Rembrandt Harmens van Rijn. Deel 1. Ses précurseurs et ses années d'apprentissage
(1863)–Carel Vosmaer– Auteursrechtvrij
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I.
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En entrant dans la ville de Leyden par la Porte Blanche, au bout d'une vingtaine de pas l'on voit à gauche entre la caserne et les maisons de la rue dite Noordeinde, une petite ruelle. Quand on prend cette ruelle, on a à sa droite des maisons assez chétives et des écuries; à gauche les murailles de la caserne, puis un vieux mur et les hauts terrains de l'ancien rempart de la ville, au bout duquel est bâti maintenant une école de marine. Au coin le plus nord de ce rempart se trouve encore un reste de la tour du vieux boulevard. Le tout est comme jadis baigné par le Rhin. Rien ne rappelle en ces lieux, le souvenir de ce qui s'y est passé il y a deux siècles. Ce n'est que depuis quelques années que cette place insignifiante a été sacrée comme le lieu de naissance de rembrandt van rijn. Sous le charme de cette glorieuse tradition, l'imagination reconstruit le passé. Nous nous représentons la vieille ville du 17e siècle. C'est alors une cité riche, puissante, et la première en étendue après Amsterdam. ‘Qu'elle est belle et propre’, dit naïvement son ex-bourguemestre Orlers, ‘c'est ce que même les rues vous prouvent, qui sont ici aussi propres que dans maint pays l'intérieur des maisons; qu'elle est belle et plaisante c'est ce que prouve la multitude de maisons jolies et bien bâties; qu'elle est riche en eaux cela vous démontre incontestablement la quantité d'eau et de canaux.’ En vérité la ville avait un aspect opulent et florissant. Les grandes et larges rues, les canaux où miroitait une eau pure et vive, les arbres qui les bordaient, la rendaient gaie. Les maisons bourgeoises avaient déjà, changé en grand nombre leurs vieilles façades en bois pour de grands pignons à escalier; les briques rouges étaient bariolées de bandes blanches en pierre de taille; les quarts de rond, les ares | ||||||||||
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en anse de panier, les frontons, les festons, les médaillons portant devises et bas-reliefs emblématiques, complétaient cette architecture caractéristique et vraiment belle qui en était chez nous alors à sa seconde période de renaissance. Un grand et somptueux hôtel de ville, érigé dans le même style datant du commencement du 17e siècle; deux grandes et belles églises gothiques; une quantité d'édifices religieux adaptés à des destinations séculaires; s'élevaient au dessus des toits bourgeois. Tout cela portait le caractère d'une grande aisance. Aussi, comme les anneaux que forme la coquille dans ses croissances successives, la ville s'était agrandie de plus en plus en cercles dont les rayons aboutissaient tous au centre de Vieux Leyden (Out-Leyden, le noyau de la ville). Le dernier agrandissement avait eu lieu du côté sud et sud-ouest, et antérieurement au siége de 1574 tout le terrain entre la Porte Blanche et la partie plus ancienne avait été couvert de maisons. Le voyageur qui arrivait de ce côté-ci, longeait d'abord un bout du Rhin, ayant cette rivière et la haute digue à sa gauche, les bas pâturages à sa droite. Alors la ville s'étendait devant lui avec ses nombreuses flèches et tourelles, ses hauts remparts semés à l'entour de tours et de moulins à vent. Il passait le pont de bois, puis une porte basse entre deux grosses tours donnait accès dans la ville. Aussitôt à sa gauche se trouvait le rempart contre les murs de la ville. En face de ce terrain exhaussé, nommé le boulevard du Pélican, et sur lequel étaient deux moulins, s'étendait une rangée de maisons. Cette place formait avec ces maisons d'un côté, et le rempart de l'autre une sorte de rue nommée De Weddesteeg, l'allée de l'abreuvoir. Déjà en 1574 une des maisons de cette place était habitée par une familie qui nous intéresse. Dans un acte | ||||||||||
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de 1581, la Description de tous les bourgeois et habitants de cette ville de LeydenGa naar voetnoot1, nous lisons:
