne famille Leydoise dont les membres ont occupé pendant plus d'un siècle et | |||||||
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demi diverses charges municipales. Les listes de la magistrature de Leyden qu'on trouve dans Orlers, et les cartes héraldiques de van Rijckhuysen, contenant les armoiries des magistrats de Leyden nommés les quarante, fournissent entre le commencement du 16me et la fin du 17me siècle une grande quantité de noms appartenant aux membres de cette famille. On trouve déjà en 1481 un chevalier Vincent van Swanenburch qui se signala dans les troubles des Hoekschen et Kabeljaauwschen, mais je ne sais s'il appartient à la famille Leydoise. Dans l'origine le nom de cette famille, ou du moins d'une partie nombreuse de celle-ci, paraît avoir été Claes ou Claesz. Ce nom là qui toujours a survécu dans la famille, tant comme prénom que comme nom de famille, désigne un ancêtre ou un tronc commun à diverses branches. Dans la suite la plupart ont continué de porter le nom de Swanenburch. Conduit par les prénoms et l'antique coutume de se nommer d'après le nom du père, ainsi que par les armoiries de cette famille, j'ai rassemblé une quantité de Swanenburch et de Claes qui sont parents. Ces Claesz. nous les rencontrerons plusieurs fois dans la vie de Rembrandt et ils serviront à jeter encore parfois quelques rayons de lumière sur sa biographie. C'est un fait curieux que le vieux peintre de Leyden Aert Claesz., né en 1498, mort en 1564, peintre d'un talent fort remarquable, homme bizarre, qui trouva sa mort d'une manière si comico-tragique, soit indubitablement de cette même famille. J'étais déjà porté à le croire à cause du nom; depuis j'ai trouvé qu'une branche des Swanenburch ou Claesz. portait les armoiries de cette famille chargées d'un peigne de foulon en orGa naar voetnoot1. Or Aert Claesz. le peintre, surnommé le foulon, était fils | |||||||
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d'un foulon, selon van Mander. Il n'y a donc pas de doute que ce vieux peintre ne fasse partie de cette famille, dont les fils ont brillé pendant plus d'un siècle et demi parmi les magistrats et les artistes. Le premier qui, après le vieux chevalier Vincent se présente sous le nom de Swanenburch est Ysac Claesz. van Swanenburch, de 1519 à 1523 membre du conseil des Quarante. Un descendant de celui-ci, à ce qu'il paraît, fut cet Isaac Claesz. van Swanenburch, qui est nommé ordinairement Isaac Nicolai (fils de Claes ou Nicolas). On rencontre ce dernier dans les listes des magistrats municipaux de 1582 jusqu'en 1614. Cet Isaac Nicolai, - dont Orlers fait mention dans une liste des Quarante de l'an 1582 avec le prédicat de Schilder (peintre), - apparaît presque sans interruption sur les listes de la magistrature, de 1586 à 1607 comme échevin ou comme un des bourguemestres, en 1607 comme curateur des orphelins et enfin pour la dernière fois en 1614 parmi les Quarante. C'est la date de sa mort. C'est le père du maître de Rembrandt. Non seulement magistrat zelé, il s'occupait aussi de l'art. Trois de ses fils furent peintres comme leur père et parmi ses élèves figurent Octavius van Veen et Jan van Goyen. Orlers qui doit l'avoir connu, cite comme oeuvres de ce maître:
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Ce bourgmestre-peintre a constamment porté le nom de nicolai, par lequel avait été latinisé son nom de famille Claesz. Les armoiries des Swanenburch sont un champ d'azur, chargé de trois cygnes (zwanen) d'or, posés 2 et 1. C'est ainsi que les porte notre bourgmestre. Tous les membres de la famille ont porté les mêmes armes, mais chaque branche y a mis une brisure en or, soit un lis, un anneau, un chien, soit une corne, un peigne de foulon etc. | |||||||
