Verzameld werk. Deel 4
(1955)–August Vermeylen– Auteursrechtelijk beschermdaant.Exposition de l'art vivant en EuropeLa Société L'Art Vivant et la Société auxiliaire des expositions du Palais des Beaux Arts m'ont demandé de dire ici quelques mots, en façon d'ouverture ou de vernissage oratoire. J'ai eu la faiblesse d'accepter, et j'en suis horriblement gêné mainteinant, car après un tour dans l'exposition, après une confrontation avec ce résumé, qui me paraît formidable, de l'esprit artistique actuel, je sens bien que tout discours est d'une criante inutilité et je ne me suis jamais senti aussi superflu. Aussi, pour ne pas commettre l'inélégance de me dérober au dernier moment, je me contenterai de souligner, sans plus, le caractère hautement significatif de cette exposition. C'est en effet la première fois en Europe qu'est présenté un ensemble capable de donner une idée aussi complète de l'art moderne en Europe, et nous pouvons nous féliciter de voir cela réalisé en Belgique, de voir notre pays comprendre ainsi ce rôle, qui doit encore s'amplifier, d'être un des plus importants points de croisement et d'échanges dans la vie internationale. | |
[pagina 488]
| |
Mon métier d'historien de l'art m'a donné quelque humilité: j'ai appris qu'à toute époque des critiques très avertis s'étaient trompés. Aussi me garderai-je de dauber le gros public, sous prétexte qu'il ne nous suit pas encore. Comme j'ai la foi, je pense que nous avons raison et que c'est lui qui a tort, mais il ne faut pas discuter. Tout au plus peut-on invoquer cette règle invariable de l'histoire: c'est qu'il n'a jamais compris tout de suite. Il faut lui laisser le temps. Un vieux sage disait que le gros public est généralement composé de primaires étendus, et la critique de secondaires rétrécis. Reconnaissons honnêtement que nous n'avons pas la perspective suffisante pour porter des jugements définitifs et assigner à chaque figure la place qui lui reviendra. L'avenir reconnaîtra les siens. Mais il paraît dès à présent bien certain que bon nombre de modernes ont cette personnalité supérieure qui les place ‘au-delà du bien et du mal’, j'entends au-delà de ce que la critique artistique a coutume d'appeler bien ou mal, et que, si nous les comparons aux maîtres anciens, ils méritent tout aussi bien le titre de classiques, - classiques, bien entendu, dans la ligne de l'art actuel. On peut leur appliquer cette parole du Comte de Monte Cristo: ‘Ce qui empêche les peintres de notre époque d'être anciens, c'est simplement qu'ils n'ont pas encore eu le temps de le devenir.’ Parole d'un bon sens éminemment français. - Mais indépendamment de toute appréciation de détail, je crois bien que de cette exposition se dégage une grand leçon que je veux mettre brièvement en lumière et qui s'imposera, j'en suis sûr, à tous les hommes de bonne volonté, à tous ceux qui ne sont pas prisonniers de préjugés en | |
[pagina 489]
| |
béton armé: c'est que, pris globalement, l'art de notre époque présente une floraison touffue, étonnamment riche, et qui ne le cède en rien aux périodes les plus brillantes du XIXe siècle. C'est ensuite que cet art a poussé avec un indéniable caractère de néecessité; depuis plus d'un quart de siècle, on l'a vu surgir en même temps dans des centres, remarquez-le, indépendants les uns des autres, et bientôt dans tous les pays à la fois, avec la force spontanée de ce qui obéit à une impulsion profonde. Il est même peu d'exemples d'un mouvement auissi général, aussi international, au point qu'on ne devine plus parfois si tel peintre est espagnol ou finlandais et que cet art moderne, comme toujours expression instinctive de ce qui va naître dans la conscience des masses, atteste déjà, par-dessus la politique, l'unité spirituelle de l'Europe. Car la preuve de son caractère nécessaire, inéluctable, ce n'est pas seulement qu'il soit apparu sur tant de points à la fois et qu'il ait pris une ampleur aussi impressionnante, c'est encore que, tout en ayant la diversité de la vie, des courants multiples et parfois divergents, il présente en somme une telle unité, unité qui existe par elle-même, qui n'a rien de concerté. A quoi la reconnaissons-nous? C'est d'abord, chez tous, cette volonté d'affranchissement total, de rénovation, qui n'admet plus dans l'élaboration de l'oeuvre d'art la préexistence aucun schéma traditionnel, volonté de rénovation qui fait sauter tous les soubassements anciens, pour reconstruire sur la terre nue, volonté de rénovation qui couvait déjà dans la vie collective, avant que les secousses de la grande guerre ne fussent venues la dégager de façon plus consciente, mais que l'art a pressentie, comme | |
