La Belgique sanglante
(1915)–Emile Verhaeren– Auteursrecht onbekend
[pagina 125]
| |
[pagina 127]
| |
L'Allemagne asiatiqueAu xvie siècle, l'Espagne féroce et fanatique apparaissait comme un morceau d'Afrique soudé aux pays d'Occident. Les Maures l'avaient subjuguée. Ils lui avaient imposé leur conception brutale de l'autorité et de la force. Les Maures envahirent la France. On les en chassa. Ils s'incrustèrent au delà des Pyrénées, entre les chaînes de montagnes de la Castille. Cordoue et Grenade devinrent leurs forteresses et leurs royaumes. Sous Isabelle la Catholique, l'Espagne s'affranchit, mais l'emprise qu'elle avait subie l'avait marquée au point qu'elle ne fut chrétienne que comme l'Afrique fut islamique. Elle imposa sa foi par le fer et le sang, tout comme Mahomet propagea la sienne. Elle | |
[pagina 128]
| |
eut ses apôtres guerriers: le duc d'Albe. Elle eut ses armées terribles: Anvers et les Flandres les ont subies. Elle voulait organiser la terreur. Elle tuait en masse; elle espionnait, dénonçait, suppliciait. Elle faisait dans l'âme de chacun de ses soldats l'éducation de la cruauté. Comme l'Espagne au xvie siècle était pénétrée d'esprit africain, l'Allemagne s'est saturée au xxe siècle d'esprit asiatique. Certes - comme je l'indiquai plus haut - son organisation minutieuse et serrée fut calquée sur l'organisation catholique romaine, mais l'esprit qui anime et se sert de cette organisation n'est rien moins que chrétien: il est sémitique. L'Allemagne le sait, mais répugne à le reconnaître. Elle proteste au contraire que de tous les peuples aryens, elle est celui dont la race est demeurée la plus pure. Voici les faits. Nulle part plus qu'en pays tudesque, les sémites ne se sont installés. Presque tous les noms qu'ils portent sont des noms alle- | |
[pagina 129]
| |
mands. Ils les promènent à travers le monde. Leurs ghettos supprimés, ils travaillèrent à la prospérité des villes libres: Lubeck, Hambourg, Brême. Francfort devint une sorte de Jérusalem occidentale. Ils créèrent de la richesse partout. Leur puissance fut assez forte pour se passer et de l'ostentation et de l'orgueil. Elle fut ferme et active, dans l'ombre. Lorsque, après 1870, l'Allemagne se mit à développer et son commerce et son industrie, les sémites lui apprirent sur place à organiser son trafic et à mener à bien ses affaires. Ils furent des éducateurs merveilleux, les meilleurs du monde. Les grands magasins, les lignes maritimes, les sociétés d'électricité conservent à leur tête des juifs puissants. Ailleurs, ceux-ci s'effacent. Ils préfèrent laisser, sous leur contrôle, la direction des entreprises à d'authentiques germains. Au reste, ne s'approchent-ils pas de l'empereur, qui choisit parmi eux quelques-uns de ses conseillers secrets? Et même les hobereaux et les nobles, attirés par le désir du gain prompt, | |
[pagina 130]
| |
ne leur confient-ils point leurs capitaux et leurs projets? La soudure s'est faite entre ceux-ci et leurs anciens usuriers. L'esprit israélite - et nous disons ceci non pour l'attaquer, mais uniquement pour constater sa victorieuse influence - pénètre ainsi toute la vie bourgeoise et aristocratique des pays qui vont du Rhin à l'Oder, et de l'Elbe au Danube. Il épouse surtout très intimement l'esprit prussien. Mille affinités unissent leurs tendances. A l'exception des journaux du centre catholique, tous les grands quotidiens de Vienne, de Francfort, de Berlin sont aux mains des sémites. Ceux-ci les ont fait prospérer grâce à leur ingéniosité, à leur intelligence, à leur volonté et à leur argent. Les gazettes dirigées ainsi deviennent promptes, renseignées, hardies, complètes. L'art y est introduit comme une force ardente et choisie. On l'y honore, et peut-être y est-il aimé. Qu'aujourd'hui cette presse soit devenue hargneuse, partiale, hypocrite, mégalomane, c'est certain. Elle subit pour un temps l'heure | |
[pagina 131]
| |
et le milieu. Avant la guerre, c'était l'heure et le milieu qui la subissaient. C'est elle qui travailla, jour à jour, à métamorphoser la vieille Allemagne. Elle propagea l'idée de l'unité, elle conquit l'assentiment de la Bavière, de la Saxe, du Wurtemberg. A un peuple idéaliste et rêveur, elle inculqua les notions pratiques et réalistes. Elle le dirigea vers la vie de conquête et de proie; elle lui insuffla la vigilance inlassable, l'amour illimité du gain, l'audace opportune, l'inusable patience et l'infrangible ténacité. Bien plus: l'idée que tout est troc et marché, que tout s'arrange par la demande et par l'offre, que tout est intérêt et que rien n'est sentiment, passa peu à peu de la certitude juive dans la certitude allemande, et modifia à tel point la mentalité et la vie des gens du nouvel empire, qu'un Charles-Auguste ne les eût certes plus reconnus. L'Allemagne devint un pays d'affaires énorme. Les vieilles nations, l'Angleterre et la France, furent distancées dans la lutte universelle. L'Amérique même fut en partie conquise: les plus importantes maisons | |