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Du reste le peintre et le magistrat zélé à été encore père d'une nombreuse famille. Il a eu dix enfants, dont trois artistes, - Jacob Isaacsz. van Swanenburch, Claes Isaacsz. v. S. et Willem Isaacsz. v. S. Le second, élève de son père, fut peintre et se fixa à la Haye, où il a pratiqué son art, avec honneur dit-on. Marié le 20 avril 1607 avec Janneke van Leeuwen, fille de Jakob van Leeuwen, de la Haye, il vivait encore en 1641. Le troisième, Willem, né en 1581, décédé le 15 août 1612 à Leyden, a été de 1606 jusqu'à sa mort officier de la garde civique. Son ami et voisin Petrus Scriverius, de qui plusieurs vers accompagnent ses gravures, lui a consacré à sa mort un éloge en vers. Willem a peint, mais rarement. M. Kramm a découvert un portrait de sa main. Mais c'est comme graveur qu'il a acquis sa renommée. Il a gravé une quantité d'estampes d'après Mierevelt, Vinckeboom, Bloemaert, Mooreelse, Uttewael, Rubens etc. C'est chez Goltzius qu'il a appris à manier le burin; mais il tient aussi beaucoup de la manière de Bloemaert. Ses planches sont fraîches et d'un aspect agréable; son burin exprime bien le modelé et les étoffes; il est adroit, régulier, mais ses tailles bien disciplinées ne sont pas toujours exemptes de froideur. Quoiqu'il soit le plus artiste de cette famille, c'est l'aîné, Jakob Isaacsz. qui réclame notre attention. Celui-ci est apparemment né à Leyden, vers 1580. Après avoir appris les éléments de l'art chez son père, il se conforma à l'usage et alla se perfectionner en Italie. Orlers écrit en 1614 que ce peintre fit ‘peu avant’ un grand tableau pour orner le dessus d'une cheminée à l'hôtel de ville de Leyden. Cela nous offre une date d'à-peu-près 1610 ou 1612. Il demeura quelque temps à Naples où il épousa Marguerite Cordona, qui lui donna quatre enfants. | |||||||
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C'est avec elle qu'il retourna à Leyden en 1617, où il demeura dans la rue dite Breedstraat. Ses oeuvres eurent une certaine vogue tant qu'il vécut. Sur la foi de Orlers on répète qu'il mourut en 1639 à Utrecht. Des recherches faìtes de nos jours à Leyden ont prouvé qu'il est mort à Leyden le 17 octobre 1638 et qu'il y fut enterré dans l'église de Saint Pierre. Nous ne savons que fort peu de chose concernant ses oeuvres, et je n'ai pu réussir à découvrir ni la trace de ses tableaux, ni quelque gravure d'après lui. Ainsi le jugement le plus timide est à peine permis. Cependant, cette absence totale de quelque oeuvre d'art qui ait eu assez de valeur pour braver le temps, me fait présumer que son talent n'aura pas été des plus brillants. Aussi les écrivains contemporains n'en ont-il s gardé aucun souvenir. Le seul tableau qui ait été mentionné est celui que Orlers a dit avoir été fait pour orner la cheminée d'une salle à l'hôtel de ville. Il représentait Pharaon noyé dans la Mer Rouge et les enfants d'Israël, conduits dans le désert. Ce tableau faisait allusion à la délivrance de la ville de Leyden du siége des Espagnols et était accompagné de vers horribles, dont il faut lire les lignes 1. 3. 5. 7. de haut en bas, et les lignes 2. 4. 6. 8. de bas en haut. Tout cela sent terriblement les moralités et les allégories des rhétoriciens. Il a été enlevé en 1666, et depuis a disparu. Il faut supposer ou un accident, ou qu'il ait eu bien peu de valeur, pour qu'aussitôt après la mort du peintre, dont la famille était toujours encore à Leyden et dans la magistrature de la ville, l'on osât ainsi le mettre de côté. Voilà donc le maître dont l'atelier s'ouvrit à l'ardente ambition, aux doux rêves de notre Rembrandt. Le voilà | |||||||
