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II.
La jeunesse de Rembrandt.
A celui qui jette un regard rétrospectif sur les siècles passés, les grandes figures des temps antérieurs se montrent en quelque sorte comme isolées et élevées au dessus de ce qui les entoure.
Pareils au sphinx dans les plaines sablonneuses du Delta Egyptien, au Menhir des Celtes, ou au fût solitaire d'une colonne delaissée, aussi isolés, colossals, parfois même bizarres et énigmatiques se dressent les génies du passé. Il faut que l'esprit de recherche se mette à déblayer le sable que les siècles ont amassé autour de ces hommes monuments, afin que ceux-ci cessent d'être isolés de la civilisation dont ils sont à la fois la cause et la plus haute expression; afin que, leur connexité avec leur époque se faisant sentir, ils deviennent des hommes au lieu de statues qu'ils étaient demeurés jusqu'ici.
Pour quiconque néglige cet examen, les grands hommes, les hauts faits et lès grandes idées restent semblables à des blocs de pierre isolés dans la plaine; la liaison des événements ne se révèle pas et l'histoire n'est qu'un chaos de faits et d'idées incohérents.
Or c'est un besoin de notre esprit de chercher causes, développements, liaisons et rapports réciproques dans la
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série des événements. Delà ce désir de savoir de quelle manière un individu remarquable s'est développé, et a été formé par ce qui le précède et l'entoure; et de scruter par conséquent tous les recoins de sa vie externe et intime.
Serait-il vrai que la gloire d'un grand homme ne gagne guère à ce que la postérité connaisse toutes les particularités de sa vie? Que l'auréole de l'idéal se ternit et s'éteint même quand du lointain mystérieux, nous attirons à nous ce héros? C'est un jugement que je crois bien superficiel.
Dans la nature, comme dans les manifestations de l'esprit, la véritable grandeur ressort bien plus puissante de la réalité même que de n'importe quel surnaturalisme fabuleux du mystique, et l'intérêt ne peut certainement qu'augmenter à mesure que nous découvrons dans le fait ou dans l'être, objets de notre admiration, la preuve d'un développement logique en harmonie avec les causes qui le précèdent et les événements qui l'accompagnent.
L'aigle est bien plus admirable que le phénix mystique.
On s'est aussi demandé si ce désir de connaître la vie intime d'un grand homme, de savoir d'où il est sorti, ce qu'il était, comment il a travaillé, - serait autre chose qu'une pure curiosité?
Je n'en doute pas. Si un homme, - et en vue de de notre sujet, disons, - si un artiste excite vivement notre intérêt, c'est un impérieux besoin de notre esprit de connaître sa formation, son rapport avec le monde, et tout son être enfin.
Vis-à-vis d'un chef-d'oeuvre il n'est pas que notre sentiment du beau qui soit seul en action. L'unique jouissance du beau ne saurait donc nous suffire. C'est notre esprit entier qui perçoit; aussi cet esprit, non satisfait d'un simple résultat, veut en approfondir l'essence, ce qu'il ne
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saurait faire autrement qu'en en scrutant l'origine. Ainsi à mesure que nous aimons et que nous connaissons davantage l'oeuvre d'un grand maître, la contemplation cède à la réflexion, notre intérêt se porte de l'oeuvre au maître, de l'artiste à l'homme; nous réunissons ce qui était séparé, l'oeuvre et son auteur, l'artiste et l'homme.
L'histoire est prodigue parfois, mais aussi souvent avare: elle ne nous permet pas toujours ce bonheur d'étudier les premiers pas de ses plus illustres enfants; d'apercevoir les premiers efforts de leur esprit, leurs premiers essais et leurs premières pensées. Il faut convenir, il est vrai, qu'il n'y a pas toujours de sa faute.
Cette croissance interne du talent, comme tout développement de l'esprit et du caractère, l'histoire ne saurait en enregistrer les plus fins détails. Ce n'est que par induction, ce n'est que par les résultats que nous sommes capables de les percevoir.
Il nous faut donc recourir à d'autres moyens.
C'est par un débat en quelque sorte contradictoire que l'esprit de l'homme se forme. Comme une plante qui se développe selon ses propres lois, mais dont la croissance, la forme, la couleur, les vertus sont déterminées en partie par le climat et le sol dont elle reçoit l'air et la nourriture, ainsi l'homme est formé par deux agents; l'un qui travaille à l'intérieur, c'est sa spontanéité, son génie propre, l'autre qui agit à l'extérieur, c'est le siècle, le pays, en un mot le milieu dans lequel il vit.