Voilà, le ménage entier des grandsparents de Rembrandt. Gerrit Roelofs était mort avant 1574 et sa femme Lysbeth remariée avec Cornelis Claesz. dans cette année. Il est curieux que l'étudiant qui logeait alors chez ces bourgeois, soit justement un compatriote de Saskia, la future femme de Rembrandt. Harmen, meunier comme son beau-père, épousa le 8 octobre 1589 dans l'église de Saint Pierre à Leyden, Neeltjen fille de Willem van Suytbrouck, boulanger à Leyden, et de Lijsbeth Cornelisdr.Ga naar voetnoot2 De son côté Marijtje se maria aussi: le 13 avril | ||||||||||
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1584 son mariage est enregistré dans les livres de l'hôtel de ville. Son mari se nomma Pieter Claesz. van Medemblic, batelier de profession, et les époux se fixèrent dans une maison située dans le Marendorp, rue appelée depuis Haarlemmerstraat. Leurs quatre enfants se nommaient Neeltje, née en 1584, Gerrit en 1586, Marijtje en 1588, Pieter en 1590. Harmen acheta le 27 nov. 1589 pour 1800 florins de son beau-père Cornelis Claesz. la moitié du moulin et des instruments, la partie méridionale du molenhuis (maison servant au travail du moulin) située au bas du rempart dans le Weddesteeg, et en troisième lieu une maison dans cette même rue, nouvellement bâtie, avec son terrain, située juste à côté de la maison de Corn. Claesz., le tout circonscrit par les jardins de maître Jacob Cornelisz. le chirurgien, et la maison avec le terrain de Aemt Jansz. Smit.Ga naar voetnoot1 La carte manuscrite que nous reproduisons contient ces deux derniers détails. C'est dans cette maison que les nouveau-mariés se fixèrent. Harmen possédait encore la moitié d'un jardin, situé hors la porte dite de Rijnsburg, sur le territoire du bourg d'Oegstgeest (village aux environs de Leyden). Divers actes contemporains, ainsi que les cartes de Dou (1614), de Bastius (1600), et les précieux extraits de cartes manuscrites, contenues dans le livre des rues et le livre des canaux, dont je dois la connaissance à M. Elsevier, fournissent l'occasion de reconstruire assez justement la topographie du lieu. Un de ces extraits du livre des rues et la partie en question de la carte de Bastius, carte très exacte, dédiée au magistrat de la ville, sont reproduits sur notre planche. | ||||||||||
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Le coin le plus septentrional de la rue tout près du rempart était occupé en 1600 par une maison (no. 1 sur notre planche) habitée par Claes Cornelisz. meunier, membre de la familie des Claesz. et proche parent du meunier Cornelis Claesz. van Berckel, parceque lui aussi est quelquefois nommé van Berckel. En 1581 nous avons déjà rencontré le même sur la liste des habitants, comme demeurant en qualité de valet chez Cornelis Claesz.Ga naar voetnoot1 En 1606, sa position s'est élevée; il a acheté de Cornelis Claesz. et de Harmen van Rijn un quart du moulin, et en 1622 nous le trouvons en fonction de meunier et marié avec Brechtge Mourijns, demeurant avec leur fils Mourijn dans cette même maison. Puis toujours dans le Weddesteeg le registre de 1622Ga naar voetnoot2 mentionne en second lieu encore un membre de cette même familie, demeurant avec sa femme et deux enfants dans cette même maison. A coté de celle-ci se trouvaient deux maisons avec leurs terrains, (no. 2 et 3), où dès 1574 avait demeuré Cornelis Claesz, avec Lysbeth et ses enfants, le ménage que nous a décrit l'acte de 1581. La quatrième maison était celle que Harmen acheta de ses parents lors de son mariage en 1589 et où naquirent les cinq premiers de ses enfants. En 1600 la situation changea. La mère Lysbeth mourut et elle eut pour héritiers ses deux enfants, Harmen et Marijtje, qui reçurent entre autres ‘les maisons et terrains voisins l'un de l'autre situés vers le Pellicaen et le Weddesteeg, près de la Porte Blanche, limités au nord par Claes Cornelisz., meunier, et le fossé du rempart, au sud par la maison que Harmen avait auparavant achetée de ses | ||||||||||