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réalisé, ce voeu nourri depuis tant d'années! Quel était son âge lorsqu'il entra dans l'atelier de Swanenburch? Eu égard à la volonté et au caractère très prononcés et très décidés de Rembrandt, on pourrait supposer son entrée chez Swanenburch à sa douzième ou treizième année. Lievens était déjà chez van Schooten à huit, chez Lastman à dix ans. Ce serait donc en 1619 ou 1620. Swanenburch était retourné déjà à Leyden en 1617. Si nous adoptons cette chronologie assez vraisemblable, Rembrandt aura travaillé chez ce maître jusqu'en 1623. C'est encore Orlers qui nous apprend qu'il y resta trois ans. Tout nous fait défaut pour mesurer l'influence que ce maître a pu avoir sur son élève. On peut présumer que celui-ci n'aura appris chez lui que le dessin et l'usage du pinceau. En tout art il y a une partie toute technique et matérielle, et c'est Swanenburch qui aura aidé son élève à en surmonter les difficultés élémentaires. En tout cas c'est van Swanenburch qui a initié le jeune homme dans le monde de l'art et des artistes. Rembrandt avait ainsi l'avantage de nouer connaissance avec des rapins de son âge, artistes en herbe; de discuter avec eux les questions artistiques du jour, qui occupaient les confrères de son maître; d'être admis dans les ateliers de quelques uns d'entre eux. Mais comment a-t-on pu choisir pour instruire un jeune homme tel que Rembrandt, un peintre tel que Swanenburch? Il se pourrait que l'éclat de sa famille, de son épouse Napolitaine, de ses voyages en Italie, aient contribué à donner à ce peintre un relief que son talent n'explique guère. Et certes les idées classiques étaient si fortement en vogue, qu'un artiste formé en Italie jouissait d'une grande préférence sur ces maniaques qui gardaient leur talent original. | |||||||
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Pourtant il est difficile de concevoir comment dans une ville où l'on trouvait un graveur tel que Jan van de Velde, des peintres tels que Esajas van de Velde, van Schooten, van Goyen, l'on ait pu penser à Swanenburch. Pour expliquer cette énigme j'avais eu déjà recours à quelques conjectures. En voici une. Le second mari de Lysbeth, grand-mère de Rembrandt, se nommait Cornelis Claesz. et le mari de Marytge Pieter Claesz. Nul doute que ceux-ci n'aient appartenu à cette famille des Claesz. dont les rameaux étaient si répandus et dans laquelle nous rencontrons aussi le vieux peintre Aert Claesz, ainsi que le bourgmestre et ses fils artistes. Il existerait donc quelque degré de parenté entre le peintre van Swanenburch et la famille des van Rijn. J'ai trouvé un document à l'appui de cette conjecture. On se rappelle, au coin septentrional du Weddesteegh, tout près de la demeure du jeune Rembrandt, la maison habitée par Claes Cornelisz., le meunier, indubitablement membre de la famille des Claesz. et proche parent du second mari de Lysbeth, Cornelis Claesz. van Berckel. Eh bien, ce Claes Cornelisz. avait pour femme Brechtje Mourijnsdr. van swanenburch, apparemment une nièce à lui. Voilà donc sérieusement établie l'existence de relations de famille et de voisinage avec une fille des Swanenburch, justement vers les années 1620-22. Il est évident que les Swanenburch, les Claesz. alliés aux van Rijn et ces van Rijn se sont connus même avant qu'il fût question de la vocation du jeune Rembrandt. Il est donc parfaitement expliqué pourquoi les parents de celui-ci, dès qu'il s'agissait de placer leur fils chez un peintre, n'ont pensé à personne autre qu'au peintre Swanenburch. |
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