Sur la jeunesse de Rembrandt, l'histoire est un peu trop sobre des faits extérieurs, qui nous serviraient à le connaître, et peut être rangée parmi les vierges folles: elle n'a pas prévu que nous aurions besoin de sa lampe pour éclairer la vie de celui qui devint un de ses plus remarquables enfants.
Ce sont ces considérations qui nous invitent à jeter un
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coup d'oeil sur l'entourage contemporain de la vie de Rembrandt, dans la politique, dans la vie publique, les sciences, la littérature et les arts. Ce n'est que là que nous pourrons puiser les documents nécessaires pour expliquer l'homme et le peintre dans son premier développement, ainsi que ceux qui ont été ses premiers maîtres.
Au berceau de Rembrandt nous avons vu le 17e siècle, un peu plus âgé que lui, dans les circonstances et les idées qui le caractérisent en Hollande. Nous avons entendu le chant prophétique que les faits n'ont pas démenti.
Quant à l'extérieur, de 1607 à 1609, nous voyons la république des Provinces-Unies constituée assez solidement déjà. Les discussions sur la trève avec l'Espagne étaient finies et en 1609 cette trève fut ratifiée pour douze ans. C'est dans ces temps là que surgirent les inimitiés des deux partis qui insensiblement s'étaient formés, celui du Prince et celui des États avec Oldenbarneveld. A ces différends politiques s'ajoutèrent bientôt les troubles théologiques. Une guerre intestine en résulta: guerre de pamphlets seulement, mais guerre acharnée, incessante et envenimée. Cela dura jusqu'en 1618. Une catastrophe était inévitable. Elle se produisit par le coup d'état de 1618. Le Prince usant de violence changea les régences des villes et en écarta ses adversaires, dont il fit même emprisonner quelques-uns. Enfin, en 1619, un matin, devant la grande Salle du Binnenhof, le palais des anciens comtes de Hollande, un échafaud est érigé: et avec la noble tête du vieux Oldenbarneveld, le parti des patriciens et des Etats était abattu. C'est ainsi que finit ce chant du Purgatorio de notre Comédie Humaine au 17e siècle, dont le 16e siècle fut l'Inferno; et dont le Paradiso se fait encore toujours attendre.
Nous entrons en 1619 une nouvelle phase de notre
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histoire. Une force vitale inconcevable anima la nation. Les Provinces-Unies furent de plus en plus considérées en Europe; leur force et leur intelligence s'accrurent journellement. Trois académies furent instituées; l'industrie, le commerce florissaient; les grands voyages maritimes furent de plus en plus heureux et audacieux; et la reprise de la guerre avec l'Espagne, après la trève, guerre qu'on ne put soutenir sans la plus grande énergie, bien loin d'épuiser les forces de ce peuple en fit au contraire ressortir et se développer de toutes parts les multiples ressources.
Quant à l'esprit de ce temps c'est celui d'un peuple bourgeois et républicain dans ses tendances, vigoureux dans la lutte pour la libert, et fier de la part qu'il en a déjà conquis; peuple religieux et moral dans un sens simple et pratique, avec une culture assez avancée mais point encore raffinée ni très-profonde; d'un esprit hardi, actif et entreprenant par excellence. Un esprit nouveau en tout.
La ‘vie nouvelle’ de cette jeune nation fut accompagnée d'une rénovation artistique et littéraire.
L'esprit naïf du moyen-âge, la littérature romantique, la didactique, la poésie ascétique, tout cela était loin. Les Chambres de Rhétorique avaient formé une transition presque pendant le 16e siècle entier. Elles avaient été suivies par des études plus sérieuses et un art poétique plus avancé. Les études linguistiques surgirent en même temps. Coornhert, linguiste, poète, réformateur, libre penseur, graveur, - un caractère extrêmement remarquable -, Roemer Visscher et Spiegel réforment et épurent la langue et se créent en fait d'art de nouveaux principes. C'est autour d'eux que se lève bientôt une littérature qui n'a point encore les raffinements de la civilisation postérieure, mais qui est très-fraîche et très-vigoureuse. C'est elle qui devance les lettres du milieu du 17e siècle, de même que dans les
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arts plastiques la belle période du 17e siècle fut préparée par une génération antérieure.