[pagina 490]
| |
toujours, dont l'art, comme toujours, a été la première manifestation, dès avant la guerre, la manifestation annonciatrice. - A un point de vue plus positif, ce qui fait surtout l'unité de l'art moderne, c'est que, de façon plus décisive que jamais, il fait éclater aux yeux cette véerité indiscutable, axiome fondamental de toute esthétique, ABC de ce que tout critique adulte doit savoir, c'est-à-dire ceci: que l'art et la nature sont deux choses essentiellement différentes, que l'art ne doit pas s'adapter à la nature, que l'art et la nature obéissent à des lois d'ordre différent que l'art ne doit donc pas être jugé du point de vue de la nature, que l'art n'est jamais imitation, mais toujours création indépendante, qui a son propre système cohérent, un monde d'autre essence que la nature, mais tout aussi légitime, L'art est toujours création de l'esprit, traduction d'une image intérieure. Que l'art moderne l'ait proclamé plus haut que jamais, voilà la grande et inappréciable délivrance. On peut certes admettre que l'artiste cherche, non pas une identification mais une certaine concordance entre l'image intérieure et l'image naturelle, mais on peut accepter tout aussi bien que l'image intérieure trouve sa forme propre sans se plier à la matérialité de l'image naturelle. Les gens qui n'admettent pas celà sont incurables et feront bien de ne pas mettre les pieds dans cette exposition, ils perdraient leur temps. Mais si l'on veut bien regarder plus loin que les quelques siècles de civilisation occidentale qui nous ont précédés, on constante que pour les 9/10 au moins, l'art produit pendant des milliers d'années, sur toute la surface de la terre, n'est pas inféodé à l'aspect optique des choses, mais s'affirme le serviteur de l'image psychi- | |
[pagina 491]
| |
que. Et quand l'art moderne fait la même chose, il suit la grande tradition de l'humanité, tradition interrompue seulement par ces quelques siècles de civilisation occidentale. On me dira peut-être que cette civilisation, c'est la civilisation par excellence, mais en face du monde et de plusieurs millénaires, c'est là une perspective égocentrique. - En tout cas, loin de voir dans notre art moderne un symptome de décadence, j'y vois un signe de régénération. On s'en va répétant que la vie se mécanise de plus en plus, que le matérialisme étend son empire, etc. Je réponds: c'est là un phénomène partiel, et accessoire. Regardez vers l'art, puisque l'art traduit toujours ce qu'il y a de plus intimement vivant dans une civilisation: l'art s'est détourné aujourd'hui d'un réalisme superficiel, il se déclare force pure, puissance de création propre, subsistant par elle-même, autonome, indépendante du monde naturel. Matérialisme, cela? C'est exactement le contraire! Ce que nous fait présager la philosophie d'aujourd'hui et la science, par exemple la physique d'aujourd'hui, l'art nous en apporte une promesse plus réconfortante encore parce que, je le répète, il n'est pas lui, le produit des intellects conscients, mais la forme des aspirations collectives les plus profondes: il nous apporte la certitude du triomphe prochain des valeurs spirituelles dans la vie. Je souhaite que cette exposition internationale de l'art contemporain, que je déclare ouverte, fasse apparaître cela clairement à tous les yeux. Mesdames et Messieurs, excusez-moi si j'ai dépassé les cinq minutes que ie m'étais assignées. Pour me ménager vos bonnes grâces, je vous ferai remarquer que parlant d'art moderne, je n'ai prononcé le nom d'aucune | |
[pagina 492]
| |
école en isme, et que j'ai même évité les termes de dynamique ou de cosmique, J'espère que vous m'en tiendrez compte, et je vous remercie de m'avoir laissé aller jusqu'au bout.
1931 |
|