[pagina 132]
| |
de New-York ne sont plus uniquement américaines. Ce génie de trafic audacieux et sûr qu'une autre race lui avait comme insufflé, l'Allemagne politique et diplomatique le voulut posséder à son tour. A ses yeux, les arrangements de peuple à peuple n'étaient plus que des négoces. La justice d'une cause, la fierté d'une lutte, la conscience d'une multitude séculairement unie lui apparaissaient choses négligeables et surannées. Les raisons des gouvernements ne devaient plus tenir compte des raisons des choses. Tout se devait réduire à des avancées ou des reculs, selon que les propositions faites étaient habiles ou maladroites. On demandait, on cédait; on attaquait, on se retirait; on exigeait l'échange ou la transaction. Même quand l'Allemagne lança son ultimatum à la Belgique, elle lui mit le marché à la main. Pas un instant, elle ne songea aux forces morales que ce peuple tenait embusquées dans son âme; elle parla de profits et pertes, comme à la Bourse. Elle ne put se défendre | |
[pagina 133]
| |
d'être surprise, lorsque ses offres furent rejetées. Alors, elle se fâcha. Elle n'a point encore décoléré depuis. Mais c'est surtout dans la conduite de la guerre que l'âme asiatique de l'Allemagne se dévoile. L'Europe aryenne a sans cesse, depuis le moyen âge, christianisé ses instincts barbares. Elle introduisit dans les batailles, l'honneur. Elle créa le plus beau type du soldat: le chevalier. Elle institua la Trève-Dieu. Elle condamna la fourberie et la traîtrise. Pendant la Renaissance, Bayard fut un modèle de droiture et de grandeur. Au xviiie siècle, à Fontenoy, la guerre se fait polie et galante. Pendant la Révolution et l'Empire, elle se fait sublime. Aujourd'hui, grâce à l'Allemagne, c'est la traîtrise et la fourberie qui la marquent et la déshonorent. On ne compte plus sur la parole de l'adversaire, on se défie de ses promesses, on n'accepte son geste que comme une indication de félonie. La franchise et l'honneur n'existent plus; on les bafoue ou on les biffe. On est cruel et féroce, par système. Aucune | |
[pagina 134]
| |
pitié, jamais. On achève les blessés. On jette à l'eau ceux qui tombent. On enterre les moribonds. On tue les prisonniers. A voir sur les bas-reliefs assyriens l'implacable Assourbanipal ordonner le supplice de ses ennemis vaincus et commander leur extermination totale, on songe aux méthodes prussiennes. Le pillage, la dévastation, l'incendie étaient ordres de guerre sous les Babyloniens d'Asie, comme ils le sont sous les Germains d'Europe. L'âme de ces deux empires est faite de la même folie et du même orgueil. Elle se reflète dans les documents anciens que conservent le Louvre et le British Museum; elle transparaît dans ce document d'hier, publié dans le Grossdeutschland und Mitteleuropa um das Jahr 1950. ‘Dans un espace d'années qui sera court, nous devons voir ceci: le drapeau germanique abritera 86 millions d'Allemands, et ceux-ci gouverneront un territoire peuplé de 130 millions d'Européens. Sur ce vaste territoire, seuls les Allemands exerceront des | |
[pagina 135]
| |
droits politiques; seuls, ils serviront dans la marine et dans l'armée; seuls, ils pourront acquérir la terre. Ils seront alors un peuple de maîtres, condescendant simplement à ce que les travaux inférieurs soient exécutés par des peuples soumis à leur domination.’ Ce texte pourrait être signé par n'importe quel tyran de l'ancien Orient: Cambyse, Artaxercès, Sennacherib, Nabuchodonosor. Il dévoile l'esprit le plus effrayamment inhumain qui ait régné sur la terre. Il reploie le monde sous la tyrannie; il ressuscite l'esclavage aboli. Depuis que les temps chrétiens de Rome ont changé l'univers, jamais une telle aberration de puissance, jamais une telle hallucination d'impérialisme n'a égaré le cerveau d'un conquérant. Un peuple qui conçoit un tel rêve réveille dans le monde tous les instincts léoniens que l'on en croyait bannis. Il incarne aux yeux de la sagesse claire l'idée même de la monstruosité. |
|