Plus forte et dans une plus grande conscience de ce qu'elle voulut, plus multiple dans son développement, est la littérature qui lui succéda dans le commencement de 1600. Elle fut inaugurée par Hooft. En 1606 les Rhétoriciens jouissaient, par la grande fête du Lantjuweel à Haarlem, de leur dernier triomphe, et Hooft de son premier lorsqu'il publia sa tragédie Granida. Cats, qu'on ne peut comparer à Hooft ni en fait de goût, ni en connaissances, ni en puissance artistique, suit alors; puis Reael, homme d'Etat et poète; puis l'excellent et spirituel Bredero, mort déjà en 1618, mais dont la main artistique a tracé des scènes populaires où fleurit dans la plus grande fraîcheur la vie de ce temps; Samuel Coster, qui en 1617 érigea un théâtre nouveau; van Baerle, le poète-savant; le secrétaire du prince, Constantin Huygens, esprit satirique et épigrammatique d'une verve inépuisable; mais surtout le grand esprit qui les surpasse tous, à l'exception de Hooft, Joost van den Vondel. Les premiers succès de tous se trouvent dans le premier quart du 17e siècle.
Par ces écrivains et ces poètes, la langue et l'art littéraire se formèrent et se fixèrent. Hooft et Vondel créèrent la poésie et la prose Hollandaise. Le premier, véritable gentleman, ayant visité la France et l'Italie, mit dans ses poésies un esprit délicat, chevaleresque et élégant, une facilité moëlleuse et sonore en même temps, tandis que dans la prose de ses écrits historiques il se forma un style classique et nerveux; Vondel dans une langue souple, abondante et plastique créa un nouvel art tragique, tandis que sur les diverses cordes de sa lyre résonnèrent les chants héroîques, la poésie politique ou historique, une satire violente et intarissable. Coster et Bredero créent
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le drame et la comédie; Cats chante d'un ton populaire et didactique la vie ordinaire; Huygens sème à plaines mains les épigrammes, les proverbes, les facéties.
Tout cela constitue un progrès énorme quand on compare la fin du 16e et le commencement du 17e siècle. La civilisation littéraire et artistique s'était divisée en deux groupes distincts; - d'abord le groupe savant, nourri des études scientifiques et de la littérature de l'antiquité; il se composait en majeure partie des patriciens; ensuite le groupe plus voisin de la bourgeoisie, d'une culture moins classique mais souvent plus nationale et qui contenait des éléments plus vivants et plus actuels. Ces deux tendances étaient présentes parfois dans la même personne. Le courant classique était le plus fort et finit par entraîner tout. Ce qui manquait à Bredero, à Yondel, disait-on, c'était l'étude des classiques. Et ils cédèrent, quoique leurs oeuvres laissent encore percer bon nombre des restes de leur nature. Les pièces de Bredero, par exemple, n'ont qu'une valeur médiocre; mais les incidents qu'il y inséra et qui contrastant singulièrement avec l'entourage franco-italique se composent de scènes populaires, sont des chefsd'oeuvre de peinture de moeurs qui ont conservé toute leur valeur. De même Vondel céda et s'adonna à l'étude des langues anciennes. Mais qui peut dire ce qu'il aurait pu donner, si Senèque n'eut été son modèle en art tragique? Ainsi la poésie, la prose, la science, étaient fortement influencées par.le même classicisme, qui avait déjà donné son empreinte à l'architecture et à la sculpture.