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parents; limités devant par le Weddesteeg et s'étendant derrière jusqu'aux terrains et maisons “(ailleurs les jardins)” de maître Jacob Roeloffsz.’Ga naar voetnoot1. Le frère et la soeur, déjà veuve et ayant quatre enfants, conviennent alors de partager ces immeubles, héritage de leurs parents. Ils passent en 1600 un acte, dressé par le premier secrétaire de la Chambre des orphelins Simon Thomas van Swieten. Harmen gardera en propre la maison et le terrain (no. 3) touchant immédiatement à sa demeure actuelle, et s'étendant jusqu'aux jardins du docteur maître Jakob Roelofs Westkorst (no. 6); il gardera encore la petite maison neuve (no. 5.) derrière la maison; aux conditions suivantes: 1o. qu'il laissera demeurer sa vie durant et sans loyer, sa tante Marijtje Harmensdr., soeur de sa mère, dans cette petite maison de derrière. 2o. sous les stipulations nécessaires des droits de passage sur le terrain décerné à la soeur et les enfants de celle-ci, des devoirs de réparation et du bon entretien des murs, du puits etc. 3o. le mur septentrional de la maison décernée à Harmen (no. 3) fournira la juste séparation des deux maisons et sera en commun entre Harmen et sa soeur; et en partant de ce mur une cloison sera construite, divisant les deux terrains, jusqu'à la petite maison de derrière. Comme les deux maisons avaient été habitées par un même ménage, celui de Cornelis Claesz. et sa femme, le mur qui les séparait avait été percé par une porte de communication. Il est stipulé maintenant que Harmen murera cette porte en maçonnerie, et devra se pratiquer une autre entrée pour sa maison. Marijtje, comme usufruitière de ses quatre enfants non majeurs, reçoit la maison et le terrain situés au côté du nord(no. 2). | ||||||||||
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4o. Harmen leur payera en sus 100 florins carolus. Cet acte extrêmement curieux pour ses détails, arrêté le 25 avril 1600, est signé par Geryt Willemsz., Willem Adriaensz. Suytbrouck, Dirck Vinck et Andries Jansz, comme délégués de la Chambre des orphelins pour les enfants mineurs; puis il porte les noms et signes suivants: Harmen X Gerrets, le signe de Marijtge Gerijtsdr, le signe de Cornelis Claesz van Berckel.Ces deux dernières personnes ne sachant pas écrire, n'avaient qu'ajouté leur signes à leurs noms écrits par une autre main. Ces arrangements terminés et exécutés, Marytge mourut en décembre de cette même année 1600. Alors Harmen proposa d'acheter des orphelins délaissés par sa soeur Marijtge, la moitié d'un jardin (dont l'autre moitié lui appartenait déjà) situé hors de la porte dite de Rijnsburg, ainsi que la maison dans le Weddesteeg entre celle du coin et la sienne, (ainsi notre no. 2), et une huitième partie du moulin sur le rempart, dont les autres huitièmes appartenaient à lui et à Cornelis Claesz. van Berckel. Cependant tandis que les démarches nécessaires furent faites pour faire ratifier cette cession par le collège des échevins et la Chambre des Orphelins, le magistrat accorda la vente de la moitié du jardin susdit à Harmen, mais ayant appris que Cornelis Claesz. van Berckel, second mari de Lysbeth, avait offert cent florins de plus (c'est-à-dire 1500 florins) pour la maison et la huitième partie du moulin, et qu'alors Harmen les lui avait cédées, il ratifia la vente de ces immeubles à ce Cornelis Claesz. par acte du 3 mai 1601.Ga naar voetnoot1 | ||||||||||
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Dès lors ce dernier s'installa dans cette maison (n. 2) dans le Weddesteeg. Lysbeth étant morte et ses deux enfants mariés, Cornelia Claesz. s'était refait un autre ménage. La liste des cotes qui devaient être payées par tête, dressée en 1622,Ga naar voetnoot1 prenait dans la description de ce quartier son point de départ à l'angle du rempart du côté extérieur. Cette liste constate comme demeurant dans le Weddesteeg, toujours au coin Claes Cornelisz., et dans la même maison un autre Corn. Claes.; puis (au no. 2) notre Cornelis Claesz. van Berckel, meunier, et sa seconde femme adriaentje rembrandtsdochter, avec son enfant Maertge; enfin (le no. 3) Harmen Gerritz van Rijn et son ménage, décrit ainsi:
Cornelis Claesz. étant comme nous l'avons vu, remarié en 1601 avec adriaentje rembrandtsdr. (fille de Rembrandt) | ||||||||||
