Poèmes(1895)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekendLes bords de la route. Les Flamandes. Les moines Vorige Volgende [pagina 270] [p. 270] Aux moines Et maintenant, pieux et monacaux ascètes, Qu'ont revêtus mes vers de longs et blancs tissus, Hommes des jours lointains et morts, hommes vaincus Mais néanmoins debout encor, hommes poètes, Qui ne souffrez plus rien de nos douleurs à nous, Rien de notre orgueil roux, rien de notre paix noire, Qui vivez les yeux droits sur votre Christ d'ivoire, Tel que vous devant lui, l'âme en flamme, à genoux, Le front pâli du rêve où mon esprit s'obstine, Je vivrai seul aussi, tout seul, avec mon art, Et le serrant en mains, ainsi qu'un étendard, Je me l'imprimerai si fort sur la poitrine, Qu'au travers de ma chair il marquera mon coeur. [pagina 271] [p. 271] Car il ne reste rien que l'art sur cette terre Pour tenter un cerveau puissant et solitaire Et le griser de rouge et tonique liqueur. Quand tout s'ébranle ou meurt, l'Art est là qui se plante Nocturnement bâti comme un monument d'or, Et chaque soir, que, dans la paix, le jour s'endort, Sa muraille en miroir grandit étincelante Et d'un reflet rejette au ciel le firmament. Les poètes, venus trop tard pour être prêtres, Marchent vers les lueurs qui tombent des fenêtres Et reluisent ainsi que des plaques d'aimant. Le dôme ascend si haut que son faîte est occulte, Les colonnes en sont d'argent et le portail Sur la mer rayonnante ouvre au loin son vantail Et le plain-chant des flots se mêle aux voix du culte. Le vent qui passe et qui s'en vient de l'infini Effleure avec des chants mystérieux et frêles Les tours, les grandes tours, qui se toisent entre elles Comme des géants noirs de force et de granit, Et quiconque franchit le silence des porches N'aperçoit rien, sinon, au fond, à l'autre bout, Une lyre d'airain qui l'attend là, debout, Immobile, parmi la majesté des torches. [pagina 272] [p. 272] Et ce temple toujours pour nous subsistera Et longtemps et toujours luira dans nos ténèbres, Quand vous, les moines blancs, les ascètes funèbres Aurez disparu tous en lugubre apparat, Dans votre froc de lin et votre aube mystique, Au pas religieux d'un long cortège errant, Comme si vous portiez à votre Dieu mourant, Au fond du monde athée, un dernier viatique. Vorige Volgende