Cette existence de deux principes d'art, on dirait presque de deux civilisations diverses, l'une savante, classique, ayant des formes plus distinguées mais plus conventionnelles, et rapportées d'une civilisation tout autre que celle du pays; l'autre originale, moins raffinée et plus bourgeoise dans
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ses formes, mais ayant de fortes racines dans la vie et la nationalité, a été surtout pour la littérature un grand malheur, qu'on ne saurait imputer à la Renaissance ni au classicisme, mais à la fausse notion qu'on se fit de la dernière et à la fausse route qu'on fit faire à la première. Ce principe, cette doctrine pseudo-classiques ont eu une influence funeste sur nos lettres et nos arts, et en leur appliquant du dehors les principes d'une civilisation tout autre et souvent mal comprise, ils ont empêché qu'elles se développassent selon les tendances naturelles de leur propre sol. Il faut lire ce qu'on disait et imprimait dans ce temps en fait de notions et de jugements sur les productions littéraires et artistiques, pour comprendre jusqu'à quel point l'originalité fut entravée et toute règle en tout empruntée des ‘antiques.’ Contre ce faux classicisme incarné, l'élément autochthone ne sut triompher, sans se laiser pourtant extirper. Ce fut seulement dans la peinture, que le sentiment national trouva une expression indépendante, qui ne courut de risque, que vers la fin du 17e siècle. Dans celle-ci également les deux principes se perpétuent, mais alors la victoire reste aux partisans des principes autochthones. Tandis que tout subit le joug du classicisme; tandis que celui-ci s'infiltre pour ainsi dire par l'entonnoir français et italien dans la forme, les expressions et les figures de la langue; alors que celui-ci danse sur le rhythme des vers, s'implante sur les formes architecturales, décore de nymphes, de génies allégoriques, de divinités payennes, les maisons et les meubles, l'église, ses chaires et ses tombeaux; qu'il grimpe aux plafonds et autour des cheminées, se faufile dans les
livres autour de leurs titres et vignettes, impose ses unités au théâtre, sa discipline au goût - seule une branche de la peinture en dépit de tout garde, développe et maintient dans toute sa pureté,
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les principes de la nature, de la réalité, de l'affranchissement de toute règle, hormis du sentiment artistique individuel.
C'est dans une telle atmosphère que se passa la jeunesse de Rembrandt.
Nous aimerions à suivre ses traces dans cette période, mais l'histoire nous fait défaut. Et pourtant il ne sera pas inutile de se reporter à cette époque par l'imagination. Si nous ne pouvons avoir une connaissance directe, celle que nous nous formerons par analogie ajoutera toujours quelques traits, quelques nuances au tableau que nous tâchons de tracer. La couleur locale du temps et de la ville augmentera la connaissance du développement de notre peintre.
Et d'abord nous nous le figurons à l'école où l'on apprit le Notre Père, les articles de la foi, les dix commandements et le chant des psaumes, accompagnés d'une médiocre portion de savoir séculaire, sous la direction du scolarque qui y siège dans la chaire et dont la grande fraise, la verge, la barbe et la moustache, justifient le vieux verset d'un poète de ce temps qui décrit comme quoi
Sa mine severe,
Le fait règner d'une manière redoutable.
C'est là que la jeunesse apprit aussi à lire et à écrire; écriture d'après les modèles usités de calligraphie. La calligraphie, cet art qui s'est enfui avec les plumes d'oie, était alors en grand honneur, et des hommes comme Lucas Fopsz. Lely, Perszyn, Sambix, Boissens, van de Velde, y durent leur gloire. Pensons aussi à Coppenol, plus renommé par l'eau-forte de Rembrandt que par le titre de Phénix de toutes les plumes que lui décerna dans ses vers le poète Jan Vos. En 1605 avait paru à Amsterdam un livre in folio, le Miroir de la calligraphie, où le maître d'une école française à Rotterdam, Jan van de Velde
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avait exposé sa théorie et des spécimens de son art. Autour et dans le corps des belles lettres italiques figuraient soit un homme, un buste, un cygne, soit un navire à pleines voiles, soit d'autres ornements de toutes sortes, tracés par la plume agile de van de Yelde. Sans doute ce livre, ou un pareil de Boissens, - fut en usage à Leyden. Figurons-nous comment le sentiment artistique du garçon aura joui de ces caractères gracieux, de ces tours calligraphiques: comme son esprit fantaisiste aura été à Taise dans cet exercice, et comme sa main agile se sera jouée en reproduisant ces figures sur la marge et les pages de ses cahiers! Van Mander dans un de ses vers parle de garçons qui à l'école au lieu d'écrire, barbouillaient leurs papiers de figurines, de vaisseaux, d'animaux, - nul doute que Bembrandt n'ait été un tel garçon.
Lorsque l'enfant grandit, ses parents délibérèrent sur sa vocation. Tous leurs garçons étaient déjà pourvus d'une profession commerciale. Mais voilà que pour le cadet le père a des aspirations plus brillantes. Nous savons par Orlers que ses parents le mirent à l'école latine pour le conduire ensuite à l'académie de Leyden, aUn que lorsqu'il serait en âge il pût servir la ville et la république de ses connaissances.
