Poèmes(1895)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekendLes bords de la route. Les Flamandes. Les moines Vorige Volgende [pagina 267] [p. 267] Le cimetière Sous ce terrain perdu que les folles avoines Et les chiendents et les sainfoins couvrent de vert, On enterrait - voici quatre siècles - des moines Les mains jointes, le front du capuchon couvert, Le corps enveloppé de la pudeur des laines. Ils s'endormaient dans un calme sacerdotal Et rien ne leur venait ni des mers, ni des plaines, Qui pût troubler leur long sommeil horizontal. Alors comme aujourd'hui, les larges moissons mûres Charriaient leur marée autour des loins d'argent, Où luisaient des clochers ainsi que des armures. L'enclos funèbre avait le même aspect changeant, [pagina 268] [p. 268] La terre ocreuse était de micas chatoyée, La même croix d'airain, que midi faisait d'or, Tenait sur ses grands bras sa douleur déployée Et semblait un oiseau qui prend un tel essor Qu'il atteindra le ciel, d'un seul coup d'aile immense. Depuis, les morts nouveaux ont écrasé les vieux Et toujours cet enclos que le deuil ensemence S'étend, vierge et muet, vide et silencieux, Mèlant et remêlant les cendres aux poussières, Les défunts aux défunts, les débris aux débris, Sous le même soleil et les mêmes prières; Toujours les blés houleux entourent son mur gris. Toujours sous le manteau de ses folles avoines, De ses chiendents soyeux et de son gazon vert, Il tient caché les corps des abbés et des moines, Les mains jointes, le front du capuchon couvert. Et cette antiquité de deuil réglementaire, Ces mêmes morts toujours à d'autres succédant, Qui rendirent jadis cet enclos légendaire, Ont maintenu, dans notre âge de doute ardent, Autour du denil chrétien de ces trépas superbes, Mystérieusement couchés dans ce coin noir, Les mêmes bruits pieux de vent parmi les herbés [pagina 269] [p. 269] Et d'oiseaux clairs rythmant leurs chansons dans le soir. Pourtant, par les beaux mois d'été glacés de lune, Sous un ciel reluisant d'or et d'argent poli, Ce lieu répand encor sa hantise importune, Et lorsque les brouillards montent du sol pâli Et s'étendent, sur les tombes, en blanc suaire, On voit, là-bas, de grands moines se rassembler, Se saluer le front par terre et s'en aller Par la vague terreur de la nuit mortuaire. Vorige Volgende