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et voisin de Harmen, il est très vraisemblable que celle-ci soit la marraine dont notre Rembrandt obtint ainsi le nom. Les deux maisons des parents de Harmen ainsi séparées, et son beau-père Cornelis Claesz. installé en 1601 dans le no. 2, Harmen van Rijn avec sa famille allait occuper dès cette même année 1601 la maison no. 3, celle qui lui était d'abord échue en partage à la mort de sa mère. C'est donc là sans aucun doute que Rembrandt est né. L'assertion erronée que celui-ci serait né dans le moulin n'aura plus besoin de réfutation. Je ne crois pas que les annales d'obstétrie fournissent d'exemple d'une femme allant faire ses couches au milieu du bruit terrible d'un moulin, quand elle possède une bonne maison. Mais comme on l'a longtemps répétée, il fallait en faire mention. La carte de Bastius et la carte manuscrite nous mettent à même de nous orienter parfaitement à l'égard de tous ces détails. Il est aisé de reconnaître les deux maisons no. 2 et 3, le no. 3 ayant pignon (le côté pointu) au nord comme il est écrit dans l'acte de 1600; le terrain derrière ces maisons; la maison achetée en 1589 et habitée d'abord par Harmen (no. 4); la petite maison de derrière (no. 5); le mur et les jardins du docteur ou chirurgien Jakob Roelofs (no. 6); la grange ayant appartenu aux orphelins, enfants de Marijtje (no. 7); le vestsloot, petit fossé, au côté intérieur du rempart et au pied de la maison du coin (no. 8); et enfin les deux moulins dont nous devrons nous occuper maintenant. Nous avons sous les yeux une quantité de notices ayant trait au moulin. Comme l'acception vulgaire aime toujours à combiner Rembrandt et son moulin, il n'est pas entièrement oiseux, quoiqu'il n'y soit pas né, n'y ait point habité et qu'il n'y ait non plus jamais peint, de débrouiller une fois l'histoire de ce détail inséparable de sa vie. | ||||||||||
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Il a du malheur ce moulin, car après qu'on a écarté celui qui sur la route de Koudekerk portait son nom, il faut maintenant que le dernier trouvé soit dépouillé de même du prestige attaché au nom de Rembrandt. Il résulte clairement des pièces authentiques, actes et cartes, que le moulin qu'on croyait être vraiment celui des parents de Rembrandt, celui qui figure sur le dessin de Bisschop, reproduit par l'eau-forte de M. Cornet (que M. Flameng a copié), n'est pas encore le vrai moulin des van Rijn. Je vais donner les preuves de cette assertion. Le 23 nov. 1574 Jan Cornelis van Schagen et Lysbeth Harmansdr., veuve de Gerrit Roelofs, avaient fait bâtir un moulin sur le rempart de la Porte Blanche près du lieu où était le bastion du Pellicaen.Ga naar voetnoot1 C'est le moulin marqué chez nous avec 9. Une carte de Leyden et deses environs, à la date de 1574, montre sur le rempart au coin du nord un seul moulin. C'est ce moulin même. C'est encore celui qu'on voit dans le dessin de Bisschop. Mais l'année suivante Lysbeth épousa en secondes noces Cornelis Claesz., et alors ils convinrent de se défaire de cette moitié de moulin, dont l'autre moitié appartenait à van Schagen. Dans les registres des transportsGa naar voetnoot2, il est dit que Cornelis Claesz. meunier, mari et tuteur de Lysbeth Harmansdr., veuve de Gerrit Roelofs, a vendu la moitié de ce moulin. Cela est relaté au 3 sept. 1575. Ce ne sont donc que les grandsparents de Rembrandt qui pendant une année seulement ont eu une moitié de ce moulin, portant depuis le nom de Romein, et qui dès 1575 n'y ont plus aucune part. Le motif qui leur fit vendre cette moitié de moulin, | ||||||||||
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fut qu'un peu avant son second mariage Lysbeth en avait acheté un autre, qu'elle avait fait transporter du village de Noordwijk, sur le rempart de la ville de Leyden. En août 1575 ce moulin construit en bois fut achevé et un acte fut passé en faveur du vendeur. Le dernier du mois de nov. 1575 Cornelis Claesz. comparaît devant échevins, en qualité de mari et tuteur de Lysbeth Harmansdr., et déclare que sa femme avait depuis peu et avant leur mariage, acheté de Jan van der Does, seigneur de Noordwijk, un moulin situé à Noordwijk et qu'elle l'avait fait transporter dans la ville de Leyden sur le terrain (het molenwerf) situé au nord tout près de la Porte Blanche; elle reconnaît devoir pour cela 900 florins etc.Ga naar voetnoot1. Voilà donc un second moulin, devenu depuis 1575 le vrai moulin de la famille van Rijn, et situé tout près de la Porte Blanche. C'est notre no. 10. La carte fort intéressante datée de l'année 1600 et gravée par Petrus Bastius montre en effet sur ce rempart