Harmen, le bourgeois de Leyden, fier de la conduite de sa ville dans le fameux siège qu'elle avait soutenu, et ayant des relations avec la famille des Swanenburch, dont plusieurs membres étaient dans la magistrature, voulut profiter lui aussi des avantages que le Taciturne avait assurés aux habitants de cette ville. Son cadet ne sera pas marchand; il se lancera dans les sciences ou dans la magistrature. Et voilà Tenfant à l'école latine.
Mais plus que la science, c'est la vie qui a dû attirer ce garçon. Ses loisirs il les aura partagés entre le mou- | |
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lin, le jardin, la rue, et peut-être les tentatives précoces où s'essaie son talent.
Avec cette âme où germait une vive fantaisie, avec une grande sensibilité d'impressions, avec cet oeil prompt à saisir les mouvements les plus subits et les plus subtils, si ouvert aux manifestations de la vie dont il sut s'approprier avec tant de justesse les formes et les caractères, cet enfant dut être partout où la vie éclatait.
Il m'est impossible de me figurer la physionomie de la ville et de ses fêtes, sans y chercher quelque lointaine relation avec le développement de notre artiste. Quels jours lumineux pour lui que ces jours des marchés francs qui eurent lieu à l'anniversaire de la délivrance de la ville (3 octobre.) Ces fêtes de dix jours commençaient par des étalages de marchandises amenées par des marchands venus de toutes parts, alléchés par le gain et les privilèges extraordinaires; le troisième jour il y avait des sermons et des actes de grâce, puis les brillantes parades de ces fameux corps de la garde civique, armés dépiqués ou de mousquets, les tambours battant Naesou getrou, les fifres sifflant vive le gueux, conduits par les capitaines avec leurs corselets et casquets, et par les officiers avec leurs pertuisanes, - corporations énergiques que le pinceau des plus brillants peintres se plut à célébrer, et dont plus tard ce petit flâneur aussi fera un chef-d'oeuvre.
Le quatrième jour il y avait divers jeux publics, le cinquième les Rhétoriciens faisaient leurs prouesses en récitant des vers, des scènes ou des pièces allégoriques; ensuite venaient les divers marchés, de cuirs, de bestiaux etc. Et partout dans les rues enjolivées de rubans, de couronnes, de festons, de pavillons, une foule pittoresque, s'ébattant là devant les saltimbanques et les musiciens, attirée ici par les échoppes où les hommes pourvoyaient leurs femmes
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de fines dentelles, de linges ou de joyaux, où les mères fournissaient leur ménage de tout ce qui ne pouvait s'acheter que des marchands étrangers, où les enfants tiraient les parents par le pan des habits pour aller partout. Mais les jouissances les plus délicates étaient à l'hôtel de ville, qui s'étendait dans la large rue (dite Breedstraat ou Nobelstraat) en une longue façade ornée de pignons, de pinacles, de médaillons et de pierres bossées. En montant le haut perron on se trouvait dans une grande halle, servant de promenade, et c'est là qu'étaient exposés les ouvrages en or et en argent, les fines menuiseries, les livres, les tableaux d'artistes étrangers admis seulement aux jours des marchés francs.
Puis l'hôtel de ville possédait quelques tableaux qui auront eu pour notre jeune homme un grand attrait. La vue du triptyque de maître Engelbrechts, du tableau de Lucas van Leyden auquel se rattachait cette anecdote, aujourdhui devenue authentique, de l'empereur Rodolphe, qui avait voulu le couvrir d'or pour l'acquérir; peut-être quelque atelier qu'il eut occasion de voir, ou la connaissance de quelque camarade artiste apprenti (Lievens?), voilà encore diverses menues circonstances, qui auront pu influencer l'esprit d'un garçon dont les ‘tendances naturelles se portaient entièrement vers la peinture et le dessin’ (Orlers). Aussi il ne paraît pas que les efforts du scolarque pour conduire les garçons de la Boeotie en Attique aient porté fruit chez le petit Rembrandt. ‘II n'avait nul goût pour cela’ dit Orlers. L'esprit et le caractère se dessinaient de plus en plus chez lui, et le moment venait où la conscience de sa vocation se ferait entièrement jour, où le rêve longtemps chéri, l'idée grandiose d'être artiste serait réalisée.
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