deux moulins; l'un plus près du coin nord, vendu en 1574, l'autre plus près de la Porte Blanche, celui des aieux de Rembrandt. Ordinairement ces moulins appartenaient par parties à diverses personnes. Il en était de même ici. En 1589 Cornelis Claesz. avait vendu au fils de sa femme, Hannen Gerritsz., la moitié du moulin, la moitié des instruments, et les autres immeubles déjà cités.Ga naar voetnoot2 De ce même moulin qu'ils possédaient en commun Harmen avait en 1602 ⅝ et Cornelis Claesz. ⅜; en 1606 ils vendent un quart à Claes Cornelisz. En 1627 la veuve de Cornelis Claesz. van Berckel vend son ¼, à ce Claes Cornelisz. susnommé. En 1636 la veuve de celui-ci, qui possédait donc la moitié, la vendit à Clement Lenaerts Ruysch. | ||||||||||
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En 1640 à la mort de la mère de Rembrandt, et son héritage étant partagé, la moitié du moulin échut à Adriaen qui devint en 1646 propriétaire du tout après que Ruysch lui eut vendu sa part. Ce moulin, déjà venu du village de Noordwijk, voyagea une seconde fois. En 1646 Adriaen le fit transporter à l'autre côté de la Porte Blanche, sur le rempart opposéGa naar voetnoot1. Aussi après cette année les cartes ne montrent plus le moulin à sa place accoutumée, mais à l'autre côté de la Porte, au milieu du bastion, sur la place que nous avons marquée no. 11. C'est alors que la propriété en a passé en diverses mains jusqu'à ce qu'au 18e siècle un autre propriétaire en effaça le dernier souvenir de la famille, en changeant le nom de Rijn, que portait le moulin, en celui de Lely (Lis). Ce moulin y est encore sur le bastion à droite de l'entrée de la ville, mais entièrement rebâti en pierre. Voilà done la généalogie du moulin bien constatée. Le moulin qu'on voit sur l'estampe de M. Cornet d'après le dessin de Bisschop n'a donc appartenu à la grand'mère de Rembrandt qu'une seule année et par moitié. Mais le vrai moulin de la famille dès 1575 a été situé tout près de la Porte Blanche sur le rempart. C'est celui-là qui a appartenu au père de Rembrandt et qui en 1646 a été transporté sur le rempart à l'autre côté de la porte.
Nous sommes en 1607. - Dans une maison de bonne apparence, la troisième du coin, demeure le ménage de Harmen. Lui a quarante ans à peine, sa femme environ trente-cinq. Les traits du premier ne nous sont pas connus; de sa femme | ||||||||||
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nous avons plusieurs portraits. Mais vers ce temps elle n'est pas encore la vieille au visage ridé qui, couverte d'un manteau fourré, se repose dans son fauteuil les mains paisiblement posées l'une sur l'autre. Elle a déjà de l'embonpoint, une figure qui n'a pas été très-fine, mais qui peut avoir eu le charme de la jeunesse et de la fraîcheur. Elle a un beau front large et plein. Les traits de la bouche, non sans un léger pli d'ironie, accusent un caractère fort et ce type de fermeté qu'elle gardera jusque dans sa vieillesse. Tout dans le ménage dénote, malgré la grande simplicité des bourgeois de ce temps, une famille très à l'aise. On possède diverses maisons, une gande partie du moulin, un jardin d'agrément au sortir de la ville dans la commune d'Oestgeest, un autre jardin hors de la Porte Blanche sur la rive du Rhin.Ga naar voetnoot1 C'est une de ces familles bourgeoises riches, qui constituaient le noyau de la force et de la grandeur de la république. Cinq enfants se rangent journellement autour de la table. Ce sont Adriaen, qui suivra le métier de son père, Gerrit, Machteld, CornelisGa naar voetnoot2, Willem qui deviendra boulanger. L'aîné des garçons paraît avoir 16 ans, Machteld 12 à 13. On trouve mentionné la mort de deux enfants, dont une fille, en 1604, victimes peut-être d'une peste qui dans cette année décima Leyden. Ces deux enfants sont probablement nés dans le grand intervalle qui existe entre la naissance de Willem en 1597 et de Rembrandt en 1607. En tout cas trois ou peut-être cinq années se sont écoulées depuis la naissance de leur dernier enfant, et Harmen et Neeltje dans leur imprévoyance ont déjà rélégué au grenier | ||||||||||
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langes et berceau. Mais voilà que quelques amis espiègles commencent par occasion de vider selon l'ancienne coutume un bocal en l'honneur de Maaike in 't schapraike ou de Hansken in de kelderGa naar voetnoot1. Un beau matin au milieu de juillet, la bonne femme disparaît derrière les rideaux en serge verte de l'alcove. Je vois la petite Machteld qui court à une demeure, désignée par un petit enseigne où est peint un nourrisson et la devise Dieu est mon aide; je vois la sage femme suivre la petite qui court au devant et la sollicite en se retournant; je la vois porter ses pas au Weddesteeg, à la maison des van Rijn et pénétrer jusqu'aux rideaux de serge verte. Eh vite, Harmen, accourez du moulin, et bien vous soit avec votre nouveau né, votre fils! C'est le 15 juillet et Rembrandt est né. rembrandt! Mais cela ne dit rien encore de se nommer Rembrandt. Rayez ce nom du livre des naissances, et vous ne verrez que deux parents pleurant un nourrisson, mais le monde artistique n'aura pas conscience de la perte d'un génie. Et pourtant malgré cela la pensée songeuse se lance en avant et devine dans cet enfant l'homme fort dont le génie fera revivre et naître un monde passé et nouveau; l'esprit ardent et riche, prompt à reproduire la vie humaine entière dans toutes ses manifestations.
Avec cet enfant que nous avons vu naître, nous en voyons un autre, son aîné de quelques années: le 17e siècle, le siècle puissant et créateur. Ce siècle, commençant avec les fanfares des trompettes et le grondement des | ||||||||||
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canons, avait inauguré pour les Provinces-Unies une nouvelle victoire. Près de son berceau se tenait un peuple fier et vigoureux, à la fin de la première période d'une lutte acharnée pour la liberté, ne faisant plus une petite guerre meurtrière, mais une guerre régulière; ne formant plus un parti soulevé, mais un Etat nouveau et libre. Les galliotes des Etats étaient maîtresses sur mer et faisaient voile par le monde entier; le drapeau des Etats se déployait, et le Wilhelmus, le lai princier, résonnait aux quatre vents. Partout un esprit plein de force virile, une manifestation extraordinaire en tout, dans la vie sociale et politique, en voyages, découvertes et entreprises mercantiles; un franc essor dans les sciences et dans les arts. Mais aussi au revers de cette vigueur et de cette exubérance, voyez les ombres de cette forte lumière. Le chant qui berce le siècle est une sombre prophétie. Ce chant, il parle du commencement de troubles civils et religieux; - les grains sont jetés et ils germent, - d'un côté Maurice et son parti, les prédicateurs, l'orthodoxie, de l'autre la magistrature, les patriciens, la libre recherche; - ici l'épée du Prince, là la robe de l'AvocatGa naar voetnoot1 se mesurant dans la balanceGa naar voetnoot2; - het bernt in 't veld!Ga naar voetnoot3 l'incendie commence; les flammes font irruption de toutes parts et ne sont étouffées que dans le sang coulant d'un illustre échafaud. Voilà le lai rempli des émouvantes passions du temps près des berceaux du 17e siècle et de Rembrandt. | ||||||||||
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Mais au milieu de ces antagonismes dans les couches inférieures, le travail de l'esprit ne tarit pas et procède à maintenir sa supériorité et son triomphe, et sans être entravés par ces troubles de trois quarts de siècle, calmes et grands, trois héros se font jour dans la poésie, l'art et la pensée, Vondel, Rembrandt, Spinoza. Rembrandt avait des traits de famille en commun avec son siècle. Tous deux procédent de cette nature forte de la bourgeoisie; tous deux se dressent sur les fondements posés par la renaissance, ce réveil merveilleux de l'esprit humain qui rétablit l'équilibre rompu entre l'esprit et la matière, qui réhabilita la nature. Tous deux ont pleine conscience de leur but et de leurs moyens; tous deux réunissent d'une manière également saine la nature et l'esprit; tous deux portent profondément l'empreinte d'une forte individualité. Le grand artiste cependant l'a gardée plus pure, parce qu'il est resté entièrement libre des influences pseudoclassiques qui ont perdu en partie l'esprit de son siècle, - et bien au contraire il est tant en son temps que pour nous encore, le type de l'indépendance et une protestation vivante contre toute convention. |
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